Anarchistes en Afrique du Sud : un entretien avec Michaël Smith de la
ZACF
La ZACF [ http://www.zabalaza.net ] est l’une des formations du courant
libertaire
les plus actives sur le continent africain. Afin de mieux appréhender
son histoire,
son intervention dans la société sud-africaine et les luttes qu’elle
impulse et
soutient, nous nous sommes entretenus avec Michaël Smith, l’un de ses
militants.
Alternative libertaire : Pourrais-tu expliquer succinctement comment,
dans quelles
conditions, quel contexte Zabalaza puis la Zabalaza anarcho-communist
federation
(ZACF – Fédération anarcho-communistes Zabalaza) ont été créés ?
Michaël Smith : La ZACF trouve ses origines dans la lutte
anti-apartheid entre la
fin des années 1980 et le début des années 1990, avec la naissance au
sein du
mouvement anarcho-punk de deux fédérations anarchistes à moitié
clandestines, l’une
à Johannesburg et l’autre à Durban. Donc les conditions initiales
étaient celles
d’une guerre civile de basse intensité entre les organisations
nationalistes
blanches et noires, et les anarchistes organisé-e-s ont pris des
positions fortes
contre le néo-fascisme, le nationalisme et le service militaire. De là
est venue la
Workers solidarity federation (WSF - Fédération de solidarité des
travailleur-se-s)
en 1995 (un an après les premières élections démocratiques). La WSF
était la
première organisation anarchiste développée nationalement et était
dotée d’une
plateforme plus large avec des positions sur la « race », les classes,
le genre,
l’impérialisme, etc., dont une grande partie compose dans le corpus
idéologique du
mouvement actuel. La WSF comprenanit un nombre important de délégué-e-s
syndicaux
et avait autant de membres noirs que blancs. En 1999, tandis que
l’African national
congress (ANC – Congrès national africain) commençait à pencher à
droite et qu’il
devenait difficile de militer dans les syndicats, la WSF a été dissoute
pour des
raisons tactiques. Dès lors et avant la création de la ZACF en 2003,
nous avons
géré le musée et la bibliothèque des travailleur-se-s autonomes (un
lieu de
rencontre de la classe ouvrière) à Johannesburg et la maison d’édition
de documents
militants Zabalaza. Nous avons aidé les nouveaux mouvements sociaux
radicaux des
années 2000 à impulser le Forum anti-privatisation. Plus tard cela nous
a permis de
créer la ZACF pour nous impliquer directement dans les mouvements
sociaux. Donc,
concrètement, nous sommes passés de la semi clandestinité, puis au
syndicalisme
pour aboutir à l’activisme social en fonction des conditions objectives
de la
classe ouvrière.
Aujourd’hui, quelles sont les principales luttes/actions, dans
lesquelles la ZACF
est impliquée ?
Michaël Smith : Actuellement, notre principale activité interne
consiste à élaborer
des stages de formation politique et stratégique, tandis que notre
travail externe
repose essentiellement ce que l’on appelle des « Forums Rouge et Noir
». Ce sont
des ateliers qui proposent une analyse anarcho-communiste de
l’actualité. Au
départ, ces derniers étaient modestes et n’y participaient que des
anarchistes et
certains ami-e-s. Aujourd’hui, nous pouvons parfois voir jusqu’à 70
travailleurs et
travailleuses à un meeting dans une banlieue pauvre telle que Sebokeng,
dans au sud
de Soweto. L’autre grande différence est qu’à présent, au lieu
d’inviter des gens à
nos meetings, nous sommes invités organiser des Forums rouge et noir de
deux jours
dans des banlieues et des squats tels qu’Orange Farm. Sinon, nous
participons à des
manifestations sur l’Irak, sur la Palestine, sur la lutte sur les
conditions de
travail Sud-africaines et enfin nous avons impulsé des campagnes contre
la
répression à Oaxaca ou de soutien à des prisonniers et prisonnières en
Espagne ou
en Allemagne. Nous avons des membres qui vivent sous la dictature au
Swaziland et
nous leur apportons régulièrement un soutien matériel et politique. De
même pour
les camarades anarchistes qui vivent sous la dictature au Zimbabwe : la
ZACF a aidé
à organiser une campagne publique de solidarité pour la jeunesse du
Zimbabwe en
décembre dernier à Johannesburg.
