| | périphéries | |
| | |
Auteur | Message |
---|
caserio Langue pendue
Nombre de messages : 181 lieux interlopes : galères Date d'inscription : 29/01/2005
| Sujet: périphéries Sam 23 Avr - 11:22 | |
| GUILLEMETS Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt60.htm#braibant
"Guy Braibant, l'un des pères fondateurs de la Charte des droits fondamentaux, hésite encore à voter "oui" le 29 mai et s'en explique dans "La Croix" (14 avril): "Ce n'est pas la Charte initiale qui est incluse dans la Constitution (...). Des termes (...) ont été modifiés, en sorte que la portée des droits sociaux qu'elle contenait a été atténuée, assure cet ex-président de la section des Etudes au Conseil d'Etat. Nous avions fait de ces droits (droit à la santé, au logement, au travail, etc.) des obligations s'imposant aux Etats; dans la nouvelle rédaction, ce ne sont plus que des possibilités."
"Politis", 21 avril 2005 Citations, rubrique Politique http://www.peripheries.net/f-cit9.htm
"Ebaucher les chairs dans l'ombre avec tons chauds, tels que sienne brûlée, laque jaune et jaune indien, et revenir avec des verts tels que ocre - vert émeraude; de même les chairs avec tons chauds, ocre et blanc vermillon laque jaune, etc., ne pas craindre quand le ton de chair est devenu trop blanc par l'addition de tons froids de remettre franchement les tons chauds du dessous pour les mêler de nouveau. (...) La chair est une buveuse insatiable de lumière et une échangeuse de reflets inépuisable. Elle reflète tout et se reflète sur elle-même."
Eugène Delacroix, propos rapportés par George Sand, "Impressions et souvenirs" Citations, rubrique (Cinq) sens http://www.peripheries.net/f-cit4.htm
"Je m'excuse de m'exposer ainsi devant vous; mais j'estime qu'il est plus utile de raconter ce qu'on a éprouvé, que de simuler une connaissance indépendante de tout observateur. En vérité, il n'est pas de théorie qui ne soit un fragment, soigneusement préparé, de quelque autobiographie."
Paul Valéry, cité par Philippe Lejeune dans "Signes de vie - Le pacte autobiographique 2" Citations, rubrique Culture http://www.peripheries.net/f-cit1.htm
"C'est là, entre autres, que je vois bien que je ne suis pas Flaubert (!). Je ne pousse pas des cris de douleur en me roulant sur des canapés parce que la phrase ne vient pas. Elle vient toujours, je ne dois pas être assez exigeant..."
Philippe Lejeune, "Signes de vie - Le pacte autobiographique 2" Citations, rubrique Création http://www.peripheries.net/f-cit7.htm
"Avant d'amuser ma famille par mes poèmes, je l'avais tannée, vers 8 ans, par mes chicaneries juridiques. On m'a souvent raconté cette anecdote pour me prouver que ça remontait loin, que déjà petit je coupais les cheveux en quatre. Nous habitions près de Bordeaux une maison avec un grand jardin. Il paraît que je voulais absolument savoir si on avait le droit de conduire sans permis dans son propre jardin. J'avais déjà le goût de l'auto, dans tous les sens du mot, et je rêvais d'un territoire en "franchise", dans tous les sens aussi."
Philippe Lejeune (spécialiste du journal intime et de l'autobiographie), "Signes de vie - Le pacte autobiographique 2" Citations, rubrique Enfance http://www.peripheries.net/f-ci13.htm
"Je suis un obsessionnel volage."
Philippe Lejeune, "Signes de vie - Le pacte autobiographique 2" Citations, rubrique Identité http://www.peripheries.net/f-ci10.htm
LES PRAIRIES ORDINAIRES http://www.peripheries.net/crnt60.htm#prairies Une nouvelle maison d'édition, créée par Rémy Toulouse (un inconnu pour nous, mais qui a d'ores et déjà toute notre sympathie), nous invite à gambader dans les "prairies ordinaires", ces espaces "à reconquérir sur le spectaculaire, le pseudo-extraordinaire, dont les discours dominants tâchent de nous faire croire qu'ils sont les moments intenses et vrais de nos vies. A l'inverse, nous voulons rappeler que ce sont ces prairies nourricières qui nous constituent, que ce sont elles que nous devons remobiliser, réinvestir pour prendre la mesure de l'oppression, de l'ennui et de l'inauthenticité que ce discours entretient sur nous. C'est au creux de notre quotidien, au coeur de notre environnement ordinaire qu'il faut chercher la nature de la réalité sociale et les conditions d'une appropriation du monde."
Les deux premiers titres parus, deux livres d'entretiens, l'un, "Faire mouvement", d'Eric Hazan avec Mathieu Potte-Bonneville (de la revue "Vacarme": http://www.vacarme.eu.org ), et l'autre, "Quel bruit ferons-nous?", de l'historienne Arlette Farge avec le compositeur Jean-Christophe Marti, tiennent pleinement cette promesse. Puisant dans des filons de la vie intellectuelle française aussi discrets que riches, ils sont beaux, soignés mais pas léchés, et articulent de façon passionnante l'autobiographie (les petits interludes, mêlant chronique intimiste et photo, dans "Quel bruit ferons-nous? ", sont un régal), l'engagement et l'érudition (toujours vivante, accessible). Le temps long, le repli des auteurs sur leurs spécialisations et leurs marottes propres, y épousent l'urgence de l'action politique et l'attention panoramique à l'époque. On avoue un faible pour le livre d'Eric Hazan, intellectuel d'une radicalité ébouriffante, éditeur (la Fabrique) et écrivain ("L'Invention de Paris" au Seuil, "Chronique de la guerre civile" à la Fabrique: le premier, dit-il, lui a attiré autant de louanges que le second d'hostilité), ancien chirurgien, porteur de valises durant la guerre d'Algérie et militant de longue date de la cause "palestino-progressiste". [M.C.]
"La première période de l'histoire des femmes fut qualifiée de peu intelligente, jusqu'à l'arrivée de ces cinq volumes ["Histoire des femmes en Occident", dirigé par Georges Duby et Michelle Perrot, auquel a contribué Arlette Farge] qui ont changé la donne. Le regard porté par la communauté des historiens était à peu près le suivant: "Elles veulent nous castrer, alors que nous ne demandons qu'à leur faire l'amour." Evidemment, je plaisante et caricature un peu, mais il y avait de cela..."
Arlette Farge, "Quel bruit ferons-nous? " Citations, rubrique Sexes http://www.peripheries.net/f-cit8.htm
"On peut considérer que notre mémoire collective a été bien davantage celle de la représentation d'un corps en échange poreux avec le "cosmos", comme avec le sacré, le diable - puisqu'à cette époque on croit que le corps peut être aussi bien le lieu du malin que celui de Dieu - ou le roi, nourrie de l'idée que l'on ne faisait partie que d'un seul corps. De nos jours, l'idée de la stricte séparation des corps, de leur individualisation, est complètement assimilée, mais il faut bien comprendre qu'elle n'est vieille que d'environ deux cents ans."
Arlette Farge, "Quel bruit ferons-nous? " Citations, rubrique Identité http://www.peripheries.net/f-ci10.htm
"Ces changements de vocabulaire font violence à la pensée et à la création. Lorsque des experts expliquent que l'économie actuelle et la mondialisation sont "incontournables" sans rien préciser d'autre, c'est en fait d'une extrême violence. "Incontournable", voilà un des mots clefs qui somment celui qui les reçoit de rester immobile."
Arlette Farge, "Quel bruit ferons-nous? " Citations, rubrique Politique http://www.peripheries.net/f-cit9.htm
"Si vous me demandiez de définir d'un mot ce que je suis, je dirais: "communiste". La démocratie libérale, qu'Alain Badiou appelle le capitalo-parlementarisme, ne peut fonctionner "pacifiquement" que par la fragmentation. Fragmentation du corps social éclaté en consommateurs individuels, en entrepreneurs d'eux-mêmes; fragmentation du corps humain en organes indépendants par une médecine victime de son asservissement à toutes sortes d'industries; fragmentation de l'information, répartie en rubriques étanches par les journalistes du maintien de l'ordre. Sans compter les bombes à fragmentation, spécialement étudiées pour les populations civiles. Se dire communiste, à mon sens, c'est travailler au déblaiement de ce champ de décombres pour pouvoir y construire du commun."
Eric Hazan, "Faire mouvement" Citations, rubrique Politique http://www.peripheries.net/f-cit9.htm
"La politique est davantage affaire de formes de vie que de prise de pouvoir."
Eric Hazan, "Faire mouvement" Citations, rubrique Politique http://www.peripheries.net/f-cit9.htm
"De même que sous le régime colonial, la France a autrefois construit des distinctions entre les populations indigènes, les a dressées les unes contre les autres - la loi Crémieux, qui donnait aux juifs algériens la nationalité française en 1871, en est un bon exemple -, de même, dans la France d'aujourd'hui qui reste un Etat colonial, on parle des "ravages du communautarisme" en utilisant un discours faussement universalisant. Pourquoi quelqu'un comme moi, dont les parents ont été naturalisés en 1946, n'est-il pas considéré comme un immigré de la deuxième génération? Comment les descendants d'immigrés des anciennes colonies ne seraient-ils pas amers de voir que l'on distingue l'antisémitisme des autres formes de racisme? Cette distinction s'appuie sur une histoire dont les descendants de colonisés ne sont pas responsables, à savoir la collaboration française au nazisme. Il faut voir dans tout cela une volonté de séparer des minorités dont l'alliance serait une menace pour l'ordre existant."
Eric Hazan, "Faire mouvement" Citations, rubrique Politique http://www.peripheries.net/f-cit9.htm
Ce message est envoyé à 2128 abonnés.
En cas de changement d'adresse, merci de vous désabonner au moyen du lien ci-dessous, puis d'inscrire votre nouvelle adresse sur le formulaire de notre page d'accueil.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net/ | |
| | | caserio Langue pendue
Nombre de messages : 181 lieux interlopes : galères Date d'inscription : 29/01/2005
| Sujet: ... Sam 23 Avr - 12:20 | |
| UNE FENÊTRE DE TIR Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt60.htm#fenetre
Mais qu'est-ce qui m'arrive?
Il y a quelques mois encore, je n'aurais jamais cru pouvoir me passionner pour un sujet aussi directement politique que la Constitution européenne (avec cette ironie que je n'ai même pas le droit de vote dans ce pays, moi!). J'expliquais en long et en large pourquoi le militantisme, avec ses réflexes archaïques, ses dénonciations simplistes, ses slogans usés, me semblait impuissant à nous sortir de l'ornière; incapable de calquer mon temps sur le temps collectif d'une quelconque mobilisation, ayant un besoin viscéral de m'absenter, de ne jamais être là où on m'attend - à l'heure dite, au lieu dit d'une réunion ou d'une manifestation -, je revendiquais mon droit à me sentir à la fois plus utile et plus heureuse en me perdant dans mes lectures, en m'autorisant à m'abstraire de l'actualité immédiate... Est-ce que j'aurais changé d'avis?
Un référendum a l'avantage de n'impliquer aucune délégation de pouvoir, aucun plan sur la comète, aucune couleuvre à avaler
Non. Pas du tout. Mais voilà: avec cette campagne référendaire, avec la prise de conscience par un nombre croissant de citoyens, semble-t-il, de la trahison de leur idéal européen, et de la nécessité de mettre un coup d'arrêt à la construction européenne dans ses modalités actuelles, j'ai l'impression de vivre un moment historique. Et la politique, pour un temps, au moins, retrouve tous ses charmes - pour une foule de raisons. D'abord, parce qu'un référendum, ce n'est pas une élection. Lors d'une élection, l'espoir que manifestent les citoyens, les revendications qu'ils tentent de faire entendre, restent tributaires de l'action future de ceux à qui ils accordent leur confiance. Or, depuis des décennies, ils ont été déçus. Ces déceptions successives, l'inadéquation croissante de leurs attentes et de l'offre politique, ont causé des désastres spectaculaires, comme le 21 avril 2002, mais aussi des ravages plus insidieux, amenant chacun à se méfier de ses propres aspirations, lui inculquant une sorte de haine de soi-réflexe, qui se manifeste chaque fois qu'il se prend à espérer que quelque chose puisse s'améliorer. Un référendum a cet avantage de n'impliquer aucune délégation de pouvoir, aucun plan sur la comète, aucune couleuvre à avaler. On n'a besoin de personne: on peut dire non soi-même, au lieu d'élire quelqu'un dont on espère qu'il aura le courage de le dire. Cette campagne nous aura au moins appris ça: quoi qu'on ait pu dire de leur déclin, au fond, notre goût pour la politique, notre sens et notre souci de l'intérêt général, sont intacts. Il ne s'en faut pas de grand-chose pour faire tomber les cloisons érigées entre nos vies par l'individualisme triomphant: pour peu qu'on ait le sentiment de pouvoir réellement se faire entendre et peser sur les décisions, on est capable de s'investir ardemment dans le débat politique.
Dans "La sorcellerie capitaliste" (La Découverte, voir http://www.peripheries.net/g-pignsteng.html ), Philippe Pignarre et Isabelle Stengers parlent très bien de cette gestion de l'impuissance, entre ruses d'hypnotiseurs, chantage pervers et rodomontades intimidatrices, à laquelle se réduit l'exercice du pouvoir aujourd'hui. Ils résument le discours des dirigeants politique depuis deux bonnes décennies par cette phrase: "Je vais vous expliquer les contraintes inexorables auxquelles notre action est soumise." Ils y voient le principal verrou à faire sauter. Or, bien qu'ils n'en parlent pas, ces "contraintes inexorables", que le gouvernement s'en désole sincèrement - quand il est de gauche - ou hypocritement - quand il est de droite -, bien souvent, c'est de Bruxelles qu'elles viennent, réellement ou symboliquement... Dans "Europe, la trahison des élites" (Fayard), Raoul Marc Jennar, Européen fervent, partisan déçu de la construction européenne, balaie les minauderies euphémisantes qui parlent de "déficit démocratique": en réalité, ce qui est en train de se jouer, écrit-il, c'est "l'abandon du principe de la souveraineté populaire si chèrement conquis en 1789". ("Populaire": entendez-vous les sonorités désuètes de ce mot, discrédité par la cohabitation constante qu'on lui impose avec "populisme"?) On voit aboutir "le projet inavouable, entamé en 1957, de revenir sur plus de deux cents ans de conquêtes politiques et sociales, par le haut, en construisant au-dessus des Etats une autorité qui s'impose à eux, qui réduit les acquis démocratiques et détruit les progrès sociaux de manière irréversible".
Depuis des années, on encaisse les ravages du libéralisme sans qu'on nous demande jamais notre avis. Et voilà, chose inouïe, qu'on nous pose la question: voulez-vous en reprendre pour cinquante ans?...
Cette confiscation de la souveraineté populaire implique qu'à la politique se substitue, comme le font encore remarquer Pignarre et Stengers (sans parler directement de l'Europe, encore une fois), la "pédagogie" - et, qui plus est, une pédagogie mensongère. "Pédagogie": vous l'aurez remarqué, les partisans du oui n'ont que ce mot à la bouche... Michèle Fitoussi, dans un éditorial du magazine "Elle" (28 mars 2005), a remporté la palme en la matière, qualifiant les électeurs d'"enfants" qui en seraient restés au "stade du non", et les politiques, d'"éducateurs" ayant encore des progrès à faire pour mater ces insupportables mouflets (voir, sur le site d'Acrimed, "Le magazine "Elle" et la pédagogie de pointe": http://www.acrimed.org/article1975.html ).
Mais comment Chirac a-t-il pu ne pas se rendre compte de ce qu'il faisait en organisant ce référendum? Fallait-il qu'il soit aveuglé par ses visées tacticiennes pour ne pas voir l'opportunité qu'il offrait à l'électorat (dissolution, bis!)... Depuis des années, celui-ci encaisse les ravages du libéralisme sans pouvoir, sans savoir comment se défendre, et sans qu'on lui demande jamais son avis; un libéralisme dont l'Union européenne, loin de représenter un contre-modèle face à l'hégémonie américaine, est au contraire un puissant relais. Et voilà, chose inouïe, qu'on lui pose officiellement la question: voulez-vous en reprendre pour cinquante ans (au bas mot, puisque, avec l'unanimité requise des vingt-cinq membres, cette Constitution serait la plus difficile à modifier au monde)? Voulez-vous vivre à perpétuité sous le régime de la "concurrence libre et non faussée"?... Et on s'étonne qu'un nombre significatif de citoyens se déclarent prêts à saisir l'opportunité de cette fenêtre de tir inespérée qui se présente!
"Les tenants du non se croient à Eurodisney!" Martin Schulz, président du Parti socialiste européen
Mais qu'est-ce qu'ils s'imaginent, ceux-là? Ils recommencent à croire au Père Noël? Au Grand Soir?... Vraisemblablement, non. Vraisemblablement, ils se contentent de savourer une situation qui, justement, échappe à la fois aux promesses d'un grand soir éternellement ajourné, mais pour lequel il faudrait être prêt à tous les sacrifices, et à la résignation à laquelle on les assigne (ou à laquelle ils s'assignent eux-mêmes). Une situation franche et claire, comme on n'en a pas connue depuis... Depuis quand, déjà? On leur pose une question, et ils vont pouvoir y répondre. C'est tout. C'est énorme. Mais il n'empêche: c'est intolérable pour leurs garde-chiourmes politiques et médiatiques, qui n'avaient pas prévu qu'ils pourraient répondre autre chose que ce qu'on leur disait de répondre. Et qui ressortent aussi sec leur bon vieux chantage au réalisme (que je connais bien, pour l'avoir étudié de près... Voir http://www.peripheries.net/tyrannie.htm ), toujours prêt à servir. Ils martèlent qu'une victoire du non ne servirait à rien, ne remettrait rien en cause, ne mènerait qu'à l'impasse, ou à un texte encore pire; une sorte de haine rageuse souffle dans leurs propos. "Les tenants du non se croient à Eurodisney!" assène Martin Schulz, président du Parti socialiste européen ("Libération", 23 mars 2005). Dans "Charlie Hebdo" (6 avril 2005), Philippe Val qualifie de nostalgiques du totalitarisme et d'idéalistes dangereux ceux qui jugent contre-nature le concept d'une Constitution libérale: "Certes, la Constitution n'est pas assez socialiste, surtout si l'on entend par là qu'elle ne permet pas l'instauration d'une économie planifiée, comme celle qui, autrefois, a fait le succès de l'Albanie ou qui fait encore la réussite sans précédent de la Corée du Nord." Même Claude Imbert ou Alain-Gérard Slama n'auraient pas osé (enfin... là, je m'avance peut-être un peu). | |
| | | caserio Langue pendue
Nombre de messages : 181 lieux interlopes : galères Date d'inscription : 29/01/2005
| Sujet: ... Sam 23 Avr - 12:21 | |
| Dans le numéro du 13 avril, Val recycle pour la énième fois sa théorie de l'impureté (il faut préférer l'impureté, inhérente à la vie, à la pureté malsaine qui obsède certains militants: idée intéressante, quand elle ne sert pas à Philippe Val à justifier ce qu'il est devenu): "Ce qui devrait nous rendre méfiants vis-à-vis des arguments du non, écrit-il, c'est leur pureté. Ils sont contre tout ce qui est mal: les OGM, la misère, la perte d'identité, le chômage, l'injustice, la disparition des valeurs, l'impérialisme américain, la dictature des marchés - toutes choses qui n'ont rien à voir, une fois de plus, avec l'adoption d'une Constitution européenne [avec cette Constitution-ci, un peu, tout de même!]." C'est vrai: jetons-nous gaiement dans la fosse à purin libérale, adorons les OGM et l'impérialisme américain, au moins, on sera sûrs d'échapper au risque de la pureté! A quelles contorsions intellectuelles et détournements de concepts on en est réduit, décidément, quand on doit justifier le goût qu'on a pris aux dîners en ville... (Comme je ne lis plus "Charlie Hebdo" depuis longtemps, sauf accident malheureux, les citations sont de seconde main. Lire: "Constitution européenne: Philippe Val entre en religion": http://fabienma.club.fr/annu-art/articles/europe-non.htm ) Bientôt, même les revendications les plus élémentaires seront renvoyées à un irréalisme béat. Vous voulez manger à votre faim sans ployer sous le knout quatorze heures par jour? Vous n'êtes pas milliardaire et vous voulez un toit au-dessus de votre tête? Mais vous rêvez, pauvres naïfs! Vous êtes des nostalgiques de Staline, c'est sûr! Cette manière qu'ont certains de nous faire rentrer dans la gorge nos aspirations et nos refus les plus humbles pourrait suffire à justifier que l'on vote non. Et je suis très sérieuse.
Certains tenants du oui se posent en martyrs de la clairvoyance sobre et rigoureuse, ayant lu le texte, eux, face à des Gaulois braillards et désordonnés, livrés à leurs interprétations fantaisistes et à leur ivresse de l'opposition systématique
Mais ce n'est pas la seule raison, bien sûr. La Charte des droits fondamentaux (partie II), outre qu'elle n'octroie que des droits très médiocres ("droit de travailler" et non "droit au travail", "droit d'accéder à un service de placement" quand on est au chômage mais pas droit au revenu, "droit de se marier et de fonder une famille" mais pas droit au divorce, "droit à la vie" mais pas droit à l'avortement ni à la contraception, etc.), n'a pas force de loi: il est bien spécifié aux articles II-111 et II-112 qu'elle "ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l'Union", et qu'elle s'adresse aux Etats "uniquement quand ils mettent en oeuvre le droit de l'Union" (quand ils transposent une directive). La charte ne peut être invoquée devant un juge que pour contester les modalités de cette transposition: un citoyen, en admettant qu'il vive dans un pays où il bénéficie de droits moindres, ne peut s'y référer pour se défendre. Enfin, "les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte": aucune harmonisation par le haut, donc. La mission d'harmoniser les systèmes sociaux est laissée aux bons soins du marché (III-209), ce qui les tire inévitablement vers le bas... En revanche, la partie III, qui fixe les politiques économiques, est, elle, totalement contraignante! Les mentions récurrentes, insistantes, de la "concurrence libre et non faussée", l'interdiction de toute restriction aux mouvements de capitaux (III-156), alors qu'une Constitution, par définition, doit pouvoir servir de cadre à des politiques de droite comme de gauche, suffisent elles aussi, à nos yeux, à rendre ce texte rédhibitoire. Ajoutons que la Commission conserve un pouvoir exorbitant, puisqu'elle seule a l'initiative des lois (I-26; le Parlement ne l'a pas); que le droit de pétition est un bobard, puisque les signatures d'un million de citoyens de l'Union ne servent qu'à "inviter" la Commission à examiner leur requête, et qu'il faut que l'acte juridique réclamé soit "nécessaire aux fins de l'application de la Constitution"... Bonjour la grande fête démocratique!
Certains tenants du oui commencent à se poser en martyrs de la clairvoyance sobre et rigoureuse, ayant lu le texte, eux, face à des Gaulois braillards et désordonnés, livrés à leurs interprétations fantaisistes et à leur ivresse de l'opposition systématique, qui vont faire d'eux, à leur corps défendant, la honte de l'Europe tout entière (il y en a, pourtant, des étrangers qui n'ont pas été consultés dans leur pays, et qui comptent sur le vote français pour exprimer leur opposition; ils étaient présents à la manifestation européenne de Bruxelles le 19 mars dernier, dans les forums sociaux, au meeting du Zénith... Pourquoi on ne les entend jamais dans les médias?) Philippe Val ose écrire: "L'autre procédé rhétorique des partisans du non consiste à dire qu'on les diabolise. En réalité, tout le monde leur court après (...) parce qu'ils sont plus rigolos [ça, c'est sûr!] que les partisans du oui, qui n'intéressent personne." Les calculs de l'émission "Arrêt sur images", sur France 5, sont pourtant formels: au cours du premier trimestre, le nombre d'intervenants à la télévision sur la Constitution a été, toutes émissions confondues, de 29% pour le non et de 71% pour le oui. A croire que les partisans du oui intéressent quand même un peu de monde... Les journalistes, en tout cas. Les éditorialistes, dans leur écrasante majorité, sont pour le oui. Les sondages ont beau donner gagnants les tenants du non, ce sont bien eux qui subissent un matraquage continuel, et non ceux du oui. Etrange, ce besoin de se poser en minorité opprimée, comme si ça prouvait de manière irréfutable qu'on était dans le vrai... Comme si on cherchait à adopter la posture la plus valorisante, davantage qu'à se forger une opinion sur le fond des choses.
