LES PAYS DE COCAGNE
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 l'autorité

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buenaventura
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MessageSujet: l'autorité   l'autorité EmptyLun 29 Aoû - 17:18

l'on sait de sa pollution .. et dans les milieux anar ???

voir l'article suivant ...
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buenaventura
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MessageSujet: .   l'autorité EmptyLun 29 Aoû - 17:19

Philippe Coutant
LÕautorité dans les groupes militants,
les groupes libertaires ?
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La notion dÕautorité a deux sens, lÕautorité de compétence, liée au savoir, au savoir faire, à lÕexpérience et lÕautorité comme possibilité de donner des ordres, de commander. Comme pour la qualification de maître, deux manières dÕêtre sont concernées, celle qui transmet, qui aide à apprendre, et celle qui suppose une position hiérarchique supérieure, ce qui lui donne le droit de se faire obéir. Dans les deux cas, il y a une position asymétrique entre la personne qui occupe la place du maître et les autres personnes. Mais il existe une différence notable entre les deux sens, le premier, celui de la compétence, peut être admis comme normal et justifié si la personne nÕabuse pas de son pouvoir. Dans le second sens, le pouvoir hiérarchique du chef, le pouvoir est en lui-même abus dÕautorité, dÕailleurs lÕinterrogation sur lÕorigine de cet état de fait, la question de savoir pourquoi cÕest ainsi, émerge toujours à un moment ou à un autre. La même nuance se retrouve dans lÕidée de pouvoir, qui peut se comprendre comme capacité, comme possibilité dÕagir, de réfléchir, ou alors comme possibilité dÕexercer un pouvoir sur autrui. CÕest cette seconde acception de lÕautorité dans les groupes militants qui nous pose problème.

1 / La chefferie et lÕidée libertaire semblent contradictoires.
Nous sommes dans un cadre libertaire, où il est question de révolte, de rébellion, dÕémancipation, dÕautogestion, dÕautodétermination, dans un contexte culturel antiautoritaire, du moins qui se revendique comme tel. LÕexistence de chefferies dans les groupes militants libertaires est un constat surprenant au premier abord. Face à cela le déni, le refus dÕen parler semblent être la règle.

Il est légitime de penser que les structures militantes sont nécessaires à la coordination, à lÕefficacité et que pour agir il faut décider, organiser, donc exercer une autorité. Nous pouvons admettre facilement que tout cela contribue au développement des luttes pour lÕémancipation, à la diffusion, à lÕextension de lÕinfluence de lÕidée libertaire. Nous essayons de nous rassurer en nous disant que cÕest connu, que cela fait partie des vicissitudes, des concessions nécessaires pour fonctionner, pour faire gagner la cause. Nous tentons dÕévacuer la difficulté en pensant que nous pourrons résoudre ce type de problème après la révolution, plus tard donc.

Mais, il est également possible de prendre en compte les conséquences néfastes de ce fonctionnement lié à la chefferie militante :

* La dispersion du mouvement libertaire, les querelles de chapelles que cela induit, lÕesprit de concurrence que cela génère, la violence que cela crée sur les personnes, la violence dans les relations avec les autres groupes, ...
* Le départ des personnes qui sÕen vont dégoûtées par lÕécart entre les paroles et la pratique, les idées et les actes, lÕaspect dépressif que cela induit sur les personnes qui se sentent victimes des fonctionnements incorrects.

Si lÕon doute de cette description, il est assez facile dÕobserver quelques aspects de cette autorité asymétrique dans notre vie militante:

* Le non-respect des personnes par lÕimposition de tâches, par lÕobligation de présence, par la demande puissante qui impose de rendre des comptes sur le degré dÕinvestissement pour la cause ;
* La condamnation des comportements à propos du non-respect de la¥norme majoritaire. Ceci peut concerner le vocabulaire employé, la manière de réagir à certains événements, lÕattitude en certaines situations, les goûts culturels, la façon de sÕhabiller, la manière de sÕamuser, ....
* La dévalorisation mentale des personnes qui sont trop peu ceci ou trop cela ;
* LÕénergie humaine perdue, gâchée, le temps perdu dans les débats stériles, le sentiment dÕimpuissance et de désespoir que cela provoque;
* LÕidée que cÕest partout pareil, que lÕon nÕy peut rien, que la nature humaine étant ce quÕelle est, cÕest désespérant, que seule compte lÕapparence, la représentation, les paroles, etc.

