LES PAYS DE COCAGNE
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LES PAYS DE COCAGNE

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caserio
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caserio


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MessageSujet: périphéries   périphéries EmptySam 23 Avr - 11:22

GUILLEMETS
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt60.htm#braibant

"Guy Braibant, l'un des pères fondateurs de la Charte des droits
fondamentaux, hésite encore à voter "oui" le 29 mai et s'en explique dans "La
Croix" (14 avril): "Ce n'est pas la Charte initiale qui est incluse
dans la Constitution (...). Des termes (...) ont été modifiés, en sorte
que la portée des droits sociaux qu'elle contenait a été atténuée, assure
cet ex-président de la section des Etudes au Conseil d'Etat. Nous
avions fait de ces droits (droit à la santé, au logement, au travail, etc.)
des obligations s'imposant aux Etats; dans la nouvelle rédaction, ce ne
sont plus que des possibilités."

"Politis", 21 avril 2005
Citations, rubrique Politique
http://www.peripheries.net/f-cit9.htm

"Ebaucher les chairs dans l'ombre avec tons chauds, tels que sienne
brûlée, laque jaune et jaune indien, et revenir avec des verts tels que
ocre - vert émeraude; de même les chairs avec tons chauds, ocre et blanc
vermillon laque jaune, etc., ne pas craindre quand le ton de chair est
devenu trop blanc par l'addition de tons froids de remettre franchement
les tons chauds du dessous pour les mêler de nouveau. (...) La chair
est une buveuse insatiable de lumière et une échangeuse de reflets
inépuisable. Elle reflète tout et se reflète sur elle-même."

Eugène Delacroix, propos rapportés par George Sand, "Impressions et
souvenirs"
Citations, rubrique (Cinq) sens
http://www.peripheries.net/f-cit4.htm

"Je m'excuse de m'exposer ainsi devant vous; mais j'estime qu'il est
plus utile de raconter ce qu'on a éprouvé, que de simuler une
connaissance indépendante de tout observateur. En vérité, il n'est pas de théorie
qui ne soit un fragment, soigneusement préparé, de quelque
autobiographie."

Paul Valéry, cité par Philippe Lejeune dans "Signes de vie - Le pacte
autobiographique 2"
Citations, rubrique Culture
http://www.peripheries.net/f-cit1.htm

"C'est là, entre autres, que je vois bien que je ne suis pas Flaubert
(!). Je ne pousse pas des cris de douleur en me roulant sur des canapés
parce que la phrase ne vient pas. Elle vient toujours, je ne dois pas
être assez exigeant..."

Philippe Lejeune, "Signes de vie - Le pacte autobiographique 2"
Citations, rubrique Création
http://www.peripheries.net/f-cit7.htm

"Avant d'amuser ma famille par mes poèmes, je l'avais tannée, vers 8
ans, par mes chicaneries juridiques. On m'a souvent raconté cette
anecdote pour me prouver que ça remontait loin, que déjà petit je coupais les
cheveux en quatre. Nous habitions près de Bordeaux une maison avec un
grand jardin. Il paraît que je voulais absolument savoir si on avait le
droit de conduire sans permis dans son propre jardin. J'avais déjà le
goût de l'auto, dans tous les sens du mot, et je rêvais d'un territoire
en "franchise", dans tous les sens aussi."

Philippe Lejeune (spécialiste du journal intime et de
l'autobiographie), "Signes de vie - Le pacte autobiographique 2"
Citations, rubrique Enfance
http://www.peripheries.net/f-ci13.htm

"Je suis un obsessionnel volage."

Philippe Lejeune, "Signes de vie - Le pacte autobiographique 2"
Citations, rubrique Identité
http://www.peripheries.net/f-ci10.htm


LES PRAIRIES ORDINAIRES
http://www.peripheries.net/crnt60.htm#prairies

Une nouvelle maison d'édition, créée par Rémy Toulouse (un inconnu pour
nous, mais qui a d'ores et déjà toute notre sympathie), nous invite à
gambader dans les "prairies ordinaires", ces espaces "à reconquérir sur
le spectaculaire, le pseudo-extraordinaire, dont les discours dominants
tâchent de nous faire croire qu'ils sont les moments intenses et vrais
de nos vies. A l'inverse, nous voulons rappeler que ce sont ces
prairies nourricières qui nous constituent, que ce sont elles que nous devons
remobiliser, réinvestir pour prendre la mesure de l'oppression, de
l'ennui et de l'inauthenticité que ce discours entretient sur nous. C'est
au creux de notre quotidien, au coeur de notre environnement ordinaire
qu'il faut chercher la nature de la réalité sociale et les conditions
d'une appropriation du monde."

Les deux premiers titres parus, deux livres d'entretiens, l'un, "Faire
mouvement", d'Eric Hazan avec Mathieu Potte-Bonneville (de la revue
"Vacarme":
http://www.vacarme.eu.org ), et l'autre, "Quel bruit ferons-nous?", de
l'historienne Arlette Farge avec le compositeur Jean-Christophe Marti,
tiennent pleinement cette promesse. Puisant dans des filons de la vie
intellectuelle française aussi discrets que riches, ils sont beaux,
soignés mais pas léchés, et articulent de façon passionnante
l'autobiographie (les petits interludes, mêlant chronique intimiste et photo, dans
"Quel bruit ferons-nous? ", sont un régal), l'engagement et l'érudition
(toujours vivante, accessible). Le temps long, le repli des auteurs sur
leurs spécialisations et leurs marottes propres, y épousent l'urgence
de l'action politique et l'attention panoramique à l'époque. On avoue un
faible pour le livre d'Eric Hazan, intellectuel d'une radicalité
ébouriffante, éditeur (la Fabrique) et écrivain ("L'Invention de Paris" au
Seuil, "Chronique de la guerre civile" à la Fabrique: le premier, dit-il,
lui a attiré autant de louanges que le second d'hostilité), ancien
chirurgien, porteur de valises durant la guerre d'Algérie et militant de
longue date de la cause "palestino-progressiste". [M.C.]


"La première période de l'histoire des femmes fut qualifiée de peu
intelligente, jusqu'à l'arrivée de ces cinq volumes ["Histoire des femmes
en Occident", dirigé par Georges Duby et Michelle Perrot, auquel a
contribué Arlette Farge] qui ont changé la donne. Le regard porté par la
communauté des historiens était à peu près le suivant: "Elles veulent nous
castrer, alors que nous ne demandons qu'à leur faire l'amour."
Evidemment, je plaisante et caricature un peu, mais il y avait de cela..."

Arlette Farge, "Quel bruit ferons-nous? "
Citations, rubrique Sexes
http://www.peripheries.net/f-cit8.htm

"On peut considérer que notre mémoire collective a été bien davantage
celle de la représentation d'un corps en échange poreux avec le
"cosmos", comme avec le sacré, le diable - puisqu'à cette époque on croit que
le corps peut être aussi bien le lieu du malin que celui de Dieu - ou le
roi, nourrie de l'idée que l'on ne faisait partie que d'un seul corps.
De nos jours, l'idée de la stricte séparation des corps, de leur
individualisation, est complètement assimilée, mais il faut bien comprendre
qu'elle n'est vieille que d'environ deux cents ans."

Arlette Farge, "Quel bruit ferons-nous? "
Citations, rubrique Identité
http://www.peripheries.net/f-ci10.htm

"Ces changements de vocabulaire font violence à la pensée et à la
création. Lorsque des experts expliquent que l'économie actuelle et la
mondialisation sont "incontournables" sans rien préciser d'autre, c'est en
fait d'une extrême violence. "Incontournable", voilà un des mots clefs
qui somment celui qui les reçoit de rester immobile."

Arlette Farge, "Quel bruit ferons-nous? "
Citations, rubrique Politique
http://www.peripheries.net/f-cit9.htm

"Si vous me demandiez de définir d'un mot ce que je suis, je dirais:
"communiste". La démocratie libérale, qu'Alain Badiou appelle le
capitalo-parlementarisme, ne peut fonctionner "pacifiquement" que par la
fragmentation. Fragmentation du corps social éclaté en consommateurs
individuels, en entrepreneurs d'eux-mêmes; fragmentation du corps humain en
organes indépendants par une médecine victime de son asservissement à
toutes sortes d'industries; fragmentation de l'information, répartie en
rubriques étanches par les journalistes du maintien de l'ordre. Sans
compter les bombes à fragmentation, spécialement étudiées pour les
populations civiles. Se dire communiste, à mon sens, c'est travailler au
déblaiement de ce champ de décombres pour pouvoir y construire du commun."

Eric Hazan, "Faire mouvement"
Citations, rubrique Politique
http://www.peripheries.net/f-cit9.htm

"La politique est davantage affaire de formes de vie que de prise de
pouvoir."

Eric Hazan, "Faire mouvement"
Citations, rubrique Politique
http://www.peripheries.net/f-cit9.htm

"De même que sous le régime colonial, la France a autrefois construit
des distinctions entre les populations indigènes, les a dressées les
unes contre les autres - la loi Crémieux, qui donnait aux juifs algériens
la nationalité française en 1871, en est un bon exemple -, de même,
dans la France d'aujourd'hui qui reste un Etat colonial, on parle des
"ravages du communautarisme" en utilisant un discours faussement
universalisant. Pourquoi quelqu'un comme moi, dont les parents ont été
naturalisés en 1946, n'est-il pas considéré comme un immigré de la deuxième
génération? Comment les descendants d'immigrés des anciennes colonies ne
seraient-ils pas amers de voir que l'on distingue l'antisémitisme des
autres formes de racisme? Cette distinction s'appuie sur une histoire dont
les descendants de colonisés ne sont pas responsables, à savoir la
collaboration française au nazisme. Il faut voir dans tout cela une volonté
de séparer des minorités dont l'alliance serait une menace pour l'ordre
existant."

Eric Hazan, "Faire mouvement"
Citations, rubrique Politique
http://www.peripheries.net/f-cit9.htm

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MessageSujet: ...   périphéries EmptySam 23 Avr - 12:20

UNE FENÊTRE DE TIR
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt60.htm#fenetre

Mais qu'est-ce qui m'arrive?

Il y a quelques mois encore, je n'aurais jamais cru pouvoir me
passionner pour un sujet aussi directement politique que la Constitution
européenne (avec cette ironie que je n'ai même pas le droit de vote dans ce
pays, moi!). J'expliquais en long et en large pourquoi le militantisme,
avec ses réflexes archaïques, ses dénonciations simplistes, ses slogans
usés, me semblait impuissant à nous sortir de l'ornière; incapable de
calquer mon temps sur le temps collectif d'une quelconque mobilisation,
ayant un besoin viscéral de m'absenter, de ne jamais être là où on
m'attend - à l'heure dite, au lieu dit d'une réunion ou d'une manifestation
-, je revendiquais mon droit à me sentir à la fois plus utile et plus
heureuse en me perdant dans mes lectures, en m'autorisant à m'abstraire
de l'actualité immédiate... Est-ce que j'aurais changé d'avis?

Un référendum a l'avantage de n'impliquer
aucune délégation de pouvoir,
aucun plan sur la comète,
aucune couleuvre à avaler

Non. Pas du tout. Mais voilà: avec cette campagne référendaire, avec la
prise de conscience par un nombre croissant de citoyens, semble-t-il,
de la trahison de leur idéal européen, et de la nécessité de mettre un
coup d'arrêt à la construction européenne dans ses modalités actuelles,
j'ai l'impression de vivre un moment historique. Et la politique, pour
un temps, au moins, retrouve tous ses charmes - pour une foule de
raisons. D'abord, parce qu'un référendum, ce n'est pas une élection. Lors
d'une élection, l'espoir que manifestent les citoyens, les revendications
qu'ils tentent de faire entendre, restent tributaires de l'action
future de ceux à qui ils accordent leur confiance. Or, depuis des décennies,
ils ont été déçus. Ces déceptions successives, l'inadéquation
croissante de leurs attentes et de l'offre politique, ont causé des désastres
spectaculaires, comme le 21 avril 2002, mais aussi des ravages plus
insidieux, amenant chacun à se méfier de ses propres aspirations, lui
inculquant une sorte de haine de soi-réflexe, qui se manifeste chaque fois
qu'il se prend à espérer que quelque chose puisse s'améliorer. Un
référendum a cet avantage de n'impliquer aucune délégation de pouvoir, aucun
plan sur la comète, aucune couleuvre à avaler. On n'a besoin de
personne: on peut dire non soi-même, au lieu d'élire quelqu'un dont on espère
qu'il aura le courage de le dire. Cette campagne nous aura au moins
appris ça: quoi qu'on ait pu dire de leur déclin, au fond, notre goût pour
la politique, notre sens et notre souci de l'intérêt général, sont
intacts. Il ne s'en faut pas de grand-chose pour faire tomber les cloisons
érigées entre nos vies par l'individualisme triomphant: pour peu qu'on
ait le sentiment de pouvoir réellement se faire entendre et peser sur
les décisions, on est capable de s'investir ardemment dans le débat
politique.

Dans "La sorcellerie capitaliste" (La Découverte, voir
http://www.peripheries.net/g-pignsteng.html ), Philippe Pignarre et
Isabelle Stengers parlent très bien de cette gestion de l'impuissance,
entre ruses d'hypnotiseurs, chantage pervers et rodomontades
intimidatrices, à laquelle se réduit l'exercice du pouvoir aujourd'hui. Ils résument
le discours des dirigeants politique depuis deux bonnes décennies par
cette phrase: "Je vais vous expliquer les contraintes inexorables
auxquelles notre action est soumise." Ils y voient le principal verrou à
faire sauter. Or, bien qu'ils n'en parlent pas, ces "contraintes
inexorables", que le gouvernement s'en désole sincèrement - quand il est de
gauche - ou hypocritement - quand il est de droite -, bien souvent, c'est de
Bruxelles qu'elles viennent, réellement ou symboliquement... Dans
"Europe, la trahison des élites" (Fayard), Raoul Marc Jennar, Européen
fervent, partisan déçu de la construction européenne, balaie les minauderies
euphémisantes qui parlent de "déficit démocratique": en réalité, ce qui
est en train de se jouer, écrit-il, c'est "l'abandon du principe de la
souveraineté populaire si chèrement conquis en 1789". ("Populaire":
entendez-vous les sonorités désuètes de ce mot, discrédité par la
cohabitation constante qu'on lui impose avec "populisme"?) On voit aboutir "le
projet inavouable, entamé en 1957, de revenir sur plus de deux cents
ans de conquêtes politiques et sociales, par le haut, en construisant
au-dessus des Etats une autorité qui s'impose à eux, qui réduit les acquis
démocratiques et détruit les progrès sociaux de manière irréversible".

Depuis des années, on encaisse les ravages du libéralisme
sans qu'on nous demande jamais notre avis.
Et voilà, chose inouïe, qu'on nous pose la question:
voulez-vous en reprendre pour cinquante ans?...

Cette confiscation de la souveraineté populaire implique qu'à la
politique se substitue, comme le font encore remarquer Pignarre et Stengers
(sans parler directement de l'Europe, encore une fois), la "pédagogie" -
et, qui plus est, une pédagogie mensongère. "Pédagogie": vous l'aurez
remarqué, les partisans du oui n'ont que ce mot à la bouche... Michèle
Fitoussi, dans un éditorial du magazine "Elle" (28 mars 2005), a
remporté la palme en la matière, qualifiant les électeurs d'"enfants" qui en
seraient restés au "stade du non", et les politiques, d'"éducateurs"
ayant encore des progrès à faire pour mater ces insupportables mouflets
(voir, sur le site d'Acrimed, "Le magazine "Elle" et la pédagogie de
pointe": http://www.acrimed.org/article1975.html ).

Mais comment Chirac a-t-il pu ne pas se rendre compte de ce qu'il
faisait en organisant ce référendum? Fallait-il qu'il soit aveuglé par ses
visées tacticiennes pour ne pas voir l'opportunité qu'il offrait à
l'électorat (dissolution, bis!)... Depuis des années, celui-ci encaisse les
ravages du libéralisme sans pouvoir, sans savoir comment se défendre,
et sans qu'on lui demande jamais son avis; un libéralisme dont l'Union
européenne, loin de représenter un contre-modèle face à l'hégémonie
américaine, est au contraire un puissant relais. Et voilà, chose inouïe,
qu'on lui pose officiellement la question: voulez-vous en reprendre pour
cinquante ans (au bas mot, puisque, avec l'unanimité requise des
vingt-cinq membres, cette Constitution serait la plus difficile à modifier au
monde)? Voulez-vous vivre à perpétuité sous le régime de la
"concurrence libre et non faussée"?... Et on s'étonne qu'un nombre significatif de
citoyens se déclarent prêts à saisir l'opportunité de cette fenêtre de
tir inespérée qui se présente!

"Les tenants du non se croient à Eurodisney!"
Martin Schulz, président du Parti socialiste européen

Mais qu'est-ce qu'ils s'imaginent, ceux-là? Ils recommencent à croire
au Père Noël? Au Grand Soir?... Vraisemblablement, non.
Vraisemblablement, ils se contentent de savourer une situation qui, justement, échappe
à la fois aux promesses d'un grand soir éternellement ajourné, mais
pour lequel il faudrait être prêt à tous les sacrifices, et à la
résignation à laquelle on les assigne (ou à laquelle ils s'assignent eux-mêmes).
Une situation franche et claire, comme on n'en a pas connue depuis...
Depuis quand, déjà? On leur pose une question, et ils vont pouvoir y
répondre. C'est tout. C'est énorme. Mais il n'empêche: c'est intolérable
pour leurs garde-chiourmes politiques et médiatiques, qui n'avaient pas
prévu qu'ils pourraient répondre autre chose que ce qu'on leur disait
de répondre. Et qui ressortent aussi sec leur bon vieux chantage au
réalisme (que je connais bien, pour l'avoir étudié de près... Voir
http://www.peripheries.net/tyrannie.htm ), toujours prêt à servir. Ils
martèlent qu'une victoire du non ne servirait à rien, ne remettrait
rien en cause, ne mènerait qu'à l'impasse, ou à un texte encore pire; une
sorte de haine rageuse souffle dans leurs propos. "Les tenants du non
se croient à Eurodisney!" assène Martin Schulz, président du Parti
socialiste européen ("Libération", 23 mars 2005). Dans "Charlie Hebdo" (6
avril 2005), Philippe Val qualifie de nostalgiques du totalitarisme et
d'idéalistes dangereux ceux qui jugent contre-nature le concept d'une
Constitution libérale: "Certes, la Constitution n'est pas assez
socialiste, surtout si l'on entend par là qu'elle ne permet pas l'instauration
d'une économie planifiée, comme celle qui, autrefois, a fait le succès de
l'Albanie ou qui fait encore la réussite sans précédent de la Corée du
Nord." Même Claude Imbert ou Alain-Gérard Slama n'auraient pas osé
(enfin... là, je m'avance peut-être un peu).
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MessageSujet: ...   périphéries EmptySam 23 Avr - 12:21

Dans le numéro du 13 avril, Val recycle pour la énième fois sa théorie
de l'impureté (il faut préférer l'impureté, inhérente à la vie, à la
pureté malsaine qui obsède certains militants: idée intéressante, quand
elle ne sert pas à Philippe Val à justifier ce qu'il est devenu): "Ce
qui devrait nous rendre méfiants vis-à-vis des arguments du non,
écrit-il, c'est leur pureté. Ils sont contre tout ce qui est mal: les OGM, la
misère, la perte d'identité, le chômage, l'injustice, la disparition des
valeurs, l'impérialisme américain, la dictature des marchés - toutes
choses qui n'ont rien à voir, une fois de plus, avec l'adoption d'une
Constitution européenne [avec cette Constitution-ci, un peu, tout de
même!]." C'est vrai: jetons-nous gaiement dans la fosse à purin libérale,
adorons les OGM et l'impérialisme américain, au moins, on sera sûrs
d'échapper au risque de la pureté! A quelles contorsions intellectuelles et
détournements de concepts on en est réduit, décidément, quand on doit
justifier le goût qu'on a pris aux dîners en ville... (Comme je ne lis
plus "Charlie Hebdo" depuis longtemps, sauf accident malheureux, les
citations sont de seconde main. Lire: "Constitution européenne: Philippe
Val entre en religion":
http://fabienma.club.fr/annu-art/articles/europe-non.htm ) Bientôt,
même les revendications les plus élémentaires seront renvoyées à un
irréalisme béat. Vous voulez manger à votre faim sans ployer sous le knout
quatorze heures par jour? Vous n'êtes pas milliardaire et vous voulez un
toit au-dessus de votre tête? Mais vous rêvez, pauvres naïfs! Vous êtes
des nostalgiques de Staline, c'est sûr! Cette manière qu'ont certains
de nous faire rentrer dans la gorge nos aspirations et nos refus les
plus humbles pourrait suffire à justifier que l'on vote non. Et je suis
très sérieuse.

Certains tenants du oui se posent
en martyrs de la clairvoyance sobre et rigoureuse,
ayant lu le texte, eux,
face à des Gaulois braillards et désordonnés,
livrés à leurs interprétations fantaisistes
et à leur ivresse de l'opposition systématique

Mais ce n'est pas la seule raison, bien sûr. La Charte des droits
fondamentaux (partie II), outre qu'elle n'octroie que des droits très
médiocres ("droit de travailler" et non "droit au travail", "droit d'accéder
à un service de placement" quand on est au chômage mais pas droit au
revenu, "droit de se marier et de fonder une famille" mais pas droit au
divorce, "droit à la vie" mais pas droit à l'avortement ni à la
contraception, etc.), n'a pas force de loi: il est bien spécifié aux articles
II-111 et II-112 qu'elle "ne crée aucune compétence ni aucune tâche
nouvelles pour l'Union", et qu'elle s'adresse aux Etats "uniquement quand
ils mettent en oeuvre le droit de l'Union" (quand ils transposent une
directive). La charte ne peut être invoquée devant un juge que pour
contester les modalités de cette transposition: un citoyen, en admettant
qu'il vive dans un pays où il bénéficie de droits moindres, ne peut s'y
référer pour se défendre. Enfin, "les législations et pratiques
nationales doivent être pleinement prises en compte": aucune harmonisation par
le haut, donc. La mission d'harmoniser les systèmes sociaux est laissée
aux bons soins du marché (III-209), ce qui les tire inévitablement vers
le bas... En revanche, la partie III, qui fixe les politiques
économiques, est, elle, totalement contraignante! Les mentions récurrentes,
insistantes, de la "concurrence libre et non faussée", l'interdiction de
toute restriction aux mouvements de capitaux (III-156), alors qu'une
Constitution, par définition, doit pouvoir servir de cadre à des politiques
de droite comme de gauche, suffisent elles aussi, à nos yeux, à rendre
ce texte rédhibitoire. Ajoutons que la Commission conserve un pouvoir
exorbitant, puisqu'elle seule a l'initiative des lois (I-26; le
Parlement ne l'a pas); que le droit de pétition est un bobard, puisque les
signatures d'un million de citoyens de l'Union ne servent qu'à "inviter" la
Commission à examiner leur requête, et qu'il faut que l'acte juridique
réclamé soit "nécessaire aux fins de l'application de la
Constitution"... Bonjour la grande fête démocratique!

Certains tenants du oui commencent à se poser en martyrs de la
clairvoyance sobre et rigoureuse, ayant lu le texte, eux, face à des Gaulois
braillards et désordonnés, livrés à leurs interprétations fantaisistes et
à leur ivresse de l'opposition systématique, qui vont faire d'eux, à
leur corps défendant, la honte de l'Europe tout entière (il y en a,
pourtant, des étrangers qui n'ont pas été consultés dans leur pays, et qui
comptent sur le vote français pour exprimer leur opposition; ils étaient
présents à la manifestation européenne de Bruxelles le 19 mars dernier,
dans les forums sociaux, au meeting du Zénith... Pourquoi on ne les
entend jamais dans les médias?) Philippe Val ose écrire: "L'autre procédé
rhétorique des partisans du non consiste à dire qu'on les diabolise. En
réalité, tout le monde leur court après (...) parce qu'ils sont plus
rigolos [ça, c'est sûr!] que les partisans du oui, qui n'intéressent
personne." Les calculs de l'émission "Arrêt sur images", sur France 5, sont
pourtant formels: au cours du premier trimestre, le nombre
d'intervenants à la télévision sur la Constitution a été, toutes émissions
confondues, de 29% pour le non et de 71% pour le oui. A croire que les
partisans du oui intéressent quand même un peu de monde... Les journalistes, en
tout cas. Les éditorialistes, dans leur écrasante majorité, sont pour
le oui. Les sondages ont beau donner gagnants les tenants du non, ce
sont bien eux qui subissent un matraquage continuel, et non ceux du oui.
Etrange, ce besoin de se poser en minorité opprimée, comme si ça
prouvait de manière irréfutable qu'on était dans le vrai... Comme si on
cherchait à adopter la posture la plus valorisante, davantage qu'à se forger
une opinion sur le fond des choses.