"On nous dit que les Français doivent lire la Constitution. Vous pensez, c'est un texte de 300 pages! Moi-même, je ne l'ai pas lue!" Malek Boutih, 28 septembre 2004
Il y a quelque chose de stupéfiant et d'inquiétant dans ce fossé qui se creuse entre l'opinion et les élites. Les secondes semblent foncièrement incapables de comprendre l'inquiétude que cause, chez les électeurs, un texte d'essence libérale, comme si le libéralisme leur était devenu aussi naturel et invisible que l'air qu'elles respirent. Mais cela ne suffit pas à expliquer le désarroi et la panique qui s'emparent d'elles ces jours-ci. En jetant ce référendum dans les pattes des socialistes pour semer sa zone (ce qui a pleinement réussi, certes), Chirac n'avait pas prévu qu'il mettrait aussi son propre camp en déroute. Dans les médias aussi, la perte de sang froid est générale. Bernard Guetta, éditorialiste à France-Inter et à "L'Express", traumatisé par la virulence des e-mails de protestation qu'il reçoit, s'épanche dans le quotidien suisse "Le Temps" (16 avril 2005) sous le titre "Mai 68, la haine en plus" (http://www.letemps.ch/template/opinions.asp?page=6&article=153786 ): "Il se passe quelque chose en France, écrit-il. Quand des éditorialistes qui défendent, contre vents et sondages, le oui au projet de Constitution européenne reçoivent quotidiennement des paquets de lettres et de couriels pleins d'une fureur vengeresse, il se passe quelque chose qui va bien au-delà de la seule installation du non dans l'opinion." Pour expliquer le phénomène, il bat le rappel de ses pauvres raisons d'éditorialiste.
Curieusement, tout le monde semble pris au dépourvu par cet événement incroyable: les gens lisent et jugent eux-mêmes la Constitution. Ils n'abandonnent plus cette tâche aux professionnels de la profession de l'analyse politique. "La mobilisation, les conversions se font de bouche à oreille, amplifiées par Internet, ses "chats", ses "blogs" et ses méticuleuses et fausses analyses du projet qu'on y trouve à foison", se lamente encore Bernard Guetta. Défense acharnée de ses prérogatives de médiateur, diabolisation d'Internet-où-n'importe-qui-peut-dire-n'importe-quoi alors que les médias traditionnels, c'est bien connu, sont infaillibles (le RER D, c'était sur Internet?), assignation de la masse anonyme à la seule fonction d'écoute et d'approbation respectueuse: pour les vieux routards du Web indépendant, notamment du Minirézo, tout cela a des résonances familières...
Ce qui arrache des cris d'orfraie à nos élites, ce ne sont rien d'autre que des signes de vitalité démocratique
Visiblement, que les citoyens se mêlent de ce qui les regarde, ce n'était pas prévu au programme. En septembre dernier, Malek Boutih, en charge des questions de société au Parti socialiste, avait eu cette sortie admirable: "On nous dit que les Français doivent lire la Constitution. Vous pensez, c'est un texte de 300 pages! Moi-même, je ne l'ai pas lue! Parce que ce n'est pas le problème. Le problème, c'est: stop ou encore?" ("L'Humanité", 29 septembre 2004) Il faut que Malek Boutih se méfie: si ça continue, il va bientôt être le dernier en France à ne pas avoir lu la Constitution... Prise de court, la classe politique et médiatique réagit avec violence, ne se maîtrise plus, et trahit le mépris profond, sans doute en partie inconscient, dans lequel elle tient ses électeurs ou son public; c'est peut-être ce qui explique que, dans ses efforts désespérés pour rattraper la situation, elle ne réussisse qu'à aligner les gaffes...
Quoi qu'il arrive le 29 mai, cette campagne laissera des traces profondes. Le refus de cautionner plus longtemps les dérives de la construction européenne actuelle; les mobilisations sociales et le ras-le-bol d'un libéralisme dont on a beau jeu de dire, contre l'évidence, qu'il n'a "rien à voir", dans son expression nationale, avec la Constitution; l'habitude nouvelle, prise avec Internet, de ne plus laisser aux spécialistes le soin de penser à leur place: ce qui arrache des cris d'orfraie à nos élites, ce ne sont rien d'autre que des signes de vitalité démocratique dont il y a tout lieu de se réjouir (du moins quand on est attaché à la démocratie réelle, et non à celle qu'exporte George Bush). Tout semble se conjuguer pour indiquer qu'un bon nombre de gens, dans ce pays, ont une envie dévorante de reprendre pied dans l'Histoire. C'est peut-être pour ça qu'on se sent aussi bien?
Mona Chollet
Voir aussi, sur "Résurgences", le superbe texte de Jean Sur, "Oui, je dirai non": http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/non.htm
... Et le dossier "Constitution européenne" sur Rezo.net: http://rezo.net/dossiers/constitution
Ce message est envoyé à 2110 abonnés.
En cas de changement d'adresse, merci de vous désabonner au moyen du lien ci-dessous, puis d'inscrire votre nouvelle adresse sur le formulaire de notre page d'accueil.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net/ | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: .. Lun 6 Juin - 15:21 | |
| UN PAYS SANS MIROIRS Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt62.htm#miroirs
Tout au long de la campagne, quand on devait se fader à longueur de journée, sur toutes les antennes et dans les colonnes de tous les journaux (rappelons que seuls «l’Huma», «Politis», «Regards» et «le Monde diplomatique» avaient pris position pour le non) les inepties et les injures des éditorialistes oui-ouistes, on se consolait avec cet espoir confus, à peine formulé: si le non passe, alors, ils comprendront... Avec le recul, évidemment, c’était d’une naïveté inouïe. Mais à quoi d’autre pouvait-on se raccrocher, puisque le suffrage universel était le seul moyen d’expression dont disposait ce peuple muet, condamné au seul rôle de cible «pédagogique», pour répliquer à ceux qui l’admonestaient avec tant de docte suffisance? Il y avait aussi le courrier des lecteurs et les antennes ouvertes, d’accord, mais ces moyens sont, par définition, trop subordonnés aux supports qui les octroient généreusement pour faire office de contrepoids réel. Quant à Internet, les poissons du bocal médiatique ne s’aventurent presque jamais dans ce marigot, car il paraît, figurez-vous, ô abomination, qu’on n’y dit pas toujours la vérité. Brrrr! Ça doit être un endroit terrifiant. Pour vous et moi, qui sommes habitués à raconter des bobards, voire qui mentons comme nous respirons, passe encore; mais pour des professionnels de la vérité, il y a là quelque chose qui heurte la sensibilité.
Qu’ils aient presque tous pris position pour le oui, c’était déjà inquiétant, certes. Mais ça n’aurait peut-être pas été aussi grave s’ils avaient au moins donné un reflet fidèle des termes du débat. Ce qu’il y a de vraiment flippant, ce sont les analyses du vote qu’ils persistent à nous infliger, aussi pertinentes que si elles étaient formulées par des Martiens en goguette sur la Terre avec des traducteurs automatiques martien/français défectueux. Alors que, avec toute la rancoeur qu’on avait accumulée en trois mois, on se faisait une joie revancharde de savourer leur déconfiture, dimanche soir, les débats télévisés qui ont suivi l’annonce des résultats ont été bizarrement frustrants; la matinale de France-Inter, le lendemain, aussi. Il a bien fallu se rendre à l’évidence: la bulle dans laquelle vivent ces gens-là n’avait pas éclaté. Cette fois, c’est sûr: ils ont décroché, ils sont en roue libre. Leurs pseudo-analyses se nourrissent de leurs préjugés, de leurs certitudes d’officines et des pseudo-analyses de leurs confrères: de rien d’autre. Quand ils n’ont pas la franchise d’insulter leurs auditeurs, ils louvoient, ils esquivent, ils noient le poisson, ils se rassurent, ils se justifient. Et il faut encore qu’on les écoute se la raconter. «Si nous méritons la confiance de nos lecteurs, c’est en raison non pas de notre infaillibilité mais de notre liberté», se dédouane Jean Daniel dans «le Nouvel Observateur», transformé ces dernières semaines en machine de guerre pour le oui, et dont toute la rédaction en chef semble redécouvrir en choeur les vertus de la méthode Coué. Bla, bla, bla, bla, bla... Depuis dimanche soir, je me rends compte que tout ce que j’entends à la radio et à la télévision, ainsi qu’une bonne partie de ce que je lis, me révolte ou m’indiffère, au choix. Je suis ailleurs – et j’ai vaguement l’impression que je ne suis pas la seule. Ils sont dans leur monde, et au moins 55% de la population française est dans le sien.
Une population bornée, nombriliste et butée, contre des élites pro-européennes, audacieuses et désintéressées? C’est drôle, mais on a plutôt l’impression que c’est exactement l’inverse!
Parmi toutes les explications possibles au fait que les Français aient refusé ce projet de Constitution européenne, il y en a une qu’on n’entend quasiment pas évoquer: leur désaccord avec ce projet de Constitution européenne. C’est là une hypothèse audacieuse, j’en conviens; mais, quand même, ne faudrait-il pas l’envisager? Au lieu de ça, il semble aller de soi qu’ils ont voté non pour manifester leur hostilité à Chirac et à Raffarin; on insinue – ou on assène – qu’ils sont incapables de relever le nez de leurs navrants petits soucis quotidiens (du genre chômage, précarité, disparition des services publics et autres peccadilles) pour tourner leur trogne de bouseux probablement avinés vers les sublimes horizons européens qu’était censée leur ouvrir cette Constitution, malgré les efforts désespérés et méritoires de leurs élites pour leur élever l’âme, à ces ingrats. Déjà, interprétant le désaveu comme un désintérêt, on invoque, pour l’expliquer, le déficit d’information sur l’Europe dans les médias. «En France, nous sommes quand même très peu à nous intéresser à l’Europe», se désolait Christine Ockrent à la télévision lundi soir, tandis qu’à la veille du scrutin, un sondeur déclarait que la principale caractéristique du débat en France était qu’on n’avait «jamais parlé du fond»: on croit rêver...
Une population bornée, nombriliste et butée, contre des élites pro-européennes, audacieuses et désintéressées? C’est drôle, mais on a plutôt l’impression que c’est exactement l’inverse! S’il fallait une preuve du fait que le souci de l’Europe était plutôt du côté des partisans du non, on l’a eue dimanche soir, sur les plateaux de télévision: alors que l’UMP touillait déjà la cuisine interne de son remaniement ministériel et que le PS affûtait ses longs couteaux, Marie-George Buffet était la seule à parler encore de l’Europe; et, de toute évidence, elle emmerdait tout le monde, celle-là, avec son Europe. Comment peut-on ne pas voir avec quelle passion ce texte, au cours de la campagne, a été lu, trituré, disséqué, discuté? Au café, dans les réunions entre amis, au travail, sur Internet, partout les gens se déchiraient pour une divergence sur un alinéa, s’envoyaient des articles à la tête, confrontaient leurs interprétations, et on continue à déplorer qu’ils ne s’intéressent pas à l’Europe! Du coup, on chialerait presque de reconnaissance en lisant, dans «le Nouvel Observateur» (mais si!), le papier, lumineux de bout en bout, de Jean-Claude Guillebaud (qui, pourtant, si on a bien compris, «inclinait pour le oui»; comme quoi...). «En s’invitant dans le processus européen, écrit-il, les citoyens ont littéralement transformé le statut symbolique et politique de l’Europe. Ils en ont fait, pour la première fois, un espace public, concret, discernable. Le «plus» d’Europe sera paradoxalement passé par le non. C’est ainsi. Le pari que nous faisons ici consiste à penser que cette transformation substantielle est un acquis si extraordinaire qu’il contrebalance les éventuels retards que le non français fera prendre in concreto aux procédures. Sur le long terme, un tel enrichissement démocratique, une telle transmutation symbolique ne sont-ils pas plus importants que le simple timing procédural? On disait, hier encore, que le premier handicap du projet européen tenait à l’absence ou au désintérêt des citoyens? Or ces derniers, à l’improviste, se sont imposés comme partie prenante de l’affaire. D’une certaine manière, tout est changé en Europe. Qui s’en plaindra?» Oh! Beaucoup de monde, visiblement... Mais peu importe. Merci, Jean-Claude Guillebaud.
Bien sûr, parmi les Français qui ont voté oui, comme la grande majorité des électeurs UMP, aucun ne trouve qu’il y a trop d’étrangers en France...
A l’inverse, si les autres commentateurs sont incapables de désigner une autre cause que l’hostilité à Chirac et Raffarin, ne serait-ce pas parce qu’ils prennent leur cas pour une généralité, et qu’eux-mêmes ne voient pas plus loin que leur petit horizon hexagonal et leur petite tambouille politicienne? Déjà, ils n’ont toujours pas compris que ce scrutin n’était pas une élection, mais un référendum, c’est-à-dire une consultation des citoyens par-dessus la tête de leurs représentants politiques, qui jouent ici un rôle secondaire. «Pour la première fois, dimanche, | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Lun 6 Juin - 15:22 | |
| le chef du FN a voté comme la majorité des Français», écrit sinistrement Jacques Julliard dans «le Nouvel Observateur». Mais Le Pen était aussi contre la guerre en Irak, et pourtant, personne ne nous a expliqué à l’époque qu’il fallait approuver l’aventure anglo-américaine pour éviter que le chef du FN ne pense «comme la majorité des Français»! Dans un dessin odieux de «l’Express», Plantu représente les hommes et femmes politiques ayant pris position pour le non (Le Pen, Villiers, Fabius, Buffet, Besancenot, Chevènement, etc.) rassemblés autour d’une table, en compagnie de Chirac et... d’un clochard, apparemment pour démontrer le côté hétéroclite, bras cassé et, pour tout dire, peu fréquentable de la coalition victorieuse. Etroitesse de vues, encore: trois jours avant le vote, sur France Culture, François Hollande, qui vantait depuis plus de six mois les mérites ébouriffants de cette Constitution, sidérait tout le monde en déclarant tout à trac que, si Chirac avait mis son mandat en jeu, le PS aurait appelé à voter non. Et maintenant, il va partout pleurnichant que Fabius, Emmanuelli, Mélenchon et les autres ont triché, qu’ils ont bafoué la discipline du parti, trahi le vote des militants, que c’est pas du jeu, et tout ça. En voilà, une réaction à la hauteur de la situation... L’horizon de Hollande, pour sa part, ne s’étend même pas jusqu’aux frontières de la France: il s’arrête aux grilles du siège du PS, rue de Solférino, dans le septième arrondissement de Paris.
On savait déjà que ces salauds de musulmans étaient tous antisémites; maintenant, avec le racisme de classe irrépressible qui, le désarroi aidant, se manifeste depuis dimanche, on sait aussi que ces salauds de pauvres sont tous xénophobes. Passons sur la manipulation qui voudrait faire du plombier polonais, symbole d’un dumping social dont pâtiraient aussi bien les Polonais que les Français, un thème xénophobe - d’autant plus que la campagne du non de gauche est étrangère à cette figure, dont la paternité revient à Frits Bolkestein. Kamikaze du non à «Libération», Pierre Marcelle raconte avoir entendu dans les murs de la rédaction que, s’il s’était passé quelque chose dimanche, c’était «la marche en avant du national-socialisme»; c’était une blague, mais Pierre Marcelle manque d’humour. Sur le plateau d’Arlette Chabot, l’autre soir, Bernard Kouchner, avec l’air machiavélique et triomphant du flic qui vient de confondre un suspect, lisait un sondage annonçant que, parmi les Français qui ont voté non, 67% trouvent qu’il y a trop d’étrangers en France (bonjour la question pourrie!). Serge July, dans son d’ores et déjà célèbre éditorial de lundi matin intitulé «Chef d’oeuvre masochiste» («chef d’oeuvre masochiste», en effet, vu le nombre de désabonnements qu’il a dû provoquer à «Libération»), s’indignait du «spectre turc désignant sans ambages les musulmans»: cette campagne aura au moins permis à Serge July de découvrir l’islamophobie, que lui et ses pairs, jusque-là, renvoyaient généralement à un fantasme gauchiste... Et bien sûr, parmi les Français qui ont voté oui, comme la grande majorité des électeurs UMP, par exemple, aucun ne trouve qu’il y a trop d’étrangers en France, et tous sont prêts à accueillir à bras ouverts la Turquie dans l’Union. Serge July oublie que de bruyants partisans du oui, comme les éditorialistes Claude Imbert et Philippe Val, se sont prononcés contre une éventuelle adhésion turque...
Pour la première fois, on a vu le thème de l’antilibéralisme se propager suffisamment dans la société pour peser sur l’issue d’un scrutin
Que les Français aient pu tout bonnement répondre à la question qu’on leur posait, c’est une hypothèse que tout le monde écarte résolument. Et on croit comprendre pourquoi: prendre acte du refus de ce texte obligerait du même coup à prendre acte de ses motifs. Dimanche, pour la première fois, on a vu le thème de l’antilibéralisme déborder des sphères altermondialistes et se propager suffisamment dans la société pour peser sur l’issue d’un scrutin. Certes, tous ceux qui ont voté non ne l’ont pas fait par antilibéralisme; mais ça a été le cas, explicitement ou non, d’un très grand nombre d’entre eux – un nombre décisif, en tout cas. Mardi soir, sur TF1, on a revu l’étudiant travaillant au noir qui avait participé à l’émission de Chirac avec des jeunes sur l’Europe, et qui a voté non; interrogé sur le remplacement de Raffarin par Villepin, il commentait sobrement, renvoyant à son insignifiance le ballet des consultations ministérielles de la journée: «Ce n’est pas une question de personnes, mais de politiques. Tant qu’on mènera des politiques ultralibérales, rien ne changera.» Entendre ça sur TF1, quand même, ça fait drôle... Dès lors qu’on prend en compte ce paramètre essentiel, la situation s’éclaire, et on ne peut plus raconter n’importe quoi. On ne peut plus raconter, par exemple, que les partisans du non devraient avoir honte d’avoir voté comme les électeurs du FN (argument particulièrement écoeurant compte tenu de la lepénisation des esprits galopante à laquelle on assiste par ailleurs ces dernières années): si, parmi ces derniers, un certain nombre votent Le Pen non par racisme, mais par désespoir, il faut plutôt se féliciter de ce que leurs griefs aient enfin pu trouver un débouché noble, et que, pour une fois, ils ne se soient pas «trompés de colère». Rappelons les remarques de Frédéric Lordon reproduites ici même l’autre jour: «Pour la première fois, le débat roule sur les vraies questions, les questions de structures. On ne parle que de la banque centrale indépendante, des contraintes liées à la monnaie unique et à la déréglementation... Ce n’est pas comme en 2002, où la question sociale et économique s’était trouvée défigurée par le débat sur «l’insécurité», «l’immigration», «les sauvageons», etc.»
Ce débat sur le dogme libéral, et, indissociablement, sur le droit des peuples à décider des politiques économiques menées en leur nom, tout a été fait pour l’éluder, ou, à défaut, pour l’endiguer en abusant l’opinion par des ruses grossières. On a même entendu le Medef s’inquiéter d’une possible victoire du non parce que ce serait une «victoire pour l’ultralibéralisme», alors que le Medef, lui, défend une «société sociale de marché» (cité par «l’Humanité», 25 mai)! Mais ces ânes bâtés de Français, avec une méfiance inexplicable, ont refusé de croire que la construction européenne, s’ils lui donnaient le feu vert pour continuer sur sa lancée, leur assurerait soudain un avenir radieux et solidaire, leur octroierait comme ça, par pure reconnaissance, un petit droit de regard sur les choix de société qu’elle faisait pour eux, et que François Hollande, après avoir défendu de toutes ses forces un texte enfermant le continent dans la «concurrence libre et non faussée» pour les cinquante ans à venir, monterait à l’assaut de Bruxelles, le couteau entre les dents, pour exiger un salaire minimum européen, une grande loi sur les services publics et la tête de Frits Bolkestein.
Le 29 mai est ce qui pouvait arriver de mieux à la gauche française
Si on accepte cette grille de lecture, on ne peut plus raconter non plus que le 29 mai dernier a été un «nouveau 21 avril» («le syndrome du 21 avril 2002 s’affiche désormais sans complexe», écrit Robert Schneider dans «le Nouvel Observateur», tout ça parce qu’il a retenu, la fine mouche, que «les Français ne font plus confiance à ceux qui les dirigent»). Or, le 29 mai est ce qui pouvait arriver de mieux à la gauche française. La campagne référendaire a permis aux antilibéraux en son sein, tous partis confondus, de se compter; et, vraisemblablement, c’est sur cette ligne qu’elle va se recomposer, en renonçant peut-être enfin à ses querelles de chapelles stériles. La recomposition ne sera peut-être pas achevée pour 2007, mais, de toute façon, elle n’avait rien à perdre. S’il ne s’était rien passé, si la France avait regardé passer d’un oeil bovin le train de la construction européenne, François Hollande aurait continué à se figurer que les Français avaient voté socialiste aux régionales par pur engouement pour sa personne, qu’ils ne demandaient pas mieux que de le porter en triomphe jusqu’à l’Elysée, et Sarkozy n’en aurait fait qu’une bouchée. Dans tous les cas, le pays aurait eu le choix, à la présidentielle, entre une gauche de droite et une droite de droite. Alors qu’avec la clarification inespérée opérée par le débat européen, on peut espérer voir apparaître dans ce pays une vraie gauche – à laquelle aspire, semble-t-il, une large partie de l’électorat – tenant sa place à côté d’une vraie droite. Ça n’éviterait peut-être pas les déceptions, mais ça éviterait au moins les malentendus, et c’est déjà beaucoup.
Sauf qu’au sommet de la hiérarchie médiatique, là où on ne s’accommode pas si mal du système, quand on n’en est pas partie prenante, on résiste de toutes ses forces à l’émergence du thème antilibéral dans le débat public. «Libéralisme», pour ces oreilles-là, c’est l’antienne vaine, niaise et irritante, ressassée par des gens que l’on méprise – les Bové, les Buffet, les Besancenot... On s’était accoutumé à vivre et à décider sans le peuple, cette chose sale – au point qu’on confond délibérément «populaire» et «populiste» –, et on n’a aucune envie de le voir faire son grand retour dans la gestion des affaires publiques, au lieu de s’accommoder du rôle qu’on lui réservait, celui de figurant dans une parodie de démocratie. On lui cite en exemple ses voisins européens privés de débat: eux, au moins, ont le bon goût d’avaliser docilement (oups, sauf les Pays-Bas...) un projet de Constitution qu’ils n’ont pas lu, sans avoir l’outrecuidance de se mêler de ce qui les regarde! Il y a trois mois encore, l’opinion française était prête à en faire autant. Par miracle, le débat a eu lieu; un débat d’une qualité stratosphérique. Et il faudrait en avoir honte! Mais c’est ainsi: le moindre espoir qui pointe de faire émerger une contestation large du dogme libéral suscite des ricanements haineux. «La victoire du non a installé durablement dans une bonne partie de l’opinion de gauche le mythe d’une alternative globale, l’espoir d’autant plus ancré qu’il est chimérique d’un grand soir de tous les recommencements», écrit dans «Libération» d’aujourd’hui Joël Roman, de la revue «Esprit», qui, pour la réduire à un caprice de gauchistes, ne doit pas trop voir dans son quotidien la nécessité d’une «alternative globale». Dans «le Nouvel Observateur», Claude Askolovitch consacre un papier à «la victoire de la gauche d’en bas», qui n’a pas l’air de lui faire plaisir. Après avoir évoqué les espoirs qu’elle suscite, il conclut par ces mots: «Soyons lucides, expliquons pourquoi rien n’est possible.»
All you need is Nouvel Obs!
Le renversement du slogan soixante-huitard, évidemment, n’est pas innocent. Depuis qu’ils ont noyé leur idéalisme de jeunesse dans les compromissions et les vicissitudes mondaines, ces gens-là se sont fait une mission de censurer et de tuer dans l’oeuf toute velléité de remise en cause de l’ordre établi. Pourtant, ce que le débat référendaire a réanimé, ce ne sont pas les fantasmes de grand soir: c’est simplement l’espoir d’en finir avec la confiscation du droit des peuples à décider de leur destinée, de retrouver un jeu politique débarrassé de ses faux-semblants, et d’enrayer la trahison systématique des mandats reçus. Et si cela, c’est être radical, c’est parce qu’on est tombé bien bas.
«Dans cette passe difficile, le réformisme lucide retrouve tout son sens et un journal comme le nôtre, sa mission», écrit sans rire Laurent Joffrin dans «le Nouvel Observateur» – décidément un numéro d’anthologie. All you need is Nouvel Obs! Ça alors, et moi qui croyais que le «réformisme lucide», c’était précisément ce qu’avaient rejeté 55% des Français dimanche dernier... Désormais, dans leur écrasante majorité, ni son personnel médiatique, ni son personnel politique n’offrent plus à la France de reflet fidèle de ce qu’elle est. S’ils ne la comprennent plus, c’est parce qu’ils ont sur elle un bon train de retard. La crise actuelle était nécessaire, mais cette situation étrange n’est pas rassurante pour autant – surtout en ce qui concerne la représentation politique, parce que, côté médias, on peut toujours se débrouiller avec Internet... Question: combien de temps un pays peut-il vivre sans miroirs?