De ton point de vue, quelles sont maintenant les urgences
politiques/sociales en
Afrique du Sud ?
Michaël Smith : Les deux plus grandes urgences politique et sociale en
Afrique du
Sud (et plus globalement dans le Sud de l’Afrique) sont sans doute a)
la violence
de genre, et b) le Sida. La lenteur du gouvernement à admettre que le
VIH est la
cause du Sida a renforcé des organisations activistes telles que
Treatment Action
Campaign (Campagne action traitement), combinant recours juridiques et
manifestations pour forcer la main du gouvernement. La ZACF n’a pas de
politique
spéciale à propos du Sida (c’est une de nos lacunes), mais à été très
active dans
la remise en cause de ses militants dans leurs comportements vis-à-vis
des femmes.
Dans tous les cas, nous avons trop peu de femmes dans notre
organisation. Les
crimes violents, principalement envers les femmes et les enfants, ont
atteint des
proportions énormes, surtout dans les quartiers les plus pauvres et
sont souvent
faussement imputés aux immigrés. Des millions de réfugiés, de Somalie,
de la région
des Grands Lacs, de la République Démocratique du Congo, du Zimbabwe,
etc…, vivent
maintenant en Afrique du Sud ; ce qui veut dire que la xénophobie est
de plus en
plus utilisée par les populistes afin de détourner la colère vis-à-vis
des
exploiteurs locaux de la classe dirigeante. Mais à la base, cette
criminalité est
le fruit d’une extrême pauvreté dans notre région ; pauvreté que le
capitalisme
refuse de résoudre puisqu’il repose sur une armée de réserve de main
d’œuvre bon
marché.
Quels sont liens de la ZACF avec le mouvement social ?
Michaël Smith : La nature de nos liens a changé de façon significative
au fil des
années. A l’époque de la WSF, la plupart d’entre nous étions
syndiqué-e-s et
plusieurs, comme moi, étaient délégué-e-s syndicaux. Aujourd’hui la
situation a
changé (mon syndicat a disparu et je ne suis pas syndiqué mais je
réfléchis à
rejoindre un syndicat tenu par des trotskistes). Donc, nos premiers
liens avec les
communautés se sont tissés au travers des travailleur-se-s
organisé-e-s, mais
maintenant nos contacts se font directement avec les communautés. Mais
les
mouvements sociaux se sont avérés être plus fructueux. Par exemple,
nous avons un
peu soutenu les travailleur-se-s des ateliers clandestins de Soweto,
mais la
plupart de notre travail s’est fait à l’intérieur des communautés
pauvres. Nous
avons essayé de mettre en place des potagers communautaires à
Motsoaledi (un squat
à Soweto), à Dlamini (une zone résidentielle de Soweto) et à Sebokeng.
Celui de
Motsoaledi continue toujours et a développé en parallèle une
bibliothèque et une
crèche populaires, alors que celui de Dlamini a été détruit par des
brutes de la
section jeunesse de l’ANC, enfin celui de Sebokeng n’a jamais marché.
