antiphilosophe

J'appelle "antiphilosophie" cette sorte particulière de philosophe qui
oppose le drame de son existence aux constructions conceptuel­les ;
pour qui
la vérité existe absolument, mais doit être rencontrée, expérimentée,
plutôt
que pensée ou construite
[...]
l'antiphilosophe est le plus dur, le plus intolérant des croyants.
Voyez
Pascal, Rousseau, Nietzsche Wittgenstein : personnalités impé­rieuses,
implacables, engagées contre les " phi­losophes " dans une lutte sans
merci.
Descartes, pour Pascal ? "Inutile et incertain" . Voltaire, Diderot,
Hume,
pour Rousseau ? Des corrompus, des comploteurs.
Le " criminel des criminels ", à fusiller sans délais. Les conceptions
de la
métaphysique rationnelle pour Wittgenstein ? De purs et simples
non-sens. Et
pour Kierkegaard, la majestueuse construction hégélienne ? L'absence au
monde d'un vieillard: "Le philosophe est sorti, il n'est pas de la
partie,
il s'est assis et vieillit en écoutant les chants du passé et les
harmonies
de la médiation."
[...]
Question de vie ou de mort, le pari, le choix, l'im­périeuse décision.
Le
sujet n'existe que dans cette épreuve. De là un trait fascinant : que
tout
épisode de la vie, si trivial ou minime soit-il, puisse être l'occasion
d'expéri­menter l'Absolu, dès lors qu'il convoque à un choix pur, sans
concept préalable, sans loi raisonnable, un choix qui est, selon
Kierkegaard, " le baptême de la volonté, qui incorpore celle-ci dans
l'éthi­que
"[...]
C'est en quoi l'antipliilosophe est un démocrate profond. ll ne se
soucie
pas des statuts, des qualifications, des contrats. Le débat, la liberté
des
opinions, le respect de l'autre, le suffrage, il affirme que tout cela
n'est
qu'une fou­taise. En revanche, n'importe qui vaut n'importe qui quant à
la
possibilité de devenir un sujet requis par l'Absolu.. L'égalité est en
ce
sens radi­cale sans condition, Kierkegaard glorifie l'indi­vidu
quelconque
qui sait pratiquer cette résigna­tion, cette passivité supérieure,
grâce à
laquelle " le sujet ne peut avoir sa vraie vie dans la vie immédiate,
mais
se voit signifier ce qu'il pourrait véritablement rencontrer dans la
vie
[...]
Seuls les individus " démo­cratiques " du monde contemporain, ces a
omes
désolés, s'imaginent qu'on peut vivre dans la paix des lois, des
contrats,
du mul­ticulturalisme et des dis­cussions entre amis. Ils ne voient pas
que
vivre, c'est vivre absolument, et que dès lors aucune objectivité
confortable ne peut garantir cette vie. Il y faut le risque du
deve­nir-sujet, il faut, comme nous l'enseigne Kierke­gaard que "
l'incertitude
objective soit mainte­nue fermement dans la passion de l'intériorité
àla
plus haute puissance ".
[...]
Si tu veux devenir autre chose que ce qu'il t'est ordonné d'être, ne
fais
confiance qu'aux rencontres, dévoue ta fidélité à ce qui est
officiellement
banni, obstine-toi dans les chemins de l'impossible. Sois dé-routé.


--