Dans la société organisée autour de la domination, ces phénomènes sont de lÕordre de la banalité. Nous devons donc admettre que les libertaires sont des humains comme les autres. En soi, cÕest plutôt rassurant parce quÕil nÕy a pas besoin dÕavoir une stature héroïque, dÕêtre surhumain/e pour militer parmi les libertaires. Mais nous devons aussi nous rendre compte que nos errements prennent un relief particulier, parce que lÕécart entre les idées et la pratique détruit la confiance que lÕon met dans lÕidée libertaire. Au moment où toutes les autres solutions révolutionnaires (en particulier toutes les variantes issues du marxisme autoritaire) sont décriées, dévalorisées, refusées, lÕidée libertaire, elle aussi, tend à sÕautodétruire en ayant une praxis (une façon de lier théorie et pratique) non conforme à ce quÕelle énonce. LÕeffet est désastreux sur beaucoup de personnes et collectivement. De plus, cela donne des armes à nos ennemis qui peuvent nous déconsidérer facilement. La reproduction du pouvoir asymétrique en notre sein est une belle démonstration de notre incohérence, ce qui délégitime nos idées et notre action. Souvent, nous nous retrouvons coincé/es dans une double contrainte. DÕun côté, nous condamnons lÕautorité de la domination du capitalisme, de lÕautre nous devons accepter lÕargument dÕautorité en notre sein. Comme nous intégrons très vite quÕil est interdit de nous condamner nous-mêmes, de désavouer nos camarades et nos structures, nous sommes assez souvent dans la souffrance morale, dans une espèce de torture mentale, où il est impossible de sortir de ces contradictions sans dommages pour nous et les autres.

Peut-être devons-nous émettre et admettre lÕhypothèse suivante : notre difficulté, voire notre refus à nous condamner nous-mêmes est certainement proportionnelle à l'intensité de la fusion entre notre être, la subjectivité de la personne et le regroupement, la structure militante. Dans le sens inverse, il semble juste de dire que l'intensité de la souffrance, liée à la mise à distance entre la personne militante et son groupe, est tout aussi proportionnelle à la force de ce lien. La puissance de lÕidentification est inconsciente, pourtant les effets sont assez souvent visibles, dÕabord sur nous-mêmes.

2 / Les libertaires fonctionnent avec des lois, des règles, des normes, des institutions.