Mona Chollet
L’éditorial de Jean-Claude Guillebaud: http://www.nouvelobs.com/dossiers/p2117/a269714.html ... Et celui qu’il avait déjà consacré à la campagne médiatique: http://telecineobs.nouvelobs.com/ARTICLES/A268676.asp
Lire aussi: «Une voix plus forte pour Politis», par Denis Sieffert http://www.politis.fr/article1350.html | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Jeu 16 Juin - 14:18 | |
| BAS LES PATTES! Florence Aubenas, rédemption des éditorialistes oui-ouistes? Pas question! Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt62.htm#florence
C’est un peu comme si vous aviez eu le privilège de connaître un site, un paysage, un édifice, particulièrement admirable, visité par un grand nombre de gens, certes – parce que ce qui est remarquable reste rarement ignoré –, mais signalé par aucun guide touristique. Jusqu’au jour où, parce qu’il est menacé, on se met à faire tout un foin autour de lui pour le sauver; un foin auquel, d’ailleurs, vous contribuez de toutes vos petites forces. La mobilisation atteint son but, les bulldozers rentrent à la niche, et, désormais, l’honnête petite nationale qui y menait est remplacée par une autoroute à quatre voies. Le lieu lui-même n’a pas changé, mais sa fréquentation, si: on y croise désormais plein de gens très bien, heureux que la menace qui pesait sur lui leur ait au moins permis de le découvrir, et qui se fondent à merveille dans le décor; mais aussi d’autres, touristes de luxe arrivés en car climatisé, que vous vous énervez de voir là, comme si le simple fait de vous y être rendu quelquefois par le passé – vous êtes loin d’être un habitué – et d’aimer cet endroit vous donnait une sorte de droit à en contrôler l’accès: ridicule. Quand vos amis mentionnent devant vous ce site étonnant dont tout le monde parle, dont on écoule des cartes postales à profusion, vous vous empressez de leur expliquer que vous l’avez connu et apprécié avant qu’il ne soit célèbre; ils vous traitent de snob, et ils ont bien raison. Quand c’est vous qui prenez l’initiative d’en parler, vous devinez, au regard affligé que vous lancent certains de vos interlocuteurs, qu’un nom autrefois intrigant et méconnu, signe de ralliement d’un petit cercle d’aficionados, est devenu un lieu commun total, et ça vous fait tout drôle.
(Ma comparaison est foireuse sur au moins un point, c’est que Florence Aubenas est un paysage qui bouge, un monument itinérant, et pas qu’un peu; si autant de gens, venus de tous les horizons sociaux et géographiques imaginables, ont eu un jour l’occasion de croiser son chemin, c’est que, si tu ne vas pas à elle, Florence Aubenas, dans sa boulimie de rencontres, vient fatalement à toi un jour ou l’autre. C’est aussi un paysage qui parle, mais ça, je ne crois pas qu’il soit utile de le préciser.)
«Bernard Guetta, il a aussi connu des moments difficiles, ces dernières semaines...» Stéphane Paoli à Florence Aubenas
Dimanche soir, après avoir fait comme tout le monde, c’est-à-dire pleuré de joie comme des veaux devant la télé, tout en hoquetant de rire, en même temps, au festival de blagues hallucinant qu’elle improvisait sur le tarmac, on avait pris plein de bonnes résolutions. Maintenant qu’elle était là, parmi nous, qu’elle était enfin rendue à cette liberté dont elle fait un usage si impressionnant et jubilatoire, il fallait cesser de parler d’elle, se faire discrets, lui foutre la paix. Si certaines récupérations nous irritaient, il n’y avait qu’à respirer un grand coup et à laisser filer; après tout, si quelque chose la gênait, elle était assez grande pour se défendre toute seule, et toute protestation d’un tiers ne pourrait constituer qu’une tentative de contre-récupération. Après ce qu’elle avait vécu, il fallait lui laisser le temps de se remettre au parfum et de choisir elle-même le moment où elle reviendrait dans l’arène des débats franco-français - si toutefois elle y revenait. Au début, on a relativement bien tenu le coup. Par exemple, Jean Daniel, dans un édito du «Nouvel Observateur» intitulé «La maîtrise et la grâce», après l’avoir encensée («chacun s’émerveille de réaliser à quel point Florence mérite sa gloire. Elle grandit, par son allure, tous ceux qui l’ont aidée»), enchaîne sur une analyse à deux balles expliquant que, s’il y a des prises d’otages en Irak, et si ce genre de pratique «ne s’est tout de même pas encore intégrée dans nos moeurs», si lui-même ne se fait pas prendre en otage dans Paris quand le taxi qui l’emmène au «Nouvel Obs» s’arrête à un feu rouge, ce n’est pas parce que, contrairement à celle de la France, la situation de l’Irak, sanglante et chaotique, avec la présence sur son sol d’une armée étrangère d’occupation, permet aux pires malfrats d’imposer leur loi; non, non, non: c’est cul-tu-rel. «Dans certaines sociétés où l’individu n’existe pas encore, une morale antique permet de punir le groupe, donc tous ceux qui, innocemment ou pas, en font partie, nous informe Jean Daniel. Jamais on n’a accepté tout à fait, dans une grande partie du monde, l’injonction d’Ezéchiel selon laquelle les fils ne devraient plus avoir les dents agacées sous le prétexte que leurs pères ont mangé des raisins verts.» Eh bien, on a lu ça, et on a à peine frémi: c’est dire. Mais, quand même, une certaine irritation montait.
Elle a explosé d’un coup avec la matinale de France Inter, mercredi matin. Face à Florence Aubenas qui, invitée de «Question directe», explique qu’elle représente cette grande majorité de journalistes, dont on voit rarement le visage en temps normal, qui n’est pas éditorialiste, qui est sur le terrain («je représente un journalisme que les gens ont moins l’habitude de personnifier»), Stéphane Paoli, dans une illustration d’anthologie de la capacité humaine à entendre ce qu’on veut bien entendre même si c’est l’exact contraire de ce qui a été dit, s’exclame, la larme à l’oeil: «Si vous saviez les débats qui se sont tenus dans ce pays, justement sur le rôle et la fonction de la presse dans des grandes questions politiques, et par exemple celle du référendum; et là, vous renvoyez à la fonction du journaliste, qui est de témoigner de ce qui est, de ce qu’il a vu, de donner des clés pour comprendre. Ça fait un bien fou de vous entendre!» La revue de presse, juste après, s’achève sur une citation de Philippe Val, qui écrit dans «Charlie Hebdo» que Florence Aubenas est «devenue, à son corps défendant peut-être, une héroïne symbolique du journalisme», et que «son histoire contribuera peut-être à resserrer les liens entre les citoyens et ceux qui les informent». Et puis, au cours de «Radio Com», arrive l’estocade, avec cette sortie inouïe de Paoli, qui lance à son invitée: «[Bernard] Guetta, il a aussi connu des moments difficiles, ces dernières semaines...» Il faut peut-être qu’elle le console?... Et qu’on ne nous dise pas que c’était une blague: les réflexions émises précédemment par Paoli attestent que ça n’en était pas une tant que ça. | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Jeu 16 Juin - 14:19 | |
| Si elle nous a autant manqué, c’est aussi parce qu’elle est tout ce qu’ils ne sont pas
Donc, l’éditorialiste qui, semaine après semaine, de son bocal hermétiquement clos, a matraqué son auditoire d’un fanatisme pro-oui frisant la propagande, qui a manifesté un autisme corporatiste ahurissant, suscitant l’exaspération de citoyens qui attendaient vainement d’entendre un autre son de cloche sur l’antenne d’une radio publique, et qui, alors que, pour une large part, ils penchaient pour le non, voyaient leurs arguments systématiquement ignorés, déformés, méprisés, cet éditorialiste-là est un héros, au même titre qu’une reporter qui vient de passer cinq mois entravée dans l’obscurité d’une cave, sans savoir si elle en ressortirait vivante, pour avoir voulu, malgré les risques encourus, raconter humblement une situation, donner chair et vie à des gens abandonnés du monde entier, et qui, sans elle, seraient rayés tout à fait de la carte de l’humanité. Tous les deux font le même métier: ils sont «journalistes». Tous les deux ne font que «témoigner de ce qui est, de ce qu’ils ont vu, donner des clés pour comprendre». Ils «informent», quoi. Et la seconde revient à point nommé pour sauver le premier de l’animosité et du discrédit qu’il s’est inexplicablement attirés – pour «resserrer les liens entre les journalistes et ceux qui les informent».
Comment peut-on, une fois de plus, prendre à ce point les auditeurs pour des imbéciles? Comment peut-on s’aveugler à ce point – au point de croire que cet écran de fumée piteux va abuser qui que ce soit? Parce qu’on est heureux du retour de Florence Aubenas, et eux aussi, et parce qu’ils ont une carte de presse comme elle, ils s’imaginent qu’on va tout d’un coup se mettre à les adorer, alors qu’ils ont passé les derniers mois à insulter sans vergogne plus de la moitié du pays? La différence entre elle et eux, ils sont bien les seuls à ne pas la voir! Ça ne lui vient pas à l’esprit, à Paoli, que les gens qui, pendant des semaines, ont appelé le standard de France Inter pour engueuler Bernard Guetta, et ceux qui, pendant des semaines aussi, ont participé à la mobilisation pour la libération de Florence Aubenas et Hussein Hanoun, dans certains cas, ce sont peut-être les mêmes? Si elle nous a autant manqué, c’est aussi parce qu’elle est tout ce qu’ils ne sont pas, justement.
Elle retrouve un microcosme médiatique en plein naufrage, et on n’a aucune envie qu’elle coule avec lui
Pendant la campagne référendaire, quand Cabu, dans un dessin de «Charlie Hebdo», ou les «Guignols de l’Info», montraient une Florence Aubenas se prononçant pour le oui, on était écoeuré – même si on n’avait évidemment aucune idée de la position qu’elle aurait prise dans ce débat; mais, en même temps, c’était dérisoire: on restait tout entiers tendus vers sa libération. Aujourd’hui, c’est différent. Elle retrouve un microcosme médiatique en plein naufrage, et on n’a aucune envie qu’elle coule avec lui. On n’éprouverait pas le besoin de s’époumoner, toutes bonnes résolutions jetées aux orties, si ce n’était pas _eux_ qui avaient commencé, et qui, dès son retour, tentaient de l’entraîner dans leur chute. Quand, à «Radio Com», un auditeur lourdingue, partisan du non, tout en s’adressant à elle, a pourfendu longuement les politiques oui-ouistes, Alain Rey, prenant la parole juste après, a commenté son intervention en soulignant dans une réprimande paternaliste que Florence Aubenas n’avait été pour lui qu’un «prétexte». Et quand Paoli se sert d’elle pour conclure que les journalistes, au fond, sont tous des gens formidables, et pour se réjouir à l’idée que, grâce à elle, les auditeurs vont enfin s’en rendre compte, elle ne devient pas un «prétexte», peut-être? Ah non, c’est vrai, pardon: dans ce cas-là, c’est pour la bonne cause, bien sûr...
Lors du dernier meeting pour le non de gauche à Paris, le vendredi avant le référendum, une délégation de lycéens qui avaient réclamé une prise de parole improvisée s’étaient fait éconduire. En ressortant, furieux, dans un début de bousculade, ils sont passés devant moi. Je portais sur la poitrine un autocollant du comité de soutien à Florence et Hussein. L’un d’eux l’a vu, et il s’est retourné pour crier haineusement: «Et vous, les journalistes, avec vos autocollants de merde, vous pouvez crever! Vous êtes tous des chiens de garde! A mort les journalistes!» Passons sur la façon intelligente et subtile dont était articulée cette critique du pouvoir médiatique. Que ça puisse tomber sur Florence Aubenas, dont notre jeune ami ne savait visiblement rien, à part qu’elle travaillait à «Libération», c’était d’une ironie sinistre. Ajouté à la pensée de la situation dans laquelle elle se trouvait au même moment, ça m’a plombé le moral. Je n’ai pas envie que ça puisse se reproduire. Certes, il n’était pas représentatif de l’état de l’opinion; mais même le dernier des petits cons en colère devrait être incapable de la moindre méprise au sujet de Florence Aubenas.
Il n’est pas question que des gens qui ne prennent jamais aucun risque, ni physique, ni intellectuel, s’abritent derrière une fille qui les prend tous sans hésiter
Il n’est pas question que des éditorialistes élitistes et condescendants, qui se sont distingués par le mépris de classe ahurissant qu’ils ont jeté à la face de leur public après le référendum, s’abritent derrière une femme qui circule avec une aisance totale sur toute la hauteur de l’échelle sociale, et qui, par exemple, passe une partie de son temps libre à travailler avec ses amis de l’association Africa, à la Courneuve, dans un quartier où eux ne mettront jamais les pieds («Florence, elle est comme moi, elle aime bien boire des cafés et rigoler», disait Mimouna Hadjam, la présidente d’Africa, en racontant leur rencontre). Bernard Langlois, dans «Politis», a raison d’écrire qu’elle ne sera jamais «du camp des nantis, des puissants, des maîtres», qu’elle est «aussi étrangère que possible à la foire aux vanités du microcosme», et qu’elle a «l’exigence de justice chevillée au coeur»; Denis Sieffert aussi, qui ajoute que, par rapport à «cette minorité très en vue qui défend une conception élitiste et auto complaisante de ce métier, et fait aux pauvres la morale», Florence Aubenas «incarne un tout autre journalisme». Son insolence rebelle transparaissait parfois dans les messages de soutien publiés par «Libération» pendant sa détention, d’ailleurs; par exemple, quand Noël Godin, l’entarteur belge, se souvenait des dîners qu’ils avaient partagés, en disant que son rire «ponctuait splendidement leurs agapes, surtout quand ils évoquaient BHL» ...
Il n’est pas question que des gens qui ne prennent jamais aucun risque, ni physique, ni intellectuel, s’abritent derrière une fille qui les prend tous sans hésiter. Il n’est pas question que des professionnels de la profession qui ne savent raisonner et écrire qu’en combinant des idées reçues s’abritent derrière une plume sous laquelle on ne trouvera jamais un seul mot qui ne fasse mouche, qui n’ait été pesé, pensé, senti, et qui slalome en virtuose entre tous les clichés et toutes les expressions convenues, attendues. (Au passage, la façon circonspecte et coincée dont ses confrères soulignent son «humour» met en lumière à quel point cette profession, bien souvent, en est anormalement dépourvue.) Il n’est pas question qu’un type qui a transformé un hebdomadaire progressiste – et florissant – en «Figaro» à colorier, prouvant que l’indépendance économique, à elle seule, ne signifie rien et n’empêche pas l'homologation idéologique, s’abrite derrière celle qui, alors qu’elle travaille au sein d’un journal appartenant à des financiers, fait preuve de la plus grande originalité, de la plus grande indépendance d’esprit. Les médias français traversent une crise grave, et on voit mal comment le retour de Florence Aubenas pourrait les dispenser d’une remise en question globale – au contraire: il ne fait que créer un cruel effet de contraste. Tenter de l’instrumentaliser pour éluder les questions de fond ne peut aboutir à rien, sinon à compromettre, «à son corps défendant», en effet, celle qui mérite le moins de l’être.
Mona Chollet
Voir aussi sur Périphéries: portrait de Florence Aubenas publié au moment de son enlèvement http://www.peripheries.net/crnt59.htm#florence
Ce message est envoyé à 2372 abonnés.
En cas de changement d'adresse, merci de vous désabonner au moyen du lien ci-dessous, puis d'inscrire votre nouvelle adresse sur le formulaire de notre page d'accueil.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net/ | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Dim 26 Juin - 11:17 | |
| GUILLEMETS: HANAN EL-CHEIKH, GRISÉLIDIS RÉAL Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt62.htm#elcheikh
«Ils étaient partis en Egypte pour que Nahed montre à sa famille qu’elle avait bien trouvé un mari, malgré son travail de danseuse de cabaret, et pour que Stanley voie les pyramides et le Sphinx, qu’il monte sur un dromadaire et pour qu’il fume du haschich. Mais, arrivés au Caire, il s’était mis à l’insulter, elle et tous ses compatriotes, chaque fois qu’il voyait un âne famélique ou un mulet ployant sous son fardeau: «Regarde! Mais regarde! On voit ses côtes! Vous êtes tous des sauvages!»
Un beau matin, Nahed finit par jeter ses vêtements par-dessus le balcon de l’appartement de ses parents au Caire. Les voisins les ramassèrent dans la rue, et sa mère, à qui ce gendre plaisait bien, ne cessait de les rabrouer tous les deux: «Mais enfin! Vous vous disputez pour des ânes que vous ne connaissez même pas!»»
Hanan El-Cheikh, «Londres mon amour» Citations, rubrique Etrangers http://www.peripheries.net/f-cit6.htm
«A Gabrielle Partenza A toutes, A nous autres
Enterrez-moi nue Comme je suis venue Au monde hors du ventre De ma mère inconnue
Enterrez-moi droite Sans argent sans vêtements Sans bijoux sans fioritures Sans fard sans ornement Sans voile sans bague sans rien Sans collier ni boucles d’or fin Sans rouge à lèvres ni noir aux yeux
De mon regard fermé Je veux voir le monde décroître Les étoiles le soleil tomber La nuit se répandre à sa source Et m’ensevelir dans sa bouche Muette la dernière couche Où m’étendre enfin solitaire Comme un diamant gorgé de terre
Me reposer dormir enfin Dormir dormir dormir dormir Sans plus jamais penser à rien Mourir mourir mourir mourir Pour te rejoindre enfin ma mère
Et retrouver dans ton sourire L’innocence qui m’a manqué Toute une vie à te chercher Te trouver pour pouvoir te perdre Et te dire que je t’aimais»
Ecrit la nuit Genève, 17 avril 2005 Clinique du Cesco Grisélidis Réal
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée, est morte le 31 mai dernier. Voir son portrait dans notre «panorama subjectif de la littérature suisse» (mars 1999): http://www.peripheries.net/f-littCH.htm
«Le noir est une couleur» et «Carnet de bal d'une courtisane» viennent d'être réédités chez Verticales: http://www.editions-verticales.com/fiche_ouvrage.php?id=155
LE RÊVE D’UNE DÉMOCRATIE SANS PEUPLE http://www.peripheries.net/crnt62.htm#collovald Charger le peuple pour ne plus avoir à s’en soucier: entretien avec Annie Collovald, maître de conférences en sciences politiques à l’Université Paris-X, paru dans «Le Courrier» du 24 juin 2005: http://lecourrier.ch
Dans «Le Monde» du 31 mai dernier, Yves Mény, directeur de l’Institut universitaire européen de Florence, voyait dans le résultat du référendum français sur la Constitution européenne l’expression d’un «conservatisme social et de nature populiste», ainsi que d’une «xénophobie populaire», car il ne fallait pas oublier, écrivait-il, que «ce n’est pas la bourgeoisie ni les intellectuels dévoyés qui ont inventé les qualificatifs de «bougnoules», «ritals» ou «polacs»: ces appellations discriminatoires sont nées sur les chantiers et dans les ghettos urbains». Dans «Libération», Serge July, quant à lui, dans son éditorial désormais célèbre du 30 mai, stigmatisait un non «xénophobe», emmené tant par Jean-Marie Le Pen que par des dirigeants de gauche qui s’étaient déshonorés, et parlait d’une «épidémie de populisme emportant tout sur son passage».
Ces mises en cause virulentes d’un peuple «simpliste, crédule, ignorant, irrationnel, raciste», aux réflexes électoraux primaires et irresponsables, ont eu des résonances familières aux oreilles d’Annie Collovald, maître de conférence en sciences politiques à l’Université Paris-X. Elle les avait déjà entendues – et contestées – au printemps 2002, dans les commentaires sur la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle: ce résultat avait été unanimement interprété comme un vote «populaire», provenant d’une masse de mécontents et de «sans-grade» dressés contre les «élites», et séduits par un chef charismatique et xénophobe. Elle s’est attachée à démonter cette apparente évidence dans un livre: «Le «populisme du Front national», un dangereux contresens» (éditions du Croquant, 2004).
«Le premier parti ouvrier, c’est l’abstention!»
Elle rappelle quelques données intéressantes: en 2002, les sondages sortie des urnes, «à chaud», indiquaient que l’électorat FN comptait 31% d’ouvriers – chiffre ramené par la suite à 23%. En déduire que le FN est un «parti ouvrier» ne va donc pas vraiment de soi. Les 22% de commerçants, artisans et patrons ou les 22% d’agriculteurs enregistrés par ailleurs ont été loin de susciter le même intérêt – sans même parler de la progression fulgurante réalisée par les «cadres et professions intellectuelles», qui composaient 13% du vote FN en 2002 contre 4% en 1995, ou du fait que 26% des professions libérales votent FN: «Prétendre que les diplômes protègent du racisme, comme ne craint pas de le faire Pascal Perrineau [directeur du Centre d’étude de la vie politique française], c’est sans doute rassurant, mais cela ne résiste pas à l’analyse.» Surtout, ces chiffres passent sous silence le fait que 31% des ouvriers se sont abstenus (la même proportion que les chômeurs), contre seulement 20% en 1995. Les ouvriers non-qualifiés sont 27% à ne même pas être inscrits sur les listes électorales (et les chômeurs, 31%): «Le premier parti ouvrier, c’est l’abstention!» martèle Annie Collovald, pour qui il n’est pas aberrant d’envisager que les succès du FN soient en bonne partie dus à une «radicalisation des électeurs de droite».
Selon elle, la thèse d’un transfert massif des suffrages communistes au parti frontiste ne tient pas, et repose sur une similitude de façade entre le PC et le FN: la «fonction tribunitienne» assumée par leurs leaders. «Les analystes retiennent le côté «fort en gueule», mais oublient l’intégration sociale des classes populaires réalisée par le PCF en promouvant en son sein des membres de la classe ouvrière. Les cadres du Front national, au contraire, sont issus des classes supérieures: ils sont ingénieurs, médecins, professeurs d’université... Ils n’ont rien d’ouvrier, et ce sont justement les commentateurs qui, en lui collant l’étiquette de «populiste», permettent à Jean-Marie Le Pen de se poser en défenseur du peuple.»
«Leader charismatique»? «Les électeurs FN font bien moins confiance à Jean-Marie Le Pen que les électeurs socialistes à Lionel Jospin!»
Mais le leader frontiste ne se distingue-t-il pas par un langage cru, efficace, qui tranche avec la langue de bois policée généralement pratiquée au sein de la classe politique? «C’est une erreur de croire que Jean-Marie Le Pen est vulgaire, ou qu’il a un langage accessible. Il parle un français suranné, manie les références obscures, les citations latines... Quant à ses sorties provocatrices, racistes ou révisionnistes, elles sont destinées à la fois à donner des gages à son aile radicale et à mettre en ébullition les médias. Si sa manière de parler a un impact particulier, c’est avant tout sur les journalistes! Les sondages montrent que les électeurs FN sont les derniers à croire en l’avenir de leur leader ou en ses qualités de chef d’Etat – ils lui font bien moins confiance que les électeurs socialistes à Lionel Jospin, par exemple!» Selon elle, la vision d’un électorat FN en lien direct avec un leader charismatique, et subjugué par lui, est erronée: «Elle ne tient aucun compte du rôle joué par les représentants locaux du FN, ni de la diversité des contextes et de l’offre électorale selon les régions. Le Front national et les raisons de voter pour lui ne sont absolument pas les mêmes en Provence-Alpes-Côte d’Azur qu’en Alsace ou dans le Nord-Pas-de-Calais.»
Au début des années 1980, le Front national a été catalogué comme «populiste» par des historiens qui, auparavant, avaient affirmé qu’il n’y avait jamais eu de fascisme en France: «L’apparition du FN dans le paysage politique, évidemment, leur posait un problème. Ils ont donc préféré situer Jean-Marie Le Pen dans la lignée de figures comme Pierre Poujade – au XXe siècle – ou du général Georges Boulanger – à la fin du XIXe.» Le terme de «populisme», explique Annie Collovald, a connu une «révolution complète», qui semble aujourd’hui achevée: «Au départ, le mot, tel qu’il était utilisé par Lénine, par exemple, désignait une manipulation intéressée de la cause du peuple. On l’utilisait donc pour mettre en cause les élites et prendre la défense du peuple; aujourd’hui, c’est exactement l’inverse: le mot sert à stigmatiser le peuple. On assiste au retour en force des thèses conservatrices affirmant la supériorité morale des élites.» Longtemps, le populisme, à gauche, n’avait aucune connotation négative, au contraire: «On trouvait par exemple des «prix de littérature populiste», récompensant des récits de vie écrits par des ouvriers. Le mot désignait une pratique de mobilisation des plus faibles, une volonté de donner de la dignité sociale à des gens qui n’en avaient pas et de rendre la démocratie concrète. C’était une démarche valorisée; aujourd’hui, c’est devenu une anomalie dangereuse. Le mot suffit à vous disqualifier, et dispense de toute analyse plus approfondie.»
Assimiler toute contestation du système à une nostalgie totalitaire
Alors que l’on s’indigne de voir le peuple désavouer les élites, Annie Collovald rappelle que ce sont d’abord ces dernières qui l’ont abandonné: «Les partis politiques se sont détournés des intérêts sociaux des classes populaires, comme en témoigne la transformation du vocabulaire politique, qui évoque de moins en moins les «ouvriers» ou les «travailleurs», mais les «gens d’en bas», les «exclus», sorte de magma indistinct et anonyme. Le Parti socialiste recrute de moins en moins dans les classes populaires et dans les petites classes moyennes relevant du secteur public.» Une certaine gauche a cessé de remettre en cause un système générateur de graves injustices, rendant insignifiant le clivage avec la droite, et en imposant un autre: celui qui séparerait «les compétents des incompétents, les savants des ignorants». On l’a vu lors du débat sur la Constitution européenne: «Les prosélytes du oui ne cessaient de répéter qu’ils avaient pour eux la raison, le savoir, la capacité de saisir la complexité des enjeux, etc., qu’ils étaient informés, et que, contrairement aux tenants du non, ils avaient lu le texte.» Ce qui se profile derrière cette nouvelle distinction, c’est une conception censitaire de la démocratie.