Ces projets
avaient pour but d’apprendre à la classe ouvrière à être autonome : que
les pauvres
ont assez de capacités, s’ils les utilisent collectivement, pour
résoudre leurs
propres problèmes sans aide de l’Etat qui se soucie si peu d’eux. Nous
avons des
liens directs avec les prisons (et un réseau de guérilléros incarcérés)
au travers
de notre Anarchist black cross et de notre réseau anti-répression et
nous avons
fait un travail assez important de soutien aux prisonniers et
prisonnières. Dans un
contexte plus large, à travers le Forum anti-privatisation, nous nous
sommes fait
un peu connaître dans les communautés urbaines en lutte, et aussi dans
le groupe du
Landless people’s movement (LPM - Mouvement des sans terre) qui compte
100000
membres. Même si les mouvements sociaux réussissent bien, ils sont sur
la défensive
en ce moment, majoritairement à cause de mauvaises pratiques (sexisme,
opportunisme, avant-gardisme, etc.) des trotskistes et des populistes
de gauche qui
sont prédominants dans les directions de beaucoup d’organisations. Mais
nous
croyons que les anarchistes, les autonomes et certains stalinien-ne-s
ont été
d’honnêtes et respectables activistes et qu’ils sont reconnus comme
dignes de
confiance (nous jugeons les militants et militantes pour ce qu’ils font
et pas tant
pour ce qu’ils disent).
Et à propos du Congres of south african trade unions (Cosatu, Congrès
des syndicats
sud africains [ http://www.cosatu.org.za ] ) ?
Michaël Smith : La Cosatu reste importante, à nos yeux car, avec ses
1,8 million
d’adhérent-e-s, elle reste la plus grosse organisation de la classe
ouvrière. Elle
est sur le point (le 30 mai) de déclencher une grève générale massive
(à peu près
un million d’adhérent-e-s dans la fonction publique) à propos
d’augmentation des
salaires. La grève se fera aux côtés de la Fedusa, la Nactu et de
syndicats
indépendants, ce qui est une démonstration importante d’unité des
fédérations ;
auparavant divisées par l’idéologie et les voilà maintenant unifiées en
tant que
travailleurs et travailleuses. Les idéologues de la Cosatu croient que
depuis
depuis 2002, ils ont réussi a renversé la dérive droitière néo-libérale
de l’ANC.
Mais cela reste à voir au travers de la politique concrète de l’ANC. En
tout cas,
depuis un an, la Cosatu a commencé à faire des appels du pied en
affirmant la
nécessité de travailler en partenariat avec les mouvements sociaux.
Cette position
s’explique à la fois par le changement du militantisme syndical dû à la
précarisation rampante et par la forte proportion de personnes sans
emploi (40% de
la population active selon les sources du syndicat) pouvant aussi être
mobilisée si
nous travaillons ensembles. La ZACF est pour la convergence de ces
forces, tant
qu’elles restent sur une ligne de lutte des classes et que les
mouvements sociaux
ne se compromettent pas en travaillant avec un syndicat allié au parti
gouvernant
(au sein de Cosatu, il y a beaucoup de courants qui critiquent
fortement l’ANC). La
ZACF continue à débattre sur la possibilité de monter des cellules
syndicales au
sein de fédérations déjà existantes dans au moins deux secteurs :
l’université de
Witwatersrand et dans le journal Independent Newspapers.
Quels sont les principaux problèmes rencontrés par le courant
anarcho-communiste en
Afrique du Sud ?
Michaël Smith : Notre principal défi porte sur le combat contre la
domination de
l’idéologie nationaliste noire de l’ANC qui répand le mythe de la «
Révolution
nationale démocratique » dans les classes populaires. Heureusement, au
fil du
temps, des secteurs de cette dernière (essentiellement les personnes
sans emplois
et les ouvriers et ouvrières agricoles) ont commencé à voir que cette «
Révolution
» de l’ANC permettait la survie du capitalisme blanc en échange de
quelques places
au banquet pour des leaders noirs. Aussi nous nous sommes délibérément
appelés la
Fédération anarcho-communiste Zabalaza (lutte) pour essayer de proposer
d’un vrai
communisme par la base et de le distinguer de la très faible version
sociale
démocrate du Parti communiste sud africain. Mais encore maintenant, le
SACP a des
ressources bien plus conséquentes que nous. Cela nous amène à notre
plus gros défi
sur le terrain : l’extrême pauvreté. Même parmi nos membres, beaucoup
doivent faire
face quotidiennement à la faim et l’organisation n’est pas assez riche
pour les
nourrir (d’où l’idée des potagers, mais cela a été rongé de problèmes
comme celui
de membres de la communauté voulant les transformer en petits
commerces). Nous ne
sommes pas une association caritative, mais une organisation politique.