Nos groupes militants sont des institutions. Ces structures collectives ne sont pas celles de la société ordinaire, mais malgré notre condamnation de lÕinstitution, des institutions, en particulier de lÕEtat, malgré lÕaffirmation fréquente du refus des lois, nous ne pouvons pas nous passer dÕinstitutions ni de lois. Nos structures collectives sont des institutions imaginaires dÕune certaine socialité. Ce que décrit Castoriadis pour la société est valable aussi pour nous. Dans nos institutions, nos groupes, nos syndicats, nos comités de lutte, nos collectifs, nos assemblées générales, nos conseils, il existe une hiérarchie interne, il y a régulièrement des débats sur ce qui est bon et juste ou ce qui est mauvais, faux ou injuste. Ces débats démontrent, par leur existence même, que nous avons des référents pour juger, pour condamner ou non, pour accepter des idées, pour valider des actes, des façons de faire. La condamnation sÕexerce dÕabord, au niveau interne, par des choix pour certaines idées ou actions. Parfois, cela se traduit par lÕexclusion de personnes ou par le refus de travailler avec certaines personnes. Pour résoudre le problème, si cela est possible, nous essayons de pousser ces personnes vers la sortie. Souvent, nous installons un climat, une ambiance qui les dévalorise, les isole, les met à lÕécart, les rejette. Il nous arrive de prononcer des anathèmes, des sanctions, qui ont une forte charge symbolique, un contenu moral très fort. Cette façon de procéder peut provoquer de graves malaises chez les personnes concernées. Les débats prennent souvent la forme de discussions théorico-politiques, où la question de lÕorthodoxie est en jeu. La radicalité est un enjeu très important. Être radical donne la clé de la puissance sur les autres en interne et à lÕextérieur. La possession de la radicalité autoproclamée permet de prononcer des condamnations sur les personnes ou les groupes jugé/es trop mous ou décalé/es avec lÕorthodoxie du moment. LÕexercice de la violence symbolique existe dans les groupes et entre les groupes. La façon dont nous parlons des autres libertaires est significative de la manière, dont nous nous percevons et dont nous qualifions les Ò autres Ó, les Ò mauvais/es Ó. Le rire et la connivence que provoquent certaines allusions sont significatifs de notre attitude. Souvent, nous nous élevons facilement au-dessus des autres en les rabaissant, en les déconsidérant, en mettant en oeuvre des stratégies d'infériorisation, en pratiquant des mises à mort symboliques.

3 / LÕinterrogation sur les fins et les moyens est au centre du débat.

La critique du socialisme autoritaire a montré que les moyens font partie des fins. Staline, comme figure emblématique, a été rejeté parce quÕil mettait en oeuvre des méthodes qui contredisaient lÕidéal communiste. Mais, il reste une interrogation sur la méthode léniniste, qui considérait que, dÕune certaine façon, la fin justifiait les moyens. Cette question est renforcée par le fait quÕon se demande quelquefois si les moyens ne sont pas plus importants que les fins quÕils sont censés servir. Nos structures sont devenues de fait des structures permanentes, elles semblent parfois ne fonctionner que pour elles-mêmes. LÕidentification des personnes à ces institutions est un élément qui est significatif de notre situation et qui ajoute à la difficulté. Si nous posons des questions sur lÕorganisation, tout de suite, cÕest vécu comme une attaque personnelle, une mise en cause inadmissible des personnes, un doute sur leur engagement, leur sincérité.

LÕinjure qui marque du sceau de lÕinfamie reste encore et toujours la qualification dÕopportunisme.

AujourdÕhui, la question du rapport entre les moyens et les fins prend encore plus de relief, parce que notre existentiel est très lié à notre vie politique. Nos affects, nos émotions sont mobilisés dans notre vie militante. Le contexte contemporain postmoderne, avec le règne de lÕindividualisme et du relativisme (Ò tout se vaut ! Ó), accentue lÕimplication existentielle de nos vies en politique. La biopolitique capitaliste mobilise la subjectivité, le mental pour faire fonctionner la domination du capitalisme avec des nouvelles façons de dominer, dÕobtenir la soumission des corps et des esprits.
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buenaventura
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MessageSujet: .   l'autorité EmptyLun 29 Aoû - 17:21

Notre engagement libertaire nous permet dÕavoir une bonne image de nous-mêmes, de trouver des récits qui donnent du sens à nos vies, qui organisent le temps long et court, qui structurent notre espace mental. La militance nous fournit beaucoup dÕoccupations qui atténuent lÕangoisse métaphysique de vivre dans un monde absurde et destructeur, triste et froid. Nos emblèmes, nos drapeaux, nos sigles, nos images nous donnent accès à des places et des significations en contrepartie de notre soumission. Nous nous soumettons sans contrainte et inconsciemment, c'est-à-dire sans nous en rendre compte. Ces images sÕadressent au regard pas à la raison, elles se trouvent sur nos autocollants, nos tee-shirts, nos badges, nos tracts, nos affiches. Ce faisant, nous créons la place des maîtres alors quÕofficiellement, consciemment de façon raisonnée, nous cherchons à détruire le ou les maîtres. Sans le vouloir, nous renforçons les chefferies et leur permettons de se reproduire et de fonctionner en notre sein.