Désormais, la volonté de prendre en compte les intérêts des classes défavorisées suffit à rendre infréquentables ceux qui la professent. Puisque – c’est bien connu – «les extrêmes se rejoignent», l’extrême gauche et l’altermondialisme sont diabolisés au même titre que l’extrême droite. «En 2002, après le second tour de la présidentielle, le premier commentaire de Pascal Perrineau – par ailleurs inventeur du terme de «gaucho-lepénisme» – a été pour s’étonner que les suffrages de l’extrême gauche ne se soient pas reportés sur Jean-Marie Le Pen!» se souvient Annie Collovald. Toute contestation du système est assimilée à une nostalgie totalitaire: pendant la campagne référendaire, le premier secrétaire du Parti socialiste François Hollande raillait, lors d’un meeting, les «soviets» que représentaient à ses yeux les comités locaux pour un non de gauche à la Constitution européenne; Yves Mény écrivait dans «Le Monde»: «Les délocalisations entraînent des souffrances qui doivent être prises en compte mais qu’on ne peut interdire par décret, sauf à instaurer une économie soviétisée.»
Pourquoi se soucier encore des problèmes de ces gens, puisqu’ils _sont_ le problème?
Monter en épingle une «xénophobie» qui caractériserait l’intégralité des classes populaires, et elles seules, permet évidemment de les abandonner à leur sort en toute bonne conscience: pourquoi se soucier encore des problèmes de ces gens, puisqu’ils _sont_ le problème? Le procédé rappelle l’accusation d’antisémitisme proférée à l’encontre des descendants d’immigrés maghrébins. Ceux qui osent protester contre ce racisme larvé – mépris de classe dans un cas, islamophobie dans l’autre – se voient accuser d’«angélisme» et d’idéalisation gauchisante des «damnés de la terre». L’accusation de racisme est d’autant plus malhonnête que le Front national, loin de constituer un «microclimat» raciste au sein du paysage politique français, a contaminé l’ensemble de la société: «On mesure mal la levée de la censure qu’a permis son émergence, souligne Annie Collovald. Des discours sur l’immigration, sur l’islam, sur l’insécurité, qui auraient été inacceptables dans les années 1970, sont aujourd’hui des lieux communs.» Dans son livre, elle cite un sondage Sofres de 1971 portant sur les représentations que les enquêtés se font des étrangers: «Il y a actuellement en France de nombreux travailleurs étrangers; ils occupent souvent des emplois pénibles. Pensez-vous que la France fait un effort suffisant ou insuffisant pour leur permettre de se loger, leur donner une formation, les accueillir avec hospitalité, leur donner des salaires convenables?» A comparer avec cette question d’une enquête d’opinion contemporaine: «Est-il normal que les immigrés aient accès gratuitement à l’école, touchent des allocations familiales quand ils perdent leur emploi, aient des mosquées pour pratiquer leur religion?»
«De cause à défendre, le peuple est devenu un problème à résoudre, résume-t-elle. Sans l’avouer, les dirigeants misaient sur l’hypothèse que les victimes du libéralisme se réfugieraient dans l’abstention. Aussi, quand l’électorat populaire se remobilise, comme cela a été le cas le 29 mai, on se plaint qu’il vote mal, qu’il ne sait pas ce qu’il fait...» Tout cela lui rappelle la théorie conservatrice de «l’ingouvernabilité» des démocraties quand elles sont «soumises à une surcharge de demandes populaires», développée en 1975 aux Etats-Unis par Michel Crozier, Samuel Huntington et Joji Watanuki: «Leur rapport, rédigé pour la Commission trilatérale, un think tank libéral, soulignait la fragilité des sociétés occidentales, et proposait de limiter les «excès de démocratie» – droits syndicaux, droit de grève, liberté de la presse, etc. – pour empêcher l’effondrement du système libéral. De même, aujourd’hui, en France, Yves Mény affirme que, si le FN représente un danger, c’est parce qu’il serait «trop» démocratique...» Les accusations de «populisme», après avoir longtemps avancé masquées derrière leur opposition à un parti – le FN – lui-même antidémocratique, commencent à apparaître pour ce qu’elles sont: une tentation autoritaire.
Propos recueillis par Mona Chollet Merci à Isabelle Saint-Saëns
Voir sur le site de «Vacarme»: «Le vote Le Pen: la faute au populaire?», par Annie Collovald (juillet 2002): http://vacarme.eu.org/article344.html Et sur «Les mots sont importants»: «La «France d’en bas» n’est pas lepéniste (ni sarkozyste)», par Pierre Tévanian: http://www.lmsi.net/article.php3?id_article=83
Ce message est envoyé à 2391 abonnés.
En cas de changement d'adresse, merci de vous désabonner au moyen du lien ci-dessous, puis d'inscrire votre nouvelle adresse sur le formulaire de notre page d'accueil. | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Sam 23 Juil - 13:07 | |
| Bonjour à tous,
A lire dans Périphéries:
Edito FAUSSE ROUTE II Le féminisme ne se divise pas http://www.peripheries.net/e-feminisme.html
«Les filles des banlieues se sentent autant concernées par la parité que par les soldes chez Hermès», déclarait Fadela Amara à l'époque de l’apparition de Ni putes ni soumises sur la scène publique. Le côté caricatural des Chiennes de garde et la mauvaise conscience de s’être si longtemps désintéressé du sort des femmes des quartiers aidant, la formule a fait sensation. C’était oublier un peu vite que l’accusation de «bourgeoisie» est un grand classique de l’arsenal antiféministe: on l’opposa aussi, en son temps, à la revendication du droit de vote. Deux ans plus tard, les implications de cette distinction entre un féminisme «d’urgence», destiné aux femmes encore aux prises avec la tradition, et un autre qui serait ringard, dérisoire, apparaissent clairement: elle aboutit à la fois à frapper d’invisibilité les violences encore subies par les femmes occidentales – le flicage vestimentaire, par exemple, se passe très bien de tout prétexte religieux: de nombreuses victimes de violences conjugales disent devoir se soumettre chaque matin à un examen minutieux de leur tenue – et à propager la thèse d’un machisme qui serait d’origine «culturelle», inscrit dans les gènes ou peu s’en faut. Cette démarche, qui semble davantage guidée, en réalité, par le souci de discréditer le féminisme et de nourrir les fantasmes de choc des civilisations que de faire progresser la condition féminine dans les sociétés traditionnelles, s’avère foncièrement nuisible à la cause des femmes dans leur ensemble.
Pour ceux qui n’y seraient pas abonnés, nous vous invitons aussi à jeter un oeil aux dernières livraisons du Carnet: http://www.peripheries.net/crnt.htm
Bonne lecture et à bientôt,
Thomas Lemahieu & Mona Chollet
Ce message est envoyé à 4147 abonnés.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net
Rendez visite à nos amis: http://www.peripheries.net/amis.htm
En librairie: «La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet aux éditions Calmann-Lévy
Présentation: http://www.peripheries.net/tyrannie.htm Revue de presse: http://www.peripheries.net/tyrannie2.htm
Message propulsé par splio > http://www.splio.fr/
Cliquez ici pour inviter un ami à s'inscrire à cette lettre > http://www.SplioList.com/m.pl/invite/peripheries/20050416133929642290/8892
Cliquez ici pour vous désinscrire > | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Sam 30 Juil - 12:19 | |
| GUILLEMETS Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt63.htm#daniel
«Qui a dit que faire du journalisme, c’est tenter d’épouser l’Histoire à défaut de la faire? Maurice Clavel? Moi, peut-être.» Jean Daniel, «Le Nouvel Observateur», 14 juillet 2005
Citations, rubrique Médias http://www.peripheries.net/f-cit3.htm
«Il y a quelques années, dans une interview à «Var-Matin», j’avais dit que Bertrand Py [le directeur éditorial d’Actes Sud] était le seul éditeur de ma connaissance qui lisait au moins quatre fois les manuscrits qu’il publiait. Dans l’article, c’était devenu: «Bertrand Py est le seul éditeur de ma connaissance qui lit au moins quatre pages des manuscrits qu’il publie»...» Rezvani, débat autour de son oeuvre à la Garde-Freinet, 9 juillet 2005
Citations, rubrique Médias http://www.peripheries.net/f-cit3.htm
«Et puis, on ne peut, dans ces régions chaleureuses – ni nulle part –, se livrer au rut à longueur de temps. Le pas esquissé dans la promenade, la marche dansante à tout bout de rue: dans les magasins, les restaurants, les cafés, les marchés, les banques et les administrations, les cours de récréation des écoles, aux bords poissonneux des ports, sur les trottoirs, sur les places, sur les plages, sont une manière de maintenir en soi dans la constance cette énergie érotique que sa dépense sexuelle rend discontinue. C’est en apprivoiser le _reste_ dans la dilution de sa profusion. L’acte sexuel ne consume de cette énergie qu’une part, l’autre continuant sur un mode qui n’est pas celui du désir avide et séquentiel, mais celui d’un désir capable de s’autosatisfaire en demeurant désir: artiste donc.»
Séverine Auffret, «Des blessures et des jeux – Manuel d’imagination libre»
Citations, rubrique (Cinq) sens http://www.peripheries.net/f-cit4.htm
«Jouer avec la musique, c’est révéler en nous cette énergie joyeuse de l’âme corporelle quand le réel s’efforce de nous en déposséder. On m’a conté l’histoire d’un homme qui, durant la guerre du Liban, entre 1975 et 1990, n’a rien fait d’autre, hors d’assurer son maigre ravitaillement, que de se jouer sur son poste – sur son walkman muni d’écouteurs quand le fracas des bombes était par trop violent – l’intégrale des oeuvres de Haendel et de Mozart. Quand l’électricité manquait – souvent –, il mettait en marche son générateur personnel bricolé, ou bien il achetait des piles qui, fort heureusement, n’ont jamais fait défaut, non plus que le whisky ni les cigarettes de contrebande, dans les petits étals d’alimentation. Cet homme qui probablement vit encore aujourd’hui, mais qui savait à tout instant, comme tous, sa vie ne tenir qu’à un fil, a passé la guerre, dit-il, aussi heureusement qu’il était possible – par-delà tout chagrin et toute pitié.»
Séverine Auffret, «Des blessures et des jeux – Manuel d’imagination libre»
Citations, rubrique (Cinq) sens http://www.peripheries.net/f-cit4.htm
«Il existe une «mauvaise» répétition: mauvaise de l’enfermement dans un passé qui ne permet pas au sujet d’éclore. On y ramène toutes sortes de symptômes: tics, bégaiements, évitements, rituels, gestes compulsionnels, «névroses de destinée», sans compter les «idées obsédantes», le remâchage et les ressassements des scrupuleux.
Mais il existe un autre aspect, originaire, de la répétition. Elle structure autant la périodicité du plaisir que celle du déplaisir. Enfants, parents et éducateurs savent le plaisir pris dans la répétition à l’identique: la fable qu’il faut redire avec les mêmes mots, la fête qu’il faut refaire selon les mêmes rites, les promenades qu’il faut refaire selon le même parcours. (...) Quel plaisir de répétition éprouve aussi un enfant sur une balançoire, ou lorsqu’un adulte joue à le jeter en l’air: encore! encore! De la même manière, un accroissement continuel de jouissance nous vient de l’audition répétée d’une musique. La première audition n’emporte pas notre adhésion. C’est à la deuxième, à la troisième, à la suivante que le plaisir s’affirme, semblable à ce rythme propre du corps tout de scansion, de répétition: parcours d’un même espace, réitération d’un même geste; cette demande qu’on fait dans le coït, comme le petit enfant qu’on berce, jette en l’air, soulève, balance: «Encore!»»
Séverine Auffret, «Des blessures et des jeux – Manuel d’imagination libre»
Citations, rubrique (Cinq) sens http://www.peripheries.net/f-cit4.htm
«Que les choses arrivent comme nous les dessinons n’a aucune importance. Si nous mesurons l’efficace de l’exercice à cela – cette coïncidence vérifiable _plus tard_ entre le désir et l’état des choses –, nous sommes sortis du jeu qui gagne. Gagner au jeu, c’est nous représenter exactement ce que nous désirons, sans nous soucier le moins du monde que cela «arrive», ou non.»
Séverine Auffret, «Des blessures et des jeux – Manuel d’imagination libre»
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
«Lorsqu’André Glucksman préconise de ne pas chercher à comprendre le terrorisme, il a néanmoins le mérite de la cohérence. Cela fait longtemps, pour ce qui le concerne, qu’il semble y avoir renoncé. Il est, en revanche, moins cohérent lorsqu’il s’applique de façon sélective les critères qu’il a lui-même définis. Son engagement en faveur de la résistance tchétchène est respectable. Mais pourquoi fait-il de ce conflit une exception historique? Pourquoi, dans ce cas particulier, profère-t-il que le terrorisme est le fruit de conditions politiques et pourquoi n’étend-t-il pas ce jugement aux Palestiniens? Après la sanglante prise d’otages dans une école de Beslan en Russie par un groupe tchétchène, il écrivit: «Le calvaire de la Tchétchénie relève de deux critères: trois siècles d’oppression ont créé la rébellion. La sauvagerie de la dernière guerre favorise le terrorisme.» Il aurait pourtant pu appliquer grosso modo le même raisonnement au terrorisme palestinien. Pourquoi ne l’a-t-il jamais fait? Le terrorisme obéirait-il à la théorie de la prédestination? Y aurait-il des individus (ou des peuples) qui seraient destinés à devenir des terroristes dès leur naissance? Dans ce cas, effectivement, nul besoin de réfléchir aux causes.
Mais comment expliquer dans ces conditions que, si l’on circonscrit le terrorisme au fait musulman, longs sont les temps durant lesquels l’islam n’a produit aucun acte terroriste? Comment expliquer, si les Palestiniens sont par nature terroristes, qu’il fut des périodes où ils n’ont pas eu recours aux attentats pour se faire entendre? Ceux qui interdisent de chercher à comprendre le terrorisme, au risque de l’excuser, veulent en fait nous entraîner dans l’impasse d’une solution purement militaire. Si certains peuples sont par essence voués à la violence terroriste, si le recours à ces méthodes n’est pas le fruit de circonstances politiques, alors il est inutile d’en chercher des raisons et de tenter d’y apporter des solutions politiques. Le seul horizon est celui d’une victoire militaire totale. Or, le bon sens et la raison le dictent avec force: on ne naît pas terroriste, on le devient, et ceci est vrai sous toutes les latitudes. Et dire cela n’implique en rien un esprit «munichois», ni quelque complaisance que ce soit à l’égard du terrorisme. Mais pour ceux qui, tout en se disant favorables à la paix, se refusent à condamner l’occupation militaire et la répression armée, il est plus confortable de blâmer sans expliquer, s’évitant ainsi de risquer à la lumière du débat public leurs contradictions propres.»
Pascal Boniface, «Vers la quatrième guerre mondiale?» http://www.politis.fr/article1294.html
Citations, rubrique Politique http://www.peripheries.net/f-cit9.htm
Ce message est envoyé à 2477 abonnés.
En cas de changement d'adresse, merci de vous désabonner au moyen du lien ci-dessous, puis d'inscrire votre nouvelle adresse sur le formulaire de notre page d'accueil.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net/ | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Dim 28 Aoû - 0:01 | |
| «PÉDAGOGIE NOIRE» ET SERVITUDE VOLONTAIRE Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt64.html#travail
«Au cours de cette période, il rendit visite à son père et s’aperçut très clairement pour la première fois que son père lui infligeait de perpétuelles vexations, soit en ne l’écoutant pas, soit en se moquant de tout ce qu’il lui racontait et en le tournant en dérision. Lorsque le fils le lui fit remarquer, le père, qui avait été lui-même professeur de pédagogie, lui répondit le plus sérieusement du monde: «Tu peux m’en être reconnaissant. Plus d’une fois dans ta vie tu auras à supporter que l’on ne fasse pas attention à toi, ou que l’on ne prenne pas au sérieux ce que tu dis. Si tu l’as appris auprès de moi, tu y seras déjà habitué. Ce que l’on apprend jeune, on s’en souvient toute la vie.» Le fils, alors âgé de vingt-quatre ans, en fut interloqué. Combien de fois n’avait-il pas entendu ce type de discours sans mettre le moins du monde en question son contenu. Cette fois cependant, il fut pris de colère, et (...) il dit: «Si tu voulais vraiment continuer à m’éduquer selon ces principes, en fait, tu devrais aussi me tuer, car un jour ou l’autre il faudra que je meure. Et c’est comme ça que tu pourrais m’y préparer le mieux!»»
Alice Miller, «C’est pour ton bien»
En matière d’horizon radieux conduisant à broyer des vies au nom de lendemains dont chacun sait bien, au fond, qu’ils ne chanteront jamais, les sociétés capitalistes n’ont désormais plus rien à envier à ce que furent leurs homologues soviétiques. Chez elles, ce n’est pas le mythe du socialisme réalisé qui permet l’asservissement de la population à une classe dominante pétrie de visées totalitaires: c’est le mirage du plein emploi, et la marche forcée qui leur est imposée pour tendre vers ce modèle illusoire. Vous ne pouvez pas avoir un emploi correctement rémunéré, exercé dans des conditions qui ménagent votre santé physique et psychique, avec suffisamment de stabilité, d’avantages matériels et de temps libre pour que le jeu en vaille la chandelle? Vous aurez des emplois éreintants, qui détruiront votre corps et lamineront votre esprit, morcelleront et envahiront votre emploi du temps, vous interdiront tout projet d’avenir, et vous devrez parfois en cumuler plusieurs pour grappiller une petite aumône vous permettant de survivre, à défaut de vivre – vivre? Et puis quoi, encore?...
La fonction d’élu se confond de plus en plus avec celle de négrier, ou de maquereau: elle consiste à mettre à la disposition des employeurs, pour un coût insignifiant, un réservoir de main d’oeuvre docile et malléable, accablée de devoirs et privée de tout droit. Avec une différence notable et singulière: en accordant aux entreprises des subventions publiques astronomiques pour des embauches qui ne viennent jamais ou repartent très vite, ces maquereaux-là sont prêts à payer le client pour qu’il monte (voir, sur «Inventaire/Invention», «La flamme qu’au-dedans on porte», lecture de «Daewoo», de François Bon: http://www.inventaire-invention.com/lectures/chollet_bon.htm ). Mais, bien sûr, les parasites que l’on désigne à la vindicte populaire, ceux à qui l’on conteste la légitimité de chaque centime accordé, ce sont toujours les chômeurs, et non les délocalisateurs, les actionnaires insatiables ou les patrons goinfrés d’argent public. Et un scandale comme celui des maladies du travail non identifiées comme telles – ce qui les fait prendre en charge par la Sécu, et non par la caisse financée par les employeurs –, fait étonnamment peu de bruit (lire, dans «l'Humanité» du 11 août, «Ces maladies du travail qu'on ne veut pas voir»: http://www.humanite.fr/popup_print.php3?id_article=811788 ).
Cet été, en France, l’étau s’est encore resserré pour ceux qui viv(ot)ent de leur salaire ou de leurs allocations chômage. Le gouvernement a mis les nerfs des salariés encore un peu plus à vif en créant le «contrat nouvelle embauche», qui permet, dans les entreprises de moins de vingt salariés, de licencier les nouveaux embauchés du jour au lendemain, sans fournir de motif, pendant une période de deux ans. Tu refuses de lécher la semelle de mes chaussures? Tu ne te laisses pas peloter? Tu es enceinte? Ta tête, tout bien réfléchi, ne me revient pas? Dehors! (Lire l’analyse de Gérard Filoche, «Les intégristes libéraux, le «contrat nouvelle embauche» et l’explosion qui vient»: http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2584 ) En même temps, le décret renforçant le contrôle des chômeurs a été publié début août au «Journal officiel». En mai dernier, en Allemagne, le ministre chrétien-démocrate de la Justice de Hesse avait poussé jusqu’à son terme la logique qui sous-tend ce genre de mesures, en suggérant de «remettre de l’ordre dans la vie des chômeurs»: «Beaucoup ont perdu l’habitude de vivre à des heures normales, ce qui compromet leurs chances de travailler ou de suivre une formation. Garder un oeil sur eux avec des menottes électroniques pourrait les aider à s’aider.» (Rapporté par «le Canard Enchaîné», 4 mai 2005.)
Certes, les sondages fort opportuns censés démontrer un «durcissement de l’opinion à l’égard des chômeurs» sont une manipulation que «CQFD» a raison de pointer: http://cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=686 . Mais c’est une maigre consolation. Devant ce qu’on est en train de faire de nos vies, on devrait tous être dans la rue, salariés et chômeurs confondus. Pourquoi n’y est-on pas? L’une des réponses possibles, c’est peut-être cette confusion naïve qui nous fait croire qu’en se crevant au boulot – n’importe quel boulot – pour enrichir un patron, on trouve une «utilité sociale», alors qu’on peut très bien, au contraire, se retrouver partie prenante d’une activité économique nuisible à la société; c’est peut-être, surtout, ce dolorisme persistant qui nous persuade qu’il nous faut nous sacrifier pour mériter l’estime et le respect tant de nous-mêmes que de nos semblables. Profitez de la vie, faites ce qui vous plaît, ménagez-vous, dormez beaucoup, soyez heureux: même si votre bien-être ne nuit objectivement à personne, même s’il n’y a aucun lien de cause à effet entre lui et la souffrance des autres (c’est à peine si notre réprobation fait la différence entre un ex-PDG de Carrefour qui se carapate avec 38 millions d’euros et un chômeur qui fait la grasse matinée!), vous serez sur la sellette, aux yeux des autres et aussi, probablement, à vos propres yeux. On vous reprochera vivement, ou vous vous reprocherez vous-même, l’indécence de votre mode de vie, alors que, pendant ce temps, d’autres suent sang et eau; on vous accusera, ou vous vous accuserez, d’être déconnecté de la réalité...
Incroyable, comme il peut être difficile de se passer un tant soit peu de cette sorte de blindage moral que constitue une vie pénible, et de s’avancer, à découvert, en revendiquant son refus de se faire violence, de s’accabler de contraintes, ou simplement sa volonté d'être bien traité. C’est à une tempête de haine que l’on s’expose. Il y a peu, dans le courrier des lecteurs de «Libération», une jeune diplômée au chômage osait se demander quand on daignerait enfin lui accorder, en contrepartie de son travail, les moyens de vivre («Bac + 7, profession stagiaire», 22 juin 2005). Immanquablement, parmi les réponses publiées quelques jours plus tard, il y avait une lettre qui répliquait: «Le marché du travail ne rencontre pas toujours notre vocation! On peut le déplorer, mais c’est la vie!» Et de rappeler le sort des élèves de l’enseignement technique et technologique, encore moins favorisés. Il y a plus malheureux que toi, alors arrête de pleurnicher: refrain connu. A quelqu’un qui s’interroge sur la légitimité et l’équité d’une situation, on répond comme s’il avait voulu engager une course à celui qui est le plus à plaindre, et donc le plus valeureux sur le plan moral...
C’est peut-être bien à cette «pédagogie noire» dont la psychanalyste Alice Miller dénonce depuis des décennies les ravages que se ramène cette mentalité: l’idée que c’est seulement quand on souffre qu’on est dans le vrai, et que se soucier de son propre bien, c’est se ramollir dangereusement, se rendre coupable d’une faute impardonnable. Au printemps dernier, le cahier «Emploi» de «Libération» (14 mars 2005) rendait compte d’un dispositif mis en place en Suède pour faire face à une multiplication des arrêts maladie – très coûteux – dus à un épuisement général des salariés: la collectivité offre désormais à certains un congé sabbatique rémunéré, et leur poste, pendant ce temps, va à un chômeur. Les témoignages traduisaient bien l’énorme mauvaise conscience des bénéficiaires de ces congés: «Certains parlent de cette réforme comme d’une réforme de luxe, disait l’un d’entre eux. Pour moi, c’est vrai, c’est luxueux, c’et formidable. Mais pour la chômeuse qui me remplace un an, ce n’est pas du luxe d’avoir un boulot. Si cette réforme peut aider des gens à se remettre à flot, alors pourquoi pas.» Le dispositif ne peut donc se justifier que par son utilité au bon fonctionnement de l’économie, par le fait qu’il permet à quelqu’un de se remettre au travail, et en aucun cas par le gain de bien-être et d’épanouissement qu’il apporte. On ne prend même pas sérieusement en compte l’argument selon lequel de tels congés coûtent bien moins cher que les conséquences du stress lorsqu’il se traduit par des maladies lourdes: on se sent toujours moins gêné quand on occasionne à la collectivité des dépenses importantes pour s’être héroïquement foutu en l’air au travail, que des dépenses modérées pour avoir pris du bon temps en préservant sa santé.