Mais il est
dur d’agir dans de telles conditions. La classe ouvrière, tant
appauvrie, est
devenue la proie des sectes religieuses ésotériques, des exploiteurs
des
travailleurs pauvres, des usuriers et des politiciens démagogues qui
lui promettent
« une meilleure vie » (le slogan de l’ANC).
Tu dis que le message des anarchistes est en train de se répandre :
comment cela
t’apparaît-il ?
Michaël Smith : Nous le constatons à chaque fois que nous croisons une
personne
noire dans un ghetto qui se décrit comme anarchiste sans jamais nous
avoir
rencontré. Nous le voyons dans le grand intérêt généré par nos Forums
noir et rouge
et dans les invitations que nous recevons pour tenir de tels forums
(nous avons
même reçu une invitation pour intervenir dans le cadre d’un syndicat
radical de
mineurs de la province de Limpopo, très au Nord du pays). Nous le
voyons aussi dans
la présence actuelle d’anarchistes au Zimbabwe, au Swaziland, au Kenya
et au Maroc
et au travers de personnes du Soudan, du Kenya, de l’Ouganda ou de la
République
Démocratique du Congo prenant contact avec nous et voulant du matériel
anarchiste.
Enfin, nous le voyons dans la présence notable de nombreux syndicats
africains
(même si ils ne sont pas si à gauche que cela) au Congrès syndicaliste
I07 à Paris.
Les travailleurs africains cherchent clairement un modèle
sociopolitique qui n’est
pas corrompu comme le « socialisme africain » qu’ils ne connaissent que
trop.
Pour conclure, quels sont vos contacts avec les autres organisations
anarcho-communistes ou anarchistes en Afrique et dans le Monde ?
Michaël Smith : Historiquement, le Workers’ solidarity movement (WSM,
Irlande) a
été notre soutien le plus régulier, et, au fil des années, se sont
joints à eux,
tant du point de vue idéologique que pratique, des organisations sœurs
telles que
la SAC (Suède), la CGT (Espagne), la CNT (France), la FA (France), le
WSA (USA) et
l’ART (Nouvelle Zélande). Ces dernières années, nous sommes aussi en
contact très
étroit avec la NEFAC (USA/Canada), la FdCA (Italie), le CIPO-RFM
(Mexique), l’OCL
(Chili), la FAG & FARJ (Brésil), la FAU (Uruguay), l’AKI (Turquie),
l’OAE (Grèce),
l’ACT (Liban) et d’autres encore. Pour ce qui est des luttes, nous nous
sommes
orienté-e-s vers les pratiques d’« insertion sociale » des
organisations «
especifista » sud-américaines. Nous sommes fières et fiers d’avoir
comme camarades
des activistes anarchistes du MLCE (des exilés cubains), du Pakistan,
d’Iran,
d’Irak et d’autres endroits où il est très difficile de s’organiser. En
Afrique,
nous avons perdu de vue la Awareness league (Nigeria) bien que nous
ayons entendu
dire qu’elle était toujours active dans le Nord, mais nous sommes
toujours en
contact avec Brahim Filali (Maroc) et le collectivité Wiyathi (Kenya).
La situation
est meilleure au Sud avec la présence de la ZACF au Swaziland et des
bonnes
relations avec les anarchistes du réseau Uhuru du Zimbabwe. Il en est
de même avec
Alternative libertaire, nous travaillons à vos côtés sur le projet
anarkismo.net
(et nous avons rencontré vos militants et militantes à Paris en 2000 à
l’occasion
d’Autre Futur) ! Nous espérons aussi établir des relations plus
étroites pour qu’AL
puisse nous informer de l’actualité en Afrique francophone, tandis que
nous pouvons
vous parler de ce qui se passe en Afrique anglophone.
Propos recueillis par le Secrétariat International d’Alternative
Libertaire
Traduction réalisée par Sophie (AL Nantes)