Pour exercer une autorité efficace dans notre monde Ò démocratique et libéral Ó, avant toute chose, il est nécessaire de déclarer libre la personne que lÕon veut soumettre ou contraindre à un comportement. Dans notre milieu militant, la liberté étant officiellement la règle, ceci ne pose aucune difficulté. Ensuite, nous devons fournir à la personne en question des grands idéaux pour lui permettre de rationaliser sa soumission, lui offrir des raisons qui vont justifier son engagement. Nous faisons cela régulièrement en invoquant nos grandes idées libertaires pour justifier notre fonctionnement. Nous pouvons aussi forcer la demande une fois que lÕon a obtenu un premier engagement, aussi minime soit-il. Cet engagement est lié aux affects et aux émotions, si bien que nous nÕosons plus dire non et revenir en arrière. Parfois nous nous retrouvons à faire des choses que nous nÕavions pas prévues, il arrive même que ces choses entrent en contradiction avec nos idées et notre sens moral. Ce que nous vivons est lié à lÕidée de soi, à la bonne image de nous-mêmes, à lÕestime
de soi, au narcissisme. Ce que nous refusons est dévalorisé de la même manière. Dans ce cas précis, il est impossible de trahir un/e camarade, la solidarité impose de soutenir les militant/es, de défendre lÕorganisation, etc..

En théorie la patriarchie nÕest pas compatible avec lÕanarchie, mais en pratique elle existe encore et toujours. Le genre et le machisme se portent bien dans notre milieu. Il est facile de constater qu'avoir raison, cÕest souvent être le plus fort. Si lÕon veut se rendre compte de tout cela, il suffit dÕobserver qui parle en réunion, qui centralise les débats, qui prend les notes, qui a de lÕinfluence et qui nÕen a pas, qui est chargé/e de certaines tâches pratiques. Certaines tâches sont nobles et réservées souvent en priorité aux chefs, dÕautres sont plus triviales et sont le lot des militant/es de base. DÕautre part, comment expliquer que lÕantisexisme a si bonne presse alors que la méfiance est quasi-générale vis-à-vis du féminisme. LÕantisexisme participe dÕune bonne image de nous-mêmes, le féminisme impose de se questionner au niveau intime et cela est plus difficile, plus long, plus compliqué, plus complexe, jamais acquis.

LÕinstrumentalisation des personnes militantes est banale, lÕobéissance quotidienne. L'esprit de camaraderie vient en contrepartie du sacrifice, la soumission est justifiée pour la cause. La chaleur des relations amicales, voire fusionnelles parfois, nous aide à lutter contre la tristesse, lÕimpuissance et lÕapparence spectaculaire du monde capitaliste. Avec les occupations militantes, nous sommes dans une vie chaude de temps en temps. Parfois, nous essayons dÕenchanter le monde qui est froid et brutal, y compris en notre vie militante. Nos récits peuvent être archaïques, ce qui compte cÕest la fonction de ces récits, ils soudent lÕinstance collective, le groupe.

Je pense, comme Peter Sloterdijk, quÕil faut réhabiliter la pensée froide contre les pensées chaudes qui entretiennent les mythes, les chefferies et prétendent donner accès au merveilleux de lÕinstance symbolique imaginée. Les philosophies de Nietzsche et de Sloterdijk nous montrent que le besoin de croyances et de mythes nourrit lÕillusion quÕil existe quelque chose de déjà là qui donnerait sens à notre vie, à nos vies.

Avec ces approches, nous pouvons nous rendre compte que nos croyances sont le corollaire de la nécessité dÕune illusion pour supporter notre vie, notre condition humaine, notre finitude, notre incomplétude. Après, nous nous demandons comment vivre avec cette découverte, cette donnée anthropologique. Cette question ne trouve pas toujours des réponses satisfaisantes.

Il ne sÕagit pas ici de préconiser une pureté, qui nÕexiste pas, mais dÕessayer de comprendre notre fonctionnement pour essayer dÕaméliorer notre façon de vivre la politique, de mettre en oeuvre lÕidée libertaire, de donner corps à notre biopolitique. Il sÕagit de nous donner les armes pour avancer et être de temps en temps un petit peu à la hauteur de nos idées.

Nous pouvons développer nos outils critiques, aider à leur diffusion, à leur transmission pour lÕauto-formation, la formation permanente. Les sciences humaines nous offrent beaucoup dÕapproches, qui peuvent nous aider. Par exemple, lÕoeuvre dÕEugène Enriquez est intéressante sur ces points.

Nous pouvons essayer de nous approprier les théories critiques à notre disposition afin de les utiliser pour augmenter notre puissance humaine et politique. De plus, notre histoire militante, lÕhistoire des luttes nous a légué des méthodes, des procédures qui sont valides et légitimes.

4 / Nos moyens contre la reproduction de lÕautorité

Nous essayons de mettre en oeuvre la rotation des tâches, le fédéralisme, lÕabstention amicale, le mandatement pour des tâches précises, pas un mandatement sur les personnes, ce qui, en principe, permet de ne pas tomber dans les travers de la représentation.

Eduardo Colombo a développé une version de lÕutopie qui est centrée sur lÕespace et non le temps. LÕutopie serait comme la ligne dÕhorizon, elle recule au fur et à mesure que nous avançons, que nous luttons. Cette façon de concevoir lÕutopie permet une reprise incessante de notre activité et de nos acquis ou de nos échecs. Ainsi, nous ne sommes pas dans un Òavant Ó assez gris et dans un Ò après Ó merveilleux, tout propre, sans domination.

De mon point de vue, en parler et collectiviser publiquement ces difficultés est important pour connaître le phénomène, pour comprendre sa reproduction, pour être un peu moins dans le malaise. Il me semble que cÕest une étape nécessaire, si nous voulons essayer autre chose. La militance ainsi conçue est un processus ininterrompu, un projet en acte qui tourne le miroir sur lui-même de temps en temps.

LÕauto-référence contrôlée est alors un objectif à assumer, à essayer, à réévaluer. Une réactualisation régulière de notre pratique, de nos résultats peut permettre de ne pas être toujours dans la répétition. Nous avons une difficulté pour les allers et retours entre la théorie et la pratique, parce que nous sommes impliqué/es dans ce que nous étudions ici. La recherche théorique demande une certaine objectivité, dans notre cas, notre subjectivité est prise à la fois dans les filets de la biopolitique de la domination capitaliste et dans celle de la biopolitique libertaire.

Militer avec des gens que lÕon aime cÕest simple, facile à vivre et souvent enthousiasmant. LÕaffaire se corse quand on sÕaime moins, ou plus du tout. La question épineuse reste donc celle de savoir comment faire pour militer avec des gens que lÕon aime modérément ou pas du tout.

Une autre question est corollaire de la précédente, si nous devons occuper à un moment ou à un autre une position de Ò chef Ó, comment exercer ce pouvoir sans être ou devenir oppresseur ? Il est courant de profiter de cette situation pour clore les questions sur son regroupement.

Dans cette position, nous sommes souvent tenté/es dÕorganiser la vie militante autour de nous, nous essayons de capter les valorisations symboliques pour nous-mêmes et de gonfler démesurément notre ego.

Mais, il est aussi possible de laisser ouvertes ces questions délicates et de ne pas sÕinstaller trop longtemps dans la posture dÕautorité, qui nous place un petit peu au-dessus des autres.

La question de lÕautorité devient un danger pour nous-mêmes seulement au bout dÕun certain temps de militance, lorsque les soubresauts de la vie politique nous confrontent avec nos valeurs, avec nos liens affectifs, nos émotions, nos choix de vie.

Comment vivre une fois que lÕon sÕest confronté au fait que notre construction de sens est la réponse à la nécessité dÕune illusion ? Une fois que lÕon sÕest rendu compte que nos valeurs sont lÕhabillage de notre vie, rien de plus, comment continuer ? Ce constat peut être amer, mais cela ne veut pas dire que tout se vaut, cela permet dÕassumer quÕil nÕy a pas de fondements extérieurs à la question du sens, que celui-ci vient du dedans de lÕhumanité, quÕil nÕexiste pas dÕabsolu, que nous nÕavons aucune certitude sur nos choix, nos réalisations.

LÕidée libertaire vaut toujours le coup, le lien entre notre vie et cette idée permet dÕindexer notre existentiel à la visée de justice et dÕégalité.

Pour avancer, nous pouvons et peut-être devrions-nous accepter le regard critique sur nous. Cette option peut permettre de continuer à vivre la chaleur humaine liée à notre politique tout en développant le regard critique, la pensée froide qui analyse, qui déconstruit, parfois avec violence, nos choix culturels conscients ou inconscients et nous renvoie si souvent un reflet peu glorieux.

En acceptant lÕincomplétude, la croyance, lÕinconscient, lÕambivalence, la multiplicité, nous sommes plus à même de les observer, y compris pour nous-mêmes, nous sommes plus aptes à avoir un regard critique et à essayer de trouver des solutions pour ne pas toujours reproduire tout cela. Nous connaissons le rôle fondamental de lÕimage de soi, de lÕestime de soi, le besoin de faire quelque chose de bien de sa vie, le besoin de créer. Il est facile dÕobserver pour nous-mêmes et dans la société, que lÕon vit mal si nous avons une mauvaise image de nous-mêmes.

Nous savons que nous ne pouvons pas créer quelque chose de bien dans notre vie, si nous sommes dans lÕincohérence en permanence, si nous acceptons toujours le grand écart alors que nous sommes pris subjectivement dans notre politique.

Nous passons notre temps à dénoncer les effets du capitalisme sur les humains et nous serions incapables dÕadmettre pour nous-mêmes le poids du mental, du mal-être ? Nous avons besoin des autres pour exister mentalement, comme les autres ont besoin de nous. Notre subjectivité est en cause dans ces débats. Après lÕeffondrement des mythes humanistes du XVIII° siècle, dont est issue lÕidée libertaire, nous devons essayer de fonder sur nous-mêmes les idéaux humains qui donnent cohérence à notre politique. Ces idéaux semblent toujours extérieurs à nous-mêmes parce quÕils ont un statut de référence. De fait, ils le sont du point de vue fonctionnel et cela est indispensable au bon fonctionnement du psychisme humain. Pourtant, nous pouvons examiner de temps à autre comment
nous les vivons. Nous pouvons nous poser la question de savoir sÕil est possible dÕaméliorer notre fonctionnement, dÕinterroger notre politique fondée sur lÕautoréférence, puisque cÕest nous qui nous donnons nos propres lois, ou qui tentons de le faire.

La croyance en la vérité, en la radicalité que nous posséderions seul/es est la base de la violence symbolique si présente dans le milieu militant. Celle-ci sÕappuie beaucoup sur les autres pour exister, cÕest souvent en opposition aux autres que notre valeur augmente, devient si haute, que l'on croît devenir supérieur. Au contraire, je présuppose que nous pouvons vivre ou essayer de vivre nos valeurs sans trop dÕillusions et en essayant avec ce qui dépend de nous.

Cette voie me semble plus propice à donner de la valeur à lÕéthique libertaire, qui, en ce sens, est une biopolitique, une vie politique, une politique de la vie, une politique pour la vie, une biopolitique libertaire.


Nantes le 5 Septembre 2001


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