Et pourtant... Pouvoir redevenir – et encore, pour une période limitée – maître de son temps, vivre à son rythme, se consacrer à des activités qui nous importent intimement, sans pour autant perdre ses moyens de subsistance, est-ce vraiment un «luxe» si exorbitant que cela? N’est-ce pas au contraire une exigence élémentaire, si on réfléchit en termes de progrès humain? Le dogme mensonger selon lequel la bonne santé de l’économie - mesurée selon les critères capitalistes - est une condition sine qua non de la qualité de vie d’une société a été si bien assimilé qu’on ne prend même plus la peine de l’expliciter: on a beau s’être aperçu depuis longtemps que ces deux finalités, loin de coïncider, étaient devenues antagonistes, on se refuse à en prendre acte. Les gouvernements se soucient ouvertement de la seule bonne santé de l’économie, en faisant semblant de ne pas voir la casse humaine exorbitante qu’elle occasionne. Mais, au fond, il y a peut-être, derrière cette primauté révoltante de l’économique sur l’humain (dont on a récemment parlé ici: http://www.peripheries.net/f-relativ.html ), autre chose que la domination d’une classe sur une autre: elle représente peut-être, plus ou moins consciemment, un moyen de nous décharger du souci trop effrayant de notre propre bonheur, que nous sommes incapables d’assumer. Peut-être y a-t-il, dans l’exploration de nos potentialités, dans la poursuite de notre épanouissement collectif, quelque chose de trop orgueilleux pour que les névroses culturelles que nous avons traduites dans la religion ne le jugent pas dangereux. On préférerait alors multiplier les sacrifices humains au dieu Travail, pourvu qu’il nous dispense de nous attaquer enfin à la réalisation de notre destin, et nous permette de biaiser avec lui le plus longtemps possible.
Le problème, c’est que ce verrouillage culturel nous rend complices de notre propre asservissement, qui devient chaque jour plus évident, plus insoutenable. Est-ce qu’on se rend compte du ridicule qu’il y a à se vanter de son endurance au travail, ou à se traiter à tort et à travers de privilégiés, alors que l’exploitation la plus obscène explose, que la machine à confisquer les richesses tourne à plein régime, et que la sacro-sainte croissance détruit notre milieu vital? Il n’y aura peut-être pas de résistance efficace aux processus en cours sans développement de notre capacité à identifier et à contester les souffrances inutiles, à assumer sans complexes notre recherche de bien-être et à affirmer sa légitimité; sans refus net de marcher dans toutes les tentatives pour dresser les salariés contre les salariés, les salariés contre les chômeurs, les chômeurs contre les chômeurs...
Notre masochisme a tort de s’inquiéter, d’ailleurs. Si on cessait de courir au-devant de la souffrance comme de la distinction suprême, de l'amasser comme un crédit, d’en redemander, de s’en vanter, ce serait un immense progrès; peut-être l’un des plus grands que l’on puisse imaginer. Mais la vie sur terre ne se mettrait pas pour autant à ressembler au «Village dans les nuages». L’année dernière, on pouvait lire dans les petites annonces de «Libération» cet extrait des «Mémoires d’Hadrien» de Marguerite Yourcenar:
«Quand on aura allégé le plus possible les servitudes inutiles, évité les malheurs non nécessaires, il restera toujours, pour tenir en haleine les vertus héroïques de l’homme, la longue série des maux véritables, la mort, la vieillesse, les maladies non guérissables, l’amour non partagé, l’amitié rejetée ou trahie, la médiocrité d’une vie moins vaste que nos projets et plus terne que nos songes: tous les malheurs causés par la divine nature des choses.»
Ça aurait de la gueule, gravé au fronton des ANPE... Non?
Mona Chollet
Ce message est envoyé à 2505 abonnés.
En cas de changement d'adresse, merci de vous désabonner au moyen du lien ci-dessous, puis d'inscrire votre nouvelle adresse sur le formulaire de notre page d'accueil.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net/ | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Sam 3 Sep - 11:22 | |
| GUILLEMETS: SALVAYRE, HENNIG, REMAURY, HUSTON Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt65.html#salvayre
«Plus sérieusement, Monsieur [le narrateur s'adresse à Descartes], ne pensez-vous pas que l’impasse de la pornographie est très précisément la vôtre, qui est de considérer le corps de l’homme comme une petite mécanique docile et prévisible, avec son petit moteur hydraulique, son arrosage automatique, ses canalisations, ses jets d’eau, ses ressorts, ses pistons, ses prises, ses pédales, ses engrenages, ses petites tenailles, ses petites cheminées, ses petites ouvertures, et toutes sortes d’esprits pour agacer les glandes au signal convenu? A quand, Monsieur, le kit d’un être humain en cinq mille pièces à monter chez soi? Ne pensez-vous pas que cette conception d’un homme machinal, enfermé dans un corps programmé au millimètre, mais privé de cette force irréductible à toute technique qu’on appelle la vie, ne pensez-vous pas que cette conception est, très exactement, porno? Voilà qui est envoyé.» Lydie Salvayre, «La méthode Mila»
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
«Elle alluma une bougie. Dans son visage replâtré s’ouvraient des yeux d’une immense bonté. Longuement elle me dévisagea. Puis, comme si elle extrayait chaque mot des profondeurs de son être, elle articula très lentement ceci: Je suis en relation télépathique avec le passé et je vais mettre en mouvement mon énergie fluidique pour visiter le vôtre. C’est ma façon, Monsieur, de résister au libéralisme. Je me dis que j’étais tombé sur une dingue, et songeai à m’enfuir.» Lydie Salvayre, «La méthode Mila»
Citations, rubrique Politique http://www.peripheries.net/f-cit9.htm
«Vous avez, Monsieur, laissez-moi vous le dire puisque mes réflexions m’y mènent, vous avez scandaleusement ignoré la mélancolie, cette mort continue qu’aucune mort n’apaise, ce déchirement muet étranger à toute raison, cette douleur démesurée au regard de laquelle tout paraît risible, frivole et sans substance, au regard de laquelle votre petite méthode et vos petites idées mathématiques sur l’homme ne sont que pitreries, j’ai la pénible obligation de vous le signaler.» Lydie Salvayre, «La méthode Mila»
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
«Voilà ce que n’a pas compris, dans son extrémisme, ce con de Descartes, poursuivis-je. Ce con n’a pas compris qu’il y avait une pensée profonde, je veux dire une pensée refoulée aux abîmes, de mèche avec les rêves et tout ce qui est obscur, saisissant de la nuit la lumière enfermée, et qui nous gouvernait par en dessous d’une main implacable. Il n’a considéré que la pensée du dessus, la volontaire, celle qu’on téléguide, comme un petit avion, celle qui sait chiffrer, la mesureuse, l’américaine, comme aurait dit Tocqueville pour qui tous les Américains étaient, sans qu’ils le sussent, des cartésiens de choc.» Lydie Salvayre, «La méthode Mila»
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
Sur ce sujet, voir aussi dans Périphéries: Eloge du relativisme historique (mai 2005): http://www.peripheries.net/f-relativ.html Le «sentiment océanique» à l'assaut du rationalisme (mars 2005): http://www.peripheries.net/f-onfray.html «La tyrannie de la réalité»: http://www.peripheries.net/tyrannie.htm
«Certaines femmes aussi ont été dévorées par leurs fesses, comme si celles-ci s’étaient rebellées contre elles. Ce sont des femmes à qui leurs fesses font honte, parce que tout le monde les regarde: on se retourne sur elles, on pousse des cris de surprise, on est saisi devant une telle farcissure. Leurs grosses fesses sont comme une accusation permanente. Elles éteignent pour ne pas se voir, mais leurs fesses brillent dans l’obscurité. Elles ont beau enfermer ces fesses compromettantes dans un gros drap ample, elles n’en finissent pas d’attirer le monde, comme des fesses faciles qui ne voudraient pas être faciles, qui tout à coup seraient plus difficiles qu’aucune autre. Elles ont cherché par tous les moyens à les aplatir, à les rapetisser, à les faire oublier, à se débattre désespérément contre elles. Mais les fesses ont triomphé, elles se sont fortifiées à leurs dépens. Et les femmes ont laissé faire. Elles ont laissé déborder leur corps par les fesses. Ce ne sont plus des femmes aux grosses fesses, ce sont des fesses avec de petites femmes dedans. Elles sont perdues désormais dans leurs fesses, comme si leur tête leur sortait par les fesses. C’est le drame des fesses-poulpes dévoreuses de femmes.» Jean-Luc Hennig, «Brève histoire des fesses»
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
«Au XVIIe siècle, «peloter» était un terme employé pour le jeu de paume: c’était échanger des balles pour le plaisir de s’échauffer, avant une partie réglée. On parlait ainsi de «peloter en attendant partie», à propos d’un galop d’essai, d’une première tentative. Très vite, la tentative devint amoureuse. Si bien que «peloter» suppose toujours qu’on espère davantage.» Jean-Luc Hennig, «Brève histoire des fesses»
Citations, rubrique (Cinq) sens http://www.peripheries.net/f-cit4.htm
«La beauté intérieure, en fait, c’est ceci: un regard posé et lointain, un front lisse, des traits calmes, un sourire nuancé, tout un arsenal physionomique de Joconde qui reste, encore aujourd’hui, une des clés du vocabulaire physique des représentations de la beauté. Sous cette apologie d’une expression sereine et détachée se cache bien sûr un jugement moral qui vient de loin et que consacrera le XVIIIe siècle: les passions trahissent, elles sont inquiétantes et, dans le cas des femmes, elles sont laides. «Une douceur affectueuse est tellement inhérente à sa nature, que la colère enlaidit sa figure sans parvenir à lui donner un air plus terrible; au lieu d’animer ses yeux et d’y faire passer tous les feux d’une âme ardente, elle ne fait que détruire la régularité de ses traits trop mobiles; on est tenté de rire lorsqu’on voit une femme en colère, tandis qu’un homme, dans la même disposition d’esprit, inspire toujours quelques craintes.» («Dictionnaire abrégé des sciences médicales», 1821.) La femme doit donc être sereine à deux titres. Elle ne peut se permettre de soutenir des passions fortes, passions qui de toute façon l’usent et la vieillissent prématurément (...). La notion, toute cosmétique, de «rides d’expressions», exprime clairement que ce n’est pas le temps qui a provoqué ces rides, mais soi-même, et qu’une autre attitude, une «dimension intérieure», une «certaine qualité d’âme» pendant la vie auraient pu changer le visage. Ainsi sont condamnés irrémédiablement «les sourcils froncés, les sourcils levés, le sourire artificiel qui creuse deux sillons du nez au coin de la bouche, la lecture tardive des romans qui provoque des sillons entrecroisés autour des yeux».» Bruno Remaury, «Le beau sexe faible – Les images du corps féminin entre cosmétique et santé»
Citations, rubrique Sexes http://www.peripheries.net/f-cit8.htm
«L'homme est chaud et la femme froide, l'homme est sec et la femme humide. (...) Une jolie fille sera ainsi, plus facilement qu’un garçon, qualifiée de «fraîche», expression qui n’est jamais qu’une manière valorisée de qualifier le froid et l’humide. Le terme «chaud», qui renvoie généralement à l’image d’un potentiel de sexualité, est un propos plutôt moins valorisant quand il s’applique à une femme qu’à un homme. La femme sèche est de la même façon plus dévalorisée qu’un homme sec. (...) C’est évidemment en vertu de ce principe que nombre de substances valorisées dans les cosmétiques le sont en fonction de l’imaginaire de la «fraîcheur», terme particulièrement présent aujourd’hui dans l’univers des cosmétiques et qui renvoie à un féminin froid et humide, alors que les quelques produits de beauté pour homme timidement apparus sur le marché il y a une dizaine d’années se réclament d’une rhétorique centrée sur la stimulation ou la protection davantage que sur la fraîcheur ou l’hydratation, même si le résultat en termes de produits est similaire. L’emballage suit également la même partition, comme la couleur des conditionnements des lignes Vichy, blanc pour les femmes et rouge pour les hommes. (...) Les produits et préparations se réclament de plus en plus d’une technologie sophistiquée alors même que le discours marketing qui les entoure obéit sans forcément le savoir à des systèmes de représentations relativement anciens, passablement archaïques et, en tout cas, remarquablement invariants.» Bruno Remaury, «Le beau sexe faible – Les images du corps féminin entre cosmétique et santé»
Citations, rubrique Sexes http://www.peripheries.net/f-cit8.htm
«Il suffit pour s'en convaincre d'écouter les interjections proférées autour de soi: elles sont loin d'être interchangeables; toutes ne se prêtent pas avec une égale souplesse à la gamme des rôles dévolus au langage interdit. «Putain» et «salope», bien qu’ils soient sur le plan dénotatif des quasi-synonymes, n’ont pas du tout un mode d’emploi identique. Quand on s’exclame «Quelle putain!» ou «Quelle salope!» à propos d’une femme, la différence réside simplement dans le degré de péjoration, mais on ne peut pas murmurer «Salope!» devant un beau tableau, tandis que «Putain!» peut très bien traduire une admiration intense.» Nancy Huston, «Dire et interdire – Eléments de jurologie»
Citations, rubrique Culture http://www.peripheries.net/f-cit1.htm
Ce message est envoyé à 2522 abonnés.
En cas de changement d'adresse, merci de vous désabonner au moyen du lien ci-dessous, puis d'inscrire votre nouvelle adresse sur le formulaire de notre page d'accueil.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net/ | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Sam 24 Sep - 17:37 | |
| A lire dans Périphéries:
UNE FEMME DE RESSOURCES Rencontre avec Séverine Auffret http://www.peripheries.net/g-auffret.html
Philosophe et essayiste, passionnée d’histoire et de mythologie, Séverine Auffret met sa pensée pénétrante et sa vaste culture au service de sujets que sa discipline a tendance à délaisser. Battant en brèche l’idée reçue selon laquelle le bonheur n’a pas d’histoire, elle s’attelle, dans «Aspects du Paradis», à rechercher les chemins du Paradis terrestre; dans «Des blessures et des jeux», elle recense quelques-unes des stratégies imaginaires que nous sommes capables de mettre en place pour faire pièce à notre impuissance quand le malheur frappe. Avec ses amies Nancy Huston et Annie Leclerc – déjà présentes dans nos pages –, elle partage une certaine conception du féminisme, pensé comme une exploration de la différence et non comme sa négation. Une position affirmée dès son premier livre, «Des couteaux contre des femmes», qui avance des hypothèses passionnantes sur l’origine de la domination des femmes et des mutilations sexuelles qu’elle continue d’impliquer dans certaines régions du monde.
RIEN DE CE QUI SE PASSE DANS LE CIEL NE NOUS EST ÉTRANGER http://www.peripheries.net/f-barbe2.html
Une nouvelle inédite de Frédéric Barbe se déroulant dans les territoires palestiniens - avant le démantèlement des colonies de Gaza. Frédéric Barbe anime la maison d’édition nantaise La rue Blanche: http://la.rue.blanche.free.fr/atelier_ecriture/index.html
Pour ceux qui n’y sont pas abonnés, nous vous invitons aussi à jeter un oeil au Carnet: «Pédagogie noire» et servitude volontaire (août 2005) http://www.peripheries.net/crnt64.html
Nous profitons enfin de ce message pour vous signaler la sortie en librairie de l’«ALMANACH CRITIQUE DES MÉDIAS», publié aux éditions des Arènes sous la direction de Mehdi Ba et Olivier Cyran, et auquel Périphéries est fier d’avoir modestement contribué. Avec la promotion gratuite que lui a offerte la campagne référendaire du printemps dernier, il ne devrait pas avoir trop de mal à rencontrer le succès qu’il nous semble mériter. Dossier complet sur le site de l’éditeur: http://www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php?numero_livre=125
Bonne lecture et à bientôt,
Thomas Lemahieu & Mona Chollet
Ce message est envoyé à 4257 abonnés.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net
Rendez visite à nos amis: http://www.peripheries.net/amis.htm
En librairie: «La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet aux éditions Calmann-Lévy Présentation: http://www.peripheries.net/tyrannie.htm Revue de presse: http://www.peripheries.net/tyrannie2.htm | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: . Jeu 20 Oct - 12:19 | |
| LA FEMME EST UNE PERSONNE Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt66.html#maniglier
Que l’antiféminisme et la misogynie les plus primaires soient désormais bombardés «nouvelle avant-garde du féminisme», tout cela au prix d'un petit badigeonnage de vernis soi-disant «iconoclaste» (ou «politiquement incorrect», ou «impertinent», ou «dérangeant»...), c’est un tour de passe-passe qui n’en finit pas de nous ébahir.
Dans un récent dossier du cahier «Emploi» de «Libération» sur le harcèlement sexuel au travail (3 octobre 2005), la présidente de l’Association contre les violences faites aux femmes pointait à raison, parmi les obstacles rencontrés pour faire avancer la cause des victimes, «cette crainte chevillée à notre culture française: ne perdons pas notre pseudo-galanterie et notre gauloiserie dont nous sommes si fiers». Or, ce discours, on le trouvait justement, mais reformulé en termes «philosophiques», dans l’article voisin: un entretien avec le – donc – philosophe Patrice Maniglier, coauteur avec Marcela Iacub d’un «Antimanuel d’éducation sexuelle»(Bréal). Pour ce monsieur, il n’y a pas lieu de faire du harcèlement sexuel un délit en tant que tel; à ses yeux, cela «crée autour du sexe un climat d’insécurité et de soupçon, même si aujourd’hui on n’appelle plus ça le «vice».» Il y voit une volonté de «purifier le lieu de travail de toute question libidinale». Il faut bien admettre que: «On veut purifier le lieu de travail de toute question libidinale», ça en impose tout de même plus que le sonore et traditionnel: «Si on peut même plus déconner!...»
Maniglier épingle «une grande partie du mouvement féministe des années 80» pour avoir «fait des rapports sexuels le lieu privilégié de la domination masculine», alors que, explique-t-il, «la domination masculine est avant tout économique et sociale», et que les femmes les plus gravement opprimées aujourd’hui sont les executive women empêchées par leur asservissement à une répugnante marmaille de devenir pédégères à la place du P.-D.G.: vivement que l’utérus artificiel soit au point! (Je résume.) Quand on veut discréditer le féminisme, il est toujours plus facile de le caricaturer. Même en admettant que leurs aînées aient été si nombreuses que cela à le faire – ce qui se discute, il me semble –, quelle féministe, aujourd’hui, dénonce les rapports sexuels – _tous_ les rapports sexuels – comme des lieux de domination, indépendamment de leur contexte? Laquelle ne fait pas la différence entre un rapport sexuel qu’une femme choisit librement, et celui qui lui est imposé par diverses pressions?
Avec un partenaire qu’elle a choisi, une femme peut être un objet sexuel et y prendre beaucoup de plaisir. Elle le savourera d’autant plus tranquillement qu’elle aura l’assurance d’être également, aux yeux de son partenaire, une personne, et de recevoir de sa part écoute, respect et considération. En revanche, quand un homme dont le désir n’est pas réciproque utilise comme moyen de chantage (explicite ou non) son rang hiérarchique et le pouvoir économique qu’il détient sur elle pour obtenir un rapport sexuel, sans se soucier de ses dispositions à elle, elle se retrouve niée et disqualifiée en tant que personne, pour être réduite au seul statut d’objet sexuel. On est donc bien dans une situation de domination. Car si la domination masculine est effectivement «économique et sociale», il est absurde de prétendre qu’elle ne passe pas aussi par la sexualité: la prostitution forcée (un pléonasme dans l’écrasante majorité des cas), ou encore les origines patriarcales de l’institution du mariage, en témoignent. Et affirmer cela ne revient pas à faire du harcèlement sexuel, comme le prétend Maniglier, une «question de morale» au lieu d’une «question politique», ni à prétendre que «les hommes sont méchants et machos»: la domination des femmes, y compris dans sa dimension sexuelle, est bien une question politique. Et le fait qu’elle soit structurelle, et non individuelle, ne décharge pas pour autant les individus de la responsabilité de leurs actes.
C’est le consentement mutuel – c’est-à-dire, le plus souvent, féminin, puisque c’est en général celui-là qui est bafoué – qui trace la ligne de partage entre le privé et le politique. C’est ce droit des femmes à ne pas faire avec certains hommes ce qu’elles font avec d’autres que les violeurs et les harceleurs leur dénient obstinément. Or, Maniglier évacue cette question du consentement avec une désinvolture qui laisse perplexe. Réprimer le harcèlement sexuel en tant que tel n’aboutira jamais à «purifier le lieu de travail de toute question libidinale»: on ne voit pas en quoi le fait de mettre un terme aux souffrances des femmes harcelées, qui ne présentent pas exactement tous les symptômes de l’épanouissement procuré par l’ébauche d’une liaison, et dont le non-consentement ne peut être mis en doute, empêcherait un grand nombre de salariés de continuer à nouer des idylles sur leur lieu de travail.
Les images sexuelles sur le lieu de travail, interroge Maniglier, «sont-elles plus infamantes pour les femmes que la photo de l’épouse du patron en tablier, accompagnée de ses quatorze enfants, accrochée dans l’entreprise? Cette image de mère renvoyée aux femmes leur fait sans doute beaucoup plus de mal que d’être un objet de désir». (Notre philosophe ne semble décidément pas envisager qu’une femme puisse considérer le statut de mère autrement que comme la pire des déchéances.) Bientôt, il va falloir dire merci aux types qui vous pelotent dans le métro, parce qu’ils ont la bonté de vous considérer comme un objet de désir! La différence entre la photo de bobonne sur le bureau du patron et l’écran de veille porno, c’est peut-être que, aux yeux du patron qui exhibe la première – accordons-lui le bénéfice du doute –, madame son épouse est une personne; en revanche, un salarié qui étale des images pornographiques signifie assez clairement que, pour lui, les femmes se réduisent à un assemblage de trous, une sorte d’Emmental qui parle (euh, non: qui ne parle même pas, d’ailleurs). Et ses collègues sont en droit d’y voir l’indice d’une beaufitude agressive, plutôt qu’une célébration décomplexée des plaisirs de la chair.
«En réalité, assure Maniglier, ces affaires d’images pornos et de blagues salaces au bureau sont un prétexte: on n’est tout simplement pas à l’aise, aujourd’hui comme il y a très longtemps, avec la chose sexuelle.» Ce qui, passé à la moulinette du traducteur philosophe/français, revient purement et simplement à dire aux femmes harcelées que, si elles souffrent du traitement qu’elles subissent, c’est qu’elles sont coincées. Aurait-on l’idée de répondre à des jeunes filles de banlieue qui se plaignent des apostrophes graveleuses des machos de leur quartier que, si elles les prennent mal, c’est parce qu’elles ne sont «pas à l’aise avec la chose sexuelle»? Cela aboutit à une autre forme de chantage qui, en poussant les victimes à vouloir démentir cette accusation, les piège: l’article qui voisinait avec cet entretien rapportait le cas d’une prothésiste dentaire à qui son patron avait fait cadeau d’un godemiché en résine rose – la matière dont on fait les appareils dentaires – en précisant l’avoir «moulé sur son sexe» («tu vois, il y a un anneau métallique à l’intérieur. Tu pourras l’attacher sur ta chaise grâce à une sangle. Tu l’auras toujours à disposition»). Ayant décidé de faire front courageusement en ravalant son humiliation, elle avait répliqué: «Moulé sur votre sexe? Et si petit?» Cette réplique lui a valu de perdre le procès en harcèlement sexuel qu’elle a intenté plus tard, car, ont estimé les juges, elle avait pu laisser entendre qu’elle «s’amusait» des «plaisanteries» de son patron.
Par ailleurs, au nom de quoi un salarié devrait-il forcément être «à l’aise avec la chose sexuelle»? En quoi sa façon de vivre sa sexualité regarde-t-elle ses collègues et supérieurs? Quel est le rapport avec ses compétences professionnelles? Faudrait-il introduire l’inscription du coefficient d’épanouissement sexuel sur les CV? La société de transparence totale qui s’esquisse dans ces raisonnements fait froid dans le dos. Maniglier préconise de sanctionner le harcèlement sexuel en tant qu’abus de pouvoir, comme dans le cas où un patron oblige ses employés «à l’accompagner prendre un café et à supporter sa conversation». Mais la différence, c’est que, dans le cas du harcèlement sexuel, il y a effraction dans leur intimité. Or, c'est là un domaine qui devrait pouvoir rester soustrait à la sphère professionnelle.
Certes, comme l’écrit la journaliste de «Libération», Sonya Faure, en conclusion de son article, «le travail n’est pas que du travail, c’est aussi des gens qui vivent». Mais, à la fois pour rendre la coexistence supportable et respecter le droit à la vie privée, chacun sait bien que, selon le contexte dans lequel il évolue, il y a des aspects de lui-même qu’il met en évidence, et d’autres qui passent au second plan. Chacun, au cours d’une même journée, est tour à tour salarié, patron, amant ou amante, mari ou femme, fils, fille, père, mère, ami, frère, soeur... (C’est d’ailleurs l’argument de ceux qui défendent le droit à utiliser des pseudonymes sur Internet: vous avez le droit de passer une annonce sur un site de rencontres sadomaso sans que votre employeur et la terre entière en soient informés par Google, par exemple.) La plupart des gens respectent spontanément le cloisonnement, au moins relatif, qui existe entre ces différentes identités. Mais quand un individu n’a pas la délicatesse de s’y conformer de lui-même, et que son comportement cause un préjudice à des membres de son entourage (quand il ne leur bousille pas carrément l’existence), si la loi est le seul recours de ses victimes pour faire cesser cette situation, on voit mal pourquoi il faudrait les en priver.