"On nous dit que les Français doivent lire la Constitution.
Vous pensez, c'est un texte de 300 pages!
Moi-même, je ne l'ai pas lue!"
Malek Boutih, 28 septembre 2004

Il y a quelque chose de stupéfiant et d'inquiétant dans ce fossé qui se
creuse entre l'opinion et les élites. Les secondes semblent
foncièrement incapables de comprendre l'inquiétude que cause, chez les électeurs,
un texte d'essence libérale, comme si le libéralisme leur était devenu
aussi naturel et invisible que l'air qu'elles respirent. Mais cela ne
suffit pas à expliquer le désarroi et la panique qui s'emparent d'elles
ces jours-ci. En jetant ce référendum dans les pattes des socialistes
pour semer sa zone (ce qui a pleinement réussi, certes), Chirac n'avait
pas prévu qu'il mettrait aussi son propre camp en déroute. Dans les
médias aussi, la perte de sang froid est générale. Bernard Guetta,
éditorialiste à France-Inter et à "L'Express", traumatisé par la virulence des
e-mails de protestation qu'il reçoit, s'épanche dans le quotidien
suisse "Le Temps" (16 avril 2005) sous le titre "Mai 68, la haine en plus"
(http://www.letemps.ch/template/opinions.asp?page=6&article=153786 ):
"Il se passe quelque chose en France, écrit-il. Quand des éditorialistes
qui défendent, contre vents et sondages, le oui au projet de
Constitution européenne reçoivent quotidiennement des paquets de lettres et de
couriels pleins d'une fureur vengeresse, il se passe quelque chose qui va
bien au-delà de la seule installation du non dans l'opinion." Pour
expliquer le phénomène, il bat le rappel de ses pauvres raisons
d'éditorialiste.

Curieusement, tout le monde semble pris au dépourvu par cet événement
incroyable: les gens lisent et jugent eux-mêmes la Constitution. Ils
n'abandonnent plus cette tâche aux professionnels de la profession de
l'analyse politique. "La mobilisation, les conversions se font de bouche à
oreille, amplifiées par Internet, ses "chats", ses "blogs" et ses
méticuleuses et fausses analyses du projet qu'on y trouve à foison", se
lamente encore Bernard Guetta. Défense acharnée de ses prérogatives de
médiateur, diabolisation
d'Internet-où-n'importe-qui-peut-dire-n'importe-quoi alors que les médias traditionnels, c'est bien connu, sont
infaillibles (le RER D, c'était sur Internet?), assignation de la masse anonyme
à la seule fonction d'écoute et d'approbation respectueuse: pour les
vieux routards du Web indépendant, notamment du Minirézo, tout cela a des
résonances familières...

Ce qui arrache des cris d'orfraie à nos élites,
ce ne sont rien d'autre que des signes
de vitalité démocratique

Visiblement, que les citoyens se mêlent de ce qui les regarde, ce
n'était pas prévu au programme. En septembre dernier, Malek Boutih, en
charge des questions de société au Parti socialiste, avait eu cette sortie
admirable: "On nous dit que les Français doivent lire la Constitution.
Vous pensez, c'est un texte de 300 pages! Moi-même, je ne l'ai pas lue!
Parce que ce n'est pas le problème. Le problème, c'est: stop ou
encore?" ("L'Humanité", 29 septembre 2004) Il faut que Malek Boutih se méfie:
si ça continue, il va bientôt être le dernier en France à ne pas avoir
lu la Constitution... Prise de court, la classe politique et médiatique
réagit avec violence, ne se maîtrise plus, et trahit le mépris profond,
sans doute en partie inconscient, dans lequel elle tient ses électeurs
ou son public; c'est peut-être ce qui explique que, dans ses efforts
désespérés pour rattraper la situation, elle ne réussisse qu'à aligner
les gaffes...

Quoi qu'il arrive le 29 mai, cette campagne laissera des traces
profondes. Le refus de cautionner plus longtemps les dérives de la
construction européenne actuelle; les mobilisations sociales et le ras-le-bol d'un
libéralisme dont on a beau jeu de dire, contre l'évidence, qu'il n'a
"rien à voir", dans son expression nationale, avec la Constitution;
l'habitude nouvelle, prise avec Internet, de ne plus laisser aux
spécialistes le soin de penser à leur place: ce qui arrache des cris d'orfraie à
nos élites, ce ne sont rien d'autre que des signes de vitalité
démocratique dont il y a tout lieu de se réjouir (du moins quand on est attaché
à la démocratie réelle, et non à celle qu'exporte George Bush). Tout
semble se conjuguer pour indiquer qu'un bon nombre de gens, dans ce pays,
ont une envie dévorante de reprendre pied dans l'Histoire. C'est
peut-être pour ça qu'on se sent aussi bien?

Mona Chollet

Voir aussi, sur "Résurgences", le superbe texte de Jean Sur, "Oui, je
dirai non":
http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/non.htm

... Et le dossier "Constitution européenne" sur Rezo.net:
http://rezo.net/dossiers/constitution

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MessageSujet: ..   périphéries EmptyLun 6 Juin - 15:21

UN PAYS SANS MIROIRS
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt62.htm#miroirs

Tout au long de la campagne, quand on devait se fader à longueur de
journée, sur toutes les antennes et dans les colonnes de tous les journaux
(rappelons que seuls «l’Huma», «Politis», «Regards» et «le Monde
diplomatique» avaient pris position pour le non) les inepties et les injures
des éditorialistes oui-ouistes, on se consolait avec cet espoir confus,
à peine formulé: si le non passe, alors, ils comprendront... Avec le
recul, évidemment, c’était d’une naïveté inouïe. Mais à quoi d’autre
pouvait-on se raccrocher, puisque le suffrage universel était le seul moyen
d’expression dont disposait ce peuple muet, condamné au seul rôle de
cible «pédagogique», pour répliquer à ceux qui l’admonestaient avec tant
de docte suffisance? Il y avait aussi le courrier des lecteurs et les
antennes ouvertes, d’accord, mais ces moyens sont, par définition, trop
subordonnés aux supports qui les octroient généreusement pour faire
office de contrepoids réel. Quant à Internet, les poissons du bocal
médiatique ne s’aventurent presque jamais dans ce marigot, car il paraît,
figurez-vous, ô abomination, qu’on n’y dit pas toujours la vérité. Brrrr!
Ça doit être un endroit terrifiant. Pour vous et moi, qui sommes
habitués à raconter des bobards, voire qui mentons comme nous respirons,
passe encore; mais pour des professionnels de la vérité, il y a là quelque
chose qui heurte la sensibilité.

Qu’ils aient presque tous pris position pour le oui, c’était déjà
inquiétant, certes. Mais ça n’aurait peut-être pas été aussi grave s’ils
avaient au moins donné un reflet fidèle des termes du débat. Ce qu’il y a
de vraiment flippant, ce sont les analyses du vote qu’ils persistent à
nous infliger, aussi pertinentes que si elles étaient formulées par des
Martiens en goguette sur la Terre avec des traducteurs automatiques
martien/français défectueux. Alors que, avec toute la rancoeur qu’on avait
accumulée en trois mois, on se faisait une joie revancharde de savourer
leur déconfiture, dimanche soir, les débats télévisés qui ont suivi
l’annonce des résultats ont été bizarrement frustrants; la matinale de
France-Inter, le lendemain, aussi. Il a bien fallu se rendre à l’évidence:
la bulle dans laquelle vivent ces gens-là n’avait pas éclaté. Cette
fois, c’est sûr: ils ont décroché, ils sont en roue libre. Leurs
pseudo-analyses se nourrissent de leurs préjugés, de leurs certitudes
d’officines et des pseudo-analyses de leurs confrères: de rien d’autre. Quand ils
n’ont pas la franchise d’insulter leurs auditeurs, ils louvoient, ils
esquivent, ils noient le poisson, ils se rassurent, ils se justifient.
Et il faut encore qu’on les écoute se la raconter. «Si nous méritons la
confiance de nos lecteurs, c’est en raison non pas de notre
infaillibilité mais de notre liberté», se dédouane Jean Daniel dans «le Nouvel
Observateur», transformé ces dernières semaines en machine de guerre pour
le oui, et dont toute la rédaction en chef semble redécouvrir en choeur
les vertus de la méthode Coué. Bla, bla, bla, bla, bla... Depuis
dimanche soir, je me rends compte que tout ce que j’entends à la radio et à
la télévision, ainsi qu’une bonne partie de ce que je lis, me révolte ou
m’indiffère, au choix. Je suis ailleurs – et j’ai vaguement
l’impression que je ne suis pas la seule. Ils sont dans leur monde, et au moins
55% de la population française est dans le sien.

Une population bornée, nombriliste et butée,
contre des élites pro-européennes,
audacieuses et désintéressées? C’est drôle,
mais on a plutôt l’impression
que c’est exactement l’inverse!

Parmi toutes les explications possibles au fait que les Français aient
refusé ce projet de Constitution européenne, il y en a une qu’on
n’entend quasiment pas évoquer: leur désaccord avec ce projet de Constitution
européenne. C’est là une hypothèse audacieuse, j’en conviens; mais,
quand même, ne faudrait-il pas l’envisager? Au lieu de ça, il semble aller
de soi qu’ils ont voté non pour manifester leur hostilité à Chirac et à
Raffarin; on insinue – ou on assène – qu’ils sont incapables de relever
le nez de leurs navrants petits soucis quotidiens (du genre chômage,
précarité, disparition des services publics et autres peccadilles) pour
tourner leur trogne de bouseux probablement avinés vers les sublimes
horizons européens qu’était censée leur ouvrir cette Constitution, malgré
les efforts désespérés et méritoires de leurs élites pour leur élever
l’âme, à ces ingrats. Déjà, interprétant le désaveu comme un désintérêt,
on invoque, pour l’expliquer, le déficit d’information sur l’Europe
dans les médias. «En France, nous sommes quand même très peu à nous
intéresser à l’Europe», se désolait Christine Ockrent à la télévision lundi
soir, tandis qu’à la veille du scrutin, un sondeur déclarait que la
principale caractéristique du débat en France était qu’on n’avait «jamais
parlé du fond»: on croit rêver...

Une population bornée, nombriliste et butée, contre des élites
pro-européennes, audacieuses et désintéressées? C’est drôle, mais on a plutôt
l’impression que c’est exactement l’inverse! S’il fallait une preuve du
fait que le souci de l’Europe était plutôt du côté des partisans du
non, on l’a eue dimanche soir, sur les plateaux de télévision: alors que
l’UMP touillait déjà la cuisine interne de son remaniement ministériel
et que le PS affûtait ses longs couteaux, Marie-George Buffet était la
seule à parler encore de l’Europe; et, de toute évidence, elle emmerdait
tout le monde, celle-là, avec son Europe. Comment peut-on ne pas voir
avec quelle passion ce texte, au cours de la campagne, a été lu,
trituré, disséqué, discuté? Au café, dans les réunions entre amis, au travail,
sur Internet, partout les gens se déchiraient pour une divergence sur
un alinéa, s’envoyaient des articles à la tête, confrontaient leurs
interprétations, et on continue à déplorer qu’ils ne s’intéressent pas à
l’Europe! Du coup, on chialerait presque de reconnaissance en lisant,
dans «le Nouvel Observateur» (mais si!), le papier, lumineux de bout en
bout, de Jean-Claude Guillebaud (qui, pourtant, si on a bien compris,
«inclinait pour le oui»; comme quoi...). «En s’invitant dans le processus
européen, écrit-il, les citoyens ont littéralement transformé le statut
symbolique et politique de l’Europe. Ils en ont fait, pour la première
fois, un espace public, concret, discernable. Le «plus» d’Europe sera
paradoxalement passé par le non. C’est ainsi. Le pari que nous faisons
ici consiste à penser que cette transformation substantielle est un
acquis si extraordinaire qu’il contrebalance les éventuels retards que le
non français fera prendre in concreto aux procédures. Sur le long terme,
un tel enrichissement démocratique, une telle transmutation symbolique
ne sont-ils pas plus importants que le simple timing procédural? On
disait, hier encore, que le premier handicap du projet européen tenait à
l’absence ou au désintérêt des citoyens? Or ces derniers, à
l’improviste, se sont imposés comme partie prenante de l’affaire. D’une certaine
manière, tout est changé en Europe. Qui s’en plaindra?» Oh! Beaucoup de
monde, visiblement... Mais peu importe. Merci, Jean-Claude Guillebaud.

Bien sûr, parmi les Français qui ont voté oui,
comme la grande majorité des électeurs UMP,
aucun ne trouve qu’il y a trop d’étrangers en France...

A l’inverse, si les autres commentateurs sont incapables de désigner
une autre cause que l’hostilité à Chirac et Raffarin, ne serait-ce pas
parce qu’ils prennent leur cas pour une généralité, et qu’eux-mêmes ne
voient pas plus loin que leur petit horizon hexagonal et leur petite
tambouille politicienne? Déjà, ils n’ont toujours pas compris que ce
scrutin n’était pas une élection, mais un référendum, c’est-à-dire une
consultation des citoyens par-dessus la tête de leurs représentants
politiques, qui jouent ici un rôle secondaire. «Pour la première fois, dimanche,
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MessageSujet: .   périphéries EmptyLun 6 Juin - 15:22

le chef du FN a voté comme la majorité des Français», écrit
sinistrement Jacques Julliard dans «le Nouvel Observateur». Mais Le Pen était
aussi contre la guerre en Irak, et pourtant, personne ne nous a expliqué à
l’époque qu’il fallait approuver l’aventure anglo-américaine pour
éviter que le chef du FN ne pense «comme la majorité des Français»! Dans un
dessin odieux de «l’Express», Plantu représente les hommes et femmes
politiques ayant pris position pour le non (Le Pen, Villiers, Fabius,
Buffet, Besancenot, Chevènement, etc.) rassemblés autour d’une table, en
compagnie de Chirac et... d’un clochard, apparemment pour démontrer le
côté hétéroclite, bras cassé et, pour tout dire, peu fréquentable de la
coalition victorieuse. Etroitesse de vues, encore: trois jours avant le
vote, sur France Culture, François Hollande, qui vantait depuis plus de
six mois les mérites ébouriffants de cette Constitution, sidérait tout
le monde en déclarant tout à trac que, si Chirac avait mis son mandat
en jeu, le PS aurait appelé à voter non. Et maintenant, il va partout
pleurnichant que Fabius, Emmanuelli, Mélenchon et les autres ont triché,
qu’ils ont bafoué la discipline du parti, trahi le vote des militants,
que c’est pas du jeu, et tout ça. En voilà, une réaction à la hauteur
de la situation... L’horizon de Hollande, pour sa part, ne s’étend même
pas jusqu’aux frontières de la France: il s’arrête aux grilles du siège
du PS, rue de Solférino, dans le septième arrondissement de Paris.

On savait déjà que ces salauds de musulmans étaient tous antisémites;
maintenant, avec le racisme de classe irrépressible qui, le désarroi
aidant, se manifeste depuis dimanche, on sait aussi que ces salauds de
pauvres sont tous xénophobes. Passons sur la manipulation qui voudrait
faire du plombier polonais, symbole d’un dumping social dont pâtiraient
aussi bien les Polonais que les Français, un thème xénophobe - d’autant
plus que la campagne du non de gauche est étrangère à cette figure, dont
la paternité revient à Frits Bolkestein. Kamikaze du non à
«Libération», Pierre Marcelle raconte avoir entendu dans les murs de la rédaction
que, s’il s’était passé quelque chose dimanche, c’était «la marche en
avant du national-socialisme»; c’était une blague, mais Pierre Marcelle
manque d’humour. Sur le plateau d’Arlette Chabot, l’autre soir, Bernard
Kouchner, avec l’air machiavélique et triomphant du flic qui vient de
confondre un suspect, lisait un sondage annonçant que, parmi les
Français qui ont voté non, 67% trouvent qu’il y a trop d’étrangers en France
(bonjour la question pourrie!). Serge July, dans son d’ores et déjà
célèbre éditorial de lundi matin intitulé «Chef d’oeuvre masochiste» («chef
d’oeuvre masochiste», en effet, vu le nombre de désabonnements qu’il a
dû provoquer à «Libération»), s’indignait du «spectre turc désignant
sans ambages les musulmans»: cette campagne aura au moins permis à Serge
July de découvrir l’islamophobie, que lui et ses pairs, jusque-là,
renvoyaient généralement à un fantasme gauchiste... Et bien sûr, parmi les
Français qui ont voté oui, comme la grande majorité des électeurs UMP,
par exemple, aucun ne trouve qu’il y a trop d’étrangers en France, et
tous sont prêts à accueillir à bras ouverts la Turquie dans l’Union.
Serge July oublie que de bruyants partisans du oui, comme les
éditorialistes Claude Imbert et Philippe Val, se sont prononcés contre une
éventuelle adhésion turque...

Pour la première fois,
on a vu le thème de l’antilibéralisme
se propager suffisamment dans la société
pour peser sur l’issue d’un scrutin

Que les Français aient pu tout bonnement répondre à la question qu’on
leur posait, c’est une hypothèse que tout le monde écarte résolument. Et
on croit comprendre pourquoi: prendre acte du refus de ce texte
obligerait du même coup à prendre acte de ses motifs. Dimanche, pour la
première fois, on a vu le thème de l’antilibéralisme déborder des sphères
altermondialistes et se propager suffisamment dans la société pour peser
sur l’issue d’un scrutin. Certes, tous ceux qui ont voté non ne l’ont
pas fait par antilibéralisme; mais ça a été le cas, explicitement ou non,
d’un très grand nombre d’entre eux – un nombre décisif, en tout cas.
Mardi soir, sur TF1, on a revu l’étudiant travaillant au noir qui avait
participé à l’émission de Chirac avec des jeunes sur l’Europe, et qui a
voté non; interrogé sur le remplacement de Raffarin par Villepin, il
commentait sobrement, renvoyant à son insignifiance le ballet des
consultations ministérielles de la journée: «Ce n’est pas une question de
personnes, mais de politiques. Tant qu’on mènera des politiques
ultralibérales, rien ne changera.» Entendre ça sur TF1, quand même, ça fait
drôle... Dès lors qu’on prend en compte ce paramètre essentiel, la situation
s’éclaire, et on ne peut plus raconter n’importe quoi. On ne peut plus
raconter, par exemple, que les partisans du non devraient avoir honte
d’avoir voté comme les électeurs du FN (argument particulièrement
écoeurant compte tenu de la lepénisation des esprits galopante à laquelle on
assiste par ailleurs ces dernières années): si, parmi ces derniers, un
certain nombre votent Le Pen non par racisme, mais par désespoir, il
faut plutôt se féliciter de ce que leurs griefs aient enfin pu trouver un
débouché noble, et que, pour une fois, ils ne se soient pas «trompés de
colère». Rappelons les remarques de Frédéric Lordon reproduites ici
même l’autre jour: «Pour la première fois, le débat roule sur les vraies
questions, les questions de structures. On ne parle que de la banque
centrale indépendante, des contraintes liées à la monnaie unique et à la
déréglementation... Ce n’est pas comme en 2002, où la question sociale
et économique s’était trouvée défigurée par le débat sur «l’insécurité»,
«l’immigration», «les sauvageons», etc.»

Ce débat sur le dogme libéral, et, indissociablement, sur le droit des
peuples à décider des politiques économiques menées en leur nom, tout a
été fait pour l’éluder, ou, à défaut, pour l’endiguer en abusant
l’opinion par des ruses grossières. On a même entendu le Medef s’inquiéter
d’une possible victoire du non parce que ce serait une «victoire pour
l’ultralibéralisme», alors que le Medef, lui, défend une «société sociale
de marché» (cité par «l’Humanité», 25 mai)! Mais ces ânes bâtés de
Français, avec une méfiance inexplicable, ont refusé de croire que la
construction européenne, s’ils lui donnaient le feu vert pour continuer sur
sa lancée, leur assurerait soudain un avenir radieux et solidaire, leur
octroierait comme ça, par pure reconnaissance, un petit droit de regard
sur les choix de société qu’elle faisait pour eux, et que François
Hollande, après avoir défendu de toutes ses forces un texte enfermant le
continent dans la «concurrence libre et non faussée» pour les cinquante
ans à venir, monterait à l’assaut de Bruxelles, le couteau entre les
dents, pour exiger un salaire minimum européen, une grande loi sur les
services publics et la tête de Frits Bolkestein.

Le 29 mai est ce qui pouvait arriver de mieux
à la gauche française

Si on accepte cette grille de lecture, on ne peut plus raconter non
plus que le 29 mai dernier a été un «nouveau 21 avril» («le syndrome du 21
avril 2002 s’affiche désormais sans complexe», écrit Robert Schneider
dans «le Nouvel Observateur», tout ça parce qu’il a retenu, la fine
mouche, que «les Français ne font plus confiance à ceux qui les dirigent»).
Or, le 29 mai est ce qui pouvait arriver de mieux à la gauche
française. La campagne référendaire a permis aux antilibéraux en son sein, tous
partis confondus, de se compter; et, vraisemblablement, c’est sur cette
ligne qu’elle va se recomposer, en renonçant peut-être enfin à ses
querelles de chapelles stériles. La recomposition ne sera peut-être pas
achevée pour 2007, mais, de toute façon, elle n’avait rien à perdre. S’il
ne s’était rien passé, si la France avait regardé passer d’un oeil
bovin le train de la construction européenne, François Hollande aurait
continué à se figurer que les Français avaient voté socialiste aux
régionales par pur engouement pour sa personne, qu’ils ne demandaient pas mieux
que de le porter en triomphe jusqu’à l’Elysée, et Sarkozy n’en aurait
fait qu’une bouchée. Dans tous les cas, le pays aurait eu le choix, à la
présidentielle, entre une gauche de droite et une droite de droite.
Alors qu’avec la clarification inespérée opérée par le débat européen, on
peut espérer voir apparaître dans ce pays une vraie gauche – à laquelle
aspire, semble-t-il, une large partie de l’électorat – tenant sa place
à côté d’une vraie droite. Ça n’éviterait peut-être pas les déceptions,
mais ça éviterait au moins les malentendus, et c’est déjà beaucoup.

Sauf qu’au sommet de la hiérarchie médiatique, là où on ne s’accommode
pas si mal du système, quand on n’en est pas partie prenante, on
résiste de toutes ses forces à l’émergence du thème antilibéral dans le débat
public. «Libéralisme», pour ces oreilles-là, c’est l’antienne vaine,
niaise et irritante, ressassée par des gens que l’on méprise – les Bové,
les Buffet, les Besancenot... On s’était accoutumé à vivre et à décider
sans le peuple, cette chose sale – au point qu’on confond délibérément
«populaire» et «populiste» –, et on n’a aucune envie de le voir faire
son grand retour dans la gestion des affaires publiques, au lieu de
s’accommoder du rôle qu’on lui réservait, celui de figurant dans une
parodie de démocratie. On lui cite en exemple ses voisins européens privés de
débat: eux, au moins, ont le bon goût d’avaliser docilement (oups, sauf
les Pays-Bas...) un projet de Constitution qu’ils n’ont pas lu, sans
avoir l’outrecuidance de se mêler de ce qui les regarde! Il y a trois
mois encore, l’opinion française était prête à en faire autant. Par
miracle, le débat a eu lieu; un débat d’une qualité stratosphérique. Et il
faudrait en avoir honte! Mais c’est ainsi: le moindre espoir qui pointe
de faire émerger une contestation large du dogme libéral suscite des
ricanements haineux. «La victoire du non a installé durablement dans une
bonne partie de l’opinion de gauche le mythe d’une alternative globale,
l’espoir d’autant plus ancré qu’il est chimérique d’un grand soir de
tous les recommencements», écrit dans «Libération» d’aujourd’hui Joël
Roman, de la revue «Esprit», qui, pour la réduire à un caprice de
gauchistes, ne doit pas trop voir dans son quotidien la nécessité d’une
«alternative globale». Dans «le Nouvel Observateur», Claude Askolovitch
consacre un papier à «la victoire de la gauche d’en bas», qui n’a pas l’air
de lui faire plaisir. Après avoir évoqué les espoirs qu’elle suscite, il
conclut par ces mots: «Soyons lucides, expliquons pourquoi rien n’est
possible.»

All you need is Nouvel Obs!

Le renversement du slogan soixante-huitard, évidemment, n’est pas
innocent. Depuis qu’ils ont noyé leur idéalisme de jeunesse dans les
compromissions et les vicissitudes mondaines, ces gens-là se sont fait une
mission de censurer et de tuer dans l’oeuf toute velléité de remise en
cause de l’ordre établi. Pourtant, ce que le débat référendaire a réanimé,
ce ne sont pas les fantasmes de grand soir: c’est simplement l’espoir
d’en finir avec la confiscation du droit des peuples à décider de leur
destinée, de retrouver un jeu politique débarrassé de ses
faux-semblants, et d’enrayer la trahison systématique des mandats reçus. Et si cela,
c’est être radical, c’est parce qu’on est tombé bien bas.

«Dans cette passe difficile, le réformisme lucide retrouve tout son
sens et un journal comme le nôtre, sa mission», écrit sans rire Laurent
Joffrin dans «le Nouvel Observateur» – décidément un numéro d’anthologie.
All you need is Nouvel Obs! Ça alors, et moi qui croyais que le
«réformisme lucide», c’était précisément ce qu’avaient rejeté 55% des Français
dimanche dernier... Désormais, dans leur écrasante majorité, ni son
personnel médiatique, ni son personnel politique n’offrent plus à la
France de reflet fidèle de ce qu’elle est. S’ils ne la comprennent plus,
c’est parce qu’ils ont sur elle un bon train de retard. La crise actuelle
était nécessaire, mais cette situation étrange n’est pas rassurante
pour autant – surtout en ce qui concerne la représentation politique,
parce que, côté médias, on peut toujours se débrouiller avec Internet...
Question: combien de temps un pays peut-il vivre sans miroirs?

Mona Chollet

L’éditorial de Jean-Claude Guillebaud:
http://www.nouvelobs.com/dossiers/p2117/a269714.html
... Et celui qu’il avait déjà consacré à la campagne médiatique:
http://telecineobs.nouvelobs.com/ARTICLES/A268676.asp

Lire aussi: «Une voix plus forte pour Politis», par Denis Sieffert
http://www.politis.fr/article1350.html
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MessageSujet: .   périphéries EmptyJeu 16 Juin - 14:18

BAS LES PATTES!
Florence Aubenas, rédemption des éditorialistes oui-ouistes? Pas
question!
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt62.htm#florence

C’est un peu comme si vous aviez eu le privilège de connaître un site,
un paysage, un édifice, particulièrement admirable, visité par un grand
nombre de gens, certes – parce que ce qui est remarquable reste
rarement ignoré –, mais signalé par aucun guide touristique. Jusqu’au jour où,
parce qu’il est menacé, on se met à faire tout un foin autour de lui
pour le sauver; un foin auquel, d’ailleurs, vous contribuez de toutes vos
petites forces. La mobilisation atteint son but, les bulldozers
rentrent à la niche, et, désormais, l’honnête petite nationale qui y menait
est remplacée par une autoroute à quatre voies. Le lieu lui-même n’a pas
changé, mais sa fréquentation, si: on y croise désormais plein de gens
très bien, heureux que la menace qui pesait sur lui leur ait au moins
permis de le découvrir, et qui se fondent à merveille dans le décor;
mais aussi d’autres, touristes de luxe arrivés en car climatisé, que vous
vous énervez de voir là, comme si le simple fait de vous y être rendu
quelquefois par le passé – vous êtes loin d’être un habitué – et d’aimer
cet endroit vous donnait une sorte de droit à en contrôler l’accès:
ridicule. Quand vos amis mentionnent devant vous ce site étonnant dont
tout le monde parle, dont on écoule des cartes postales à profusion, vous
vous empressez de leur expliquer que vous l’avez connu et apprécié
avant qu’il ne soit célèbre; ils vous traitent de snob, et ils ont bien
raison. Quand c’est vous qui prenez l’initiative d’en parler, vous
devinez, au regard affligé que vous lancent certains de vos interlocuteurs,
qu’un nom autrefois intrigant et méconnu, signe de ralliement d’un petit
cercle d’aficionados, est devenu un lieu commun total, et ça vous fait
tout drôle.

(Ma comparaison est foireuse sur au moins un point, c’est que Florence
Aubenas est un paysage qui bouge, un monument itinérant, et pas qu’un
peu; si autant de gens, venus de tous les horizons sociaux et
géographiques imaginables, ont eu un jour l’occasion de croiser son chemin, c’est
que, si tu ne vas pas à elle, Florence Aubenas, dans sa boulimie de
rencontres, vient fatalement à toi un jour ou l’autre. C’est aussi un
paysage qui parle, mais ça, je ne crois pas qu’il soit utile de le
préciser.)

«Bernard Guetta, il a aussi connu
des moments difficiles,
ces dernières semaines...»
Stéphane Paoli à Florence Aubenas

Dimanche soir, après avoir fait comme tout le monde, c’est-à-dire
pleuré de joie comme des veaux devant la télé, tout en hoquetant de rire, en
même temps, au festival de blagues hallucinant qu’elle improvisait sur
le tarmac, on avait pris plein de bonnes résolutions. Maintenant
qu’elle était là, parmi nous, qu’elle était enfin rendue à cette liberté dont
elle fait un usage si impressionnant et jubilatoire, il fallait cesser
de parler d’elle, se faire discrets, lui foutre la paix. Si certaines
récupérations nous irritaient, il n’y avait qu’à respirer un grand coup
et à laisser filer; après tout, si quelque chose la gênait, elle était
assez grande pour se défendre toute seule, et toute protestation d’un
tiers ne pourrait constituer qu’une tentative de contre-récupération.
Après ce qu’elle avait vécu, il fallait lui laisser le temps de se
remettre au parfum et de choisir elle-même le moment où elle reviendrait dans
l’arène des débats franco-français - si toutefois elle y revenait. Au
début, on a relativement bien tenu le coup. Par exemple, Jean Daniel,
dans un édito du «Nouvel Observateur» intitulé «La maîtrise et la grâce»,
après l’avoir encensée («chacun s’émerveille de réaliser à quel point
Florence mérite sa gloire. Elle grandit, par son allure, tous ceux qui
l’ont aidée»), enchaîne sur une analyse à deux balles expliquant que,
s’il y a des prises d’otages en Irak, et si ce genre de pratique «ne
s’est tout de même pas encore intégrée dans nos moeurs», si lui-même ne se
fait pas prendre en otage dans Paris quand le taxi qui l’emmène au
«Nouvel Obs» s’arrête à un feu rouge, ce n’est pas parce que, contrairement
à celle de la France, la situation de l’Irak, sanglante et chaotique,
avec la présence sur son sol d’une armée étrangère d’occupation, permet
aux pires malfrats d’imposer leur loi; non, non, non: c’est cul-tu-rel.
«Dans certaines sociétés où l’individu n’existe pas encore, une morale
antique permet de punir le groupe, donc tous ceux qui, innocemment ou
pas, en font partie, nous informe Jean Daniel. Jamais on n’a accepté
tout à fait, dans une grande partie du monde, l’injonction d’Ezéchiel
selon laquelle les fils ne devraient plus avoir les dents agacées sous le
prétexte que leurs pères ont mangé des raisins verts.» Eh bien, on a lu
ça, et on a à peine frémi: c’est dire. Mais, quand même, une certaine
irritation montait.

Elle a explosé d’un coup avec la matinale de France Inter, mercredi
matin. Face à Florence Aubenas qui, invitée de «Question directe»,
explique qu’elle représente cette grande majorité de journalistes, dont on
voit rarement le visage en temps normal, qui n’est pas éditorialiste, qui
est sur le terrain («je représente un journalisme que les gens ont
moins l’habitude de personnifier»), Stéphane Paoli, dans une illustration
d’anthologie de la capacité humaine à entendre ce qu’on veut bien
entendre même si c’est l’exact contraire de ce qui a été dit, s’exclame, la
larme à l’oeil: «Si vous saviez les débats qui se sont tenus dans ce
pays, justement sur le rôle et la fonction de la presse dans des grandes
questions politiques, et par exemple celle du référendum; et là, vous
renvoyez à la fonction du journaliste, qui est de témoigner de ce qui
est, de ce qu’il a vu, de donner des clés pour comprendre. Ça fait un bien
fou de vous entendre!» La revue de presse, juste après, s’achève sur
une citation de Philippe Val, qui écrit dans «Charlie Hebdo» que Florence
Aubenas est «devenue, à son corps défendant peut-être, une héroïne
symbolique du journalisme», et que «son histoire contribuera peut-être à
resserrer les liens entre les citoyens et ceux qui les informent». Et
puis, au cours de «Radio Com», arrive l’estocade, avec cette sortie inouïe
de Paoli, qui lance à son invitée: «[Bernard] Guetta, il a aussi connu
des moments difficiles, ces dernières semaines...» Il faut peut-être
qu’elle le console?... Et qu’on ne nous dise pas que c’était une blague:
les réflexions émises précédemment par Paoli attestent que ça n’en
était pas une tant que ça.
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MessageSujet: .   périphéries EmptyJeu 16 Juin - 14:19

Si elle nous a autant manqué,
c’est aussi parce qu’elle est tout ce qu’ils ne sont pas

Donc, l’éditorialiste qui, semaine après semaine, de son bocal
hermétiquement clos, a matraqué son auditoire d’un fanatisme pro-oui frisant la
propagande, qui a manifesté un autisme corporatiste ahurissant,
suscitant l’exaspération de citoyens qui attendaient vainement d’entendre un
autre son de cloche sur l’antenne d’une radio publique, et qui, alors
que, pour une large part, ils penchaient pour le non, voyaient leurs
arguments systématiquement ignorés, déformés, méprisés, cet
éditorialiste-là est un héros, au même titre qu’une reporter qui vient de passer cinq
mois entravée dans l’obscurité d’une cave, sans savoir si elle en
ressortirait vivante, pour avoir voulu, malgré les risques encourus,
raconter humblement une situation, donner chair et vie à des gens abandonnés
du monde entier, et qui, sans elle, seraient rayés tout à fait de la
carte de l’humanité. Tous les deux font le même métier: ils sont
«journalistes». Tous les deux ne font que «témoigner de ce qui est, de ce qu’ils
ont vu, donner des clés pour comprendre». Ils «informent», quoi. Et la
seconde revient à point nommé pour sauver le premier de l’animosité et
du discrédit qu’il s’est inexplicablement attirés – pour «resserrer les
liens entre les journalistes et ceux qui les informent».

Comment peut-on, une fois de plus, prendre à ce point les auditeurs
pour des imbéciles? Comment peut-on s’aveugler à ce point – au point de
croire que cet écran de fumée piteux va abuser qui que ce soit? Parce
qu’on est heureux du retour de Florence Aubenas, et eux aussi, et parce
qu’ils ont une carte de presse comme elle, ils s’imaginent qu’on va tout
d’un coup se mettre à les adorer, alors qu’ils ont passé les derniers
mois à insulter sans vergogne plus de la moitié du pays? La différence
entre elle et eux, ils sont bien les seuls à ne pas la voir! Ça ne lui
vient pas à l’esprit, à Paoli, que les gens qui, pendant des semaines,
ont appelé le standard de France Inter pour engueuler Bernard Guetta, et
ceux qui, pendant des semaines aussi, ont participé à la mobilisation
pour la libération de Florence Aubenas et Hussein Hanoun, dans certains
cas, ce sont peut-être les mêmes? Si elle nous a autant manqué, c’est
aussi parce qu’elle est tout ce qu’ils ne sont pas, justement.

Elle retrouve un microcosme médiatique
en plein naufrage,
et on n’a aucune envie qu’elle coule avec lui

Pendant la campagne référendaire, quand Cabu, dans un dessin de
«Charlie Hebdo», ou les «Guignols de l’Info», montraient une Florence Aubenas
se prononçant pour le oui, on était écoeuré – même si on n’avait
évidemment aucune idée de la position qu’elle aurait prise dans ce débat;
mais, en même temps, c’était dérisoire: on restait tout entiers tendus
vers sa libération. Aujourd’hui, c’est différent. Elle retrouve un
microcosme médiatique en plein naufrage, et on n’a aucune envie qu’elle coule
avec lui. On n’éprouverait pas le besoin de s’époumoner, toutes bonnes
résolutions jetées aux orties, si ce n’était pas _eux_ qui avaient
commencé, et qui, dès son retour, tentaient de l’entraîner dans leur chute.
Quand, à «Radio Com», un auditeur lourdingue, partisan du non, tout en
s’adressant à elle, a pourfendu longuement les politiques oui-ouistes,
Alain Rey, prenant la parole juste après, a commenté son intervention
en soulignant dans une réprimande paternaliste que Florence Aubenas
n’avait été pour lui qu’un «prétexte». Et quand Paoli se sert d’elle pour
conclure que les journalistes, au fond, sont tous des gens formidables,
et pour se réjouir à l’idée que, grâce à elle, les auditeurs vont enfin
s’en rendre compte, elle ne devient pas un «prétexte», peut-être? Ah
non, c’est vrai, pardon: dans ce cas-là, c’est pour la bonne cause, bien
sûr...

Lors du dernier meeting pour le non de gauche à Paris, le vendredi
avant le référendum, une délégation de lycéens qui avaient réclamé une
prise de parole improvisée s’étaient fait éconduire. En ressortant,
furieux, dans un début de bousculade, ils sont passés devant moi. Je portais
sur la poitrine un autocollant du comité de soutien à Florence et
Hussein. L’un d’eux l’a vu, et il s’est retourné pour crier haineusement: «Et
vous, les journalistes, avec vos autocollants de merde, vous pouvez
crever! Vous êtes tous des chiens de garde! A mort les journalistes!»
Passons sur la façon intelligente et subtile dont était articulée cette
critique du pouvoir médiatique. Que ça puisse tomber sur Florence Aubenas,
dont notre jeune ami ne savait visiblement rien, à part qu’elle
travaillait à «Libération», c’était d’une ironie sinistre. Ajouté à la pensée
de la situation dans laquelle elle se trouvait au même moment, ça m’a
plombé le moral. Je n’ai pas envie que ça puisse se reproduire. Certes,
il n’était pas représentatif de l’état de l’opinion; mais même le
dernier des petits cons en colère devrait être incapable de la moindre
méprise au sujet de Florence Aubenas.

Il n’est pas question que des gens
qui ne prennent jamais aucun risque,
ni physique, ni intellectuel,
s’abritent derrière une fille
qui les prend tous sans hésiter

Il n’est pas question que des éditorialistes élitistes et
condescendants, qui se sont distingués par le mépris de classe ahurissant qu’ils ont
jeté à la face de leur public après le référendum, s’abritent derrière
une femme qui circule avec une aisance totale sur toute la hauteur de
l’échelle sociale, et qui, par exemple, passe une partie de son temps
libre à travailler avec ses amis de l’association Africa, à la Courneuve,
dans un quartier où eux ne mettront jamais les pieds («Florence, elle
est comme moi, elle aime bien boire des cafés et rigoler», disait
Mimouna Hadjam, la présidente d’Africa, en racontant leur rencontre). Bernard
Langlois, dans «Politis», a raison d’écrire qu’elle ne sera jamais «du
camp des nantis, des puissants, des maîtres», qu’elle est «aussi
étrangère que possible à la foire aux vanités du microcosme», et qu’elle a
«l’exigence de justice chevillée au coeur»; Denis Sieffert aussi, qui
ajoute que, par rapport à «cette minorité très en vue qui défend une
conception élitiste et auto complaisante de ce métier, et fait aux pauvres
la morale», Florence Aubenas «incarne un tout autre journalisme». Son
insolence rebelle transparaissait parfois dans les messages de soutien
publiés par «Libération» pendant sa détention, d’ailleurs; par exemple,
quand Noël Godin, l’entarteur belge, se souvenait des dîners qu’ils
avaient partagés, en disant que son rire «ponctuait splendidement leurs
agapes, surtout quand ils évoquaient BHL» ...

Il n’est pas question que des gens qui ne prennent jamais aucun risque,
ni physique, ni intellectuel, s’abritent derrière une fille qui les
prend tous sans hésiter. Il n’est pas question que des professionnels de
la profession qui ne savent raisonner et écrire qu’en combinant des
idées reçues s’abritent derrière une plume sous laquelle on ne trouvera
jamais un seul mot qui ne fasse mouche, qui n’ait été pesé, pensé, senti,
et qui slalome en virtuose entre tous les clichés et toutes les
expressions convenues, attendues. (Au passage, la façon circonspecte et
coincée dont ses confrères soulignent son «humour» met en lumière à quel
point cette profession, bien souvent, en est anormalement dépourvue.) Il
n’est pas question qu’un type qui a transformé un hebdomadaire
progressiste – et florissant – en «Figaro» à colorier, prouvant que
l’indépendance économique, à elle seule, ne signifie rien et n’empêche pas
l'homologation idéologique, s’abrite derrière celle qui, alors qu’elle travaille
au sein d’un journal appartenant à des financiers, fait preuve de la
plus grande originalité, de la plus grande indépendance d’esprit. Les
médias français traversent une crise grave, et on voit mal comment le
retour de Florence Aubenas pourrait les dispenser d’une remise en question
globale – au contraire: il ne fait que créer un cruel effet de
contraste. Tenter de l’instrumentaliser pour éluder les questions de fond ne
peut aboutir à rien, sinon à compromettre, «à son corps défendant», en
effet, celle qui mérite le moins de l’être.

Mona Chollet

Voir aussi sur Périphéries: portrait de Florence Aubenas publié au
moment de son enlèvement
http://www.peripheries.net/crnt59.htm#florence

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MessageSujet: .   périphéries EmptyDim 26 Juin - 11:17

GUILLEMETS: HANAN EL-CHEIKH, GRISÉLIDIS RÉAL
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt62.htm#elcheikh

«Ils étaient partis en Egypte pour que Nahed montre à sa famille
qu’elle avait bien trouvé un mari, malgré son travail de danseuse de cabaret,
et pour que Stanley voie les pyramides et le Sphinx, qu’il monte sur un
dromadaire et pour qu’il fume du haschich. Mais, arrivés au Caire, il
s’était mis à l’insulter, elle et tous ses compatriotes, chaque fois
qu’il voyait un âne famélique ou un mulet ployant sous son fardeau:
«Regarde! Mais regarde! On voit ses côtes! Vous êtes tous des sauvages!»

Un beau matin, Nahed finit par jeter ses vêtements par-dessus le balcon
de l’appartement de ses parents au Caire. Les voisins les ramassèrent
dans la rue, et sa mère, à qui ce gendre plaisait bien, ne cessait de
les rabrouer tous les deux: «Mais enfin! Vous vous disputez pour des ânes
que vous ne connaissez même pas!»»

Hanan El-Cheikh, «Londres mon amour»
Citations, rubrique Etrangers
http://www.peripheries.net/f-cit6.htm


«A Gabrielle Partenza
A toutes,
A nous autres

Enterrez-moi nue
Comme je suis venue
Au monde hors du ventre
De ma mère inconnue

Enterrez-moi droite
Sans argent sans vêtements
Sans bijoux sans fioritures
Sans fard sans ornement
Sans voile sans bague sans rien
Sans collier ni boucles d’or fin
Sans rouge à lèvres ni noir aux yeux

De mon regard fermé
Je veux voir le monde décroître
Les étoiles le soleil tomber
La nuit se répandre à sa source
Et m’ensevelir dans sa bouche
Muette la dernière couche
Où m’étendre enfin solitaire
Comme un diamant gorgé de terre

Me reposer dormir enfin
Dormir dormir dormir dormir
Sans plus jamais penser à rien
Mourir mourir mourir mourir
Pour te rejoindre enfin ma mère

Et retrouver dans ton sourire
L’innocence qui m’a manqué
Toute une vie à te chercher
Te trouver pour pouvoir te perdre
Et te dire que je t’aimais»

Ecrit la nuit
Genève, 17 avril 2005
Clinique du Cesco
Grisélidis Réal

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée, est morte le 31 mai dernier.
Voir son portrait dans notre «panorama subjectif de la littérature
suisse» (mars 1999):
http://www.peripheries.net/f-littCH.htm

«Le noir est une couleur» et «Carnet de bal d'une courtisane» viennent
d'être réédités chez Verticales:
http://www.editions-verticales.com/fiche_ouvrage.php?id=155


LE RÊVE D’UNE DÉMOCRATIE SANS PEUPLE
http://www.peripheries.net/crnt62.htm#collovald
Charger le peuple pour ne plus avoir à s’en soucier: entretien avec
Annie Collovald, maître de conférences en sciences politiques à
l’Université Paris-X, paru dans «Le Courrier» du 24 juin 2005:
http://lecourrier.ch

Dans «Le Monde» du 31 mai dernier, Yves Mény, directeur de l’Institut
universitaire européen de Florence, voyait dans le résultat du
référendum français sur la Constitution européenne l’expression d’un
«conservatisme social et de nature populiste», ainsi que d’une «xénophobie
populaire», car il ne fallait pas oublier, écrivait-il, que «ce n’est pas la
bourgeoisie ni les intellectuels dévoyés qui ont inventé les
qualificatifs de «bougnoules», «ritals» ou «polacs»: ces appellations
discriminatoires sont nées sur les chantiers et dans les ghettos urbains». Dans
«Libération», Serge July, quant à lui, dans son éditorial désormais
célèbre du 30 mai, stigmatisait un non «xénophobe», emmené tant par
Jean-Marie Le Pen que par des dirigeants de gauche qui s’étaient déshonorés, et
parlait d’une «épidémie de populisme emportant tout sur son passage».

Ces mises en cause virulentes d’un peuple «simpliste, crédule,
ignorant, irrationnel, raciste», aux réflexes électoraux primaires et
irresponsables, ont eu des résonances familières aux oreilles d’Annie Collovald,
maître de conférence en sciences politiques à l’Université Paris-X.
Elle les avait déjà entendues – et contestées – au printemps 2002, dans
les commentaires sur la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de
l’élection présidentielle: ce résultat avait été unanimement interprété
comme un vote «populaire», provenant d’une masse de mécontents et de
«sans-grade» dressés contre les «élites», et séduits par un chef
charismatique et xénophobe. Elle s’est attachée à démonter cette apparente
évidence dans un livre: «Le «populisme du Front national», un dangereux
contresens» (éditions du Croquant, 2004).

«Le premier parti ouvrier, c’est l’abstention!»

Elle rappelle quelques données intéressantes: en 2002, les sondages
sortie des urnes, «à chaud», indiquaient que l’électorat FN comptait 31%
d’ouvriers – chiffre ramené par la suite à 23%. En déduire que le FN est
un «parti ouvrier» ne va donc pas vraiment de soi. Les 22% de
commerçants, artisans et patrons ou les 22% d’agriculteurs enregistrés par
ailleurs ont été loin de susciter le même intérêt – sans même parler de la
progression fulgurante réalisée par les «cadres et professions
intellectuelles», qui composaient 13% du vote FN en 2002 contre 4% en 1995, ou
du fait que 26% des professions libérales votent FN: «Prétendre que les
diplômes protègent du racisme, comme ne craint pas de le faire Pascal
Perrineau [directeur du Centre d’étude de la vie politique française],
c’est sans doute rassurant, mais cela ne résiste pas à l’analyse.»
Surtout, ces chiffres passent sous silence le fait que 31% des ouvriers se
sont abstenus (la même proportion que les chômeurs), contre seulement
20% en 1995. Les ouvriers non-qualifiés sont 27% à ne même pas être
inscrits sur les listes électorales (et les chômeurs, 31%): «Le premier
parti ouvrier, c’est l’abstention!» martèle Annie Collovald, pour qui il
n’est pas aberrant d’envisager que les succès du FN soient en bonne
partie dus à une «radicalisation des électeurs de droite».

Selon elle, la thèse d’un transfert massif des suffrages communistes au
parti frontiste ne tient pas, et repose sur une similitude de façade
entre le PC et le FN: la «fonction tribunitienne» assumée par leurs
leaders. «Les analystes retiennent le côté «fort en gueule», mais oublient
l’intégration sociale des classes populaires réalisée par le PCF en
promouvant en son sein des membres de la classe ouvrière. Les cadres du
Front national, au contraire, sont issus des classes supérieures: ils sont
ingénieurs, médecins, professeurs d’université... Ils n’ont rien
d’ouvrier, et ce sont justement les commentateurs qui, en lui collant
l’étiquette de «populiste», permettent à Jean-Marie Le Pen de se poser en
défenseur du peuple.»

«Leader charismatique»?
«Les électeurs FN font
bien moins confiance à Jean-Marie Le Pen
que les électeurs socialistes
à Lionel Jospin!»

Mais le leader frontiste ne se distingue-t-il pas par un langage cru,
efficace, qui tranche avec la langue de bois policée généralement
pratiquée au sein de la classe politique? «C’est une erreur de croire que
Jean-Marie Le Pen est vulgaire, ou qu’il a un langage accessible. Il parle
un français suranné, manie les références obscures, les citations
latines... Quant à ses sorties provocatrices, racistes ou révisionnistes,
elles sont destinées à la fois à donner des gages à son aile radicale et
à mettre en ébullition les médias. Si sa manière de parler a un impact
particulier, c’est avant tout sur les journalistes! Les sondages
montrent que les électeurs FN sont les derniers à croire en l’avenir de leur
leader ou en ses qualités de chef d’Etat – ils lui font bien moins
confiance que les électeurs socialistes à Lionel Jospin, par exemple!»
Selon elle, la vision d’un électorat FN en lien direct avec un leader
charismatique, et subjugué par lui, est erronée: «Elle ne tient aucun compte
du rôle joué par les représentants locaux du FN, ni de la diversité des
contextes et de l’offre électorale selon les régions. Le Front national
et les raisons de voter pour lui ne sont absolument pas les mêmes en
Provence-Alpes-Côte d’Azur qu’en Alsace ou dans le Nord-Pas-de-Calais.»

Au début des années 1980, le Front national a été catalogué comme
«populiste» par des historiens qui, auparavant, avaient affirmé qu’il n’y
avait jamais eu de fascisme en France: «L’apparition du FN dans le
paysage politique, évidemment, leur posait un problème. Ils ont donc préféré
situer Jean-Marie Le Pen dans la lignée de figures comme Pierre Poujade
– au XXe siècle – ou du général Georges Boulanger – à la fin du XIXe.»
Le terme de «populisme», explique Annie Collovald, a connu une
«révolution complète», qui semble aujourd’hui achevée: «Au départ, le mot, tel
qu’il était utilisé par Lénine, par exemple, désignait une manipulation
intéressée de la cause du peuple. On l’utilisait donc pour mettre en
cause les élites et prendre la défense du peuple; aujourd’hui, c’est
exactement l’inverse: le mot sert à stigmatiser le peuple. On assiste au
retour en force des thèses conservatrices affirmant la supériorité morale
des élites.» Longtemps, le populisme, à gauche, n’avait aucune
connotation négative, au contraire: «On trouvait par exemple des «prix de
littérature populiste», récompensant des récits de vie écrits par des
ouvriers. Le mot désignait une pratique de mobilisation des plus faibles, une
volonté de donner de la dignité sociale à des gens qui n’en avaient pas
et de rendre la démocratie concrète. C’était une démarche valorisée;
aujourd’hui, c’est devenu une anomalie dangereuse. Le mot suffit à vous
disqualifier, et dispense de toute analyse plus approfondie.»

Assimiler toute contestation du système
à une nostalgie totalitaire

Alors que l’on s’indigne de voir le peuple désavouer les élites, Annie
Collovald rappelle que ce sont d’abord ces dernières qui l’ont
abandonné: «Les partis politiques se sont détournés des intérêts sociaux des
classes populaires, comme en témoigne la transformation du vocabulaire
politique, qui évoque de moins en moins les «ouvriers» ou les
«travailleurs», mais les «gens d’en bas», les «exclus», sorte de magma indistinct
et anonyme. Le Parti socialiste recrute de moins en moins dans les
classes populaires et dans les petites classes moyennes relevant du secteur
public.» Une certaine gauche a cessé de remettre en cause un système
générateur de graves injustices, rendant insignifiant le clivage avec la
droite, et en imposant un autre: celui qui séparerait «les compétents
des incompétents, les savants des ignorants». On l’a vu lors du débat
sur la Constitution européenne: «Les prosélytes du oui ne cessaient de
répéter qu’ils avaient pour eux la raison, le savoir, la capacité de
saisir la complexité des enjeux, etc., qu’ils étaient informés, et que,
contrairement aux tenants du non, ils avaient lu le texte.» Ce qui se
profile derrière cette nouvelle distinction, c’est une conception
censitaire de la démocratie.

Désormais, la volonté de prendre en compte les intérêts des classes
défavorisées suffit à rendre infréquentables ceux qui la professent.
Puisque – c’est bien connu – «les extrêmes se rejoignent», l’extrême gauche
et l’altermondialisme sont diabolisés au même titre que l’extrême
droite. «En 2002, après le second tour de la présidentielle, le premier
commentaire de Pascal Perrineau – par ailleurs inventeur du terme de
«gaucho-lepénisme» – a été pour s’étonner que les suffrages de l’extrême
gauche ne se soient pas reportés sur Jean-Marie Le Pen!» se souvient Annie
Collovald. Toute contestation du système est assimilée à une nostalgie
totalitaire: pendant la campagne référendaire, le premier secrétaire du
Parti socialiste François Hollande raillait, lors d’un meeting, les
«soviets» que représentaient à ses yeux les comités locaux pour un non de
gauche à la Constitution européenne; Yves Mény écrivait dans «Le
Monde»: «Les délocalisations entraînent des souffrances qui doivent être
prises en compte mais qu’on ne peut interdire par décret, sauf à instaurer
une économie soviétisée.»

Pourquoi se soucier encore
des problèmes de ces gens,
puisqu’ils _sont_ le problème?

Monter en épingle une «xénophobie» qui caractériserait l’intégralité
des classes populaires, et elles seules, permet évidemment de les
abandonner à leur sort en toute bonne conscience: pourquoi se soucier encore
des problèmes de ces gens, puisqu’ils _sont_ le problème? Le procédé
rappelle l’accusation d’antisémitisme proférée à l’encontre des
descendants d’immigrés maghrébins. Ceux qui osent protester contre ce racisme
larvé – mépris de classe dans un cas, islamophobie dans l’autre – se
voient accuser d’«angélisme» et d’idéalisation gauchisante des «damnés de la
terre». L’accusation de racisme est d’autant plus malhonnête que le
Front national, loin de constituer un «microclimat» raciste au sein du
paysage politique français, a contaminé l’ensemble de la société: «On
mesure mal la levée de la censure qu’a permis son émergence, souligne Annie
Collovald. Des discours sur l’immigration, sur l’islam, sur
l’insécurité, qui auraient été inacceptables dans les années 1970, sont
aujourd’hui des lieux communs.» Dans son livre, elle cite un sondage Sofres de
1971 portant sur les représentations que les enquêtés se font des
étrangers: «Il y a actuellement en France de nombreux travailleurs étrangers;
ils occupent souvent des emplois pénibles. Pensez-vous que la France
fait un effort suffisant ou insuffisant pour leur permettre de se loger,
leur donner une formation, les accueillir avec hospitalité, leur donner
des salaires convenables?» A comparer avec cette question d’une enquête
d’opinion contemporaine: «Est-il normal que les immigrés aient accès
gratuitement à l’école, touchent des allocations familiales quand ils
perdent leur emploi, aient des mosquées pour pratiquer leur religion?»

«De cause à défendre, le peuple est devenu un problème à résoudre,
résume-t-elle. Sans l’avouer, les dirigeants misaient sur l’hypothèse que
les victimes du libéralisme se réfugieraient dans l’abstention. Aussi,
quand l’électorat populaire se remobilise, comme cela a été le cas le 29
mai, on se plaint qu’il vote mal, qu’il ne sait pas ce qu’il fait...»
Tout cela lui rappelle la théorie conservatrice de «l’ingouvernabilité»
des démocraties quand elles sont «soumises à une surcharge de demandes
populaires», développée en 1975 aux Etats-Unis par Michel Crozier,
Samuel Huntington et Joji Watanuki: «Leur rapport, rédigé pour la
Commission trilatérale, un think tank libéral, soulignait la fragilité des
sociétés occidentales, et proposait de limiter les «excès de démocratie» –
droits syndicaux, droit de grève, liberté de la presse, etc. – pour
empêcher l’effondrement du système libéral. De même, aujourd’hui, en
France, Yves Mény affirme que, si le FN représente un danger, c’est parce
qu’il serait «trop» démocratique...» Les accusations de «populisme», après
avoir longtemps avancé masquées derrière leur opposition à un parti –
le FN – lui-même antidémocratique, commencent à apparaître pour ce
qu’elles sont: une tentation autoritaire.

Propos recueillis par Mona Chollet
Merci à Isabelle Saint-Saëns

Voir sur le site de «Vacarme»: «Le vote Le Pen: la faute au
populaire?», par Annie Collovald (juillet 2002):
http://vacarme.eu.org/article344.html
Et sur «Les mots sont importants»: «La «France d’en bas» n’est pas
lepéniste (ni sarkozyste)», par Pierre Tévanian:
http://www.lmsi.net/article.php3?id_article=83

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MessageSujet: .   périphéries EmptySam 23 Juil - 13:07

Bonjour à tous,

A lire dans Périphéries:

Edito
FAUSSE ROUTE II
Le féminisme ne se divise pas
http://www.peripheries.net/e-feminisme.html

«Les filles des banlieues se sentent autant concernées par la parité
que par les soldes chez Hermès», déclarait Fadela Amara à l'époque de
l’apparition de Ni putes ni soumises sur la scène publique. Le côté
caricatural des Chiennes de garde et la mauvaise conscience de s’être si
longtemps désintéressé du sort des femmes des quartiers aidant, la formule
a fait sensation. C’était oublier un peu vite que l’accusation de
«bourgeoisie» est un grand classique de l’arsenal antiféministe: on l’opposa
aussi, en son temps, à la revendication du droit de vote. Deux ans plus
tard, les implications de cette distinction entre un féminisme
«d’urgence», destiné aux femmes encore aux prises avec la tradition, et un
autre qui serait ringard, dérisoire, apparaissent clairement: elle aboutit
à la fois à frapper d’invisibilité les violences encore subies par les
femmes occidentales – le flicage vestimentaire, par exemple, se passe
très bien de tout prétexte religieux: de nombreuses victimes de
violences conjugales disent devoir se soumettre chaque matin à un examen
minutieux de leur tenue – et à propager la thèse d’un machisme qui serait
d’origine «culturelle», inscrit dans les gènes ou peu s’en faut. Cette
démarche, qui semble davantage guidée, en réalité, par le souci de
discréditer le féminisme et de nourrir les fantasmes de choc des civilisations
que de faire progresser la condition féminine dans les sociétés
traditionnelles, s’avère foncièrement nuisible à la cause des femmes dans leur
ensemble.

Pour ceux qui n’y seraient pas abonnés, nous vous invitons aussi à
jeter un oeil aux dernières livraisons du Carnet:
http://www.peripheries.net/crnt.htm

Bonne lecture et à bientôt,

Thomas Lemahieu & Mona Chollet

Ce message est envoyé à 4147 abonnés.

---
Périphéries
Escales en marge
http://www.peripheries.net

Rendez visite à nos amis:
http://www.peripheries.net/amis.htm

En librairie: «La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet aux
éditions Calmann-Lévy

Présentation:
http://www.peripheries.net/tyrannie.htm
Revue de presse:
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MessageSujet: .   périphéries EmptySam 30 Juil - 12:19

GUILLEMETS
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt63.htm#daniel

«Qui a dit que faire du journalisme, c’est tenter d’épouser l’Histoire
à défaut de la faire? Maurice Clavel? Moi, peut-être.»
Jean Daniel, «Le Nouvel Observateur», 14 juillet 2005

Citations, rubrique Médias
http://www.peripheries.net/f-cit3.htm

«Il y a quelques années, dans une interview à «Var-Matin», j’avais dit
que Bertrand Py [le directeur éditorial d’Actes Sud] était le seul
éditeur de ma connaissance qui lisait au moins quatre fois les manuscrits
qu’il publiait. Dans l’article, c’était devenu: «Bertrand Py est le seul
éditeur de ma connaissance qui lit au moins quatre pages des manuscrits
qu’il publie»...»
Rezvani, débat autour de son oeuvre à la Garde-Freinet, 9 juillet 2005

Citations, rubrique Médias
http://www.peripheries.net/f-cit3.htm

«Et puis, on ne peut, dans ces régions chaleureuses – ni nulle part –,
se livrer au rut à longueur de temps. Le pas esquissé dans la
promenade, la marche dansante à tout bout de rue: dans les magasins, les
restaurants, les cafés, les marchés, les banques et les administrations, les
cours de récréation des écoles, aux bords poissonneux des ports, sur les
trottoirs, sur les places, sur les plages, sont une manière de
maintenir en soi dans la constance cette énergie érotique que sa dépense
sexuelle rend discontinue. C’est en apprivoiser le _reste_ dans la dilution
de sa profusion. L’acte sexuel ne consume de cette énergie qu’une part,
l’autre continuant sur un mode qui n’est pas celui du désir avide et
séquentiel, mais celui d’un désir capable de s’autosatisfaire en
demeurant désir: artiste donc.»

Séverine Auffret, «Des blessures et des jeux – Manuel d’imagination
libre»

Citations, rubrique (Cinq) sens
http://www.peripheries.net/f-cit4.htm

«Jouer avec la musique, c’est révéler en nous cette énergie joyeuse de
l’âme corporelle quand le réel s’efforce de nous en déposséder. On m’a
conté l’histoire d’un homme qui, durant la guerre du Liban, entre 1975
et 1990, n’a rien fait d’autre, hors d’assurer son maigre
ravitaillement, que de se jouer sur son poste – sur son walkman muni d’écouteurs
quand le fracas des bombes était par trop violent – l’intégrale des
oeuvres de Haendel et de Mozart. Quand l’électricité manquait – souvent –, il
mettait en marche son générateur personnel bricolé, ou bien il achetait
des piles qui, fort heureusement, n’ont jamais fait défaut, non plus
que le whisky ni les cigarettes de contrebande, dans les petits étals
d’alimentation. Cet homme qui probablement vit encore aujourd’hui, mais
qui savait à tout instant, comme tous, sa vie ne tenir qu’à un fil, a
passé la guerre, dit-il, aussi heureusement qu’il était possible –
par-delà tout chagrin et toute pitié.»

Séverine Auffret, «Des blessures et des jeux – Manuel d’imagination
libre»

Citations, rubrique (Cinq) sens
http://www.peripheries.net/f-cit4.htm

«Il existe une «mauvaise» répétition: mauvaise de l’enfermement dans un
passé qui ne permet pas au sujet d’éclore. On y ramène toutes sortes de
symptômes: tics, bégaiements, évitements, rituels, gestes
compulsionnels, «névroses de destinée», sans compter les «idées obsédantes», le
remâchage et les ressassements des scrupuleux.

Mais il existe un autre aspect, originaire, de la répétition. Elle
structure autant la périodicité du plaisir que celle du déplaisir. Enfants,
parents et éducateurs savent le plaisir pris dans la répétition à
l’identique: la fable qu’il faut redire avec les mêmes mots, la fête qu’il
faut refaire selon les mêmes rites, les promenades qu’il faut refaire
selon le même parcours. (...) Quel plaisir de répétition éprouve aussi un
enfant sur une balançoire, ou lorsqu’un adulte joue à le jeter en
l’air: encore! encore! De la même manière, un accroissement continuel de
jouissance nous vient de l’audition répétée d’une musique. La première
audition n’emporte pas notre adhésion. C’est à la deuxième, à la
troisième, à la suivante que le plaisir s’affirme, semblable à ce rythme propre
du corps tout de scansion, de répétition: parcours d’un même espace,
réitération d’un même geste; cette demande qu’on fait dans le coït, comme
le petit enfant qu’on berce, jette en l’air, soulève, balance:
«Encore!»»

Séverine Auffret, «Des blessures et des jeux – Manuel d’imagination
libre»

Citations, rubrique (Cinq) sens
http://www.peripheries.net/f-cit4.htm

«Que les choses arrivent comme nous les dessinons n’a aucune
importance. Si nous mesurons l’efficace de l’exercice à cela – cette coïncidence
vérifiable _plus tard_ entre le désir et l’état des choses –, nous
sommes sortis du jeu qui gagne. Gagner au jeu, c’est nous représenter
exactement ce que nous désirons, sans nous soucier le moins du monde que
cela «arrive», ou non.»

Séverine Auffret, «Des blessures et des jeux – Manuel d’imagination
libre»

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

«Lorsqu’André Glucksman préconise de ne pas chercher à comprendre le
terrorisme, il a néanmoins le mérite de la cohérence. Cela fait
longtemps, pour ce qui le concerne, qu’il semble y avoir renoncé. Il est, en
revanche, moins cohérent lorsqu’il s’applique de façon sélective les
critères qu’il a lui-même définis. Son engagement en faveur de la résistance
tchétchène est respectable. Mais pourquoi fait-il de ce conflit une
exception historique? Pourquoi, dans ce cas particulier, profère-t-il que
le terrorisme est le fruit de conditions politiques et pourquoi
n’étend-t-il pas ce jugement aux Palestiniens? Après la sanglante prise
d’otages dans une école de Beslan en Russie par un groupe tchétchène, il
écrivit: «Le calvaire de la Tchétchénie relève de deux critères: trois
siècles d’oppression ont créé la rébellion. La sauvagerie de la dernière
guerre favorise le terrorisme.» Il aurait pourtant pu appliquer grosso
modo le même raisonnement au terrorisme palestinien. Pourquoi ne l’a-t-il
jamais fait? Le terrorisme obéirait-il à la théorie de la
prédestination? Y aurait-il des individus (ou des peuples) qui seraient destinés à
devenir des terroristes dès leur naissance? Dans ce cas, effectivement,
nul besoin de réfléchir aux causes.

Mais comment expliquer dans ces conditions que, si l’on circonscrit le
terrorisme au fait musulman, longs sont les temps durant lesquels
l’islam n’a produit aucun acte terroriste? Comment expliquer, si les
Palestiniens sont par nature terroristes, qu’il fut des périodes où ils n’ont
pas eu recours aux attentats pour se faire entendre? Ceux qui
interdisent de chercher à comprendre le terrorisme, au risque de l’excuser,
veulent en fait nous entraîner dans l’impasse d’une solution purement
militaire. Si certains peuples sont par essence voués à la violence
terroriste, si le recours à ces méthodes n’est pas le fruit de circonstances
politiques, alors il est inutile d’en chercher des raisons et de tenter
d’y apporter des solutions politiques. Le seul horizon est celui d’une
victoire militaire totale. Or, le bon sens et la raison le dictent avec
force: on ne naît pas terroriste, on le devient, et ceci est vrai sous
toutes les latitudes. Et dire cela n’implique en rien un esprit
«munichois», ni quelque complaisance que ce soit à l’égard du terrorisme. Mais
pour ceux qui, tout en se disant favorables à la paix, se refusent à
condamner l’occupation militaire et la répression armée, il est plus
confortable de blâmer sans expliquer, s’évitant ainsi de risquer à la
lumière du débat public leurs contradictions propres.»

Pascal Boniface, «Vers la quatrième guerre mondiale?»
http://www.politis.fr/article1294.html

Citations, rubrique Politique
http://www.peripheries.net/f-cit9.htm

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MessageSujet: .   périphéries EmptyDim 28 Aoû - 0:01

«PÉDAGOGIE NOIRE» ET SERVITUDE VOLONTAIRE
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt64.html#travail

«Au cours de cette période, il rendit visite à son père et s’aperçut
très clairement pour la première fois que son père lui infligeait de
perpétuelles vexations, soit en ne l’écoutant pas, soit en se moquant de
tout ce qu’il lui racontait et en le tournant en dérision. Lorsque le
fils le lui fit remarquer, le père, qui avait été lui-même professeur de
pédagogie, lui répondit le plus sérieusement du monde: «Tu peux m’en
être reconnaissant. Plus d’une fois dans ta vie tu auras à supporter que
l’on ne fasse pas attention à toi, ou que l’on ne prenne pas au sérieux
ce que tu dis. Si tu l’as appris auprès de moi, tu y seras déjà
habitué. Ce que l’on apprend jeune, on s’en souvient toute la vie.» Le fils,
alors âgé de vingt-quatre ans, en fut interloqué. Combien de fois
n’avait-il pas entendu ce type de discours sans mettre le moins du monde en
question son contenu. Cette fois cependant, il fut pris de colère, et
(...) il dit: «Si tu voulais vraiment continuer à m’éduquer selon ces
principes, en fait, tu devrais aussi me tuer, car un jour ou l’autre il
faudra que je meure. Et c’est comme ça que tu pourrais m’y préparer le
mieux!»»

Alice Miller, «C’est pour ton bien»


En matière d’horizon radieux conduisant à broyer des vies au nom de
lendemains dont chacun sait bien, au fond, qu’ils ne chanteront jamais,
les sociétés capitalistes n’ont désormais plus rien à envier à ce que
furent leurs homologues soviétiques. Chez elles, ce n’est pas le mythe du
socialisme réalisé qui permet l’asservissement de la population à une
classe dominante pétrie de visées totalitaires: c’est le mirage du plein
emploi, et la marche forcée qui leur est imposée pour tendre vers ce
modèle illusoire. Vous ne pouvez pas avoir un emploi correctement
rémunéré, exercé dans des conditions qui ménagent votre santé physique et
psychique, avec suffisamment de stabilité, d’avantages matériels et de
temps libre pour que le jeu en vaille la chandelle? Vous aurez des emplois
éreintants, qui détruiront votre corps et lamineront votre esprit,
morcelleront et envahiront votre emploi du temps, vous interdiront tout
projet d’avenir, et vous devrez parfois en cumuler plusieurs pour
grappiller une petite aumône vous permettant de survivre, à défaut de vivre –
vivre? Et puis quoi, encore?...

La fonction d’élu se confond de plus en plus avec celle de négrier, ou
de maquereau: elle consiste à mettre à la disposition des employeurs,
pour un coût insignifiant, un réservoir de main d’oeuvre docile et
malléable, accablée de devoirs et privée de tout droit. Avec une différence
notable et singulière: en accordant aux entreprises des subventions
publiques astronomiques pour des embauches qui ne viennent jamais ou
repartent très vite, ces maquereaux-là sont prêts à payer le client pour
qu’il monte (voir, sur «Inventaire/Invention», «La flamme qu’au-dedans on
porte», lecture de «Daewoo», de François Bon:
http://www.inventaire-invention.com/lectures/chollet_bon.htm ). Mais,
bien sûr, les parasites que l’on désigne à la vindicte populaire, ceux à
qui l’on conteste la légitimité de chaque centime accordé, ce sont
toujours les chômeurs, et non les délocalisateurs, les actionnaires
insatiables ou les patrons goinfrés d’argent public. Et un scandale comme
celui des maladies du travail non identifiées comme telles – ce qui les
fait prendre en charge par la Sécu, et non par la caisse financée par les
employeurs –, fait étonnamment peu de bruit (lire, dans «l'Humanité» du
11 août, «Ces maladies du travail qu'on ne veut pas voir»:
http://www.humanite.fr/popup_print.php3?id_article=811788 ).

Cet été, en France, l’étau s’est encore resserré pour ceux qui
viv(ot)ent de leur salaire ou de leurs allocations chômage. Le gouvernement a
mis les nerfs des salariés encore un peu plus à vif en créant le
«contrat nouvelle embauche», qui permet, dans les entreprises de moins de
vingt salariés, de licencier les nouveaux embauchés du jour au lendemain,
sans fournir de motif, pendant une période de deux ans. Tu refuses de
lécher la semelle de mes chaussures? Tu ne te laisses pas peloter? Tu es
enceinte? Ta tête, tout bien réfléchi, ne me revient pas? Dehors! (Lire
l’analyse de Gérard Filoche, «Les intégristes libéraux, le «contrat
nouvelle embauche» et l’explosion qui vient»:
http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2584 ) En même
temps, le décret renforçant le contrôle des chômeurs a été publié début
août au «Journal officiel». En mai dernier, en Allemagne, le ministre
chrétien-démocrate de la Justice de Hesse avait poussé jusqu’à son terme la
logique qui sous-tend ce genre de mesures, en suggérant de «remettre de
l’ordre dans la vie des chômeurs»: «Beaucoup ont perdu l’habitude de
vivre à des heures normales, ce qui compromet leurs chances de travailler
ou de suivre une formation. Garder un oeil sur eux avec des menottes
électroniques pourrait les aider à s’aider.» (Rapporté par «le Canard
Enchaîné», 4 mai 2005.)

Certes, les sondages fort opportuns censés démontrer un «durcissement
de l’opinion à l’égard des chômeurs» sont une manipulation que «CQFD» a
raison de pointer:
http://cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=686 . Mais c’est
une maigre consolation. Devant ce qu’on est en train de faire de nos
vies, on devrait tous être dans la rue, salariés et chômeurs confondus.
Pourquoi n’y est-on pas? L’une des réponses possibles, c’est peut-être
cette confusion naïve qui nous fait croire qu’en se crevant au boulot –
n’importe quel boulot – pour enrichir un patron, on trouve une «utilité
sociale», alors qu’on peut très bien, au contraire, se retrouver partie
prenante d’une activité économique nuisible à la société; c’est
peut-être, surtout, ce dolorisme persistant qui nous persuade qu’il nous faut
nous sacrifier pour mériter l’estime et le respect tant de nous-mêmes
que de nos semblables. Profitez de la vie, faites ce qui vous plaît,
ménagez-vous, dormez beaucoup, soyez heureux: même si votre bien-être ne
nuit objectivement à personne, même s’il n’y a aucun lien de cause à
effet entre lui et la souffrance des autres (c’est à peine si notre
réprobation fait la différence entre un ex-PDG de Carrefour qui se carapate
avec 38 millions d’euros et un chômeur qui fait la grasse matinée!),
vous serez sur la sellette, aux yeux des autres et aussi, probablement, à
vos propres yeux. On vous reprochera vivement, ou vous vous reprocherez
vous-même, l’indécence de votre mode de vie, alors que, pendant ce
temps, d’autres suent sang et eau; on vous accusera, ou vous vous
accuserez, d’être déconnecté de la réalité...

Incroyable, comme il peut être difficile de se passer un tant soit peu
de cette sorte de blindage moral que constitue une vie pénible, et de
s’avancer, à découvert, en revendiquant son refus de se faire violence,
de s’accabler de contraintes, ou simplement sa volonté d'être bien
traité. C’est à une tempête de haine que l’on s’expose. Il y a peu, dans le
courrier des lecteurs de «Libération», une jeune diplômée au chômage
osait se demander quand on daignerait enfin lui accorder, en contrepartie
de son travail, les moyens de vivre («Bac + 7, profession stagiaire»,
22 juin 2005). Immanquablement, parmi les réponses publiées quelques
jours plus tard, il y avait une lettre qui répliquait: «Le marché du
travail ne rencontre pas toujours notre vocation! On peut le déplorer, mais
c’est la vie!» Et de rappeler le sort des élèves de l’enseignement
technique et technologique, encore moins favorisés. Il y a plus malheureux
que toi, alors arrête de pleurnicher: refrain connu. A quelqu’un qui
s’interroge sur la légitimité et l’équité d’une situation, on répond
comme s’il avait voulu engager une course à celui qui est le plus à
plaindre, et donc le plus valeureux sur le plan moral...

C’est peut-être bien à cette «pédagogie noire» dont la psychanalyste
Alice Miller dénonce depuis des décennies les ravages que se ramène cette
mentalité: l’idée que c’est seulement quand on souffre qu’on est dans
le vrai, et que se soucier de son propre bien, c’est se ramollir
dangereusement, se rendre coupable d’une faute impardonnable. Au printemps
dernier, le cahier «Emploi» de «Libération» (14 mars 2005) rendait compte
d’un dispositif mis en place en Suède pour faire face à une
multiplication des arrêts maladie – très coûteux – dus à un épuisement général des
salariés: la collectivité offre désormais à certains un congé
sabbatique rémunéré, et leur poste, pendant ce temps, va à un chômeur. Les
témoignages traduisaient bien l’énorme mauvaise conscience des bénéficiaires
de ces congés: «Certains parlent de cette réforme comme d’une réforme
de luxe, disait l’un d’entre eux. Pour moi, c’est vrai, c’est luxueux,
c’et formidable. Mais pour la chômeuse qui me remplace un an, ce n’est
pas du luxe d’avoir un boulot. Si cette réforme peut aider des gens à se
remettre à flot, alors pourquoi pas.» Le dispositif ne peut donc se
justifier que par son utilité au bon fonctionnement de l’économie, par le
fait qu’il permet à quelqu’un de se remettre au travail, et en aucun
cas par le gain de bien-être et d’épanouissement qu’il apporte. On ne
prend même pas sérieusement en compte l’argument selon lequel de tels
congés coûtent bien moins cher que les conséquences du stress lorsqu’il se
traduit par des maladies lourdes: on se sent toujours moins gêné quand
on occasionne à la collectivité des dépenses importantes pour s’être
héroïquement foutu en l’air au travail, que des dépenses modérées pour
avoir pris du bon temps en préservant sa santé.