Mona Chollet
Voir aussi dans Périphéries: «Fausse route II - Le féminisme ne se divise pas» (édito, juillet 2005) http://www.peripheries.net/e-feminisme.html
GUILLEMETS Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt66.html#mernissi
«Je décidai donc de suivre une psychothérapie à l’arabe. Celle-ci consiste simplement à parler tout le temps et à tout le monde de ses problèmes sans se préoccuper de l’exaspération des auditeurs. Un jour ou l’autre, l’un d’entre eux dira quelque chose d’essentiel pour votre guérison, et vous vous serez épargné le souci et la dépense de consulter un spécialiste. La méthode est efficace mais elle a un inconvénient: elle vous fait perdre bon nombre de vos amis.»
Fatema Mernissi, «Le harem et l’Occident» Citations, rubrique Echanges http://www.peripheries.net/f-ci11.htm
«Dormir, longtemps dormir; dormir la nuit, le matin, l’après-midi; dormir sans entrave, savourer cette manière d’être à demi, dans le dialogue avec son désir...»
Séverine Auffret, «Des couteaux contre des femmes» Citations, rubrique (Cinq) sens http://www.peripheries.net/f-cit4.htm
«L’homme est entré dans les maisons, les a réchauffées et embellies, non pas tant pour s’abriter des intempéries, que pour y faire l’amour.»
Séverine Auffret, «Des couteaux contre des femmes» Citations, rubrique (Cinq) sens http://www.peripheries.net/f-cit4.htm
«Ce qui rend le corps apte au Paradis – et l’esprit capable de le revendiquer –, ce sont ses bords. Par notre peau, nos yeux, nos cinq sens, nous sommes des êtres de bord. Le bord du corps, peau et organes sensoriels, est la marque de sa séparation, de sa section, de son sexe; c’est une cicatrice, en quelque sorte – d’une ancienne blessure qui, tout le temps de la vie, ne sera peut-être jamais entièrement guérie.»
Séverine Auffret, «Des couteaux contre des femmes» Citations, rubrique (Cinq) sens http://www.peripheries.net/f-cit4.htm
Voir aussi dans Périphéries: Portrait de Séverine Auffret http://www.peripheries.net/g-auffret.html
«Se chercher un sens, c’est placer au centre de l’existence, non pas un conformisme peureux, non pas la célébration des contraintes, non pas un réalisme sans réalité, mais l’humanité, l’humain premier, non pas ajouté. La culture n’est pas la crème dont une aimable tradition de goût nous fait recouvrir la pâte ingrate de la vie réelle. La culture n’est pas une cérémonie. La culture n’est pas l’accaparement, l’émiettement, la dévitalisation de formes prestigieuses, leur démantèlement en «éléments culturels», en «données culturelles» qui n’ont plus rien à voir avec les souffrances, avec le langage, avec la conscience du peuple, et qui, à leur manière comme, à la leur, l’argent et la puissance, contribuent à le détourner de soi-même et de la vie. Il n’est pas possible qu’un peuple tout entier continue à passer ses journées à célébrer le culte archaïque de la compétition pour les choses dans la menace et le chantage, et ses loisirs à contempler, dans leurs défilés de haute culture, des mannequins moralisateurs dont les savoirs rémunérés n’ont pour but que de calfater les défauts d’étanchéité de sa soumission.»
Jean Sur, «Jacques Berque et l’Occident» http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/ima.htm Citations, rubrique Culture http://www.peripheries.net/f-cit1.htm
«Ce qu’on appelle civilisation européenne, cette «vieille soupière qui survit aux assiettes creuses», comme disait Aragon, ne tient guère qu’aux blocs de cultures antérieurs à la civilisation industrielle qui, cahin-caha, tâchent d’y survivre, de s’y rendre vaguement utiles, le plus souvent d’assurer, avec une dignité fatiguée, les fonctions de représentation qui leur sont assignées. Il y a une société industrielle, une société post-industrielle: pour Jacques Berque, il n’y a pas de culture ou de civilisation industrielle, ni post-industrielle.»
Jean Sur, «Jacques Berque et l’Occident» http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/ima.htm Citations, rubrique Culture http://www.peripheries.net/f-cit1.htm
Voir aussi dans Périphéries: Portrait de Jean Sur http://www.peripheries.net/g-jeansur.htm
«Deux Grecs, lorsqu’ils se quittaient pour longtemps, ou même lorsqu’ils pensaient que seuls leurs enfants seraient peut-être amenés à se rencontrer un jour, cassaient en deux une assiette ou un plat, chacun emportant avec lui une moitié. Ainsi, lors des retrouvailles futures, pourrait-on reconstituer le plat entier en collant bord à bord les deux moitiés. Ils appelaient de tels fragments des «tessères d’hospitalité», parce que chacun s’engageait à recevoir chez lui quiconque serait porteur de l’autre moitié, et à lui faire bon accueil.»
Jacques Bonniot de Ruisselet, «Le nombril» Citations, rubrique Echanges http://www.peripheries.net/f-ci11.htm
Ce message est envoyé à 2580 abonnés.
En cas de changement d'adresse, merci de vous désabonner au moyen du lien ci-dessous, puis d'inscrire votre nouvelle adresse sur le formulaire de notre page d'accueil.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net/ | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: .. Ven 28 Oct - 13:00 | |
| A lire dans Périphéries:
Feuilles de route «Le harem et l’Occident», de Fatema Mernissi «The Good Body», d’Eve Ensler SORTIR DU «HAREM DE LA TAILLE 38» http://www.peripheries.net/f-harem.html
En interrogeant les Européens sur la vision fantasmatique qu’ils se faisaient du harem, la Marocaine Fatema Mernissi – elle-même née dans un harem bien réel – a été intriguée de constater que les fantasmes sexuels des hommes occidentaux étaient souvent peuplés de femmes muettes, passives, et qu’ils considéraient l’échange intellectuel comme un obstacle au plaisir. Dans sa propre tradition culturelle, explique-t-elle dans «Le harem et l’Occident», les femmes, au contraire, sont réprimées en connaissance de cause, parce qu’on leur reconnaît la possibilité d’être des égales, et que leur intelligence suscite à la fois crainte et attirance. Au terme d’une enquête lumineuse, elle formule cette hypothèse: les Orientales subissent un enfermement spatial, alors que les Occidentales, elles, sont enfermées dans une image à laquelle on les somme de correspondre: ce qu’elle baptise le «harem de la taille 38». Un carcan immatériel qui, en ces temps d’uniformisation galopante, se répand cependant sur toute la planète. L’énergie que consacrent les femmes à «réparer un corps qui n’a jamais été cassé» pour le faire correspondre aux canons de la beauté, c’est aussi le sujet de «The Good Body», la pièce de la New-Yorkaise Eve Ensler, qui fait écho, avec la même vitalité, le même humour et la même perspicacité, au propos de Fatema Mernissi.
Edito La femme, l'étranger L'OCCIDENT OU LA PHOBIE DE LA DIFFÉRENCE? http://www.peripheries.net/e-difference.html
«Dans les premiers temps de la civilisation musulmane, écrit Fatema Mernissi dans «Le harem et l’Occident», le voyage et la découverte des cultures étrangères étaient indissociables de la découverte du sexe opposé. Prendre le risque d’aimer une étrangère est un thème qui se retrouve dans les légendes, les peintures et les récits.» Dans sa culture, dit-elle, on n’occulte rien du fossé que représente la différence – tant culturelle que sexuelle –, des conflits qu’elle engendre, ni du courage qu’il faut pour l’affronter, mais on est en même temps très conscient de ses charmes, et de la richesse qu’elle apporte à ceux qui osent relever le défi. A la lire, on s’interroge: et si l’Occident, lui, n’était capable de rencontrer l’autre que sur le mode de l’assimilation, et jamais du dialogue? Est-ce un hasard si, aujourd’hui, en France, ceux qui posent une équivalence absolue entre différence culturelle et barbarie sont aussi, bien souvent, les partisans d’un féminisme «assimilateur», niant toute différence sérieuse entre hommes et femmes? Dans les deux cas, il s’agit de discréditer des individus dominés qui, porteurs d’expériences et de visions du monde différentes, pourraient remettre en cause les catégories de pensée établies. Ce qui, en excluant d’office des sources potentielles de renouvellement de la société, revient à s’instituer en gardien zélé de l’ordre établi.
Bonne lecture et à bientôt,
Thomas Lemahieu & Mona Chollet
Ce message est envoyé à 4292 abonnés.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net
Rendez visite à nos amis: http://www.peripheries.net/amis.htm
En librairie:
«L’Almanach critique des médias», sous la direction d’Olivier Cyran et Mehdi Ba, éditions des Arènes (septembre 2005): http://www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php?numero_livre=125
«La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet aux éditions Calmann-Lévy (2004) Présentation: http://www.peripheries.net/tyrannie.htm Revue de presse: http://www.peripheries.net/tyrannie2.htm | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: ... Mer 30 Nov - 14:05 | |
| GUILLEMETS Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt67.html#barkat
«Le député-maire UMP de Draveil (Essonne), Georges Tron, a annoncé lundi dans un communiqué avoir «donné instruction aux services sociaux de sa mairie de suspendre immédiatement la distribution des aides du Centre communal d’action sociale pour toutes les familles dont un membre aura été à l’origine d’un acte de violence ou d’une dégradation sur un bien public et privé». Il ne s’agit pas des allocations familiales mais des seules aides communales, à savoir l’«aide alimentaire, complément EDF, aide au secours d’urgence, aide à la cantine, aide aux vacances pour les enfants, aide au financement de médicaments, l’eau, l’énergie, le téléphone», a détaillé l’élu.» AFP, 14 novembre 2005
«La responsabilité des colonisés est collective.» Sidi Mohammed Barkat, «Le corps d’exception»
A propos de ce livre, et de la façon dont il éclaire la révolte des banlieues, lire sur «Inventaire/Invention»: Dans l’ornière du droit colonial http://www.inventaire-invention.com/lectures/chollet_barkat.htm
Lire aussi, sur «Les mots sont importants»: Etat de l’opinion ou opinion de l’Etat? http://www.lmsi.net/article.php3?id_article=483
«Quelqu’un, au Conseil régional d’Ile-de-France, s’est-il déjà retrouvé demandeur d’emploi? Le Guide de la recherche d’emploi en Ile-de-France, distribué au Forum «Paris pour l’emploi» les 13 et 14 octobre, permet d’en douter. Dans une succession de conseils plus ou moins pratiques, se coince un os. Sur le ton moralisant de l’ami qui travaille, le chapitre «Organiser son quotidien» met en garde l’innocent demandeur d’emploi contre les dangereux pièges de la jungle «inactivité»: les grasses mat’, les «contraintes domestiques» et la téléphagie. «Contrairement à ce que certains pensent, vous avez fort à faire», rappelle tonton Ile-de-France, pour qui la journée type d’un demandeur d’emploi débute à 7h30, «au café du coin», pour boire «votre petit noir en parcourant, un stylo à la main, les petites annonces de vos journaux habituels». Lesquels renouvellent quotidiennement leur stock d’offres alléchantes, comme chacun sait. De 9 heures à 11 heures, direction l’ANPE, pour «passer au peigne fin les petites annonces» (après celles de la presse, donc), «discuter avec les conseillers» (qui sont, bien entendu, disponibles à toute heure, et intarissables en «tuyaux»), en bref, «rester dans le bain».
De 11 heures à 14 heures: rien. Longue pause-déjeuner? L’après-midi se passe sur les lieux de «votre prochain entretien» (si vous en avez un) ou à réactualiser votre CV (déjà tout neuf de la veille, si vous suivez le programme). Le soir, contactez les entreprises, ou répétez les préceptes du bon Conseil régional: «Surtout, ne pas rester chez soi.» «N’attendez pas l’arrive de votre conjoint pour prendre votre douche. Continuez à vous habiller décemment, à vous parfumer…» Quelle que puisse être la légitimité ou l’utilité de ce guide (pour quelques-uns), des conseils de la sorte, autant s’en passer. Les sermons intempestifs nuisent au moral. Lequel peut servir, lui, dans une recherche d’emploi.»
Ingrid Merckx, «Moralisme incongru», «Politis», 27 octobre 2005 http://www.politis.fr/
Voir aussi sur «Périphéries»: «Pédagogie noire» et servitude volontaire (août 2005) http://www.peripheries.net/crnt64.html
«J’ai suivi de près l’évolution qui a conduit les entreprises nationales de la logique de moyens, ressort du service public, à la logique de résultats, perspective purement financière. Ce qui, dans la logique de résultats, a séduit une génération de dirigeants, c’était moins l’idéologie libérale, à laquelle la plupart n’avaient pas accès, que la manière dont elle faisait écho à leurs angoisses et s’accordait avec leur volonté de puissance. L’exaltation de la compétition, l’infantilisme de l’équipe soudée et prête au combat, une sorte de scoutisme cruel leur étaient d’excellents alibis pour oublier leur immaturité et fuir leurs problèmes les plus brûlants. Ces faibles aimaient les mots d’ordre. Ils aimaient aussi privilégier les chiffres, les statistiques, toute cette vêture mathématique qui protégeait déjà leur adolescence de l’air trop frais des passions et de la liberté. L’entreprise leur donnait du pouvoir en leur rendant leurs quinze ans: les malheureux n’y résistaient pas, ils s’y grillaient tout vifs. Sort que veulent éviter leurs successeurs, qui travaillent parce qu’il faut bien vivre, mais en laissent beaucoup plus qu’ils n’en prennent.»
Jean Sur, «Le marché de «Résurgences»» 22 http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/marche22.htm
Citations, rubrique Politique http://www.peripheries.net/f-cit9.htm
«La vie est un cadeau qui m’est fait, pas une mission qui m’est confiée. Il m’a fallu réprimer un sourire bien triste quand, rendant visite à l’un de mes meilleurs amis que le cancer allait emporter, j’ai entendu ce militant, aussi courageux devant la mort que devant la vie, déplorer de devoir quitter cette terre alors que tant de travail restait à y faire. Je n’aurai pas de si nobles soucis. Les rôles qu’on m’a assignés, ou que je me suis provisoirement attribués, je les ai toujours sentis raides et froids comme des armures. Je n’y entendais pas battre mon coeur. Comme je voyais là de la médiocrité, je me forçais à prendre la pose. Maintenant, les craintes se sont enfuies avec les illusions, et je reste à déballer le paquet reçu il y a soixante-douze ans, me piquant encore à ses épingles avec la même impatience.»
Jean Sur, «Le marché de «Résurgences»» 22 http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/marche22.htm
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
«Se méfier du pessimisme affiché. Cet homme cultivé m’assure que l’affaire Terre, comme disait Fargue, finira très mal, qu’on ne peut, au mieux, que retarder l’échéance, que l’espérance humaine est un dérisoire grain de sable jeté dans une mécanique qui s’en amuse. Pour un peu, il reprendrait le mot soufflé à Malraux par je ne sais plus quel grand de ce monde, Mao, je crois: la mort a toujours le dernier mot. Le grand écrivain le trouvait si profond qu’il le commentait gravement avec le général de Gaulle. À cinq ans et demi, je devais être aussi intelligent que Malraux, Mao et De Gaulle réunis puisque cette perspective m’était déjà familière. Donc, de la bouche de l’homme cultivé s’échappaient, comme des oiseaux de nuit, des évidences désolantes. Et, songeant sans doute à mes cinq ans et demi, il me semblait sonder de grandes profondeurs. J’imaginais ce sombre héraut en proie aux tourments de notre nature périssable, un crâne dans la main droite, abandonnant à chaque seconde un peu de sa soif et de sa faim, déserté par l’amour, terrifié par les progrès de l’Ennemie... Chansons! Aussi tragique que mon genou, le bougre! Le hasard, peu de temps après, me le fit voir en action dans une entreprise. Une machine à contrats, un bouffeur de réussite. Prêt à soutenir tout et son contraire selon le museau de l’interlocuteur. Un consultant orgastique et organisé. Dans cette frénésie, il y avait la caricature de l’éternité: l’immortalité désirante, ses mâchoires désarticulées, incapables de s’arrêter de claquer, l’enfer de la croissance. «Encore, encore! crie le maître, répète-le que je jouisse!» Et l’esclave de murmurer: «Rien ne vaut rien, rien ne vaut rien, je vous le jure, l’espérance est impuissante, la mort a le dernier mot, le dernier mot, le dern...»»
Jean Sur, «Le marché de «Résurgences»» 22 http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/marche22.htm
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
Voir aussi sur «Périphéries»: A malins, maligne et demie, critique de «Professeurs de désespoir» de Nancy Huston (septembre 2004): http://www.peripheries.net/f-huston2.htm
«Il arrivait que ma grand-mère, ou une voisine, presse ma mère de venir assister à quelque événement du quartier ou d’aller apaiser quelque conflit entre ménagères. Elle glissait alors un regard désolé sur sa tenue négligée et ses cheveux pas trop coiffés puis, jetant son tablier, s’écriait fièrement, comme on prend la Bastille: «Tant pis, j’y vais comme ça!» C’était rare qu’elle sorte comme ça, sans ajustements, pomponnages et pomponneries, sans obsession de faire distingué. Ces déboulés enthousiastes vers le monde, c’est la meilleure leçon que je garde d’elle.»
Jean Sur, «Le marché de «Résurgences»» 22 http://perso.wanadoo.fr/js.resurgences/marche22.htm
Citations, rubrique Echanges http://www.peripheries.net/f-ci11.htm
«Dans un vieux film soviétique, «Le Quarante et unième», inspiré du roman de Boris Lavreniev, paru sous le même titre, il y a une scène qui m’interpelle. Le film raconte l’histoire d’une jeune et courageuse soldate de l’Armée rouge qui a capturé un ennemi, un séduisant officier de la Garde blanche. Ils sont là dans une cabane en plein désert, attendant le retour de l’unité de la jeune femme. La soldate de l’Armée rouge, dont le grand coeur est réfractaire au dogmatisme, tombe amoureuse de son charmant ennemi idéologique. A un moment, le papier à cigarettes vient à manquer à son compagnon. Généreusement, elle donne à son prisonnier le seul objet précieux qu’elle possède: un modeste carnet où elle a consigné des vers. L’officier blanc roule son tabac dans la poésie de la soldate et la fait insolemment partir en fumée, sous les yeux médusés des spectateurs, et cela jusqu’à la dernière ligne.
Pouvons-nous imaginer la situation contraire? Non. Car la scène en question, aussi naïve et touchante soit-elle, représente bien plus qu’une scène de cinéma: c’est le résumé métaphorique de l’histoire des lettres féminines, du rapport des femmes à leur propre créativité ainsi que du rapport des hommes à la créativité de leurs compagnes...»
Lire la suite: «Les femmes, le tabac et la littérature», par Dubravka Ugresic, «Le Monde diplomatique», septembre 2005 http://www.monde-diplomatique.fr/2005/09/UGRESIC/12582
Citations, rubrique Sexes http://www.peripheries.net/f-cit8.htm
«Il me semble d’ailleurs que c’est en Ecosse, cet été-là, que je me suis formulé avec un effroi libérateur qu’un jour peut-être je deviendrai hermétique à ces rougeurs impromptues du visage qui dénoncent en nous quelque chose dont nous ignorons nous-mêmes les enjeux, de même que je n’éprouverai plus, peut-être, la sensation des cheveux qui se hérissent au rythme d’une parole chargée d’émotions par trop incontrôlables. Si l’effroi était libérateur, c’est que cette menace d’une inertie mortifère du visage m’apparut bien pire que le malaise rémanent depuis l’adolescence de donner à voir des émotions que l’on voudrait taire, de ces émotions coupables ou non qui transpirent par le corps pour déborder les mots trop sages du discours, et qui les précipitent en vain dans la bouche, les mots, comme autant de petits cailloux dévalant la pente de la langue pour rattraper la lisibilité excessive du visage – étrange lisibilité externe du visage, de ce qui s’y déchiffre peut-être (comment le savoir, le mesurer?), qui n’est donné à lire qu’aux autres et brouille à proportion de son évidence toute lecture de soi.»
Bertrand Leclair, «Le bonheur d’avoir une âme»
Citations, rubrique Echanges http://www.peripheries.net/f-ci11.htm
«L’âme, pourtant, n’est pas qu’une parole d’Evangile ou un mot pieux. Mais comment évoquer cette part immatérielle de l’homme quand Dieu est mort, quand il n’y a plus de finalité, plus de fin, plus de transcendance? Il fut un temps, qui couvre l’ensemble du XXe siècle «couturé de camps» comme dit Hélène Cixous (le siècle des mouvements de masse inserrant au plus serré les individus, où l’Histoire comme jamais a drainé avec leur consentement docile les hommes vers les marais du pire), où il n’y eut quasiment plus que les bigots, les adeptes sectaires ou les chanteurs de charme pour oser l’employer dans l’espace social, et en réduire encore la portée jusqu’au stéréotype: en essorer dans leurs larmes de pacotille les derniers sucs – à force de n’être plus que mal dite, l’âme est devenue, littéralement: maudite. La notion d’âme, l’une des plus importantes et des plus discutées de l’histoire de la philosophie et de l’art aussi bien, n’a, très littéralement, plus droit de cité. Et c’est la cité, bien sûr, qui en souffre. L’âme n’a plus droit de cité, cela veut dire aussi, dans une mesure certaine, la poésie non plus – et c’est la cité qui souffre de cette avarice collective du langage arrimé aux tables de la communication.»
Bertrand Leclair, «Le bonheur d’avoir une âme»
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
«Alors que je lui demandais récemment des précisions, une amie, dont l’âme est concrètement une préoccupation quasi quotidienne puisqu’elle est luthière, m’a d’abord expliqué que «l’âme» du violon est une petite pièce découpée dans la fibre de l’épicéa, que le luthier place à la fin de son ouvrage dans le corps du violon une fois terminé, entre la table et le fond, au niveau de l’ouïe, usant pour ce faire d’une «pointe aux âmes». Animée par la passion de l’objet, elle en vint assez vite, répondant à mes questions idiotes mais intéressées, à lâcher cette phrase, que je n’attendais pas mais que j’aurais pu espérer: en matière de violon, «il n’y a pas de corps sans âme»; non seulement parce que l’âme est ce qui donne sa qualité sonore à l’instrument (un Stradivarius sans âme n’a qu’un son de crécelle), mais qu’elle est aussi ce qui lui donne sa solidité, son unité. Je pousse très légèrement le bouchon: sans âme, mémoire du son générique, le corps se brise à la première pression excessive.»
Bertrand Leclair, «Le bonheur d’avoir une âme»
Citations, rubrique Destin http://www.peripheries.net/f-ci12.htm
«C’est par l’âme, l’idée du corps en tant qu’il est sexué, ce pourquoi l’on peut dire en guise de raccourci brutal que l’âme a un sexe, celui du corps qui le porte, c’est par l’âme que s’exprime une puissance libidinale dans la langue – tout particulièrement, évidemment, lorsqu’elle s’exerce sur la page, lisant ou écrivant.»
Bertrand Leclair, «Le bonheur d’avoir une âme»
Citations, rubrique Création http://www.peripheries.net/f-cit7.htm
Ce message est envoyé à 2634 abonnés.
En cas de changement d'adresse, merci de vous désabonner au moyen du lien ci-dessous, puis d'inscrire votre nouvelle adresse sur le formulaire de notre page d'accueil.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net/ | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: ... Sam 22 Avr - 15:46 | |
| Bonjour à tous,
A lire dans Périphéries:
UNE PHILOSOPHIE DE L’AUTRE «Mélangeons-nous», de Vincent Cespedes http://www.peripheries.net/f-cespedes.html
Dans un univers intellectuel et médiatique confiné, qui ne veut plus donner droit de cité qu’à la diabolisation de l’Autre, «Mélangeons-nous» apporte une bouffée d’air frais plus que bienvenue. Vincent Cespedes y rappelle cette vérité toute simple: aucun être humain, aucune culture ne peut vivre, évoluer, s’épanouir, sans l’apport constant d’autres êtres humains, d’autres cultures. Avec son style, ses références, ses images, le jeune philosophe revisite et approfondit des thèmes familiers: battant en brèche la vision rationaliste d’individus isolés, dotés d’identités fixes et monolithiques, il invite à prendre acte des mélanges qui nous constituent déjà, et qu’il nous appartient de poursuivre. Clairvoyante et salutaire, sa description de la peur de l’autre qui ravage ses contemporains, tant au niveau intime que collectif, et son invitation à la dépasser, feront sans doute grincer quelques dents. Mais il dispose d’un atout indiscutable: une vitalité contagieuse, un plaisir communicatif de penser, de découvrir, de comprendre, depuis longtemps introuvables chez ceux qui dévoient la philosophie pour en faire la couverture respectable de leurs crispations belliqueuses et mortifères.
Bonne lecture et à bientôt,
Thomas Lemahieu & Mona Chollet
Ce message est envoyé à 4732 abonnés.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net
En libraire: «La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet, Folio Actuel, 2006 http://www.peripheries.net/tyrannie.htm | |
| | | kamchatk Invité
| Sujet: ... Dim 9 Juil - 12:53 | |
| PROSTITUTION : LES PIÈGES DU PRAGMATISME http://www.peripheries.net/e-prostitution.html
Face aux conditions de vie infernales imposées aux prostituées françaises par la loi sur la Sécurité intérieure, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer la reconnaissance de la prostitution comme un métier. A priori séduisant, le discours réglementariste mérite pourtant qu’on y regarde de plus près. En se plongeant dans la littérature sur le sujet, on s’aperçoit que, contrairement à un abolitionnisme authentique – avec lequel les lois Sarkozy ont peu à voir –, la légalisation, qui rend respectable la prostitution, et non les prostituées, est très loin d’améliorer leur sort, quand elle ne l’aggrave pas. Favorisée par la rencontre de l'idéologie libérale et de l'actuelle vague de fond antiféministe, elle comporte aussi des implications très inquiétantes pour le statut et les droits de l’ensemble des femmes. Révélatrice de l’état des rapports entre les sexes, la prostitution est un «résultat social» et non un phénomène marginal; elle fait de ceux qui la pratiquent les boucs émissaires de problèmes qu’elle est impuissante à résoudre. Par son pragmatisme, qui est l’autre nom de la résignation, le réglementarisme n’aboutit qu’à verrouiller et à aggraver des situations qu’une société digne de ce nom ne devrait pas renoncer à penser et à changer.
Bonne lecture et à bientôt,
Thomas Lemahieu & Mona Chollet
Ce message est envoyé à 4580 abonnés.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net
En libraire: «La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet, Folio Actuel, 2006 http://www.peripheries.net/tyrannie.htm |
| | | kamchatk Invité
| Sujet: ... Sam 7 Oct - 11:57 | |
| Bonjour à tous,
A lire dans Périphéries:
«CULTE DU CORPS», OU HAINE DU CORPS? http://www.peripheries.net/e-corps.html
La polémique médiatique déclenchée par la décision des autorités madrilènes d’exclure certaines mannequins des défilés de mode en raison de leur maigreur excessive ne devrait rien changer à l’obsession contemporaine de la minceur. L’univers de la mode, de la publicité et du showbiz reflète des éléments très ancrés de la culture occidentale: un profond mépris de la chair et un besoin impérieux de la dompter. Mais il en décuple aussi la portée, en nous bombardant sans relâche d’images insidieusement normatives. Il perpétue ainsi comme naturelle l’obligation faite aux femmes de surveiller en permanence la conformité de leur physique, tandis que la presse féminine martèle à ses lectrices que la minceur est le seul idéal qui vaille dans leur vie – cette «inégalité des rôles esthétiques» est une dimension du problème totalement évacuée du débat actuel. Enfin, il accrédite l’idée, à la fois odieuse et dérisoire, mais ravageuse, que la valeur de quelqu’un réside tout entière dans sa plastique.
Bonne lecture et à bientôt,
Thomas Lemahieu & Mona Chollet
Ce message est envoyé à 4387 abonnés.
---
Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net
En librairie: «La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet, Folio Actuel, 2006 http://www.peripheries.net/tyrannie.htm |
| | | kamchatk Invité
| Sujet: ... Dim 15 Oct - 15:59 | |
| GUILLEMETS: DOMECQ, DELACOMPTÉE, DESPENTES Le carnet de Périphéries http://www.peripheries.net/crnt73.html#domecq
«Dans le même registre de clichés interprétatifs usités par la critique artistique et littéraire, le mot "ironie" semble avoir un effet magique: il suffit de le proférer pour qu’il donne de l’intérêt à tout, à défaut de montrer tout d’un autre oeil, ce qui est tout de même l’effet révélateur de l’art. Ceux qui en abusent n’ont donc pas remarqué que des intentions ironiques, nous en rencontrons beaucoup, même chez les gosses, mais toute intention ironique produit-elle une ironie de valeur? (...) Quant au second degré sur les clichés de notre vie quotidienne – comme sur les images de stars, de pub et de télévision qu’agrandit et met en série Warhol, par exemple –, il est suffisamment faible, en l’occurrence, par insuffisance d’invention formelle, par décalque quasiment repris de l’image copiée, pour nous laisser presque aussi ennuyés devant les tableaux de Warhol que devant les mêmes photos de stars, billets de dollars, boîtes de lessive, documents de pub, de magazines et de médias. Sans compter que c’est faire la part belle aux clichés que de tant nous les resservir au second degré. Comme si nous n’étions pas conscients des clichés qu’infusent les images du marché et de la télé. Images de surface, et nous devrions leur vouer notre profondeur de champ? Nous n’y attachons aucune importance, et il faudrait que l’art nous remette le nez dessus, au lieu de nous montrer comment nous longeons et traversons ces images à tout moment pour percevoir autre chose, avec ou malgré elles?»
Jean-Philippe Domecq, «La situation des esprits», entretiens avec Eric Naulleau Citations, rubrique Culture http://www.peripheries.net/f-cit1.htm
«C’est à cause de cela que l’on se révolte: parce que l’on voit ou parce que l’on pressent d’autres réels possibles, pensables, praticables, à côté ou au-delà de ce qui envahit le champ de vision de la plupart. Il ne faut jamais s’en laisser conter par ce qui a l’air d’être là. Par "La" réalité: ce singulier est singulièrement totalitaire.»
Jean-Philippe Domecq, «La situation des esprits», entretiens avec Eric Naulleau Citations, rubrique Politique http://www.peripheries.net/f-cit9.htm
«Ricardou avait craché le morceau en énonçant, dans les années soixante, que "l’écriture du roman" serait désormais "le roman de l’écriture". Comme si, depuis "Don Quichotte", au bas mot, le roman ne s’était pas toujours interrogé sur lui-même, sur sa fabrique. La différence, c’est que, pendant un quart de siècle, on a fait du roman sur le roman, on a multiplié les textes où l’auteur écrit sur le fait d’être en train d’écrire le texte que vous êtes en train de lire – équivalent de ce que j’ai appelé la tendance de "l’Art sur l’art" dans l’art moderne et contemporain. Alors, évidemment, dans ce contexte pour le moins sclérosé entre nombril d’auteur et nombril de narrateur, Houellebecq déboule et plonge le lecteur dans ce qui semble être aujourd’hui le monde le plus évident: le monde de l’entreprise, le tourisme international, la sexualité de kiosque, les codes de séduction branchée, les codes d’Internet directement injectés au vocabulaire, les dernières vulgarisations scientifiques, les modes comportementales et vestimentaires et les dernières modes de langage. Ce "monde d’aujourd’hui" à nul autre pareil et dont l’époque se gargarise, ce "monde-désormais", Houellebecq nous le sert, et le gros public croit s’y retrouver.»
Jean-Philippe Domecq, «La situation des esprits», entretiens avec Eric Naulleau Citations, rubrique Culture http://www.peripheries.net/f-cit1.htm
«Ce qui vous donne faim dans le roman, c’est sa dimension "omnivore", comme l’écrit Marthe Robert dans "Roman des origines et origines du roman". Le roman est un instrument de connaissance qui va au-delà de ce que l’on croit connaître et comprendre, et cet au-delà est tout ce que j’aime découvrir en écrivant ou en lisant un roman. Miser dans le roman la démarche par laquelle l’individu s’explique les choses comme il peut, puisque l’on ne vit pas sans chercher à s’expliquer les choses, mais miser en même temps, à chaque phrase, le point aveugle du monologue par lequel nous réfléchissons en permanence, miser l’au-delà de ce que nous croyons penser, l’à-côté, l’en deçà.»
Jean-Philippe Domecq, «La situation des esprits», entretiens avec Eric Naulleau Citations, rubrique Création http://www.peripheries.net/f-cit7.htm
«C’est le mauvais temps qui me protégeait le mieux. Plus de travaux extérieurs, personne sur les échafaudages, plus de barbecues à minuit dans les jardins avec beuglantes en stéréo, blagues graveleuses et rires avinés. Je désirais follement les intempéries. Rien ne m’était plus délectable qu’un ciel de tempête. Je vouais un culte aux bourrasques, aux averses, à la grêle qui mitraille les chaussées et les toits. J’applaudissais l’annonce du crachin, j’exultais devant la grisaille. Si le temps virait à l’orage, c’était Noël. J’allumais des cierges dans mon for intérieur pour que l’orage éclate à pleins seaux, que les éclairs s’en mêlent, que le tonnerre explose, que les gouttes inondent les rues, les caniveaux, qu’elles noient la ville sous un édredon liquide. J’aurais aimé que la pluie enfle et se prolonge, comme la mousson. Le gel était une bénédiction, la neige une délivrance: je redoutais les glissades sur les plaques de neige molle, mais rien n’étouffe les bruits comme elle. (...) Le verglas m’incommodait, de même que le brouillard, j’en déplorais les désagréments, mais j’adorais la morsure du froid qui oblige à boucher les issues. Alors je n’avais plus à subir l’intrusion des autres, ils demeuraient chez eux enfermés à vaquer de leur côté sans s’introduire de force dans mon intimité. Le bruit des autres, le sans-gêne des autres, l’égoïsme des autres. De ceux qui envahissent l’espace entier, nos appartements, nos maisons, chacun des lieux où l’on réside. Ils entrent sans frapper. Ils s’accordent tous les droits, ils se permettent toutes les outrances. Rien ne les arrête, les autres. Personne ne les convie, ils entrent quand même. Les autres, ce sont les bruyants. Ils décident, ils s’imposent. Ce sont les prédateurs, les pollueurs de tympans, tous ces gens qui nous déversent des turbulences à pleins tonneaux dans les oreilles, qui nous volent notre liberté, qui nous arrachent à nous-mêmes. Les colonisateurs du silence, les termites du cerveau.»
Jean-Michel Delacomptée, «La vie de bureau» Citations, rubrique Echanges http://www.peripheries.net/f-ci11.htm
«Là comme ailleurs, les clients dînaient le portable à l’oreille, chacun dans son univers, assourdissants. C’est comme les transports en commun, me disais-je, il suffit de les prendre pour être assailli par les conversations gueulées à des interlocuteurs invisibles, les gens alentour ignorés, niés, réduits en cendres, toutes frontières abolies entre les espaces public et privé à la manière des régimes totalitaires, éventrés que nous sommes par les sons d’autrui, ouverts aux quatre vents, attaqués de tous côtés, fourragés sans pitié, perforés de part en part. Paradoxe de l’individualisme, on ne disposait plus de périmètre infrangible, d’un quant-à-soi étanche, la collectivité s’imposait sans sauvegarde possible (…). Elle finissait par m’excéder, moi, cette utilisation tous azimuts des téléphones portables, à pied, en voiture, à vélo, en rollers, au lit, aux W.-C., même au spectacle, quasi un nouvel organe. Tous ces gens à déblatérer en public, chacun enfermé dans son monde comme des petits sapins en plastique sous les flocons dans leur globe.»
Jean-Michel Delacomptée, «La vie de bureau» Citations, rubrique Echanges http://www.peripheries.net/f-ci11.htm
«Pendant des années, j’ai été à des milliers de kilomètres du féminisme, non par manque de solidarité ou de conscience, mais parce que, pendant longtemps, être de mon sexe ne m’a pas empêchée de grand-chose. Puisque j’avais envie d’une vie d’homme, j’ai eu une vie d’homme. C’est que la révolution féministe a bien eu lieu. Il faudrait arrêter de nous raconter qu’on était plus comblées, avant. Des horizons se sont déployés, territoires brutalement ouverts, comme s’ils l’avaient toujours été.
D’accord, la France actuelle, c’est loin d’être l’Arcadie pour tous. On n’est ni heureuses, ni heureux, ici. Ça n’a aucun rapport avec le respect de la tradition des genres. On pourrait toutes rester en tablier à la cuisine et faire des gosses chaque fois qu’on baise, ça ne changerait rien à la faillite du travail, du libéralisme, du christianisme ou de l’équilibre écologique.»
Virginie Despentes, «King Kong Théorie» Citations, rubrique Sexes http://www.peripheries.net/f-cit8.htm
«La maternité est devenue l’expérience féminine incontournable, valorisée entre toutes: donner la vie, c’est fantastique. La propagande "pro-maternité" a rarement été aussi tapageuse. Foutage de gueule, méthode contemporaine et systématique de la double contrainte: "Faites des enfants c’est fantastique, vous vous sentirez plus femmes et accomplies que jamais", mais faites-les dans une société en dégringolade, où le travail salarié est une condition de survie sociale, mais n’est garanti pour personne, et surtout pas pour les femmes. Enfantez dans des villes où le logement est précaire, où l’école démissionne, où les enfants sont soumis aux agressions mentales les plus vicieuses, via la pub, la télé, Internet, les marchands de soda et confrères. Sans enfant, pas de bonheur féminin, mais élever des gamins dans des conditions décentes sera quasiment impossible. Il faut, de toutes façons, que les femmes se sentent en échec. (...) Les armes contre notre genre sont spécifiques, mais la méthode s’applique aux hommes. Un bon consommateur est un consommateur insécure.»
Virginie Despentes, «King Kong Théorie» Citations, rubrique Sexes http://www.peripheries.net/f-cit8.htm
«Plaire aux hommes est un art compliqué, qui demande qu’on gomme tout ce qui relève de la puissance. Pendant ce temps, les hommes, en tout cas ceux de mon âge et plus, n’ont pas de corps. Pas d’âge, pas de corpulence. N’importe quel connard rougi à l’alcool, chauve à gros bide et look pourri, pourra se permettre des réflexions sur le physique des filles, des réflexions désagréables s’il ne les trouve pas assez pimpantes, ou des remarques dégueulasses s’il est mécontent de ne pas pouvoir les sauter. Ce sont les avantages de son sexe. La chaudasserie la plus pathétique, les hommes veulent nous la refiler comme sympathique et pulsionnelle. Mais c’est rare d’être Bukowski, la plupart du temps, c’est juste des tocards lambda. Comme si moi, parce que j’ai un vagin, je me croyais bonne comme Greta Garbo. Etre complexée, voilà qui est féminin. Effacée. Bien écouter. Ne pas trop briller intellectuellement. Juste assez cultivée pour comprendre ce qu’un bellâtre a à raconter.»
Virginie Despentes, «King Kong Théorie» Citations, rubrique Sexes http://www.peripheries.net/f-cit8.htm
«Le côté du monde», le livre d’entretiens de Pierre Mari avec Jean Sur (voir le précédent carnet: http://www.peripheries.net/crnt72.html#mari ), est paru. Voir sur «Résurgences» sa présentation: http://perso.orange.fr/js.resurgences/vpmari.htm ... Et celle de la collection dans laquelle il s’inscrit: http://perso.orange.fr/js.resurgences/sommairevoxpopuli.htm |
| | | kamchatka Langue pendue
Nombre de messages : 530 Date d'inscription : 17/12/2006
| Sujet: ... Mar 2 Jan - 8:53 | |
| Bonjour à tous,
A lire dans Périphéries:
«L’ACTEUR COMME PARADIGME DE LA CONDITION HUMAINE» «Dans la peau d’un acteur», de Simon Callow http://peripheries.net/article306.html
Salué lors de sa parution en anglais comme un grand livre sur l’art du comédien, «Dans la peau d’un acteur», l’autobiographie de Simon Callow (le Gareth de «Quatre mariages et un enterrement», pour aller vite), est bien plus que cela. Ecrit avec un abattage décoiffant, à la fois profond et hilarant, proposant une superbe galerie de portraits, il relève à la fois du roman d’apprentissage et du manifeste passionné. L’auteur y plaide pour la perpétuation de ce qui, dans le théâtre, l’a lui-même touché au coeur alors qu’il était encore enfant: plutôt qu’une belle mécanique dans laquelle le metteur en scène plaque sa vision sur le texte et le jeu des comédiens, un rituel de possession, propre à «revivifier le fond d’humanité de l’assistance» à travers la transformation quasi magique de l’acteur, amené par obligation professionnelle à «entretenir autant de dimensions de lui-même qu’il est humainement possible de le faire», et à (faire) comprendre ainsi que «je, ça n’existe pas».
Nous en profitons pour vous signaler que, depuis quelques semaines, Périphéries est passé sous Spip (http://www.spip.net). Cela nous permet de vous offrir enfin quelques fonctionnalités de base, comme un moteur de recherche, un fil RSS, un format impression automatique, etc. Seul inconvénient: toutes les adresses des articles ont changé. Si vous aviez placé des liens vers certains d’entre eux, ils ne sont donc plus valides.
Bonne lecture et à bientôt,
Thomas Lemahieu & Mona Chollet
Ce message est envoyé à 4525 abonnés.
---
Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net
En librairie: «La tyrannie de la réalité», un essai de Mona Chollet, Folio Actuel, 2006 http://www.peripheries.net/article15.html | |
| | | kamchatka Langue pendue
Nombre de messages : 530 Date d'inscription : 17/12/2006
| Sujet: ... Dim 21 Jan - 22:02 | |
| GUILLEMETS: VIDAL, SWIATLY, DONNER Le carnet de Périphéries http://peripheries.net/article307.html
«"Arbeit macht frei": le travail libère. C’est la phrase écrite à l’entrée du camp d’Auschwitz. Et c’est malheureusement le slogan choisi par Tommaso Coletti, président de la province de Chieti, pour les dépliants et les encarts publicitaires vantant les Centres pour l’emploi. "Le travail rend libre. Je ne me souviens pas où j’ai lu cette phrase", écrit M. Coletti dans la publicité, "mais c’est une de ces citations qui vous frappent immédiatement parce qu’elles renferment une immense vérité."»
«La Repubblica», Milan, reproduit dans «Courrier international» du 7 septembre 2006
Citations, rubrique Politique http://peripheries.net/article30.html
«Pourquoi les lecteurs présupposent-ils qu’un livre a du sens, n’est pas qu’un tissu de non-sens, et mérite d’être publié et lu? Pourquoi un livre éveille-t-il de l’intérêt chez les lecteurs? (...) Ne serait-ce pas que le "sens" se définit dans la rencontre du désir d’un lecteur qui le présuppose – et, pour ainsi dire, le projette – et d’un texte doué de certaines caractéristiques, dont la détermination est elle-même problématique, cette rencontre intervenant dans des contextes changeants qui contribuent à transformer le désir du lecteur et le sens du texte, nécessairement ouvert en cela à des interprétations multiples et variables (ce qui n’exclut pas une certaine "stabilité" ou "objectivité" dont il conviendrait de penser la nature, les limites et les conditions de possibilité)? Faut-il au contraire penser qu’il est possible de définir le sens ultime d’un texte, son noyau de sens, lequel permettrait d’en déterminer la valeur objective qui ne serait ainsi pas relative et contextuelle (chacun, selon les circonstances, trouvant ou non dans le texte l’occasion de bricoler du sens et de l’utiliser comme une boîte à outils)?»
Jérôme Vidal, «Lire et penser ensemble – Sur l’avenir de l’édition indépendante et la publicité de la pensée critique» http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/Lire-et-penser-ensemble.html
Citations, rubrique Culture http://peripheries.net/article10.html
«L’autre n’est plus pour moi la clé du paradis, mais un compagnon de paradis.»
Marianne, 43 ans, restauratrice de tableaux, «Peut-on aimer sans souffrir?», «Marie-Claire», février 2007
Citations, rubrique Echanges http://peripheries.net/article32.html
«Assise à la table de réunion, souvent, il me semble n’avoir rien à dire. Pas la peur de dire - non - le rien à dire. Quelque chose d’absent dans ma tête, des idées qui ne parviennent pas à former des mots ou des phrases. Chaque réunion comme une partie de cartes que je n’oserais pas interrompre. Demander des précisions sur la règle du jeu serait l’aveu de mon ignorance. J’envie l’assurance de ces hommes qui savent, voix forte et cigarette à la main. Alors je les écoute, hommes qui disent et qui font. Qui connaissent le nom des politiques, le nom des responsables de projet, le nom des financeurs. Ils savent et ils disent. Se mettent debout quand il faut convaincre et en imposent avec leur organe vocal.»
Fabienne Swiatly, «Gagner sa vie»
Citations, rubrique Sexes http://peripheries.net/article17.html
«Sur la quatrième de couverture de son livre, Philippe Val pose sept questions brèves qui sont comme les sept sceaux de la connaissance: "L’aventure humaine touche-t-elle à sa fin? L’homme du XXIe siècle agit-il librement? L’athéisme est-il un tabou? L’amour nous éloigne-t-il de la guerre? Les singes sont-ils fascistes? Pourquoi avons-nous peur? Comment être un homme des Lumières aujourd’hui?"
On est saisi, intimidé, par l’importance de ces questions, et on ne peut s’empêcher de songer aussitôt à la question, la huitième, celle qui les résume toutes: "Est-ce que le ridicule tue?"
Philippe Val étant directeur de «Charlie Hebdo», on pourrait croire à un gag. Mais non. Depuis longtemps déjà, l’avatar d’«Hara-Kiri mensuel» a pris sa devise au premier degré, il est devenu bête et méchant, et seul le sérieux qu’il y met prête encore à sourire. (...)
"Rien ne me prédestinait à écrire ce livre", annonce Philippe Val, ébloui par l’inattendu enfantement de ce monument. Elevé chez les Oratoriens, il aurait dû rester idiot, catho, facho, mais voilà qu’un jour, en allant faire pipi au côté d’un condisciple, "dans l’enthousiasme du soulagement", lui vient la révélation que Dieu n’existe pas. "Ce lieu d’aisances m’a été ce que le chemin de Damas fut à saint Paul." Alléluia! Voilà donc Fifi le Terrassé, contraint "d’arrêter net ses études à 17 ans pour faire de la musique, des chansons et du théâtre". Mais ne croyez pas qu’il va se désintéresser de la culture, au contraire: Montaigne, Spinoza, Shakespeare, Freud, Schopenhauer, Deleuze, tous y passent et conduisent, que dis-je, destinent le jeune athée à écrire cet incroyable «Traité de savoir-survivre». C’est l’oeuvre d’un homme à part, décidément, un homme libre qui n’hésite pas à braver ses origines sociales et culturelles pour affirmer avec force qu’il a "conscience d’avoir conscience", formule qu’il répète une cinquantaine de fois, comme pour la réinventer. C’est qu’on s’autorise beaucoup quand on est libre. "La liberté n’est rien d’autre que le chemin à parcourir pour accroître nos possibilités d’être heureux."
Pour Philippe Val, le sommet de la liberté de jouir à laquelle chacun de nous aspire, c’est l’amour aux chandelles, avec une bouteille de "Château Pétrus sur la table de nuit". Dommage, il n’y a pas de "Château Pétrus" (Pétrus est un seigneur qui n’a pas besoin de titre), mais on aura repéré au passage l’influence de Michel Onfray. Les grands esprits jouisseurs se rencontrent. Val, c’est du Onfray, mais en plus simple, si c’est possible, encore plus facile à comprendre, une sorte de vulgarisation de la vulgarisation qui n’est pas dépourvue d’une certaine vulgarité. C’est le risque quand on veut plaire : "Lecteur, si mon livre te donne l’intuition que la joie est moins inaccessible qu’il n’y paraît, j’aurai atteint mon but." C’est beaucoup nous demander en effet, que notre joie demeure à la lecture de ce traité. Le désagréable, ce n’est pas l’inculture ou l’erreur – nous sommes assez grands pour ouvrir de vrais livres – c’est l’arrogance et le bruit qu’elle fait.»
Christophe Donner, «Le Monde 2», 13 janvier 2007 Lire aussi sur Périphéries «L’obscurantisme beauf»: http://peripheries.net/article187.html
Citations, rubrique Médias http://peripheries.net/article20.html | |
| | | kamchatka Langue pendue
Nombre de messages : 530 Date d'inscription : 17/12/2006
| Sujet: .... Dim 4 Fév - 11:26 | |
| «LA VIE EST UN MANÈGE» «Etre femme sans être mère – Le choix de ne pas avoir d’enfant», d’Emilie Devienne Le carnet de Périphéries http://peripheries.net/article308.html
Voilà un livre que devraient accueillir avec soulagement les femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfant, et dont la décision, même lorsqu’elle est aussi solidement enracinée qu’un baobab, doit essuyer le typhon permanent de la pression sociale. Même si on ne partage pas toutes les références de l’auteure, on n’a pas trop les moyens de faire la fine bouche, tant la littérature sur ce sujet est rare. Et puis, l’essentiel y est: elle met noir sur blanc les arguments de simple bon sens qu’on avait en tête – ce qui fait du bien – et y ajoute quelques autres. Petite, Emilie Devienne avait rendu visite avec sa mère à une amie de la famille qui venait d’accoucher, et qui lui avait demandé: «Et toi, quand tu seras grande, tu veux beaucoup d’enfants?» «Sans penser mal me comporter, je répondis que je ne voulais pas d’enfant du tout.» L’amie avait alors suggéré à sa mère de la montrer au pédiatre – conseil qui, heureusement, n’avait pas été écouté... Elle répertorie les diverses réactions auxquelles elle a eu droit au fil du temps; à vingt ans: «Oh! tu es jeune, tu peux encore changer d’avis. C’est normal, pour le moment tu as tes études.» A trente ans: «Si tu rencontres vraiment l’homme de ta vie, tu changeras d’avis.» A quarante: «Oh, avec les progrès de la médecine, tu peux attendre encore un peu. Mais pas trop longtemps, non plus...»