Et pourtant... Pouvoir redevenir – et encore, pour une période limitée
– maître de son temps, vivre à son rythme, se consacrer à des activités
qui nous importent intimement, sans pour autant perdre ses moyens de
subsistance, est-ce vraiment un «luxe» si exorbitant que cela? N’est-ce
pas au contraire une exigence élémentaire, si on réfléchit en termes de
progrès humain? Le dogme mensonger selon lequel la bonne santé de
l’économie - mesurée selon les critères capitalistes - est une condition
sine qua non de la qualité de vie d’une société a été si bien assimilé
qu’on ne prend même plus la peine de l’expliciter: on a beau s’être aperçu
depuis longtemps que ces deux finalités, loin de coïncider, étaient
devenues antagonistes, on se refuse à en prendre acte. Les gouvernements
se soucient ouvertement de la seule bonne santé de l’économie, en
faisant semblant de ne pas voir la casse humaine exorbitante qu’elle
occasionne. Mais, au fond, il y a peut-être, derrière cette primauté révoltante
de l’économique sur l’humain (dont on a récemment parlé ici:
http://www.peripheries.net/f-relativ.html ), autre chose que la
domination d’une classe sur une autre: elle représente peut-être, plus ou
moins consciemment, un moyen de nous décharger du souci trop effrayant de
notre propre bonheur, que nous sommes incapables d’assumer. Peut-être y
a-t-il, dans l’exploration de nos potentialités, dans la poursuite de
notre épanouissement collectif, quelque chose de trop orgueilleux pour
que les névroses culturelles que nous avons traduites dans la religion
ne le jugent pas dangereux. On préférerait alors multiplier les
sacrifices humains au dieu Travail, pourvu qu’il nous dispense de nous attaquer
enfin à la réalisation de notre destin, et nous permette de biaiser
avec lui le plus longtemps possible.

Le problème, c’est que ce verrouillage culturel nous rend complices de
notre propre asservissement, qui devient chaque jour plus évident, plus
insoutenable. Est-ce qu’on se rend compte du ridicule qu’il y a à se
vanter de son endurance au travail, ou à se traiter à tort et à travers
de privilégiés, alors que l’exploitation la plus obscène explose, que la
machine à confisquer les richesses tourne à plein régime, et que la
sacro-sainte croissance détruit notre milieu vital? Il n’y aura peut-être
pas de résistance efficace aux processus en cours sans développement de
notre capacité à identifier et à contester les souffrances inutiles, à
assumer sans complexes notre recherche de bien-être et à affirmer sa
légitimité; sans refus net de marcher dans toutes les tentatives pour
dresser les salariés contre les salariés, les salariés contre les
chômeurs, les chômeurs contre les chômeurs...

Notre masochisme a tort de s’inquiéter, d’ailleurs. Si on cessait de
courir au-devant de la souffrance comme de la distinction suprême, de
l'amasser comme un crédit, d’en redemander, de s’en vanter, ce serait un
immense progrès; peut-être l’un des plus grands que l’on puisse
imaginer. Mais la vie sur terre ne se mettrait pas pour autant à ressembler au
«Village dans les nuages». L’année dernière, on pouvait lire dans les
petites annonces de «Libération» cet extrait des «Mémoires d’Hadrien» de
Marguerite Yourcenar:

«Quand on aura allégé le plus possible les servitudes inutiles, évité
les malheurs non nécessaires, il restera toujours, pour tenir en haleine
les vertus héroïques de l’homme, la longue série des maux véritables,
la mort, la vieillesse, les maladies non guérissables, l’amour non
partagé, l’amitié rejetée ou trahie, la médiocrité d’une vie moins vaste que
nos projets et plus terne que nos songes: tous les malheurs causés par
la divine nature des choses.»

Ça aurait de la gueule, gravé au fronton des ANPE... Non?

Mona Chollet

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MessageSujet: .   périphéries EmptySam 3 Sep - 11:22

GUILLEMETS: SALVAYRE, HENNIG, REMAURY, HUSTON
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt65.html#salvayre

«Plus sérieusement, Monsieur [le narrateur s'adresse à Descartes], ne
pensez-vous pas que l’impasse de la pornographie est très précisément la
vôtre, qui est de considérer le corps de l’homme comme une petite
mécanique docile et prévisible, avec son petit moteur hydraulique, son
arrosage automatique, ses canalisations, ses jets d’eau, ses ressorts, ses
pistons, ses prises, ses pédales, ses engrenages, ses petites tenailles,
ses petites cheminées, ses petites ouvertures, et toutes sortes
d’esprits pour agacer les glandes au signal convenu?
A quand, Monsieur, le kit d’un être humain en cinq mille pièces à
monter chez soi?
Ne pensez-vous pas que cette conception d’un homme machinal, enfermé
dans un corps programmé au millimètre, mais privé de cette force
irréductible à toute technique qu’on appelle la vie, ne pensez-vous pas que
cette conception est, très exactement, porno?
Voilà qui est envoyé.»
Lydie Salvayre, «La méthode Mila»

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

«Elle alluma une bougie.
Dans son visage replâtré s’ouvraient des yeux d’une immense bonté.
Longuement elle me dévisagea.
Puis, comme si elle extrayait chaque mot des profondeurs de son être,
elle articula très lentement ceci: Je suis en relation télépathique avec
le passé et je vais mettre en mouvement mon énergie fluidique pour
visiter le vôtre. C’est ma façon, Monsieur, de résister au libéralisme.
Je me dis que j’étais tombé sur une dingue, et songeai à m’enfuir.»
Lydie Salvayre, «La méthode Mila»

Citations, rubrique Politique
http://www.peripheries.net/f-cit9.htm

«Vous avez, Monsieur, laissez-moi vous le dire puisque mes réflexions
m’y mènent, vous avez scandaleusement ignoré la mélancolie, cette mort
continue qu’aucune mort n’apaise, ce déchirement muet étranger à toute
raison, cette douleur démesurée au regard de laquelle tout paraît
risible, frivole et sans substance, au regard de laquelle votre petite
méthode et vos petites idées mathématiques sur l’homme ne sont que pitreries,
j’ai la pénible obligation de vous le signaler.»
Lydie Salvayre, «La méthode Mila»

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

«Voilà ce que n’a pas compris, dans son extrémisme, ce con de
Descartes, poursuivis-je. Ce con n’a pas compris qu’il y avait une pensée
profonde, je veux dire une pensée refoulée aux abîmes, de mèche avec les
rêves et tout ce qui est obscur, saisissant de la nuit la lumière enfermée,
et qui nous gouvernait par en dessous d’une main implacable. Il n’a
considéré que la pensée du dessus, la volontaire, celle qu’on téléguide,
comme un petit avion, celle qui sait chiffrer, la mesureuse,
l’américaine, comme aurait dit Tocqueville pour qui tous les Américains étaient,
sans qu’ils le sussent, des cartésiens de choc.»
Lydie Salvayre, «La méthode Mila»

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

Sur ce sujet, voir aussi dans Périphéries:
Eloge du relativisme historique (mai 2005):
http://www.peripheries.net/f-relativ.html
Le «sentiment océanique» à l'assaut du rationalisme (mars 2005):
http://www.peripheries.net/f-onfray.html
«La tyrannie de la réalité»:
http://www.peripheries.net/tyrannie.htm

«Certaines femmes aussi ont été dévorées par leurs fesses, comme si
celles-ci s’étaient rebellées contre elles. Ce sont des femmes à qui leurs
fesses font honte, parce que tout le monde les regarde: on se retourne
sur elles, on pousse des cris de surprise, on est saisi devant une
telle farcissure. Leurs grosses fesses sont comme une accusation
permanente. Elles éteignent pour ne pas se voir, mais leurs fesses brillent dans
l’obscurité. Elles ont beau enfermer ces fesses compromettantes dans un
gros drap ample, elles n’en finissent pas d’attirer le monde, comme des
fesses faciles qui ne voudraient pas être faciles, qui tout à coup
seraient plus difficiles qu’aucune autre. Elles ont cherché par tous les
moyens à les aplatir, à les rapetisser, à les faire oublier, à se
débattre désespérément contre elles. Mais les fesses ont triomphé, elles se
sont fortifiées à leurs dépens. Et les femmes ont laissé faire. Elles ont
laissé déborder leur corps par les fesses. Ce ne sont plus des femmes
aux grosses fesses, ce sont des fesses avec de petites femmes dedans.
Elles sont perdues désormais dans leurs fesses, comme si leur tête leur
sortait par les fesses. C’est le drame des fesses-poulpes dévoreuses de
femmes.»
Jean-Luc Hennig, «Brève histoire des fesses»

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

«Au XVIIe siècle, «peloter» était un terme employé pour le jeu de
paume: c’était échanger des balles pour le plaisir de s’échauffer, avant une
partie réglée. On parlait ainsi de «peloter en attendant partie», à
propos d’un galop d’essai, d’une première tentative. Très vite, la
tentative devint amoureuse. Si bien que «peloter» suppose toujours qu’on
espère davantage.»
Jean-Luc Hennig, «Brève histoire des fesses»

Citations, rubrique (Cinq) sens
http://www.peripheries.net/f-cit4.htm

«La beauté intérieure, en fait, c’est ceci: un regard posé et lointain,
un front lisse, des traits calmes, un sourire nuancé, tout un arsenal
physionomique de Joconde qui reste, encore aujourd’hui, une des clés du
vocabulaire physique des représentations de la beauté.
Sous cette apologie d’une expression sereine et détachée se cache bien
sûr un jugement moral qui vient de loin et que consacrera le XVIIIe
siècle: les passions trahissent, elles sont inquiétantes et, dans le cas
des femmes, elles sont laides. «Une douceur affectueuse est tellement
inhérente à sa nature, que la colère enlaidit sa figure sans parvenir à
lui donner un air plus terrible; au lieu d’animer ses yeux et d’y faire
passer tous les feux d’une âme ardente, elle ne fait que détruire la
régularité de ses traits trop mobiles; on est tenté de rire lorsqu’on
voit une femme en colère, tandis qu’un homme, dans la même disposition
d’esprit, inspire toujours quelques craintes.» («Dictionnaire abrégé des
sciences médicales», 1821.) La femme doit donc être sereine à deux
titres. Elle ne peut se permettre de soutenir des passions fortes, passions
qui de toute façon l’usent et la vieillissent prématurément (...). La
notion, toute cosmétique, de «rides d’expressions», exprime clairement
que ce n’est pas le temps qui a provoqué ces rides, mais soi-même, et
qu’une autre attitude, une «dimension intérieure», une «certaine qualité
d’âme» pendant la vie auraient pu changer le visage. Ainsi sont
condamnés irrémédiablement «les sourcils froncés, les sourcils levés, le
sourire artificiel qui creuse deux sillons du nez au coin de la bouche, la
lecture tardive des romans qui provoque des sillons entrecroisés autour
des yeux».»
Bruno Remaury, «Le beau sexe faible – Les images du corps féminin entre
cosmétique et santé»

Citations, rubrique Sexes
http://www.peripheries.net/f-cit8.htm

«L'homme est chaud et la femme froide, l'homme est sec et la femme
humide. (...) Une jolie fille sera ainsi, plus facilement qu’un garçon,
qualifiée de «fraîche», expression qui n’est jamais qu’une manière
valorisée de qualifier le froid et l’humide. Le terme «chaud», qui renvoie
généralement à l’image d’un potentiel de sexualité, est un propos plutôt
moins valorisant quand il s’applique à une femme qu’à un homme. La femme
sèche est de la même façon plus dévalorisée qu’un homme sec. (...)
C’est évidemment en vertu de ce principe que nombre de substances
valorisées dans les cosmétiques le sont en fonction de l’imaginaire de la
«fraîcheur», terme particulièrement présent aujourd’hui dans l’univers des
cosmétiques et qui renvoie à un féminin froid et humide, alors que les
quelques produits de beauté pour homme timidement apparus sur le marché
il y a une dizaine d’années se réclament d’une rhétorique centrée sur la
stimulation ou la protection davantage que sur la fraîcheur ou
l’hydratation, même si le résultat en termes de produits est similaire.
L’emballage suit également la même partition, comme la couleur des
conditionnements des lignes Vichy, blanc pour les femmes et rouge pour les hommes.
(...) Les produits et préparations se réclament de plus en plus d’une
technologie sophistiquée alors même que le discours marketing qui les
entoure obéit sans forcément le savoir à des systèmes de représentations
relativement anciens, passablement archaïques et, en tout cas,
remarquablement invariants.»
Bruno Remaury, «Le beau sexe faible – Les images du corps féminin entre
cosmétique et santé»

Citations, rubrique Sexes
http://www.peripheries.net/f-cit8.htm

«Il suffit pour s'en convaincre d'écouter les interjections proférées
autour de soi: elles sont loin d'être interchangeables; toutes ne se
prêtent pas avec une égale souplesse à la gamme des rôles dévolus au
langage interdit. «Putain» et «salope», bien qu’ils soient sur le plan
dénotatif des quasi-synonymes, n’ont pas du tout un mode d’emploi identique.
Quand on s’exclame «Quelle putain!» ou «Quelle salope!» à propos d’une
femme, la différence réside simplement dans le degré de péjoration,
mais on ne peut pas murmurer «Salope!» devant un beau tableau, tandis que
«Putain!» peut très bien traduire une admiration intense.»
Nancy Huston, «Dire et interdire – Eléments de jurologie»

Citations, rubrique Culture
http://www.peripheries.net/f-cit1.htm

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MessageSujet: .   périphéries EmptySam 24 Sep - 17:37

A lire dans Périphéries:

UNE FEMME DE RESSOURCES
Rencontre avec Séverine Auffret
http://www.peripheries.net/g-auffret.html

Philosophe et essayiste, passionnée d’histoire et de mythologie,
Séverine Auffret met sa pensée pénétrante et sa vaste culture au service de
sujets que sa discipline a tendance à délaisser. Battant en brèche
l’idée reçue selon laquelle le bonheur n’a pas d’histoire, elle s’attelle,
dans «Aspects du Paradis», à rechercher les chemins du Paradis
terrestre; dans «Des blessures et des jeux», elle recense quelques-unes des
stratégies imaginaires que nous sommes capables de mettre en place pour
faire pièce à notre impuissance quand le malheur frappe. Avec ses amies
Nancy Huston et Annie Leclerc – déjà présentes dans nos pages –, elle
partage une certaine conception du féminisme, pensé comme une exploration
de la différence et non comme sa négation. Une position affirmée dès
son premier livre, «Des couteaux contre des femmes», qui avance des
hypothèses passionnantes sur l’origine de la domination des femmes et des
mutilations sexuelles qu’elle continue d’impliquer dans certaines régions
du monde.

RIEN DE CE QUI SE PASSE DANS LE CIEL NE NOUS EST ÉTRANGER
http://www.peripheries.net/f-barbe2.html

Une nouvelle inédite de Frédéric Barbe se déroulant dans les
territoires palestiniens - avant le démantèlement des colonies de Gaza. Frédéric
Barbe anime la maison d’édition nantaise La rue Blanche:
http://la.rue.blanche.free.fr/atelier_ecriture/index.html

Pour ceux qui n’y sont pas abonnés, nous vous invitons aussi à jeter un
oeil au Carnet:
«Pédagogie noire» et servitude volontaire (août 2005)
http://www.peripheries.net/crnt64.html

Nous profitons enfin de ce message pour vous signaler la sortie en
librairie de l’«ALMANACH CRITIQUE DES MÉDIAS», publié aux éditions des
Arènes sous la direction de Mehdi Ba et Olivier Cyran, et auquel
Périphéries est fier d’avoir modestement contribué. Avec la promotion gratuite
que lui a offerte la campagne référendaire du printemps dernier, il ne
devrait pas avoir trop de mal à rencontrer le succès qu’il nous semble
mériter.
Dossier complet sur le site de l’éditeur:
http://www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php?numero_livre=125

Bonne lecture et à bientôt,

Thomas Lemahieu & Mona Chollet

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Rendez visite à nos amis:
http://www.peripheries.net/amis.htm

En librairie: «La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet aux
éditions Calmann-Lévy
Présentation:
http://www.peripheries.net/tyrannie.htm
Revue de presse:
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MessageSujet: .   périphéries EmptyJeu 20 Oct - 12:19

LA FEMME EST UNE PERSONNE
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt66.html#maniglier

Que l’antiféminisme et la misogynie les plus primaires soient désormais
bombardés «nouvelle avant-garde du féminisme», tout cela au prix d'un
petit badigeonnage de vernis soi-disant «iconoclaste» (ou «politiquement
incorrect», ou «impertinent», ou «dérangeant»...), c’est un tour de
passe-passe qui n’en finit pas de nous ébahir.

Dans un récent dossier du cahier «Emploi» de «Libération» sur le
harcèlement sexuel au travail (3 octobre 2005), la présidente de
l’Association contre les violences faites aux femmes pointait à raison, parmi les
obstacles rencontrés pour faire avancer la cause des victimes, «cette
crainte chevillée à notre culture française: ne perdons pas notre
pseudo-galanterie et notre gauloiserie dont nous sommes si fiers». Or, ce
discours, on le trouvait justement, mais reformulé en termes
«philosophiques», dans l’article voisin: un entretien avec le – donc – philosophe
Patrice Maniglier, coauteur avec Marcela Iacub d’un «Antimanuel
d’éducation sexuelle»(Bréal). Pour ce monsieur, il n’y a pas lieu de faire du
harcèlement sexuel un délit en tant que tel; à ses yeux, cela «crée autour
du sexe un climat d’insécurité et de soupçon, même si aujourd’hui on
n’appelle plus ça le «vice».» Il y voit une volonté de «purifier le lieu
de travail de toute question libidinale». Il faut bien admettre que:
«On veut purifier le lieu de travail de toute question libidinale», ça en
impose tout de même plus que le sonore et traditionnel: «Si on peut
même plus déconner!...»

Maniglier épingle «une grande partie du mouvement féministe des années
80» pour avoir «fait des rapports sexuels le lieu privilégié de la
domination masculine», alors que, explique-t-il, «la domination masculine
est avant tout économique et sociale», et que les femmes les plus
gravement opprimées aujourd’hui sont les executive women empêchées par leur
asservissement à une répugnante marmaille de devenir pédégères à la
place du P.-D.G.: vivement que l’utérus artificiel soit au point! (Je
résume.) Quand on veut discréditer le féminisme, il est toujours plus facile
de le caricaturer. Même en admettant que leurs aînées aient été si
nombreuses que cela à le faire – ce qui se discute, il me semble –, quelle
féministe, aujourd’hui, dénonce les rapports sexuels – _tous_ les
rapports sexuels – comme des lieux de domination, indépendamment de leur
contexte? Laquelle ne fait pas la différence entre un rapport sexuel
qu’une femme choisit librement, et celui qui lui est imposé par diverses
pressions?

Avec un partenaire qu’elle a choisi, une femme peut être un objet
sexuel et y prendre beaucoup de plaisir. Elle le savourera d’autant plus
tranquillement qu’elle aura l’assurance d’être également, aux yeux de son
partenaire, une personne, et de recevoir de sa part écoute, respect et
considération. En revanche, quand un homme dont le désir n’est pas
réciproque utilise comme moyen de chantage (explicite ou non) son rang
hiérarchique et le pouvoir économique qu’il détient sur elle pour obtenir
un rapport sexuel, sans se soucier de ses dispositions à elle, elle se
retrouve niée et disqualifiée en tant que personne, pour être réduite au
seul statut d’objet sexuel. On est donc bien dans une situation de
domination. Car si la domination masculine est effectivement «économique et
sociale», il est absurde de prétendre qu’elle ne passe pas aussi par la
sexualité: la prostitution forcée (un pléonasme dans l’écrasante
majorité des cas), ou encore les origines patriarcales de l’institution du
mariage, en témoignent. Et affirmer cela ne revient pas à faire du
harcèlement sexuel, comme le prétend Maniglier, une «question de morale» au
lieu d’une «question politique», ni à prétendre que «les hommes sont
méchants et machos»: la domination des femmes, y compris dans sa dimension
sexuelle, est bien une question politique. Et le fait qu’elle soit
structurelle, et non individuelle, ne décharge pas pour autant les
individus de la responsabilité de leurs actes.

C’est le consentement mutuel – c’est-à-dire, le plus souvent, féminin,
puisque c’est en général celui-là qui est bafoué – qui trace la ligne
de partage entre le privé et le politique. C’est ce droit des femmes à
ne pas faire avec certains hommes ce qu’elles font avec d’autres que les
violeurs et les harceleurs leur dénient obstinément. Or, Maniglier
évacue cette question du consentement avec une désinvolture qui laisse
perplexe. Réprimer le harcèlement sexuel en tant que tel n’aboutira jamais
à «purifier le lieu de travail de toute question libidinale»: on ne
voit pas en quoi le fait de mettre un terme aux souffrances des femmes
harcelées, qui ne présentent pas exactement tous les symptômes de
l’épanouissement procuré par l’ébauche d’une liaison, et dont le
non-consentement ne peut être mis en doute, empêcherait un grand nombre de salariés
de continuer à nouer des idylles sur leur lieu de travail.

Les images sexuelles sur le lieu de travail, interroge Maniglier,
«sont-elles plus infamantes pour les femmes que la photo de l’épouse du
patron en tablier, accompagnée de ses quatorze enfants, accrochée dans
l’entreprise? Cette image de mère renvoyée aux femmes leur fait sans doute
beaucoup plus de mal que d’être un objet de désir». (Notre philosophe
ne semble décidément pas envisager qu’une femme puisse considérer le
statut de mère autrement que comme la pire des déchéances.) Bientôt, il va
falloir dire merci aux types qui vous pelotent dans le métro, parce
qu’ils ont la bonté de vous considérer comme un objet de désir! La
différence entre la photo de bobonne sur le bureau du patron et l’écran de
veille porno, c’est peut-être que, aux yeux du patron qui exhibe la
première – accordons-lui le bénéfice du doute –, madame son épouse est une
personne; en revanche, un salarié qui étale des images pornographiques
signifie assez clairement que, pour lui, les femmes se réduisent à un
assemblage de trous, une sorte d’Emmental qui parle (euh, non: qui ne
parle même pas, d’ailleurs). Et ses collègues sont en droit d’y voir
l’indice d’une beaufitude agressive, plutôt qu’une célébration décomplexée
des plaisirs de la chair.

«En réalité, assure Maniglier, ces affaires d’images pornos et de
blagues salaces au bureau sont un prétexte: on n’est tout simplement pas à
l’aise, aujourd’hui comme il y a très longtemps, avec la chose
sexuelle.» Ce qui, passé à la moulinette du traducteur philosophe/français,
revient purement et simplement à dire aux femmes harcelées que, si elles
souffrent du traitement qu’elles subissent, c’est qu’elles sont coincées.
Aurait-on l’idée de répondre à des jeunes filles de banlieue qui se
plaignent des apostrophes graveleuses des machos de leur quartier que, si
elles les prennent mal, c’est parce qu’elles ne sont «pas à l’aise avec
la chose sexuelle»? Cela aboutit à une autre forme de chantage qui, en
poussant les victimes à vouloir démentir cette accusation, les piège:
l’article qui voisinait avec cet entretien rapportait le cas d’une
prothésiste dentaire à qui son patron avait fait cadeau d’un godemiché en
résine rose – la matière dont on fait les appareils dentaires – en
précisant l’avoir «moulé sur son sexe» («tu vois, il y a un anneau métallique
à l’intérieur. Tu pourras l’attacher sur ta chaise grâce à une sangle.
Tu l’auras toujours à disposition»). Ayant décidé de faire front
courageusement en ravalant son humiliation, elle avait répliqué: «Moulé sur
votre sexe? Et si petit?» Cette réplique lui a valu de perdre le procès
en harcèlement sexuel qu’elle a intenté plus tard, car, ont estimé les
juges, elle avait pu laisser entendre qu’elle «s’amusait» des
«plaisanteries» de son patron.

Par ailleurs, au nom de quoi un salarié devrait-il forcément être «à
l’aise avec la chose sexuelle»? En quoi sa façon de vivre sa sexualité
regarde-t-elle ses collègues et supérieurs? Quel est le rapport avec ses
compétences professionnelles? Faudrait-il introduire l’inscription du
coefficient d’épanouissement sexuel sur les CV? La société de
transparence totale qui s’esquisse dans ces raisonnements fait froid dans le dos.
Maniglier préconise de sanctionner le harcèlement sexuel en tant
qu’abus de pouvoir, comme dans le cas où un patron oblige ses employés «à
l’accompagner prendre un café et à supporter sa conversation». Mais la
différence, c’est que, dans le cas du harcèlement sexuel, il y a
effraction dans leur intimité. Or, c'est là un domaine qui devrait pouvoir
rester soustrait à la sphère professionnelle.

Certes, comme l’écrit la journaliste de «Libération», Sonya Faure, en
conclusion de son article, «le travail n’est pas que du travail, c’est
aussi des gens qui vivent». Mais, à la fois pour rendre la coexistence
supportable et respecter le droit à la vie privée, chacun sait bien que,
selon le contexte dans lequel il évolue, il y a des aspects de lui-même
qu’il met en évidence, et d’autres qui passent au second plan. Chacun,
au cours d’une même journée, est tour à tour salarié, patron, amant ou
amante, mari ou femme, fils, fille, père, mère, ami, frère, soeur...
(C’est d’ailleurs l’argument de ceux qui défendent le droit à utiliser
des pseudonymes sur Internet: vous avez le droit de passer une annonce
sur un site de rencontres sadomaso sans que votre employeur et la terre
entière en soient informés par Google, par exemple.) La plupart des gens
respectent spontanément le cloisonnement, au moins relatif, qui existe
entre ces différentes identités. Mais quand un individu n’a pas la
délicatesse de s’y conformer de lui-même, et que son comportement cause un
préjudice à des membres de son entourage (quand il ne leur bousille pas
carrément l’existence), si la loi est le seul recours de ses victimes
pour faire cesser cette situation, on voit mal pourquoi il faudrait les
en priver.

Mona Chollet

Voir aussi dans Périphéries:
«Fausse route II - Le féminisme ne se divise pas» (édito, juillet 2005)
http://www.peripheries.net/e-feminisme.html


GUILLEMETS
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt66.html#mernissi

«Je décidai donc de suivre une psychothérapie à l’arabe. Celle-ci
consiste simplement à parler tout le temps et à tout le monde de ses
problèmes sans se préoccuper de l’exaspération des auditeurs. Un jour ou
l’autre, l’un d’entre eux dira quelque chose d’essentiel pour votre
guérison, et vous vous serez épargné le souci et la dépense de consulter un
spécialiste. La méthode est efficace mais elle a un inconvénient: elle
vous fait perdre bon nombre de vos amis.»

Fatema Mernissi, «Le harem et l’Occident»
Citations, rubrique Echanges
http://www.peripheries.net/f-ci11.htm

«Dormir, longtemps dormir; dormir la nuit, le matin, l’après-midi;
dormir sans entrave, savourer cette manière d’être à demi, dans le dialogue
avec son désir...»

Séverine Auffret, «Des couteaux contre des femmes»
Citations, rubrique (Cinq) sens
http://www.peripheries.net/f-cit4.htm

«L’homme est entré dans les maisons, les a réchauffées et embellies,
non pas tant pour s’abriter des intempéries, que pour y faire l’amour.»

Séverine Auffret, «Des couteaux contre des femmes»
Citations, rubrique (Cinq) sens
http://www.peripheries.net/f-cit4.htm

«Ce qui rend le corps apte au Paradis – et l’esprit capable de le
revendiquer –, ce sont ses bords. Par notre peau, nos yeux, nos cinq sens,
nous sommes des êtres de bord. Le bord du corps, peau et organes
sensoriels, est la marque de sa séparation, de sa section, de son sexe; c’est
une cicatrice, en quelque sorte – d’une ancienne blessure qui, tout le
temps de la vie, ne sera peut-être jamais entièrement guérie.»

Séverine Auffret, «Des couteaux contre des femmes»
Citations, rubrique (Cinq) sens
http://www.peripheries.net/f-cit4.htm

Voir aussi dans Périphéries:
Portrait de Séverine Auffret
http://www.peripheries.net/g-auffret.html

«Se chercher un sens, c’est placer au centre de l’existence, non pas un
conformisme peureux, non pas la célébration des contraintes, non pas un
réalisme sans réalité, mais l’humanité, l’humain premier, non pas
ajouté. La culture n’est pas la crème dont une aimable tradition de goût
nous fait recouvrir la pâte ingrate de la vie réelle. La culture n’est pas
une cérémonie. La culture n’est pas l’accaparement, l’émiettement, la
dévitalisation de formes prestigieuses, leur démantèlement en «éléments
culturels», en «données culturelles» qui n’ont plus rien à voir avec
les souffrances, avec le langage, avec la conscience du peuple, et qui, à
leur manière comme, à la leur, l’argent et la puissance, contribuent à
le détourner de soi-même et de la vie. Il n’est pas possible qu’un
peuple tout entier continue à passer ses journées à célébrer le culte
archaïque de la compétition pour les choses dans la menace et le chantage,
et ses loisirs à contempler, dans leurs défilés de haute culture, des
mannequins moralisateurs dont les savoirs rémunérés n’ont pour but que de
calfater les défauts d’étanchéité de sa soumission.»

Jean Sur, «Jacques Berque et l’Occident»
http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/ima.htm
Citations, rubrique Culture
http://www.peripheries.net/f-cit1.htm

«Ce qu’on appelle civilisation européenne, cette «vieille soupière qui
survit aux assiettes creuses», comme disait Aragon, ne tient guère
qu’aux blocs de cultures antérieurs à la civilisation industrielle qui,
cahin-caha, tâchent d’y survivre, de s’y rendre vaguement utiles, le plus
souvent d’assurer, avec une dignité fatiguée, les fonctions de
représentation qui leur sont assignées. Il y a une société industrielle, une
société post-industrielle: pour Jacques Berque, il n’y a pas de culture
ou de civilisation industrielle, ni post-industrielle.»

Jean Sur, «Jacques Berque et l’Occident»
http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/ima.htm
Citations, rubrique Culture
http://www.peripheries.net/f-cit1.htm

Voir aussi dans Périphéries:
Portrait de Jean Sur
http://www.peripheries.net/g-jeansur.htm

«Deux Grecs, lorsqu’ils se quittaient pour longtemps, ou même
lorsqu’ils pensaient que seuls leurs enfants seraient peut-être amenés à se
rencontrer un jour, cassaient en deux une assiette ou un plat, chacun
emportant avec lui une moitié. Ainsi, lors des retrouvailles futures,
pourrait-on reconstituer le plat entier en collant bord à bord les deux
moitiés. Ils appelaient de tels fragments des «tessères d’hospitalité»,
parce que chacun s’engageait à recevoir chez lui quiconque serait porteur
de l’autre moitié, et à lui faire bon accueil.»

Jacques Bonniot de Ruisselet, «Le nombril»
Citations, rubrique Echanges
http://www.peripheries.net/f-ci11.htm

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MessageSujet: ..   périphéries EmptyVen 28 Oct - 13:00

A lire dans Périphéries:

Feuilles de route
«Le harem et l’Occident», de Fatema Mernissi
«The Good Body», d’Eve Ensler
SORTIR DU «HAREM DE LA TAILLE 38»
http://www.peripheries.net/f-harem.html

En interrogeant les Européens sur la vision fantasmatique qu’ils se
faisaient du harem, la Marocaine Fatema Mernissi – elle-même née dans un
harem bien réel – a été intriguée de constater que les fantasmes sexuels
des hommes occidentaux étaient souvent peuplés de femmes muettes,
passives, et qu’ils considéraient l’échange intellectuel comme un obstacle
au plaisir. Dans sa propre tradition culturelle, explique-t-elle dans
«Le harem et l’Occident», les femmes, au contraire, sont réprimées en
connaissance de cause, parce qu’on leur reconnaît la possibilité d’être
des égales, et que leur intelligence suscite à la fois crainte et
attirance. Au terme d’une enquête lumineuse, elle formule cette hypothèse: les
Orientales subissent un enfermement spatial, alors que les
Occidentales, elles, sont enfermées dans une image à laquelle on les somme de
correspondre: ce qu’elle baptise le «harem de la taille 38». Un carcan
immatériel qui, en ces temps d’uniformisation galopante, se répand cependant
sur toute la planète. L’énergie que consacrent les femmes à «réparer un
corps qui n’a jamais été cassé» pour le faire correspondre aux canons
de la beauté, c’est aussi le sujet de «The Good Body», la pièce de la
New-Yorkaise Eve Ensler, qui fait écho, avec la même vitalité, le même
humour et la même perspicacité, au propos de Fatema Mernissi.

Edito
La femme, l'étranger
L'OCCIDENT OU LA PHOBIE DE LA DIFFÉRENCE?
http://www.peripheries.net/e-difference.html

«Dans les premiers temps de la civilisation musulmane, écrit Fatema
Mernissi dans «Le harem et l’Occident», le voyage et la découverte des
cultures étrangères étaient indissociables de la découverte du sexe
opposé. Prendre le risque d’aimer une étrangère est un thème qui se retrouve
dans les légendes, les peintures et les récits.» Dans sa culture,
dit-elle, on n’occulte rien du fossé que représente la différence – tant
culturelle que sexuelle –, des conflits qu’elle engendre, ni du courage
qu’il faut pour l’affronter, mais on est en même temps très conscient de
ses charmes, et de la richesse qu’elle apporte à ceux qui osent relever
le défi. A la lire, on s’interroge: et si l’Occident, lui, n’était
capable de rencontrer l’autre que sur le mode de l’assimilation, et jamais
du dialogue? Est-ce un hasard si, aujourd’hui, en France, ceux qui
posent une équivalence absolue entre différence culturelle et barbarie sont
aussi, bien souvent, les partisans d’un féminisme «assimilateur», niant
toute différence sérieuse entre hommes et femmes? Dans les deux cas, il
s’agit de discréditer des individus dominés qui, porteurs d’expériences
et de visions du monde différentes, pourraient remettre en cause les
catégories de pensée établies. Ce qui, en excluant d’office des sources
potentielles de renouvellement de la société, revient à s’instituer en
gardien zélé de l’ordre établi.

Bonne lecture et à bientôt,

Thomas Lemahieu & Mona Chollet

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Rendez visite à nos amis:
http://www.peripheries.net/amis.htm

En librairie:

«L’Almanach critique des médias», sous la direction d’Olivier Cyran et
Mehdi Ba, éditions des Arènes (septembre 2005):
http://www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php?numero_livre=125

«La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet aux éditions
Calmann-Lévy (2004)
Présentation:
http://www.peripheries.net/tyrannie.htm
Revue de presse:
http://www.peripheries.net/tyrannie2.htm
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MessageSujet: ...   périphéries EmptyMer 30 Nov - 14:05

GUILLEMETS
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt67.html#barkat

«Le député-maire UMP de Draveil (Essonne), Georges Tron, a annoncé
lundi dans un communiqué avoir «donné instruction aux services sociaux de
sa mairie de suspendre immédiatement la distribution des aides du Centre
communal d’action sociale pour toutes les familles dont un membre aura
été à l’origine d’un acte de violence ou d’une dégradation sur un bien
public et privé». Il ne s’agit pas des allocations familiales mais des
seules aides communales, à savoir l’«aide alimentaire, complément EDF,
aide au secours d’urgence, aide à la cantine, aide aux vacances pour
les enfants, aide au financement de médicaments, l’eau, l’énergie, le
téléphone», a détaillé l’élu.»
AFP, 14 novembre 2005

«La responsabilité des colonisés est collective.»
Sidi Mohammed Barkat, «Le corps d’exception»

A propos de ce livre, et de la façon dont il éclaire la révolte des
banlieues, lire sur «Inventaire/Invention»:
Dans l’ornière du droit colonial
http://www.inventaire-invention.com/lectures/chollet_barkat.htm

Lire aussi, sur «Les mots sont importants»:
Etat de l’opinion ou opinion de l’Etat?
http://www.lmsi.net/article.php3?id_article=483

«Quelqu’un, au Conseil régional d’Ile-de-France, s’est-il déjà retrouvé
demandeur d’emploi? Le Guide de la recherche d’emploi en Ile-de-France,
distribué au Forum «Paris pour l’emploi» les 13 et 14 octobre, permet
d’en douter. Dans une succession de conseils plus ou moins pratiques, se
coince un os. Sur le ton moralisant de l’ami qui travaille, le chapitre
«Organiser son quotidien» met en garde l’innocent demandeur d’emploi
contre les dangereux pièges de la jungle «inactivité»: les grasses mat’,
les «contraintes domestiques» et la téléphagie. «Contrairement à ce que
certains pensent, vous avez fort à faire», rappelle tonton
Ile-de-France, pour qui la journée type d’un demandeur d’emploi débute à 7h30, «au
café du coin», pour boire «votre petit noir en parcourant, un stylo à
la main, les petites annonces de vos journaux habituels». Lesquels
renouvellent quotidiennement leur stock d’offres alléchantes, comme chacun
sait. De 9 heures à 11 heures, direction l’ANPE, pour «passer au peigne
fin les petites annonces» (après celles de la presse, donc), «discuter
avec les conseillers» (qui sont, bien entendu, disponibles à toute
heure, et intarissables en «tuyaux»), en bref, «rester dans le bain».

De 11 heures à 14 heures: rien. Longue pause-déjeuner? L’après-midi se
passe sur les lieux de «votre prochain entretien» (si vous en avez un)
ou à réactualiser votre CV (déjà tout neuf de la veille, si vous suivez
le programme). Le soir, contactez les entreprises, ou répétez les
préceptes du bon Conseil régional: «Surtout, ne pas rester chez soi.»
«N’attendez pas l’arrive de votre conjoint pour prendre votre douche.
Continuez à vous habiller décemment, à vous parfumer…» Quelle que puisse être
la légitimité ou l’utilité de ce guide (pour quelques-uns), des
conseils de la sorte, autant s’en passer. Les sermons intempestifs nuisent au
moral. Lequel peut servir, lui, dans une recherche d’emploi.»

Ingrid Merckx, «Moralisme incongru», «Politis», 27 octobre 2005
http://www.politis.fr/

Voir aussi sur «Périphéries»:
«Pédagogie noire» et servitude volontaire (août 2005)
http://www.peripheries.net/crnt64.html

«J’ai suivi de près l’évolution qui a conduit les entreprises
nationales de la logique de moyens, ressort du service public, à la logique de
résultats, perspective purement financière. Ce qui, dans la logique de
résultats, a séduit une génération de dirigeants, c’était moins
l’idéologie libérale, à laquelle la plupart n’avaient pas accès, que la manière
dont elle faisait écho à leurs angoisses et s’accordait avec leur
volonté de puissance. L’exaltation de la compétition, l’infantilisme de
l’équipe soudée et prête au combat, une sorte de scoutisme cruel leur
étaient d’excellents alibis pour oublier leur immaturité et fuir leurs
problèmes les plus brûlants. Ces faibles aimaient les mots d’ordre. Ils
aimaient aussi privilégier les chiffres, les statistiques, toute cette
vêture mathématique qui protégeait déjà leur adolescence de l’air trop
frais des passions et de la liberté. L’entreprise leur donnait du pouvoir
en leur rendant leurs quinze ans: les malheureux n’y résistaient pas,
ils s’y grillaient tout vifs. Sort que veulent éviter leurs successeurs,
qui travaillent parce qu’il faut bien vivre, mais en laissent beaucoup
plus qu’ils n’en prennent.»

Jean Sur, «Le marché de «Résurgences»» 22
http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/marche22.htm

Citations, rubrique Politique
http://www.peripheries.net/f-cit9.htm

«La vie est un cadeau qui m’est fait, pas une mission qui m’est
confiée. Il m’a fallu réprimer un sourire bien triste quand, rendant visite à
l’un de mes meilleurs amis que le cancer allait emporter, j’ai entendu
ce militant, aussi courageux devant la mort que devant la vie, déplorer
de devoir quitter cette terre alors que tant de travail restait à y
faire. Je n’aurai pas de si nobles soucis. Les rôles qu’on m’a assignés,
ou que je me suis provisoirement attribués, je les ai toujours sentis
raides et froids comme des armures. Je n’y entendais pas battre mon
coeur. Comme je voyais là de la médiocrité, je me forçais à prendre la pose.
Maintenant, les craintes se sont enfuies avec les illusions, et je
reste à déballer le paquet reçu il y a soixante-douze ans, me piquant
encore à ses épingles avec la même impatience.»

Jean Sur, «Le marché de «Résurgences»» 22
http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/marche22.htm

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

«Se méfier du pessimisme affiché. Cet homme cultivé m’assure que
l’affaire Terre, comme disait Fargue, finira très mal, qu’on ne peut, au
mieux, que retarder l’échéance, que l’espérance humaine est un dérisoire
grain de sable jeté dans une mécanique qui s’en amuse. Pour un peu, il
reprendrait le mot soufflé à Malraux par je ne sais plus quel grand de ce
monde, Mao, je crois: la mort a toujours le dernier mot. Le grand
écrivain le trouvait si profond qu’il le commentait gravement avec le
général de Gaulle. À cinq ans et demi, je devais être aussi intelligent que
Malraux, Mao et De Gaulle réunis puisque cette perspective m’était déjà
familière. Donc, de la bouche de l’homme cultivé s’échappaient, comme
des oiseaux de nuit, des évidences désolantes. Et, songeant sans doute à
mes cinq ans et demi, il me semblait sonder de grandes profondeurs.
J’imaginais ce sombre héraut en proie aux tourments de notre nature
périssable, un crâne dans la main droite, abandonnant à chaque seconde un peu
de sa soif et de sa faim, déserté par l’amour, terrifié par les progrès
de l’Ennemie... Chansons! Aussi tragique que mon genou, le bougre! Le
hasard, peu de temps après, me le fit voir en action dans une
entreprise. Une machine à contrats, un bouffeur de réussite. Prêt à soutenir tout
et son contraire selon le museau de l’interlocuteur. Un consultant
orgastique et organisé. Dans cette frénésie, il y avait la caricature de
l’éternité: l’immortalité désirante, ses mâchoires désarticulées,
incapables de s’arrêter de claquer, l’enfer de la croissance. «Encore, encore!
crie le maître, répète-le que je jouisse!» Et l’esclave de murmurer:
«Rien ne vaut rien, rien ne vaut rien, je vous le jure, l’espérance est
impuissante, la mort a le dernier mot, le dernier mot, le dern...»»

Jean Sur, «Le marché de «Résurgences»» 22
http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/marche22.htm

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

Voir aussi sur «Périphéries»:
A malins, maligne et demie, critique de «Professeurs de désespoir» de
Nancy Huston (septembre 2004):
http://www.peripheries.net/f-huston2.htm

«Il arrivait que ma grand-mère, ou une voisine, presse ma mère de venir
assister à quelque événement du quartier ou d’aller apaiser quelque
conflit entre ménagères. Elle glissait alors un regard désolé sur sa tenue
négligée et ses cheveux pas trop coiffés puis, jetant son tablier,
s’écriait fièrement, comme on prend la Bastille: «Tant pis, j’y vais comme
ça!» C’était rare qu’elle sorte comme ça, sans ajustements, pomponnages
et pomponneries, sans obsession de faire distingué. Ces déboulés
enthousiastes vers le monde, c’est la meilleure leçon que je garde d’elle.»

Jean Sur, «Le marché de «Résurgences»» 22
http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/marche22.htm

Citations, rubrique Echanges
http://www.peripheries.net/f-ci11.htm

«Dans un vieux film soviétique, «Le Quarante et unième», inspiré du
roman de Boris Lavreniev, paru sous le même titre, il y a une scène qui
m’interpelle. Le film raconte l’histoire d’une jeune et courageuse
soldate de l’Armée rouge qui a capturé un ennemi, un séduisant officier de la
Garde blanche. Ils sont là dans une cabane en plein désert, attendant
le retour de l’unité de la jeune femme. La soldate de l’Armée rouge,
dont le grand coeur est réfractaire au dogmatisme, tombe amoureuse de son
charmant ennemi idéologique. A un moment, le papier à cigarettes vient
à manquer à son compagnon. Généreusement, elle donne à son prisonnier
le seul objet précieux qu’elle possède: un modeste carnet où elle a
consigné des vers. L’officier blanc roule son tabac dans la poésie de la
soldate et la fait insolemment partir en fumée, sous les yeux médusés des
spectateurs, et cela jusqu’à la dernière ligne.

Pouvons-nous imaginer la situation contraire? Non. Car la scène en
question, aussi naïve et touchante soit-elle, représente bien plus qu’une
scène de cinéma: c’est le résumé métaphorique de l’histoire des lettres
féminines, du rapport des femmes à leur propre créativité ainsi que du
rapport des hommes à la créativité de leurs compagnes...»

Lire la suite: «Les femmes, le tabac et la littérature», par Dubravka
Ugresic, «Le Monde diplomatique», septembre 2005
http://www.monde-diplomatique.fr/2005/09/UGRESIC/12582

Citations, rubrique Sexes
http://www.peripheries.net/f-cit8.htm

«Il me semble d’ailleurs que c’est en Ecosse, cet été-là, que je me
suis formulé avec un effroi libérateur qu’un jour peut-être je deviendrai
hermétique à ces rougeurs impromptues du visage qui dénoncent en nous
quelque chose dont nous ignorons nous-mêmes les enjeux, de même que je
n’éprouverai plus, peut-être, la sensation des cheveux qui se hérissent
au rythme d’une parole chargée d’émotions par trop incontrôlables. Si
l’effroi était libérateur, c’est que cette menace d’une inertie
mortifère du visage m’apparut bien pire que le malaise rémanent depuis
l’adolescence de donner à voir des émotions que l’on voudrait taire, de ces
émotions coupables ou non qui transpirent par le corps pour déborder les
mots trop sages du discours, et qui les précipitent en vain dans la
bouche, les mots, comme autant de petits cailloux dévalant la pente de la
langue pour rattraper la lisibilité excessive du visage – étrange
lisibilité externe du visage, de ce qui s’y déchiffre peut-être (comment le
savoir, le mesurer?), qui n’est donné à lire qu’aux autres et brouille à
proportion de son évidence toute lecture de soi.»

Bertrand Leclair, «Le bonheur d’avoir une âme»

Citations, rubrique Echanges
http://www.peripheries.net/f-ci11.htm

«L’âme, pourtant, n’est pas qu’une parole d’Evangile ou un mot pieux.
Mais comment évoquer cette part immatérielle de l’homme quand Dieu est
mort, quand il n’y a plus de finalité, plus de fin, plus de
transcendance? Il fut un temps, qui couvre l’ensemble du XXe siècle «couturé de
camps» comme dit Hélène Cixous (le siècle des mouvements de masse
inserrant au plus serré les individus, où l’Histoire comme jamais a drainé avec
leur consentement docile les hommes vers les marais du pire), où il n’y
eut quasiment plus que les bigots, les adeptes sectaires ou les
chanteurs de charme pour oser l’employer dans l’espace social, et en réduire
encore la portée jusqu’au stéréotype: en essorer dans leurs larmes de
pacotille les derniers sucs – à force de n’être plus que mal dite, l’âme
est devenue, littéralement: maudite. La notion d’âme, l’une des plus
importantes et des plus discutées de l’histoire de la philosophie et de
l’art aussi bien, n’a, très littéralement, plus droit de cité. Et c’est
la cité, bien sûr, qui en souffre. L’âme n’a plus droit de cité, cela
veut dire aussi, dans une mesure certaine, la poésie non plus – et c’est
la cité qui souffre de cette avarice collective du langage arrimé aux
tables de la communication.»

Bertrand Leclair, «Le bonheur d’avoir une âme»

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

«Alors que je lui demandais récemment des précisions, une amie, dont
l’âme est concrètement une préoccupation quasi quotidienne puisqu’elle
est luthière, m’a d’abord expliqué que «l’âme» du violon est une petite
pièce découpée dans la fibre de l’épicéa, que le luthier place à la fin
de son ouvrage dans le corps du violon une fois terminé, entre la table
et le fond, au niveau de l’ouïe, usant pour ce faire d’une «pointe aux
âmes». Animée par la passion de l’objet, elle en vint assez vite,
répondant à mes questions idiotes mais intéressées, à lâcher cette phrase,
que je n’attendais pas mais que j’aurais pu espérer: en matière de
violon, «il n’y a pas de corps sans âme»; non seulement parce que l’âme est
ce qui donne sa qualité sonore à l’instrument (un Stradivarius sans âme
n’a qu’un son de crécelle), mais qu’elle est aussi ce qui lui donne sa
solidité, son unité. Je pousse très légèrement le bouchon: sans âme,
mémoire du son générique, le corps se brise à la première pression
excessive.»

Bertrand Leclair, «Le bonheur d’avoir une âme»

Citations, rubrique Destin
http://www.peripheries.net/f-ci12.htm

«C’est par l’âme, l’idée du corps en tant qu’il est sexué, ce pourquoi
l’on peut dire en guise de raccourci brutal que l’âme a un sexe, celui
du corps qui le porte, c’est par l’âme que s’exprime une puissance
libidinale dans la langue – tout particulièrement, évidemment, lorsqu’elle
s’exerce sur la page, lisant ou écrivant.»

Bertrand Leclair, «Le bonheur d’avoir une âme»

Citations, rubrique Création
http://www.peripheries.net/f-cit7.htm

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MessageSujet: ...   périphéries EmptySam 22 Avr - 15:46

Bonjour à tous,

A lire dans Périphéries:

UNE PHILOSOPHIE DE L’AUTRE
«Mélangeons-nous», de Vincent Cespedes
http://www.peripheries.net/f-cespedes.html

Dans un univers intellectuel et médiatique confiné, qui ne veut plus
donner droit de cité qu’à la diabolisation de l’Autre, «Mélangeons-nous»
apporte une bouffée d’air frais plus que bienvenue. Vincent Cespedes y
rappelle cette vérité toute simple: aucun être humain, aucune culture
ne peut vivre, évoluer, s’épanouir, sans l’apport constant d’autres
êtres humains, d’autres cultures. Avec son style, ses références, ses
images, le jeune philosophe revisite et approfondit des thèmes familiers:
battant en brèche la vision rationaliste d’individus isolés, dotés
d’identités fixes et monolithiques, il invite à prendre acte des mélanges qui
nous constituent déjà, et qu’il nous appartient de poursuivre.
Clairvoyante et salutaire, sa description de la peur de l’autre qui ravage ses
contemporains, tant au niveau intime que collectif, et son invitation à
la dépasser, feront sans doute grincer quelques dents. Mais il dispose
d’un atout indiscutable: une vitalité contagieuse, un plaisir
communicatif de penser, de découvrir, de comprendre, depuis longtemps
introuvables chez ceux qui dévoient la philosophie pour en faire la couverture
respectable de leurs crispations belliqueuses et mortifères.

Bonne lecture et à bientôt,

Thomas Lemahieu & Mona Chollet

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Périphéries
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http://www.peripheries.net

En libraire: «La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet,
Folio Actuel, 2006
http://www.peripheries.net/tyrannie.htm
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MessageSujet: ...   périphéries EmptyDim 9 Juil - 12:53

PROSTITUTION : LES PIÈGES DU PRAGMATISME
http://www.peripheries.net/e-prostitution.html

Face aux conditions de vie infernales imposées aux prostituées
françaises par la loi sur la Sécurité intérieure, de nombreuses voix s’élèvent
pour réclamer la reconnaissance de la prostitution comme un métier. A
priori séduisant, le discours réglementariste mérite pourtant qu’on y
regarde de plus près. En se plongeant dans la littérature sur le sujet,
on s’aperçoit que, contrairement à un abolitionnisme authentique – avec
lequel les lois Sarkozy ont peu à voir –, la légalisation, qui rend
respectable la prostitution, et non les prostituées, est très loin
d’améliorer leur sort, quand elle ne l’aggrave pas. Favorisée par la rencontre
de l'idéologie libérale et de l'actuelle vague de fond antiféministe,
elle comporte aussi des implications très inquiétantes pour le statut et
les droits de l’ensemble des femmes. Révélatrice de l’état des rapports
entre les sexes, la prostitution est un «résultat social» et non un
phénomène marginal; elle fait de ceux qui la pratiquent les boucs
émissaires de problèmes qu’elle est impuissante à résoudre. Par son
pragmatisme, qui est l’autre nom de la résignation, le réglementarisme n’aboutit
qu’à verrouiller et à aggraver des situations qu’une société digne de ce
nom ne devrait pas renoncer à penser et à changer.

Bonne lecture et à bientôt,

Thomas Lemahieu & Mona Chollet

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Périphéries
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http://www.peripheries.net

En libraire: «La tyrannie de la réalité»,
un essai de Mona Chollet, Folio Actuel, 2006
http://www.peripheries.net/tyrannie.htm
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MessageSujet: ...   périphéries EmptySam 7 Oct - 11:57

Bonjour à tous,

A lire dans Périphéries:

«CULTE DU CORPS», OU HAINE DU CORPS?
http://www.peripheries.net/e-corps.html

La polémique médiatique déclenchée par la décision des autorités
madrilènes d’exclure certaines mannequins des défilés de mode en raison de
leur maigreur excessive ne devrait rien changer à l’obsession
contemporaine de la minceur. L’univers de la mode, de la publicité et du showbiz
reflète des éléments très ancrés de la culture occidentale: un profond
mépris de la chair et un besoin impérieux de la dompter. Mais il en
décuple aussi la portée, en nous bombardant sans relâche d’images
insidieusement normatives. Il perpétue ainsi comme naturelle l’obligation faite
aux femmes de surveiller en permanence la conformité de leur physique,
tandis que la presse féminine martèle à ses lectrices que la minceur
est le seul idéal qui vaille dans leur vie – cette «inégalité des rôles
esthétiques» est une dimension du problème totalement évacuée du débat
actuel. Enfin, il accrédite l’idée, à la fois odieuse et dérisoire,
mais ravageuse, que la valeur de quelqu’un réside tout entière dans sa
plastique.

Bonne lecture et à bientôt,

Thomas Lemahieu & Mona Chollet

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http://www.peripheries.net

En librairie: «La tyrannie de la réalité»,
un essai de Mona Chollet, Folio Actuel, 2006
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MessageSujet: ...   périphéries EmptyDim 15 Oct - 15:59

GUILLEMETS: DOMECQ, DELACOMPTÉE, DESPENTES
Le carnet de Périphéries
http://www.peripheries.net/crnt73.html#domecq

«Dans le même registre de clichés interprétatifs usités par la critique
artistique et littéraire, le mot "ironie" semble avoir un effet
magique: il suffit de le proférer pour qu’il donne de l’intérêt à tout, à
défaut de montrer tout d’un autre oeil, ce qui est tout de même l’effet
révélateur de l’art. Ceux qui en abusent n’ont donc pas remarqué que des
intentions ironiques, nous en rencontrons beaucoup, même chez les
gosses, mais toute intention ironique produit-elle une ironie de valeur?
(...) Quant au second degré sur les clichés de notre vie quotidienne –
comme sur les images de stars, de pub et de télévision qu’agrandit et met
en série Warhol, par exemple –, il est suffisamment faible, en
l’occurrence, par insuffisance d’invention formelle, par décalque quasiment
repris de l’image copiée, pour nous laisser presque aussi ennuyés devant
les tableaux de Warhol que devant les mêmes photos de stars, billets de
dollars, boîtes de lessive, documents de pub, de magazines et de médias.
Sans compter que c’est faire la part belle aux clichés que de tant nous
les resservir au second degré. Comme si nous n’étions pas conscients
des clichés qu’infusent les images du marché et de la télé. Images de
surface, et nous devrions leur vouer notre profondeur de champ? Nous n’y
attachons aucune importance, et il faudrait que l’art nous remette le
nez dessus, au lieu de nous montrer comment nous longeons et traversons
ces images à tout moment pour percevoir autre chose, avec ou malgré
elles?»

Jean-Philippe Domecq, «La situation des esprits», entretiens avec Eric
Naulleau
Citations, rubrique Culture
http://www.peripheries.net/f-cit1.htm

«C’est à cause de cela que l’on se révolte: parce que l’on voit ou
parce que l’on pressent d’autres réels possibles, pensables, praticables, à
côté ou au-delà de ce qui envahit le champ de vision de la plupart. Il
ne faut jamais s’en laisser conter par ce qui a l’air d’être là. Par
"La" réalité: ce singulier est singulièrement totalitaire.»

Jean-Philippe Domecq, «La situation des esprits», entretiens avec Eric
Naulleau
Citations, rubrique Politique
http://www.peripheries.net/f-cit9.htm

«Ricardou avait craché le morceau en énonçant, dans les années
soixante, que "l’écriture du roman" serait désormais "le roman de l’écriture".
Comme si, depuis "Don Quichotte", au bas mot, le roman ne s’était pas
toujours interrogé sur lui-même, sur sa fabrique. La différence, c’est
que, pendant un quart de siècle, on a fait du roman sur le roman, on a
multiplié les textes où l’auteur écrit sur le fait d’être en train
d’écrire le texte que vous êtes en train de lire – équivalent de ce que j’ai
appelé la tendance de "l’Art sur l’art" dans l’art moderne et
contemporain. Alors, évidemment, dans ce contexte pour le moins sclérosé entre
nombril d’auteur et nombril de narrateur, Houellebecq déboule et plonge
le lecteur dans ce qui semble être aujourd’hui le monde le plus
évident: le monde de l’entreprise, le tourisme international, la sexualité de
kiosque, les codes de séduction branchée, les codes d’Internet
directement injectés au vocabulaire, les dernières vulgarisations
scientifiques, les modes comportementales et vestimentaires et les dernières modes
de langage. Ce "monde d’aujourd’hui" à nul autre pareil et dont l’époque
se gargarise, ce "monde-désormais", Houellebecq nous le sert, et le
gros public croit s’y retrouver.»

Jean-Philippe Domecq, «La situation des esprits», entretiens avec Eric
Naulleau
Citations, rubrique Culture
http://www.peripheries.net/f-cit1.htm

«Ce qui vous donne faim dans le roman, c’est sa dimension "omnivore",
comme l’écrit Marthe Robert dans "Roman des origines et origines du
roman". Le roman est un instrument de connaissance qui va au-delà de ce que
l’on croit connaître et comprendre, et cet au-delà est tout ce que
j’aime découvrir en écrivant ou en lisant un roman. Miser dans le roman la
démarche par laquelle l’individu s’explique les choses comme il peut,
puisque l’on ne vit pas sans chercher à s’expliquer les choses, mais
miser en même temps, à chaque phrase, le point aveugle du monologue par
lequel nous réfléchissons en permanence, miser l’au-delà de ce que nous
croyons penser, l’à-côté, l’en deçà.»

Jean-Philippe Domecq, «La situation des esprits», entretiens avec Eric
Naulleau
Citations, rubrique Création
http://www.peripheries.net/f-cit7.htm

«C’est le mauvais temps qui me protégeait le mieux. Plus de travaux
extérieurs, personne sur les échafaudages, plus de barbecues à minuit dans
les jardins avec beuglantes en stéréo, blagues graveleuses et rires
avinés. Je désirais follement les intempéries. Rien ne m’était plus
délectable qu’un ciel de tempête. Je vouais un culte aux bourrasques, aux
averses, à la grêle qui mitraille les chaussées et les toits.
J’applaudissais l’annonce du crachin, j’exultais devant la grisaille. Si le temps
virait à l’orage, c’était Noël. J’allumais des cierges dans mon for
intérieur pour que l’orage éclate à pleins seaux, que les éclairs s’en
mêlent, que le tonnerre explose, que les gouttes inondent les rues, les
caniveaux, qu’elles noient la ville sous un édredon liquide. J’aurais aimé
que la pluie enfle et se prolonge, comme la mousson. Le gel était une
bénédiction, la neige une délivrance: je redoutais les glissades sur les
plaques de neige molle, mais rien n’étouffe les bruits comme elle.
(...) Le verglas m’incommodait, de même que le brouillard, j’en déplorais
les désagréments, mais j’adorais la morsure du froid qui oblige à
boucher les issues. Alors je n’avais plus à subir l’intrusion des autres, ils
demeuraient chez eux enfermés à vaquer de leur côté sans s’introduire
de force dans mon intimité. Le bruit des autres, le sans-gêne des
autres, l’égoïsme des autres. De ceux qui envahissent l’espace entier, nos
appartements, nos maisons, chacun des lieux où l’on réside. Ils entrent
sans frapper. Ils s’accordent tous les droits, ils se permettent toutes
les outrances. Rien ne les arrête, les autres. Personne ne les convie,
ils entrent quand même. Les autres, ce sont les bruyants. Ils décident,
ils s’imposent. Ce sont les prédateurs, les pollueurs de tympans, tous
ces gens qui nous déversent des turbulences à pleins tonneaux dans les
oreilles, qui nous volent notre liberté, qui nous arrachent à
nous-mêmes. Les colonisateurs du silence, les termites du cerveau.»

Jean-Michel Delacomptée, «La vie de bureau»
Citations, rubrique Echanges
http://www.peripheries.net/f-ci11.htm

«Là comme ailleurs, les clients dînaient le portable à l’oreille,
chacun dans son univers, assourdissants. C’est comme les transports en
commun, me disais-je, il suffit de les prendre pour être assailli par les
conversations gueulées à des interlocuteurs invisibles, les gens alentour
ignorés, niés, réduits en cendres, toutes frontières abolies entre les
espaces public et privé à la manière des régimes totalitaires, éventrés
que nous sommes par les sons d’autrui, ouverts aux quatre vents,
attaqués de tous côtés, fourragés sans pitié, perforés de part en part.
Paradoxe de l’individualisme, on ne disposait plus de périmètre infrangible,
d’un quant-à-soi étanche, la collectivité s’imposait sans sauvegarde
possible (…). Elle finissait par m’excéder, moi, cette utilisation tous
azimuts des téléphones portables, à pied, en voiture, à vélo, en
rollers, au lit, aux W.-C., même au spectacle, quasi un nouvel organe. Tous
ces gens à déblatérer en public, chacun enfermé dans son monde comme des
petits sapins en plastique sous les flocons dans leur globe.»

Jean-Michel Delacomptée, «La vie de bureau»
Citations, rubrique Echanges
http://www.peripheries.net/f-ci11.htm

«Pendant des années, j’ai été à des milliers de kilomètres du
féminisme, non par manque de solidarité ou de conscience, mais parce que,
pendant longtemps, être de mon sexe ne m’a pas empêchée de grand-chose.
Puisque j’avais envie d’une vie d’homme, j’ai eu une vie d’homme. C’est que
la révolution féministe a bien eu lieu. Il faudrait arrêter de nous
raconter qu’on était plus comblées, avant. Des horizons se sont déployés,
territoires brutalement ouverts, comme s’ils l’avaient toujours été.

D’accord, la France actuelle, c’est loin d’être l’Arcadie pour tous. On
n’est ni heureuses, ni heureux, ici. Ça n’a aucun rapport avec le
respect de la tradition des genres. On pourrait toutes rester en tablier à
la cuisine et faire des gosses chaque fois qu’on baise, ça ne changerait
rien à la faillite du travail, du libéralisme, du christianisme ou de
l’équilibre écologique.»

Virginie Despentes, «King Kong Théorie»
Citations, rubrique Sexes
http://www.peripheries.net/f-cit8.htm

«La maternité est devenue l’expérience féminine incontournable,
valorisée entre toutes: donner la vie, c’est fantastique. La propagande
"pro-maternité" a rarement été aussi tapageuse. Foutage de gueule, méthode
contemporaine et systématique de la double contrainte: "Faites des
enfants c’est fantastique, vous vous sentirez plus femmes et accomplies que
jamais", mais faites-les dans une société en dégringolade, où le travail
salarié est une condition de survie sociale, mais n’est garanti pour
personne, et surtout pas pour les femmes. Enfantez dans des villes où le
logement est précaire, où l’école démissionne, où les enfants sont
soumis aux agressions mentales les plus vicieuses, via la pub, la télé,
Internet, les marchands de soda et confrères. Sans enfant, pas de bonheur
féminin, mais élever des gamins dans des conditions décentes sera
quasiment impossible. Il faut, de toutes façons, que les femmes se sentent
en échec. (...) Les armes contre notre genre sont spécifiques, mais la
méthode s’applique aux hommes. Un bon consommateur est un consommateur
insécure.»

Virginie Despentes, «King Kong Théorie»
Citations, rubrique Sexes
http://www.peripheries.net/f-cit8.htm

«Plaire aux hommes est un art compliqué, qui demande qu’on gomme tout
ce qui relève de la puissance. Pendant ce temps, les hommes, en tout cas
ceux de mon âge et plus, n’ont pas de corps. Pas d’âge, pas de
corpulence. N’importe quel connard rougi à l’alcool, chauve à gros bide et look
pourri, pourra se permettre des réflexions sur le physique des filles,
des réflexions désagréables s’il ne les trouve pas assez pimpantes, ou
des remarques dégueulasses s’il est mécontent de ne pas pouvoir les
sauter. Ce sont les avantages de son sexe. La chaudasserie la plus
pathétique, les hommes veulent nous la refiler comme sympathique et
pulsionnelle. Mais c’est rare d’être Bukowski, la plupart du temps, c’est juste
des tocards lambda. Comme si moi, parce que j’ai un vagin, je me croyais
bonne comme Greta Garbo. Etre complexée, voilà qui est féminin.
Effacée. Bien écouter. Ne pas trop briller intellectuellement. Juste assez
cultivée pour comprendre ce qu’un bellâtre a à raconter.»

Virginie Despentes, «King Kong Théorie»
Citations, rubrique Sexes
http://www.peripheries.net/f-cit8.htm

«Le côté du monde», le livre d’entretiens de Pierre Mari avec Jean Sur
(voir le précédent carnet: http://www.peripheries.net/crnt72.html#mari
), est paru. Voir sur «Résurgences» sa présentation:
http://perso.orange.fr/js.resurgences/vpmari.htm
... Et celle de la collection dans laquelle il s’inscrit:
http://perso.orange.fr/js.resurgences/sommairevoxpopuli.htm
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MessageSujet: ...   périphéries EmptyMar 2 Jan - 8:53

Bonjour à tous,

A lire dans Périphéries:

«L’ACTEUR COMME PARADIGME DE LA CONDITION HUMAINE»
«Dans la peau d’un acteur», de Simon Callow
http://peripheries.net/article306.html

Salué lors de sa parution en anglais comme un grand livre sur l’art du
comédien, «Dans la peau d’un acteur», l’autobiographie de Simon Callow
(le Gareth de «Quatre mariages et un enterrement», pour aller vite),
est bien plus que cela. Ecrit avec un abattage décoiffant, à la fois
profond et hilarant, proposant une superbe galerie de portraits, il relève
à la fois du roman d’apprentissage et du manifeste passionné. L’auteur
y plaide pour la perpétuation de ce qui, dans le théâtre, l’a lui-même
touché au coeur alors qu’il était encore enfant: plutôt qu’une belle
mécanique dans laquelle le metteur en scène plaque sa vision sur le texte
et le jeu des comédiens, un rituel de possession, propre à «revivifier
le fond d’humanité de l’assistance» à travers la transformation quasi
magique de l’acteur, amené par obligation professionnelle à «entretenir
autant de dimensions de lui-même qu’il est humainement possible de le
faire», et à (faire) comprendre ainsi que «je, ça n’existe pas».

Nous en profitons pour vous signaler que, depuis quelques semaines,
Périphéries est passé sous Spip (http://www.spip.net). Cela nous permet de
vous offrir enfin quelques fonctionnalités de base, comme un moteur de
recherche, un fil RSS, un format impression automatique, etc. Seul
inconvénient: toutes les adresses des articles ont changé. Si vous aviez
placé des liens vers certains d’entre eux, ils ne sont donc plus valides.

Bonne lecture et à bientôt,

Thomas Lemahieu & Mona Chollet

Ce message est envoyé à 4525 abonnés.

---

Périphéries
Escales en marge
http://www.peripheries.net

En librairie: «La tyrannie de la réalité»,
un essai de Mona Chollet, Folio Actuel, 2006
http://www.peripheries.net/article15.html
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MessageSujet: ...   périphéries EmptyDim 21 Jan - 22:02

GUILLEMETS: VIDAL, SWIATLY, DONNER
Le carnet de Périphéries
http://peripheries.net/article307.html

«"Arbeit macht frei": le travail libère. C’est la phrase écrite à
l’entrée du camp d’Auschwitz. Et c’est malheureusement le slogan choisi par
Tommaso Coletti, président de la province de Chieti, pour les dépliants
et les encarts publicitaires vantant les Centres pour l’emploi. "Le
travail rend libre. Je ne me souviens pas où j’ai lu cette phrase", écrit
M. Coletti dans la publicité, "mais c’est une de ces citations qui vous
frappent immédiatement parce qu’elles renferment une immense vérité."»

«La Repubblica», Milan, reproduit dans «Courrier international» du 7
septembre 2006

Citations, rubrique Politique
http://peripheries.net/article30.html

«Pourquoi les lecteurs présupposent-ils qu’un livre a du sens, n’est
pas qu’un tissu de non-sens, et mérite d’être publié et lu? Pourquoi un
livre éveille-t-il de l’intérêt chez les lecteurs? (...) Ne serait-ce
pas que le "sens" se définit dans la rencontre du désir d’un lecteur qui
le présuppose – et, pour ainsi dire, le projette – et d’un texte doué
de certaines caractéristiques, dont la détermination est elle-même
problématique, cette rencontre intervenant dans des contextes changeants qui
contribuent à transformer le désir du lecteur et le sens du texte,
nécessairement ouvert en cela à des interprétations multiples et variables
(ce qui n’exclut pas une certaine "stabilité" ou "objectivité" dont il
conviendrait de penser la nature, les limites et les conditions de
possibilité)? Faut-il au contraire penser qu’il est possible de définir le
sens ultime d’un texte, son noyau de sens, lequel permettrait d’en
déterminer la valeur objective qui ne serait ainsi pas relative et
contextuelle (chacun, selon les circonstances, trouvant ou non dans le texte
l’occasion de bricoler du sens et de l’utiliser comme une boîte à
outils)?»

Jérôme Vidal, «Lire et penser ensemble – Sur l’avenir de l’édition
indépendante et la publicité de la pensée critique»
http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/Lire-et-penser-ensemble.html

Citations, rubrique Culture
http://peripheries.net/article10.html

«L’autre n’est plus pour moi la clé du paradis, mais un compagnon de
paradis.»

Marianne, 43 ans, restauratrice de tableaux, «Peut-on aimer sans
souffrir?», «Marie-Claire», février 2007

Citations, rubrique Echanges
http://peripheries.net/article32.html

«Assise à la table de réunion, souvent, il me semble n’avoir rien à
dire. Pas la peur de dire - non - le rien à dire. Quelque chose d’absent
dans ma tête, des idées qui ne parviennent pas à former des mots ou des
phrases. Chaque réunion comme une partie de cartes que je n’oserais pas
interrompre. Demander des précisions sur la règle du jeu serait l’aveu
de mon ignorance. J’envie l’assurance de ces hommes qui savent, voix
forte et cigarette à la main. Alors je les écoute, hommes qui disent et
qui font. Qui connaissent le nom des politiques, le nom des responsables
de projet, le nom des financeurs. Ils savent et ils disent. Se mettent
debout quand il faut convaincre et en imposent avec leur organe vocal.»

Fabienne Swiatly, «Gagner sa vie»

Citations, rubrique Sexes
http://peripheries.net/article17.html

«Sur la quatrième de couverture de son livre, Philippe Val pose sept
questions brèves qui sont comme les sept sceaux de la connaissance:
"L’aventure humaine touche-t-elle à sa fin? L’homme du XXIe siècle agit-il
librement? L’athéisme est-il un tabou? L’amour nous éloigne-t-il de la
guerre? Les singes sont-ils fascistes? Pourquoi avons-nous peur? Comment
être un homme des Lumières aujourd’hui?"

On est saisi, intimidé, par l’importance de ces questions, et on ne
peut s’empêcher de songer aussitôt à la question, la huitième, celle qui
les résume toutes: "Est-ce que le ridicule tue?"

Philippe Val étant directeur de «Charlie Hebdo», on pourrait croire à
un gag. Mais non. Depuis longtemps déjà, l’avatar d’«Hara-Kiri mensuel»
a pris sa devise au premier degré, il est devenu bête et méchant, et
seul le sérieux qu’il y met prête encore à sourire. (...)

"Rien ne me prédestinait à écrire ce livre", annonce Philippe Val,
ébloui par l’inattendu enfantement de ce monument. Elevé chez les
Oratoriens, il aurait dû rester idiot, catho, facho, mais voilà qu’un jour, en
allant faire pipi au côté d’un condisciple, "dans l’enthousiasme du
soulagement", lui vient la révélation que Dieu n’existe pas. "Ce lieu
d’aisances m’a été ce que le chemin de Damas fut à saint Paul." Alléluia!
Voilà donc Fifi le Terrassé, contraint "d’arrêter net ses études à 17 ans
pour faire de la musique, des chansons et du théâtre". Mais ne croyez
pas qu’il va se désintéresser de la culture, au contraire: Montaigne,
Spinoza, Shakespeare, Freud, Schopenhauer, Deleuze, tous y passent et
conduisent, que dis-je, destinent le jeune athée à écrire cet incroyable
«Traité de savoir-survivre». C’est l’oeuvre d’un homme à part,
décidément, un homme libre qui n’hésite pas à braver ses origines sociales et
culturelles pour affirmer avec force qu’il a "conscience d’avoir
conscience", formule qu’il répète une cinquantaine de fois, comme pour la
réinventer. C’est qu’on s’autorise beaucoup quand on est libre. "La liberté
n’est rien d’autre que le chemin à parcourir pour accroître nos
possibilités d’être heureux."

Pour Philippe Val, le sommet de la liberté de jouir à laquelle chacun
de nous aspire, c’est l’amour aux chandelles, avec une bouteille de
"Château Pétrus sur la table de nuit". Dommage, il n’y a pas de "Château
Pétrus" (Pétrus est un seigneur qui n’a pas besoin de titre), mais on
aura repéré au passage l’influence de Michel Onfray. Les grands esprits
jouisseurs se rencontrent. Val, c’est du Onfray, mais en plus simple, si
c’est possible, encore plus facile à comprendre, une sorte de
vulgarisation de la vulgarisation qui n’est pas dépourvue d’une certaine
vulgarité. C’est le risque quand on veut plaire : "Lecteur, si mon livre te
donne l’intuition que la joie est moins inaccessible qu’il n’y paraît,
j’aurai atteint mon but." C’est beaucoup nous demander en effet, que
notre joie demeure à la lecture de ce traité. Le désagréable, ce n’est pas
l’inculture ou l’erreur – nous sommes assez grands pour ouvrir de vrais
livres – c’est l’arrogance et le bruit qu’elle fait.»

Christophe Donner, «Le Monde 2», 13 janvier 2007
Lire aussi sur Périphéries «L’obscurantisme beauf»:
http://peripheries.net/article187.html

Citations, rubrique Médias
http://peripheries.net/article20.html
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MessageSujet: ....   périphéries EmptyDim 4 Fév - 11:26

«LA VIE EST UN MANÈGE»
«Etre femme sans être mère – Le choix de ne pas avoir d’enfant»,
d’Emilie Devienne
Le carnet de Périphéries
http://peripheries.net/article308.html

Voilà un livre que devraient accueillir avec soulagement les femmes qui
ne souhaitent pas avoir d’enfant, et dont la décision, même lorsqu’elle
est aussi solidement enracinée qu’un baobab, doit essuyer le typhon
permanent de la pression sociale. Même si on ne partage pas toutes les
références de l’auteure, on n’a pas trop les moyens de faire la fine
bouche, tant la littérature sur ce sujet est rare. Et puis, l’essentiel y
est: elle met noir sur blanc les arguments de simple bon sens qu’on avait
en tête – ce qui fait du bien – et y ajoute quelques autres. Petite,
Emilie Devienne avait rendu visite avec sa mère à une amie de la famille
qui venait d’accoucher, et qui lui avait demandé: «Et toi, quand tu
seras grande, tu veux beaucoup d’enfants?» «Sans penser mal me comporter,
je répondis que je ne voulais pas d’enfant du tout.» L’amie avait alors
suggéré à sa mère de la montrer au pédiatre – conseil qui,
heureusement, n’avait pas été écouté... Elle répertorie les diverses réactions
auxquelles elle a eu droit au fil du temps; à vingt ans: «Oh! tu es jeune,
tu peux encore changer d’avis. C’est normal, pour le moment tu as tes
études.» A trente ans: «Si tu rencontres vraiment l’homme de ta vie, tu
changeras d’avis.» A quarante: «Oh, avec les progrès de la médecine, tu
peux attendre encore un peu. Mais pas trop longtemps, non plus...»

Et encore: c’est sans parler de la pression médiatique. Prenons ne
serait-ce que les hebdomadaires de cette semaine. Prolongeant les cocoricos
suscités par les bonnes performances françaises en matière de natalité,
qui, en janvier, ont retenti sur toutes les antennes, «Paris-Match»
réunit sur une photo, posant devant la mairie avec leur bébé dans les
bras, les 19 femmes d’un petit village de Mayenne ayant accouché au cours
de l’année 2006. «Gala» constelle sa couverture de vignettes
représentant des femmes célèbres avec leur enfant, sous le titre: «Leurs enfants
d’abord: elles veulent être des mères parfaites!» On s’interroge
d’ailleurs sur l’utilité d’en faire un dossier, tant les propos du genre «Ma
famille avant tout», ou «Je suis une actrice, mais je suis avant tout
une mère», sont le discours obligé de toutes les célébrités interviewées
dans la presse féminine et people, où le mot «mère» appelle
immanquablement l’adjectif «épanouie» – à croire que, dans ces rédactions, on
dispose de logiciels de traitement de texte spéciaux, qui font
l’association automatiquement. Ainsi, quand on tourne la page, en sortant du
dossier «mères parfaites», c’est pour changer radicalement de registre, avec
une grande interview de Lorie, titrée: «Je commence à songer à la
maternité» (à 24 ans, il serait temps, en effet). On notera au passage que
l’idole des cours de récréation n’a pas convoqué la presse pour lui
annoncer la nouvelle en grande pompe: ce sont les journalistes qui lui
demandent si, comme ses consoeurs, elle ne compte pas bientôt «mettre sa
carrière entre parenthèses pour devenir maman»...

Les seuls intermèdes répertoriés par nos soins dans ce matraquage
remontent à... 2001. «Marie Claire» avait alors publié un dossier tout à
fait honnête intitulé «Je ne veux pas d’enfant, et alors?» (octobre 2001).
Traitant du même sujet au même moment, mon magazine favori, «Elle»,
sans doute le plus fanatique parmi les féminins «haut de gamme» dans
l’injonction à la maternité, produisait un article («Sans enfants et
contents de l’être», 10 septembre 2001) bien plus tendancieux, présentant les
couples concernés comme des aigris immatures et intolérants qui ne
supportaient pas le bruit et le désordre. Histoire d’enfoncer le clou, un
encadré répertoriait les propos les plus odieux («âmes sensibles
s’abstenir!») tenus à propos des enfants sur les forums Internet des
associations de «childfree». Bref, une vision des choses d’une hénaurme
subtilité, et pas du tout idéologique.

Que tous les gens qui n’ont pas d’enfant soient soupçonnés de ne pas
les aimer, «cela signifie-t-il que tous les gens qui ont des enfants les
aiment?» interroge Emilie Devienne, que son expérience de journaliste,
et la simple attention à l’actualité, ont confrontée à de nombreux
témoignages du contraire. Surtout, elle rappelle cette évidence: on peut
très bien aimer les enfants, s’aimer soi-même, se réjouir pour ses
proches quand ils deviennent parents, s’attendrir devant les bébés de son
entourage, sans pour autant avoir envie d’en concevoir et d’en élever
soi-même. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, mais plutôt d’honnêteté
et de lucidité par rapport à ses propres priorités et dispositions – le
contraire, d’ailleurs, de l’«immaturité» si souvent reprochée aux
réfractaires à la maternité... En outre, il faut avoir une vision bien
indigente de la vie et des relations humaines pour s’imaginer que
l’enfantement serait la seule manière de nouer des liens forts, de laisser une
trace ou d’assurer une transmission – sans pour autant se croire obligée
de remporter trois prix Nobel pour racheter ce refus coupable: autre
piège que l’auteure pointe à raison. Elle-même est la belle-mère de deux
adolescentes dont elle est très proche, et avec qui elle a établi des
rapports qui lui conviennent à merveille: elle n’aurait pas aimé,
dit-elle, s’occuper d’enfants à plein temps, et le fait avec d’autant plus de
bonheur qu’elle n’y est pas obligée.

On se souvient aussi de ce récit, lu dans un magazine («Cosmopolitan»,
septembre 2006), d’une jeune femme qui, enfant, était partie en
vacances avec une amie chez la tante de celle-ci. A la descente d’avion, elle
avait découvert que la tante en question était Sabine Azéma – l’une des
rares actrices qui, lorsqu’on l’interroge à ce sujet dans les
interviews, assume sereinement son choix de ne pas être devenue mère. La jeune
femme se souvenait de l’influence que la comédienne avait eue dans sa
vie, au cours de ces vacances qui s’étaient répétées plusieurs années de
suite: «Sabine nous a loué une petite caméra et nous a poussées à
écrire des scénarios qu’on tournait après. On passe des heures à chercher
des déguisements au marché. Sabine a réservé une petite voiture, mais,
comme elle déteste rouler, elle reste des heures derrière un camion et on
hurle de rire. On n’est pas des enfants, elle n’est pas une adulte,
c’est de la magie. Des vacances à la Monsieur Hulot, surtout pas de McDo,
mais des salons de thé ambiance "Arsenic et vieilles dentelles", un
jardin d’hôtel plutôt que le square bondé. Sabine nous offre des objets
extraordinaires, des toupies de New York, des crayons d’Angleterre. Et
surtout, elle nous insuffle son sens du bonheur.»

Utile distinction à laquelle procède Emilie Devienne: ne pas être mère
et ne pas avoir l’intention de le devenir ne revient pas forcément à
être une «anti-mère». Cela n’empêche pas, par exemple, de s’élever contre
l’ambivalence que témoigne la société à l’égard des mères, à la fois
glorifiées et méprisées, par exemple quand on leur dénie toute capacité
intellectuelle ou créatrice, jugée incompatible avec la fonction
reproductrice (http://www.peripheries.net/article254.html). Cela n’implique
pas non plus que l’on souhaite passer toute sa vie dans l’éther des idées
– même si on s’y trouve bien et qu’on souhaite se réserver un temps
suffisant pour y séjourner – et que l’on méprise les basses tâches
matérielles: on peut prendre plaisir à soigner son intérieur, et partager la
révolte d’une Annie Leclerc (http://www.peripheries.net/article50.html)
devant la dévalorisation dont font l’objet les tâches domestiques, tout
en sachant qu’elles perdraient tout attrait à nos yeux si elles
devenaient des nécessités tyranniques, et s’il fallait s’y consacrer dans une
urgence permanente. Sans compter que le travail ménager continue de
peser avant tout sur les femmes – les statistiques sur les parts de temps
respectives qui y sont consacrées dans le couple sont impitoyables à ce
sujet. Et que, de ce côté-là, l’arrivée d’un enfant peut créer un
déséquilibre inattendu entre le père et la mère: comme le fait remarquer une
sociologue spécialiste de ces questions, on tombe rarement amoureuse
d’un homme parce que son art de passer l’aspirateur nous a éblouie...

La cohorte de procès d’intention et de préjugés auxquels s’expose une
femme qui ne souhaite pas «passer par la case maternité», la réprobation
ou le harcèlement plus ou moins déguisés qu’elle s’attire – et devant
lesquels elle a intérêt à garder son calme, tout accès de colère
risquant d’être interprété comme une confirmation des soupçons qui pèsent sur
elle! – révèlent un refus persistant, dans des sociétés pourtant
considérées comme modernes, d’admettre que féminité et maternité puissent ne
pas se confondre. «Pourquoi estime-t-on qu’une femme n’est jamais tout
à fait une femme si elle n’a pas eu d’enfant, tandis que l’on ne dira
jamais d’un homme qu’il n’est pas tout à fait un homme s’il n’est jamais
devenu père?» interroge Emilie Devienne. Un jeune père de mon
entourage, que, par curiosité, j’interrogeais avec tact et discrétion (enfin...
j’espère) sur l’origine de leur désir d’enfant, à lui et à sa compagne,
invoqua son désir à elle, et me fit avec le plus grand naturel cette
réponse sidérante: «Chez les femmes, je crois que ça vient du ventre.»
Etrange... Parce que, si on veut se lancer dans cet exercice périlleux
qui consiste à faire parler la biologie, la réponse ne me semble pas du
tout aussi évidente que cela. Après tout, la capacité de porter un
enfant n’est pas la seule caractéristique qui distingue les femmes des
hommes: il y a aussi le clitoris, seul organe du corps humain qui n’ait pas
d’autre utilité que le plaisir – et qui suscite d’ailleurs dans toutes
les régions du monde une vindicte remarquable, allant de la simple
réprobation ou répression à la mutilation plus ou moins sanglante. Si les
femmes ont un «destin biologique», il serait donc plutôt à deux
embranchements. Et si on voulait faire un peu de mauvais esprit, on pourrait
dire que ce sont plutôt les hommes qui sont assignés à la procréation,
puisqu’ils peuvent rarement jouir sans émettre de la semence, ces
lourdauds...

Que, pour la plupart des femmes qui font le choix de s’engager dans
cette expérience, le fait de porter un enfant dans leur ventre pendant
neuf mois crée avec lui un lien d’une nature particulière – pas forcément
plus fort, mais peut-être plus viscéral que celui du père –, c’est
plausible. Mais pourquoi celles qui n’ont pas envie de réaliser cette
possibilité devraient-elles en être affectées? Emilie Devienne cite un
article de Geneviève Serre paru dans la revue «L’Autre»
(http://www.peripheries.net/article88.html); s’étant penchées, avec un
préjugé défavorable que son enquête avait démenti, sur les femmes qui
refusaient la maternité, la psychiatre remarquait: «Un élément marquant
est qu’il n’y a jamais eu de regret face à ce choix. Celui-ci a été fait
très tôt, à l’adolescence, et même s’il a été interrogé au cours de
leur vie, il donne le sentiment d’une décision très forte sans
ambivalence, sans souffrance.» De quoi dissiper un peu la terreur que m’avait
laissée le film de Woody Allen «Une autre femme», dans lequel une
intellectuelle sans enfants voyait sa vie s’écrouler la cinquantaine venue, et
prenait conscience du manque que lui avait laissé son refus de la
maternité. Tout compte fait, ce n’était peut-être pas là le reflet d’une
implacable réalité, mais seulement de la légère tendance à la misogynie que
laisse parfois transparaître ce cher vieux Woody...

Pour expliquer cette conviction, si répandue chez nos contemporains,
qu’on ne peut être pleinement femme que si on est mère, Emilie Devienne
suggère de ne pas négliger des explications qui, au premier abord,
feraient sourire, comme cette croyance archaïque, encore bien ancrée d’après
elle dans l’inconscient collectif, selon laquelle «en étant mère, la
femme se nettoie de ce corps impur qui ne serait que sexe sans cette
mission céleste». Oui – parce qu’il y a aussi ça: ne pas vouloir être mère,
c’est prendre le risque de passer pour une nymphomane à la vie
pathologiquement dissolue. Ou alors, pour une frigide inapte aux plaisirs de la
chair. Charmante alternative, non? Malgré tout, Emilie Devienne invite,
une fois qu’on est sûre d’avoir bien réfléchi, à faire confiance à son
intime conviction, et à résister aux pressions, même si, parfois,
«c’est tellement plus simple de faire ce qu’on attend de nous».

Elle déplore que le choix de ne pas être mère soit toujours perçu
négativement, alors qu’il est le plus souvent vécu par les intéressées de
façon positive. Une vie sans enfants, dit-elle, offre tout autant de
moments intenses qu’une vie avec enfants. Elle ne fragilise pas les
couples, pas plus qu’elle ne rend leur existence ennuyeuse (au contraire,
parfois): «Si l’amour était une science exacte, ça se saurait.» Mais, en
même temps, elle plaide pour que l’on prenne au sérieux la part de
pessimisme qui peut aussi entrer dans ce choix. Ainsi, si elle est consciente
que d’autres femmes et hommes ont une vision avant tout confiante et
optimiste de la vie, elle doit reconnaître que ce n’est pas son cas:
«Quand je vois des nouveau-nés attendrissants dormir à poings fermés dans
leur cosy, je ne peux m’empêcher de songer à ce qui les attend: études,
boulot, chômage, santé, maladie, amour, désamour...» Alors que la
plupart des gens, quand on invoque la dureté des temps, balaient cet
argument d’un revers de main («et la première guerre mondiale, tu crois que
c’était marrant?»), elle affirme que, oui, il est légitime, si c’est
ainsi que l’on perçoit les choses, de ne pas vouloir projeter un enfant
dans un monde où le climat se déglingue, où la violence sociale grandit,
où le racisme et l’intolérance se répandent et se banalisent, où des
salariés dorment sous les ponts: «Nous ne sommes pas égaux devant notre
ressenti face à l’incertitude du lendemain.» Elle-même confie sa
difficulté à dénouer le paradoxe qui consiste à «trouver la vie dure tout en la
donnant par amour». Etant donné son enchevêtrement d’horreur et de
beauté, qui pourrait prétendre trancher pour les autres le débat sur le
sens de la vie, et leur imposer un optimisme forcé? Ce qui n’empêche pas,
d’ailleurs, chez ceux qui refusent d’être parents, un certain hédonisme
au quotidien, ni même une passion de la vie, un refus absolu de se
sacrifier ou de forcer leur nature, qui motivent tout autant leur choix:
«La vie est un manège et nous ne sommes pas obligés d’enfourcher tous les
chevaux.»

Mona Chollet

Emilie Devienne, «Etre femme sans être mère – Le choix de ne pas avoir
d’enfant», Robert Laffont, 2007, 190 pages, 18 euros.
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buenaventura
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buenaventura


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MessageSujet: ...   périphéries EmptySam 4 Aoû - 10:49

GUILLEMETS: JOUFFROY, ILLOUZ, LEQUESNE
Le carnet de Périphéries
http://peripheries.net/article313.html

«Willa Cather est sans conteste l’un des plus grands écrivains
américains du XXe siècle. On ne le sait pas assez. Faulkner, lui, ne l’ignorait
pas. Un jour des années 1940, alors qu’il roulait en camionnette avec
Howard Hawks vers les Rocheuses pour aller chasser le coq de bruyère et
qu’ils parlaient littérature, Clark Gable, qui s’était joint à eux et
n’avait sans doute jamais lu un livre de sa vie, les interrompit et
demanda à Faulkner (qui, lui, n’allait jamais au cinéma, bien que
travaillant alors pour la Warner) quels étaient les grands auteurs américains
de leur temps. Faulkner lui répondit posément: John Dos Passos, Ernest
Hemingway, Willa Cather et moi. Pour la petite histoire, ajoutons que
Clark Gable s’écria sans malice: "Tiens! Vous écrivez, monsieur
Faulkner?" Avec la même ingénuité, Faulkner lui demanda en retour: "Vous,
monsieur Gable, qu’est-ce que vous faites dans la vie?"»

Frédéric Vitoux, «Viva Willa!», «Le Nouvel Observateur», 5 avril 2007
Citations, rubrique Echanges
http://www.peripheries.net/article32.html


«La fois suivante je l’ai invité à dîner. Chinois. Pour le tigre. Se
barbouiller les doigts de crevettes au sel et au poivre, l’espionner dans
ses choix. Poulet au curry! Mais quelle banalité Arnaud, regarde un
peu mieux, canard sauce thaï, essaye! Echappe-toi, sois curieux. Ça
pique? Sûrement, comme les orties, traîtreusement, tu ramasses des boutons
d’or dans un pré et tout à coup ta main foisonne d’un essaim de
fourmillements, le canard thaï c’est pareil, tu l’attaques, tu ne sens pas tout
de suite et puis le parfum et le piment t’envahissent. Je n’ai jamais
cueilli de boutons d’or. Dommage. Tu crois que c’est un handicap majeur
dans la vie? Ce qui est grave c’est de ne pas avoir appris à se piquer
avec des orties, les boutons d’or fanent vite, leurs pétales
commencent à se disperser dans ta main et le lendemain matin ils sont étalés sur
la table en dessous du vase comme une pluie d’or, sur les tiges il ne
reste que les étamines. Et la piqûre d’orties? Elle est passée avec les
fleurs fanées. Le soir ma mère nous faisait de la soupe avec. Les
boutons d’or? Mais non grand dadais, la soupe de boutons d’or c’est pour
les petites filles qui jouent à la dînette, de la soupe aux orties. Tu
racontes n’importe quoi, c’est des manigances de pythies, on ne fait pas
de soupe avec les orties. Bien sûr que si, et délicieuse en plus, ça
ressemble un peu à de la soupe à l’oseille. Jamais mangé non plus. Mais
qu’est-ce que tu manges? De la soupe Liebig en boîte, du jambon, des
pâtes, et du fromage blanc. C’est tout? A peu près. Jamais de restaurant?
Jamais, sauf le MacDo.

Normal qu’il ne sache pas faire l’amour, peut-être qu’en commençant par
des vapeurs, cinq merveilles, je parviendrai à l’introduire dans un
monde plus sensuel. Comment vivre sans boutons d’or ni soupe aux orties.
Sans pudding de Noël noir comme du cirage, confit de raisins et
d’écorces d’oranges: pendant la guerre on n’avait rien de ce qu’il fallait
pour le préparer mais Mamie se servait de pommes de terre à la place de la
farine, de figues sèches à la place des raisins, trouvait un fond de
cognac ou d’armagnac et ça marchait! Et le reste aussi marchait, malgré
la guerre. A cause du pudding, des valeurs de désir à conserver. Le
pudding de guerre de ma grand-mère aussi dérisoire dans sa fonction
d’ersatz que "Le Verfügbar aux enfers" de Germaine Tillon à Ravensbrück.»

Pomme Jouffroy, «Res nullius»
http://www.desfemmes.fr/ecrits/fictions/jouffroy_res.htm

Citations, rubrique (Cinq) sens
http://www.peripheries.net/article24.html


«Selon Erving Goffman, quand deux personnes sont en présence l’une de
l’autre, elles échangent deux types d’informations: celles qu’elles
donnent et celles qui leur échappent. D’après lui, dans une rencontre
réelle, ce sont les informations qui échappent aux gens qui sont
essentielles, et non celles qu’ils donnent volontairement. Les informations que
les gens laissent échapper malgré eux, si l’on peut dire, dépendent
beaucoup de la façon dont ils utilisent leur corps (voix, yeux, posture), ce
qui veut dire qu’une grande partie de nos interactions sont une sorte
de négociation entre ce que nous contrôlons consciemment et ce qui
échappe à notre contrôle. Cet écart, dans les interactions corporelles,
entre ce que nous disons, l’image que nous voulons donner de nous-mêmes,
et ce qui échappe à notre contrôle, veut dire qu’il est difficile de
décrire les aspects les plus importants de notre moi à l’aide de mots,
étant donné que c’est précisément ce dont nous ne sommes pas conscients
qui a le plus de chances de produire une impression significative sur la
personne que nous rencontrons.»

Eva Illouz, «Réseaux amoureux» (étude sur les sites de rencontre en
ligne), in «Les sentiments du capitalisme»

Citations, rubrique Echanges
http://www.peripheries.net/article32.html


«En reprenant les thèses de Vladimir Propp, Rafael Pividal admet
implicitement que tout sujet d’oeuvre littéraire est construit lui-même d’une
certaine manière, possède une certaine structure. En fait, pour Propp
l’ensemble de ces structures-sujets semble être fini et dénombrable –
il en fournit une liste exhaustive – proposition qui heurte curieusement
le sens commun de nombre d’apprentis écrivains, alors que nul apprenti
musicien ne se scandalise autrement de ne devoir composer le plus
souvent qu’avec une douzaine de notes. Mais dès 1916, le même Victor
Chklovski, qui fut un des maîtres de Vladimir Propp, en tirait un important
corollaire: observant les coïncidences existant entre contes espacés
parfois de plusieurs milliers d’années ou de kilomètres, il concluait
(dans "L’Art comme procédé"): "Les coïncidences ne peuvent s’expliquer que
par l’existence de lois spécifiques de l’affabulation. On aura beau
admettre des emprunts, on n’expliquera pas l’existence de contes
identiques à des milliers de kilomètres de distance. (...) En réalité les contes
se désagrègent et se recomposent constamment en vertu de lois
spécifiques et encore ignorées qui régissent l’affabulation." (...)

Aussi, avant d’annoncer la mort du roman et d’entreprendre (ou de
reprendre) l’exploration d’autres voies narratives, peut-on se demander si,
de même que le conte a manqué disparaître faute de conteurs pour en
perpétuer la tradition orale, le roman n’est pas menacé simplement de
périr faute de romanciers exercés au métier, et si la crise du sujet
précédemment évoquée ne relève pas tout bonnement d’une pure question de
technique.

(...)

Les formalistes russes, force est de le constater, ne sont pas beaucoup
mieux vus en France qu’ils ne le furent en leur temps en Union
soviétique. Le seul fait de chercher à décrire les principes généraux qui
gouvernent la composition d’un objet littéraire nous paraît une atteinte
intolérable à la liberté de créer, et se préoccuper de la forme d’une
oeuvre plutôt que de son contenu une attitude profondément réactionnaire.
Le fait est d’autant plus étrange que le contraire paraît généralement
admis dans tous les autres domaines des arts, y compris au cinéma. Il
paraît encore plus singulier, si l’on songe que la littérature la plus
en vogue actuellement en France – la littérature anglo-saxonne – a
assimilé depuis longtemps la leçon des formalistes et ne se prive pas d’en
appliquer, justement, ce qu’elle prend pour des recettes. Les
universités américaines dispensent un enseignement pratique de la littérature,
des écrivains y partagent leur expérience et leur métier: on peut y
apprendre à écrire une nouvelle ou un roman, aussi bien qu’à résoudre des
problèmes de physique par des méthodes d’analyse numérique. Mieux encore:
alors même que les travaux de Vladimir Propp demeurent objets de
suspicion en France, on les voit triompher à l’échelle (inter)planétaire, au
terme d’une "Guerre des étoiles" qui, de l’aveu même de son
réalisateur, en utilise toutes les ressources.

Quant à Kenzaburo Oe, prix Nobel de littérature, voici ce qu’il
écrivait dans un article paru dans "Le Monde diplomatique"
(http://www.monde-diplomatique.fr/1998/12/OE/11473 ) en 1998: "Si
l’Union soviétique a disparu, plusieurs de ses mouvements intellectuels si
brillants des années 20 ou 30 gardent toute leur pertinence et font
partie intégrante du patrimoine vivant du XXe siècle. Cela s’applique au
formalisme russe. Disons, pour simplifier les choses, que les mots de
l’écriture littéraire, par un procédé que les formalistes russes appelaient
ostraninie - rendre autre -, retardent la transmission du sens et
rendent cette transmission plus longue. Ce procédé permet de redonner aux
mots la résistance qu’ont les choses elles-mêmes au toucher. (...) Or je
dois confesser ici que ma vision du roman ou de la littérature en
général se fonde sur cette théorie de l’ostraninie."»

Paul Lequesne, «Victor Chklovski au secours de la littérature
française?», postface à «Technique du métier d’écrivain» de Victor Chklovski
http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/Technique-du-metier-d-ecrivain.html

Citations, rubrique Création
http://www.peripheries.net/article29.html

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MessageSujet: ..   périphéries EmptyLun 17 Mar - 12:15

Bonjour à tous,

A lire dans Périphéries:

SACRÉES ESPÈCES ET MENTEURS MENACÉS
L’entreprise, c’est la vie
http://peripheries.net/article316.html

Du kaki dans les yeux, des emmerdes plein la tête. Depuis des semaines,
à Bogny-sur-Meuse, dans une cuvette au fin fond des Ardennes, une
centaine d’ouvriers, parfois en tenue de camouflage, traquent leur dignité,
leur honneur ou leur fierté, chapardés par un patron-braconnier. Le
trou tombe en ruines ou - ça va plus vite - part en fumée. La mécanique
du piège s’avère grossière: en promettant la main sur le coeur de les
soigner, le viandard arrache les bêtes exténuées à la barre du tribunal
de commerce; il les dépèce (vente des stocks, des bâtiments, des
terrains et des rebuts, transformation des machines en ferraille) et, avec la
plus-value réalisée, se paie grassement, s’achète un meilleur couteau
et repart fureter dans les sous-bois des vallées ardennaises. Des fois,
pour le féliciter de son courage, de son zèle ou de son dévouement, les
autorités locales le couvrent de cadeaux; à force, il se constitue un
modèle réduit d’empire. Le rapace règne, il est le roi du boulon, dans
la bourgade même où, au milieu du XIXe siècle, la production
industrielle de boulons a été inventée. C’est qui, le patron?

Dans le capital comme dans la capitale, c’est peut-être bien la guerre,
c’est en tout cas du grand spectacle. Après avoir tergiversé pendant
des mois, Laurence Parisot, la présidente du MEDEF, pilonne le bunker où
est retranchée la «vieille garde» de l’UIMM, sa principale
fédération... Qui le lui rend bien en minant la route du triomphe vers un patronat
hyper-moderne, en froufrous roses et à la fraise tagada, voluptueux et
totalitaire. L’entreprise, c’est la vie, et d’abord l’inverse,
n’est-ce pas?

Dans les Ardennes, ça se gâte: l’empire s’est écroulé, l’argile l’a
englouti. Sur place, les licenciés en puissance, les vivants en sursis ont
le mauvais goût d’arguer que le braconnier avait la cote dans la
grande famille, chez les consanguins de l’UIMM et du MEDEF. Et réclament aux
organisations patronales une indemnité de 50.000 euros par personne.
Scandale dans le scandale. Ce ne sont pas deux histoires; ceci est un
carambolage.

Bonne lecture et à bientôt,

Thomas Lemahieu & Mona Chollet

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Et toujours:
«RÊVES DE DROITE -
DÉFAIRE L’IMAGINAIRE SARKOZYSTE»
Un essai de Mona Chollet
La Découverte, «Zones»
156 pages - 12 euros
En librairie depuis le 6 mars 2008
http://peripheries.net/article315.html

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