Et encore: c’est sans parler de la pression médiatique. Prenons ne serait-ce que les hebdomadaires de cette semaine. Prolongeant les cocoricos suscités par les bonnes performances françaises en matière de natalité, qui, en janvier, ont retenti sur toutes les antennes, «Paris-Match» réunit sur une photo, posant devant la mairie avec leur bébé dans les bras, les 19 femmes d’un petit village de Mayenne ayant accouché au cours de l’année 2006. «Gala» constelle sa couverture de vignettes représentant des femmes célèbres avec leur enfant, sous le titre: «Leurs enfants d’abord: elles veulent être des mères parfaites!» On s’interroge d’ailleurs sur l’utilité d’en faire un dossier, tant les propos du genre «Ma famille avant tout», ou «Je suis une actrice, mais je suis avant tout une mère», sont le discours obligé de toutes les célébrités interviewées dans la presse féminine et people, où le mot «mère» appelle immanquablement l’adjectif «épanouie» – à croire que, dans ces rédactions, on dispose de logiciels de traitement de texte spéciaux, qui font l’association automatiquement. Ainsi, quand on tourne la page, en sortant du dossier «mères parfaites», c’est pour changer radicalement de registre, avec une grande interview de Lorie, titrée: «Je commence à songer à la maternité» (à 24 ans, il serait temps, en effet). On notera au passage que l’idole des cours de récréation n’a pas convoqué la presse pour lui annoncer la nouvelle en grande pompe: ce sont les journalistes qui lui demandent si, comme ses consoeurs, elle ne compte pas bientôt «mettre sa carrière entre parenthèses pour devenir maman»...
Les seuls intermèdes répertoriés par nos soins dans ce matraquage remontent à... 2001. «Marie Claire» avait alors publié un dossier tout à fait honnête intitulé «Je ne veux pas d’enfant, et alors?» (octobre 2001). Traitant du même sujet au même moment, mon magazine favori, «Elle», sans doute le plus fanatique parmi les féminins «haut de gamme» dans l’injonction à la maternité, produisait un article («Sans enfants et contents de l’être», 10 septembre 2001) bien plus tendancieux, présentant les couples concernés comme des aigris immatures et intolérants qui ne supportaient pas le bruit et le désordre. Histoire d’enfoncer le clou, un encadré répertoriait les propos les plus odieux («âmes sensibles s’abstenir!») tenus à propos des enfants sur les forums Internet des associations de «childfree». Bref, une vision des choses d’une hénaurme subtilité, et pas du tout idéologique.
Que tous les gens qui n’ont pas d’enfant soient soupçonnés de ne pas les aimer, «cela signifie-t-il que tous les gens qui ont des enfants les aiment?» interroge Emilie Devienne, que son expérience de journaliste, et la simple attention à l’actualité, ont confrontée à de nombreux témoignages du contraire. Surtout, elle rappelle cette évidence: on peut très bien aimer les enfants, s’aimer soi-même, se réjouir pour ses proches quand ils deviennent parents, s’attendrir devant les bébés de son entourage, sans pour autant avoir envie d’en concevoir et d’en élever soi-même. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, mais plutôt d’honnêteté et de lucidité par rapport à ses propres priorités et dispositions – le contraire, d’ailleurs, de l’«immaturité» si souvent reprochée aux réfractaires à la maternité... En outre, il faut avoir une vision bien indigente de la vie et des relations humaines pour s’imaginer que l’enfantement serait la seule manière de nouer des liens forts, de laisser une trace ou d’assurer une transmission – sans pour autant se croire obligée de remporter trois prix Nobel pour racheter ce refus coupable: autre piège que l’auteure pointe à raison. Elle-même est la belle-mère de deux adolescentes dont elle est très proche, et avec qui elle a établi des rapports qui lui conviennent à merveille: elle n’aurait pas aimé, dit-elle, s’occuper d’enfants à plein temps, et le fait avec d’autant plus de bonheur qu’elle n’y est pas obligée.
On se souvient aussi de ce récit, lu dans un magazine («Cosmopolitan», septembre 2006), d’une jeune femme qui, enfant, était partie en vacances avec une amie chez la tante de celle-ci. A la descente d’avion, elle avait découvert que la tante en question était Sabine Azéma – l’une des rares actrices qui, lorsqu’on l’interroge à ce sujet dans les interviews, assume sereinement son choix de ne pas être devenue mère. La jeune femme se souvenait de l’influence que la comédienne avait eue dans sa vie, au cours de ces vacances qui s’étaient répétées plusieurs années de suite: «Sabine nous a loué une petite caméra et nous a poussées à écrire des scénarios qu’on tournait après. On passe des heures à chercher des déguisements au marché. Sabine a réservé une petite voiture, mais, comme elle déteste rouler, elle reste des heures derrière un camion et on hurle de rire. On n’est pas des enfants, elle n’est pas une adulte, c’est de la magie. Des vacances à la Monsieur Hulot, surtout pas de McDo, mais des salons de thé ambiance "Arsenic et vieilles dentelles", un jardin d’hôtel plutôt que le square bondé. Sabine nous offre des objets extraordinaires, des toupies de New York, des crayons d’Angleterre. Et surtout, elle nous insuffle son sens du bonheur.»
Utile distinction à laquelle procède Emilie Devienne: ne pas être mère et ne pas avoir l’intention de le devenir ne revient pas forcément à être une «anti-mère». Cela n’empêche pas, par exemple, de s’élever contre l’ambivalence que témoigne la société à l’égard des mères, à la fois glorifiées et méprisées, par exemple quand on leur dénie toute capacité intellectuelle ou créatrice, jugée incompatible avec la fonction reproductrice (http://www.peripheries.net/article254.html). Cela n’implique pas non plus que l’on souhaite passer toute sa vie dans l’éther des idées – même si on s’y trouve bien et qu’on souhaite se réserver un temps suffisant pour y séjourner – et que l’on méprise les basses tâches matérielles: on peut prendre plaisir à soigner son intérieur, et partager la révolte d’une Annie Leclerc (http://www.peripheries.net/article50.html) devant la dévalorisation dont font l’objet les tâches domestiques, tout en sachant qu’elles perdraient tout attrait à nos yeux si elles devenaient des nécessités tyranniques, et s’il fallait s’y consacrer dans une urgence permanente. Sans compter que le travail ménager continue de peser avant tout sur les femmes – les statistiques sur les parts de temps respectives qui y sont consacrées dans le couple sont impitoyables à ce sujet. Et que, de ce côté-là, l’arrivée d’un enfant peut créer un déséquilibre inattendu entre le père et la mère: comme le fait remarquer une sociologue spécialiste de ces questions, on tombe rarement amoureuse d’un homme parce que son art de passer l’aspirateur nous a éblouie...
La cohorte de procès d’intention et de préjugés auxquels s’expose une femme qui ne souhaite pas «passer par la case maternité», la réprobation ou le harcèlement plus ou moins déguisés qu’elle s’attire – et devant lesquels elle a intérêt à garder son calme, tout accès de colère risquant d’être interprété comme une confirmation des soupçons qui pèsent sur elle! – révèlent un refus persistant, dans des sociétés pourtant considérées comme modernes, d’admettre que féminité et maternité puissent ne pas se confondre. «Pourquoi estime-t-on qu’une femme n’est jamais tout à fait une femme si elle n’a pas eu d’enfant, tandis que l’on ne dira jamais d’un homme qu’il n’est pas tout à fait un homme s’il n’est jamais devenu père?» interroge Emilie Devienne. Un jeune père de mon entourage, que, par curiosité, j’interrogeais avec tact et discrétion (enfin... j’espère) sur l’origine de leur désir d’enfant, à lui et à sa compagne, invoqua son désir à elle, et me fit avec le plus grand naturel cette réponse sidérante: «Chez les femmes, je crois que ça vient du ventre.» Etrange... Parce que, si on veut se lancer dans cet exercice périlleux qui consiste à faire parler la biologie, la réponse ne me semble pas du tout aussi évidente que cela. Après tout, la capacité de porter un enfant n’est pas la seule caractéristique qui distingue les femmes des hommes: il y a aussi le clitoris, seul organe du corps humain qui n’ait pas d’autre utilité que le plaisir – et qui suscite d’ailleurs dans toutes les régions du monde une vindicte remarquable, allant de la simple réprobation ou répression à la mutilation plus ou moins sanglante. Si les femmes ont un «destin biologique», il serait donc plutôt à deux embranchements. Et si on voulait faire un peu de mauvais esprit, on pourrait dire que ce sont plutôt les hommes qui sont assignés à la procréation, puisqu’ils peuvent rarement jouir sans émettre de la semence, ces lourdauds...
Que, pour la plupart des femmes qui font le choix de s’engager dans cette expérience, le fait de porter un enfant dans leur ventre pendant neuf mois crée avec lui un lien d’une nature particulière – pas forcément plus fort, mais peut-être plus viscéral que celui du père –, c’est plausible. Mais pourquoi celles qui n’ont pas envie de réaliser cette possibilité devraient-elles en être affectées? Emilie Devienne cite un article de Geneviève Serre paru dans la revue «L’Autre» (http://www.peripheries.net/article88.html); s’étant penchées, avec un préjugé défavorable que son enquête avait démenti, sur les femmes qui refusaient la maternité, la psychiatre remarquait: «Un élément marquant est qu’il n’y a jamais eu de regret face à ce choix. Celui-ci a été fait très tôt, à l’adolescence, et même s’il a été interrogé au cours de leur vie, il donne le sentiment d’une décision très forte sans ambivalence, sans souffrance.» De quoi dissiper un peu la terreur que m’avait laissée le film de Woody Allen «Une autre femme», dans lequel une intellectuelle sans enfants voyait sa vie s’écrouler la cinquantaine venue, et prenait conscience du manque que lui avait laissé son refus de la maternité. Tout compte fait, ce n’était peut-être pas là le reflet d’une implacable réalité, mais seulement de la légère tendance à la misogynie que laisse parfois transparaître ce cher vieux Woody...
Pour expliquer cette conviction, si répandue chez nos contemporains, qu’on ne peut être pleinement femme que si on est mère, Emilie Devienne suggère de ne pas négliger des explications qui, au premier abord, feraient sourire, comme cette croyance archaïque, encore bien ancrée d’après elle dans l’inconscient collectif, selon laquelle «en étant mère, la femme se nettoie de ce corps impur qui ne serait que sexe sans cette mission céleste». Oui – parce qu’il y a aussi ça: ne pas vouloir être mère, c’est prendre le risque de passer pour une nymphomane à la vie pathologiquement dissolue. Ou alors, pour une frigide inapte aux plaisirs de la chair. Charmante alternative, non? Malgré tout, Emilie Devienne invite, une fois qu’on est sûre d’avoir bien réfléchi, à faire confiance à son intime conviction, et à résister aux pressions, même si, parfois, «c’est tellement plus simple de faire ce qu’on attend de nous».
Elle déplore que le choix de ne pas être mère soit toujours perçu négativement, alors qu’il est le plus souvent vécu par les intéressées de façon positive. Une vie sans enfants, dit-elle, offre tout autant de moments intenses qu’une vie avec enfants. Elle ne fragilise pas les couples, pas plus qu’elle ne rend leur existence ennuyeuse (au contraire, parfois): «Si l’amour était une science exacte, ça se saurait.» Mais, en même temps, elle plaide pour que l’on prenne au sérieux la part de pessimisme qui peut aussi entrer dans ce choix. Ainsi, si elle est consciente que d’autres femmes et hommes ont une vision avant tout confiante et optimiste de la vie, elle doit reconnaître que ce n’est pas son cas: «Quand je vois des nouveau-nés attendrissants dormir à poings fermés dans leur cosy, je ne peux m’empêcher de songer à ce qui les attend: études, boulot, chômage, santé, maladie, amour, désamour...» Alors que la plupart des gens, quand on invoque la dureté des temps, balaient cet argument d’un revers de main («et la première guerre mondiale, tu crois que c’était marrant?»), elle affirme que, oui, il est légitime, si c’est ainsi que l’on perçoit les choses, de ne pas vouloir projeter un enfant dans un monde où le climat se déglingue, où la violence sociale grandit, où le racisme et l’intolérance se répandent et se banalisent, où des salariés dorment sous les ponts: «Nous ne sommes pas égaux devant notre ressenti face à l’incertitude du lendemain.» Elle-même confie sa difficulté à dénouer le paradoxe qui consiste à «trouver la vie dure tout en la donnant par amour». Etant donné son enchevêtrement d’horreur et de beauté, qui pourrait prétendre trancher pour les autres le débat sur le sens de la vie, et leur imposer un optimisme forcé? Ce qui n’empêche pas, d’ailleurs, chez ceux qui refusent d’être parents, un certain hédonisme au quotidien, ni même une passion de la vie, un refus absolu de se sacrifier ou de forcer leur nature, qui motivent tout autant leur choix: «La vie est un manège et nous ne sommes pas obligés d’enfourcher tous les chevaux.»
Mona Chollet
Emilie Devienne, «Etre femme sans être mère – Le choix de ne pas avoir d’enfant», Robert Laffont, 2007, 190 pages, 18 euros. | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: ... Sam 4 Aoû - 10:49 | |
| GUILLEMETS: JOUFFROY, ILLOUZ, LEQUESNE Le carnet de Périphéries http://peripheries.net/article313.html
«Willa Cather est sans conteste l’un des plus grands écrivains américains du XXe siècle. On ne le sait pas assez. Faulkner, lui, ne l’ignorait pas. Un jour des années 1940, alors qu’il roulait en camionnette avec Howard Hawks vers les Rocheuses pour aller chasser le coq de bruyère et qu’ils parlaient littérature, Clark Gable, qui s’était joint à eux et n’avait sans doute jamais lu un livre de sa vie, les interrompit et demanda à Faulkner (qui, lui, n’allait jamais au cinéma, bien que travaillant alors pour la Warner) quels étaient les grands auteurs américains de leur temps. Faulkner lui répondit posément: John Dos Passos, Ernest Hemingway, Willa Cather et moi. Pour la petite histoire, ajoutons que Clark Gable s’écria sans malice: "Tiens! Vous écrivez, monsieur Faulkner?" Avec la même ingénuité, Faulkner lui demanda en retour: "Vous, monsieur Gable, qu’est-ce que vous faites dans la vie?"»
Frédéric Vitoux, «Viva Willa!», «Le Nouvel Observateur», 5 avril 2007 Citations, rubrique Echanges http://www.peripheries.net/article32.html
«La fois suivante je l’ai invité à dîner. Chinois. Pour le tigre. Se barbouiller les doigts de crevettes au sel et au poivre, l’espionner dans ses choix. Poulet au curry! Mais quelle banalité Arnaud, regarde un peu mieux, canard sauce thaï, essaye! Echappe-toi, sois curieux. Ça pique? Sûrement, comme les orties, traîtreusement, tu ramasses des boutons d’or dans un pré et tout à coup ta main foisonne d’un essaim de fourmillements, le canard thaï c’est pareil, tu l’attaques, tu ne sens pas tout de suite et puis le parfum et le piment t’envahissent. Je n’ai jamais cueilli de boutons d’or. Dommage. Tu crois que c’est un handicap majeur dans la vie? Ce qui est grave c’est de ne pas avoir appris à se piquer avec des orties, les boutons d’or fanent vite, leurs pétales commencent à se disperser dans ta main et le lendemain matin ils sont étalés sur la table en dessous du vase comme une pluie d’or, sur les tiges il ne reste que les étamines. Et la piqûre d’orties? Elle est passée avec les fleurs fanées. Le soir ma mère nous faisait de la soupe avec. Les boutons d’or? Mais non grand dadais, la soupe de boutons d’or c’est pour les petites filles qui jouent à la dînette, de la soupe aux orties. Tu racontes n’importe quoi, c’est des manigances de pythies, on ne fait pas de soupe avec les orties. Bien sûr que si, et délicieuse en plus, ça ressemble un peu à de la soupe à l’oseille. Jamais mangé non plus. Mais qu’est-ce que tu manges? De la soupe Liebig en boîte, du jambon, des pâtes, et du fromage blanc. C’est tout? A peu près. Jamais de restaurant? Jamais, sauf le MacDo.
Normal qu’il ne sache pas faire l’amour, peut-être qu’en commençant par des vapeurs, cinq merveilles, je parviendrai à l’introduire dans un monde plus sensuel. Comment vivre sans boutons d’or ni soupe aux orties. Sans pudding de Noël noir comme du cirage, confit de raisins et d’écorces d’oranges: pendant la guerre on n’avait rien de ce qu’il fallait pour le préparer mais Mamie se servait de pommes de terre à la place de la farine, de figues sèches à la place des raisins, trouvait un fond de cognac ou d’armagnac et ça marchait! Et le reste aussi marchait, malgré la guerre. A cause du pudding, des valeurs de désir à conserver. Le pudding de guerre de ma grand-mère aussi dérisoire dans sa fonction d’ersatz que "Le Verfügbar aux enfers" de Germaine Tillon à Ravensbrück.»
Pomme Jouffroy, «Res nullius» http://www.desfemmes.fr/ecrits/fictions/jouffroy_res.htm
Citations, rubrique (Cinq) sens http://www.peripheries.net/article24.html
«Selon Erving Goffman, quand deux personnes sont en présence l’une de l’autre, elles échangent deux types d’informations: celles qu’elles donnent et celles qui leur échappent. D’après lui, dans une rencontre réelle, ce sont les informations qui échappent aux gens qui sont essentielles, et non celles qu’ils donnent volontairement. Les informations que les gens laissent échapper malgré eux, si l’on peut dire, dépendent beaucoup de la façon dont ils utilisent leur corps (voix, yeux, posture), ce qui veut dire qu’une grande partie de nos interactions sont une sorte de négociation entre ce que nous contrôlons consciemment et ce qui échappe à notre contrôle. Cet écart, dans les interactions corporelles, entre ce que nous disons, l’image que nous voulons donner de nous-mêmes, et ce qui échappe à notre contrôle, veut dire qu’il est difficile de décrire les aspects les plus importants de notre moi à l’aide de mots, étant donné que c’est précisément ce dont nous ne sommes pas conscients qui a le plus de chances de produire une impression significative sur la personne que nous rencontrons.»
Eva Illouz, «Réseaux amoureux» (étude sur les sites de rencontre en ligne), in «Les sentiments du capitalisme»
Citations, rubrique Echanges http://www.peripheries.net/article32.html
«En reprenant les thèses de Vladimir Propp, Rafael Pividal admet implicitement que tout sujet d’oeuvre littéraire est construit lui-même d’une certaine manière, possède une certaine structure. En fait, pour Propp l’ensemble de ces structures-sujets semble être fini et dénombrable – il en fournit une liste exhaustive – proposition qui heurte curieusement le sens commun de nombre d’apprentis écrivains, alors que nul apprenti musicien ne se scandalise autrement de ne devoir composer le plus souvent qu’avec une douzaine de notes. Mais dès 1916, le même Victor Chklovski, qui fut un des maîtres de Vladimir Propp, en tirait un important corollaire: observant les coïncidences existant entre contes espacés parfois de plusieurs milliers d’années ou de kilomètres, il concluait (dans "L’Art comme procédé"): "Les coïncidences ne peuvent s’expliquer que par l’existence de lois spécifiques de l’affabulation. On aura beau admettre des emprunts, on n’expliquera pas l’existence de contes identiques à des milliers de kilomètres de distance. (...) En réalité les contes se désagrègent et se recomposent constamment en vertu de lois spécifiques et encore ignorées qui régissent l’affabulation." (...)
Aussi, avant d’annoncer la mort du roman et d’entreprendre (ou de reprendre) l’exploration d’autres voies narratives, peut-on se demander si, de même que le conte a manqué disparaître faute de conteurs pour en perpétuer la tradition orale, le roman n’est pas menacé simplement de périr faute de romanciers exercés au métier, et si la crise du sujet précédemment évoquée ne relève pas tout bonnement d’une pure question de technique.
(...)
Les formalistes russes, force est de le constater, ne sont pas beaucoup mieux vus en France qu’ils ne le furent en leur temps en Union soviétique. Le seul fait de chercher à décrire les principes généraux qui gouvernent la composition d’un objet littéraire nous paraît une atteinte intolérable à la liberté de créer, et se préoccuper de la forme d’une oeuvre plutôt que de son contenu une attitude profondément réactionnaire. Le fait est d’autant plus étrange que le contraire paraît généralement admis dans tous les autres domaines des arts, y compris au cinéma. Il paraît encore plus singulier, si l’on songe que la littérature la plus en vogue actuellement en France – la littérature anglo-saxonne – a assimilé depuis longtemps la leçon des formalistes et ne se prive pas d’en appliquer, justement, ce qu’elle prend pour des recettes. Les universités américaines dispensent un enseignement pratique de la littérature, des écrivains y partagent leur expérience et leur métier: on peut y apprendre à écrire une nouvelle ou un roman, aussi bien qu’à résoudre des problèmes de physique par des méthodes d’analyse numérique. Mieux encore: alors même que les travaux de Vladimir Propp demeurent objets de suspicion en France, on les voit triompher à l’échelle (inter)planétaire, au terme d’une "Guerre des étoiles" qui, de l’aveu même de son réalisateur, en utilise toutes les ressources.
Quant à Kenzaburo Oe, prix Nobel de littérature, voici ce qu’il écrivait dans un article paru dans "Le Monde diplomatique" (http://www.monde-diplomatique.fr/1998/12/OE/11473 ) en 1998: "Si l’Union soviétique a disparu, plusieurs de ses mouvements intellectuels si brillants des années 20 ou 30 gardent toute leur pertinence et font partie intégrante du patrimoine vivant du XXe siècle. Cela s’applique au formalisme russe. Disons, pour simplifier les choses, que les mots de l’écriture littéraire, par un procédé que les formalistes russes appelaient ostraninie - rendre autre -, retardent la transmission du sens et rendent cette transmission plus longue. Ce procédé permet de redonner aux mots la résistance qu’ont les choses elles-mêmes au toucher. (...) Or je dois confesser ici que ma vision du roman ou de la littérature en général se fonde sur cette théorie de l’ostraninie."»
Paul Lequesne, «Victor Chklovski au secours de la littérature française?», postface à «Technique du métier d’écrivain» de Victor Chklovski http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/Technique-du-metier-d-ecrivain.html
Citations, rubrique Création http://www.peripheries.net/article29.html
Ce message est envoyé à 3201 abonnés.
--- Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net/ | |
| | | buenaventura Langue pendue
Nombre de messages : 2539 Date d'inscription : 17/02/2005
| Sujet: .. Lun 17 Mar - 12:15 | |
| Bonjour à tous,
A lire dans Périphéries:
SACRÉES ESPÈCES ET MENTEURS MENACÉS L’entreprise, c’est la vie http://peripheries.net/article316.html
Du kaki dans les yeux, des emmerdes plein la tête. Depuis des semaines, à Bogny-sur-Meuse, dans une cuvette au fin fond des Ardennes, une centaine d’ouvriers, parfois en tenue de camouflage, traquent leur dignité, leur honneur ou leur fierté, chapardés par un patron-braconnier. Le trou tombe en ruines ou - ça va plus vite - part en fumée. La mécanique du piège s’avère grossière: en promettant la main sur le coeur de les soigner, le viandard arrache les bêtes exténuées à la barre du tribunal de commerce; il les dépèce (vente des stocks, des bâtiments, des terrains et des rebuts, transformation des machines en ferraille) et, avec la plus-value réalisée, se paie grassement, s’achète un meilleur couteau et repart fureter dans les sous-bois des vallées ardennaises. Des fois, pour le féliciter de son courage, de son zèle ou de son dévouement, les autorités locales le couvrent de cadeaux; à force, il se constitue un modèle réduit d’empire. Le rapace règne, il est le roi du boulon, dans la bourgade même où, au milieu du XIXe siècle, la production industrielle de boulons a été inventée. C’est qui, le patron?
Dans le capital comme dans la capitale, c’est peut-être bien la guerre, c’est en tout cas du grand spectacle. Après avoir tergiversé pendant des mois, Laurence Parisot, la présidente du MEDEF, pilonne le bunker où est retranchée la «vieille garde» de l’UIMM, sa principale fédération... Qui le lui rend bien en minant la route du triomphe vers un patronat hyper-moderne, en froufrous roses et à la fraise tagada, voluptueux et totalitaire. L’entreprise, c’est la vie, et d’abord l’inverse, n’est-ce pas?
Dans les Ardennes, ça se gâte: l’empire s’est écroulé, l’argile l’a englouti. Sur place, les licenciés en puissance, les vivants en sursis ont le mauvais goût d’arguer que le braconnier avait la cote dans la grande famille, chez les consanguins de l’UIMM et du MEDEF. Et réclament aux organisations patronales une indemnité de 50.000 euros par personne. Scandale dans le scandale. Ce ne sont pas deux histoires; ceci est un carambolage.
Bonne lecture et à bientôt,
Thomas Lemahieu & Mona Chollet
Ce message est envoyé à 4884 abonnés.
Et toujours: «RÊVES DE DROITE - DÉFAIRE L’IMAGINAIRE SARKOZYSTE» Un essai de Mona Chollet La Découverte, «Zones» 156 pages - 12 euros En librairie depuis le 6 mars 2008 http://peripheries.net/article315.html
---
Périphéries Escales en marge http://www.peripheries.net | |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: périphéries | |
| |
| | | | périphéries | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |