LES PAYS DE COCAGNE
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 Chomsky

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buenaventura
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buenaventura


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Date d'inscription : 17/02/2005

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MessageSujet: Chomsky   Chomsky EmptyMer 12 Sep - 12:37

Rachats de grands journaux – le « Wall Street Journal » aux Etats-Unis,
« Les Echos
» en France – par des hommes fortunés habitués à plier la vérité au gré
de leurs
intérêts (lire aussi, dans ce numéro, « Prédateurs de presse et
marchands
d’influence », par Marie Bénilde), médiatisation outrancière de M.
Nicolas Sarkozy,
cannibalisation de l’information par les sports, la météo et les faits
divers, le
tout dans une débauche de publicités : la « communication » constitue
l’instrument
de gouvernement permanent des régimes démocratiques. Elle est, pour
eux, ce que la
propagande est aux dictatures. Dans un entretien accordé au journaliste
de France
Inter Daniel Mermet, l’intellectuel américain Noam Chomsky analyse ces
mécanismes
de domination et les replace dans leur contexte historique. Il
rappelle, par
exemple, que les régimes totalitaires se sont appuyés sur les ressorts
de la
communication publicitaire perfectionnés aux Etats-Unis au lendemain de
la première
guerre mondiale. Au-delà, il évoque les perspectives de transformation
sociale dans
le monde actuel, et ce à quoi pourrait ressembler l’utopie pour ceux
qui, malgré la
pédagogie de l’impuissance martelée par les médias, n’ont pas renoncé à
changer le
monde.

Par Noam Chomsky

Commençons par la question des médias. En France, en mai 2005, lors du
référendum
sur le traité de Constitution européenne, la plupart des organes de
presse étaient
partisans du « oui », et cependant 55 % des Français ont voté « non ».
La puissance
de manipulation des médias ne semble donc pas absolue. Ce vote des
citoyens
représentait-il aussi un « non » aux médias ?

Le travail sur la manipulation médiatique ou la fabrique du
consentement fait par
Edward Herman et moi n’aborde pas la question des effets des médias sur
le public
(1). C’est un sujet compliqué, mais les quelques recherches en
profondeur menées
sur ce thème suggèrent que, en réalité, l’influence des médias est plus
importante
sur la fraction de la population la plus éduquée. La masse de l’opinion
publique
paraît, elle, moins tributaire du discours des médias.

Prenons, par exemple, l’éventualité d’une guerre contre l’Iran : 75 %
des
Américains estiment que les Etats-Unis devraient mettre un terme à
leurs menaces
militaires et privilégier la recherche d’un accord par voie
diplomatique. Des
enquêtes conduites par des instituts occidentaux suggèrent que
l’opinion publique
iranienne et celle des Etats-Unis convergent aussi sur certains aspects
de la
question nucléaire : l’écrasante majorité de la population des deux
pays estime que
la zone s’étendant d’Israël à l’Iran devrait être entièrement
débarrassée des
engins de guerre nucléaires, y compris ceux que détiennent les troupes
américaines
de la région. Or, pour trouver ce genre d’information dans les médias,
il faut
chercher longtemps.

Quant aux principaux partis politiques des deux pays, aucun ne défend
ce point de
vue. Si l’Iran et les Etats-Unis étaient d’authentiques démocraties à
l’intérieur
desquelles la majorité détermine réellement les politiques publiques,
le différend
actuel sur le nucléaire serait sans doute déjà résolu. Il y a d’autres
cas de ce
genre.

Concernant, par exemple, le budget fédéral des Etats-Unis, la plupart
des
Américains souhaitent une réduction des dépenses militaires et une
augmentation, en
revanche, des dépenses sociales, des crédits versés aux Nations unies,
de l’aide
économique et humanitaire internationale, et enfin l’annulation des
baisses
d’impôts décidées par le président George W. Bush en faveur des
contribuables les
plus riches.

Sur tous ces sujets-là, la politique de la Maison Blanche est
totalement contraire
aux réclamations de l’opinion publique. Mais les enquêtes qui relèvent
cette
opposition publique persistante sont rarement publiées dans les médias.
Si bien que
les citoyens sont non seulement écartés des centres de décision
politique, mais
également tenus dans l’ignorance de l’état réel de cette même opinion
publique.

Il existe une inquiétude internationale relative à l’abyssal « double
déficit » des
Etats-Unis : le déficit commercial et le déficit budgétaire. Or ceux-ci
n’existent
qu’en relation étroite avec un troisième déficit : le déficit
démocratique, qui ne
cesse de se creuser, non seulement aux Etats-Unis, mais plus
généralement dans
l’ensemble du monde occidental.

Chaque fois qu’on demande à un journaliste vedette ou à un présentateur
d’un grand
journal télévisé s’il subit des pressions, s’il lui arrive d’être
censuré, il
réplique qu’il est entièrement libre, qu’il exprime ses propres
convictions.
Comment fonctionne le contrôle de la pensée dans une société
démocratique ? En ce
qui concerne les dictatures, nous le savons.

Quand des journalistes sont mis en cause, ils répondent aussitôt : «
Nul n’a fait
pression sur moi, j’écris ce que je veux. » C’est vrai. Seulement,
s’ils prenaient
des positions contraires à la norme dominante, ils n’écriraient plus
leurs
éditoriaux. La règle n’est pas absolue, bien sûr ; il m’arrive moi-même
d’être
publié dans la presse américaine, les Etats-Unis ne sont pas un pays
totalitaire
non plus. Mais quiconque ne satisfait pas certaines exigences minimales
n’a aucune
chance d’être pressenti pour accéder au rang de commentateur ayant
pignon sur rue.

C’est d’ailleurs l’une des grandes différences entre le système de
propagande d’un
Etat totalitaire et la manière de procéder dans des sociétés
démocratiques. En
exagérant un peu, dans les pays totalitaires, l’Etat décide de la ligne
à suivre et
chacun doit ensuite s’y conformer. Les sociétés démocratiques opèrent
autrement. La
« ligne » n’est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue. On
procède, en
quelque sorte, au « lavage de cerveaux en liberté ». Et même les débats
«
passionnés » dans les grands médias se situent dans le cadre des
paramètres
implicites consentis, lesquels tiennent en lisière nombre de points de
vue
contraires.

Le système de contrôle des sociétés démocratiques est fort efficace ;
il instille
la ligne directrice comme l’air qu’on respire. On ne s’en aperçoit pas,
et on
s’imagine parfois être en présence d’un débat particulièrement
vigoureux. Au fond,
c’est infiniment plus performant que les systèmes totalitaires.

Prenons, par exemple, le cas de l’Allemagne au début des années 1930.
On a eu
tendance à l’oublier, mais c’était alors le pays le plus avancé
d’Europe, à la
pointe en matière d’art, de sciences, de techniques, de littérature, de
philosophie. Puis, en très peu de temps, un retournement complet est
intervenu, et
l’Allemagne est devenue l’Etat le plus meurtrier, le plus barbare de
l’histoire
humaine.

Tout cela s’est accompli en distillant de la peur : celle des
bolcheviks, des
Juifs, des Américains, des Tziganes, bref, de tous ceux qui, selon les
nazis,
menaçaient le cœur de la civilisation européenne, c’est-à-dire les «
héritiers
directs de la civilisation grecque ». En tout cas, c’est ce qu’écrivait
le
philosophe Martin Heidegger en 1935. Or la plupart des médias allemands
qui ont
bombardé la population avec des messages de ce genre ont repris les
techniques de
marketing mises au point... par des publicitaires américains.

N’oublions pas comment s’impose toujours une idéologie. Pour dominer,
la violence
ne suffit pas, il faut une justification d’une autre nature. Ainsi,
lorsqu’une
personne exerce son pouvoir sur une autre – que ce soit un dictateur,
un colon, un
bureaucrate, un mari ou un patron –, elle a besoin d’une idéologie
justificatrice,
toujours la même : cette domination est faite « pour le bien » du
dominé. En
d’autres termes, le pouvoir se présente toujours comme altruiste,
désintéressé,
généreux.


Quand la violence d’Etat ne suffit plus

Dans les années 1930, les règles de la propagande nazie consistaient,
par exemple,
à choisir des mots simples, à les répéter sans relâche, et à les
associer à des
émotions, des sentiments, des craintes. Quand Hitler a envahi les
Sudètes [en
1938], ce fut en invoquant les objectifs les plus nobles et
charitables, la
nécessité d’une « intervention humanitaire » pour empêcher le «
nettoyage ethnique
» subi par les germanophones, et pour permettre que chacun puisse vivre
sous l’«
aile protectrice » de l’Allemagne, avec le soutien de la puissance la
plus en
avance du monde dans le domaine des arts et de la culture.

En matière de propagande, si d’une certaine manière rien n’a changé
depuis Athènes,
il y a quand même eu aussi nombre de perfectionnements. Les instruments
se sont
beaucoup affinés, en particulier et paradoxalement dans les pays les
plus libres du
monde : le Royaume-Uni et les Etats-Unis. C’est là, et pas ailleurs,
que
l’industrie moderne des relations publiques, autant dire la fabrique de
l’opinion,
ou la propagande, est née dans les années 1920.

Ces deux pays avaient en effet progressé en matière de droits
démocratiques (vote
des femmes, liberté d’expression, etc.) à tel point que l’aspiration à
la liberté
ne pouvait plus être contenue par la seule violence d’Etat. On s’est
donc tourné
vers les technologies de la « fabrique du consentement ». L’industrie
des relations
publiques produit, au sens propre du terme, du consentement, de
l’acceptation, de
la soumission. Elle contrôle les idées, les pensées, les esprits. Par
rapport au
totalitarisme, c’est un grand progrès : il est beaucoup plus agréable
de subir une
publicité que de se retrouver dans une salle de torture.
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buenaventura
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buenaventura


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MessageSujet: ...   Chomsky EmptyMer 12 Sep - 12:37

Aux Etats-Unis, la liberté d’expression est protégée à un degré que je
crois
inconnu dans tout autre pays du monde. C’est assez récent. Dans les
années 1960, la
Cour suprême a placé la barre très haut en matière de respect de la
liberté de
parole, ce qui exprimait, à mon avis, un principe fondamental établi
dès le XVIIIe
siècle par les valeurs des Lumières. La position de la Cour fut que la
parole était
libre, avec pour seule limite la participation à un acte criminel. Si,
par exemple,
quand je rentre dans un magasin pour le dévaliser, un de mes complices
tient une
arme et que je lui dis : « Tire ! », ce propos n’est pas protégé par la
Constitution. Pour le reste, le motif doit être particulièrement grave
avant que la
liberté d’expression soit mise en cause. La Cour suprême a même
réaffirmé ce
principe en faveur de membres du Ku Klux Klan.

En France, au Royaume-Uni et, me semble-t-il, dans le reste de
l’Europe, la liberté
d’expression est définie de manière très restrictive. A mes yeux, la
question
essentielle est : l’Etat a-t-il le droit de déterminer ce qu’est la
vérité
historique, et celui de punir qui s’en écarte ? Le penser revient à
s’accommoder
d’une pratique proprement stalinienne.

Des intellectuels français ont du mal à admettre que c’est bien là leur
inclination. Pourtant, le refus d’une telle approche ne doit pas
souffrir
d’exception. L’Etat ne devrait avoir aucun moyen de punir quiconque
prétendrait que
le Soleil tourne autour de la Terre. Le principe de la liberté
d’expression a
quelque chose de très élémentaire : ou on le défend dans le cas
d’opinions qu’on
déteste, ou on ne le défend pas du tout. Même Hitler et Staline
admettaient la
liberté d’expression de ceux qui partagaient leur point de vue...

J’ajoute qu’il y a quelque chose d’affligeant et même de scandaleux à
devoir
débattre de ces questions deux siècles après Voltaire, qui, comme on le
sait,
déclarait : « Je défendrai mes opinions jusqu’à ma mort, mais je
donnerai ma vie
pour que vous puissiez défendre les vôtres. » Et c’est rendre un bien
triste
service à la mémoire des victimes de l’Holocauste que d’adopter une des
doctrines
fondamentales de leurs bourreaux.


Dans un de vos livres, vous commentez la phrase de Milton Friedman : «
Faire des
profits est l’essence même de la démocratie »...

A vrai dire, les deux choses sont tellement contraires qu’il n’y a même
pas de
commentaire possible... La finalité de la démocratie, c’est que les
gens puissent
décider de leur propre vie et des choix politiques qui les concernent.
La
réalisation de profits est une pathologie de nos sociétés, adossée à
des structures
particulières. Dans une société décente, éthique, ce souci du profit
serait
marginal. Prenez mon département universitaire [au Massachusetts
Institute of
Technology] : quelques scientifiques travaillent dur pour gagner
beaucoup d’argent,
mais on les considère un peu comme des marginaux, des gens perturbés,
presque des
cas pathologiques. L’esprit qui anime la communauté académique, c’est
plutôt
d’essayer de faire des découvertes, à la fois par intérêt intellectuel
et pour le
bien de tous.


Dans l’ouvrage qui vous est consacré aux éditions de L’Herne, Jean
Ziegler écrit :
« Il y a eu trois totalitarismes : le totalitarisme stalinien, nazi et
maintenant
c’est Tina (2). » Compareriez-vous ces trois totalitarismes ?

Je ne les mettrais pas sur le même plan. Se battre contre « Tina »,
c’est affronter
une emprise intellectuelle qu’on ne peut pas assimiler aux camps de
concentration
ni au goulag. Et, de fait, la politique des Etats-Unis suscite une
opposition
massive à l’échelle de la planète. L’Argentine et le Venezuela ont jeté
le Fonds
monétaire international (FMI) dehors. Les Etats-Unis ont dû renoncer à
ce qui était
encore la norme il y a vingt ou trente ans : le coup d’Etat militaire
en Amérique
latine. Le programme économique néolibéral, qui a été imposé de force à
toute
l’Amérique latine dans les années 1980 et 1990, est aujourd’hui rejeté
dans
l’ensemble du continent. Et on retrouve cette même opposition contre la
globalisation économique à l’échelle mondiale.

Le mouvement pour la justice, qui est sous les feux des projecteurs
médiatiques
lors de chaque Forum social mondial, travaille en réalité toute
l’année. C’est un
phénomène très nouveau dans l’histoire, qui marque peut-être le début
d’une vraie
Internationale. Or son principal cheval de bataille porte sur
l’existence d’une
solution de rechange. D’ailleurs, quel meilleur exemple de
globalisation différente
que le Forum social mondial ? Les médias hostiles appellent ceux qui
s’opposent à
la globalisation néolibérale les « antimondialistes », alors qu’ils se
battent pour
une autre mondialisation, la mondialisation des peuples.

On peut observer le contraste entre les uns et les autres, parce que,
au même
moment, a lieu, à Davos, le Forum économique mondial, qui travaille à
l’intégration
économique planétaire, mais dans le seul intérêt des financiers, des
banques et des
fonds de pension. Puissances qui contrôlent aussi les médias. C’est
leur conception
de l’intégration globale, mais au service des investisseurs. Les médias
dominants
considèrent que cette intégration est la seule qui mérite, en quelque
sorte,
l’appellation officielle de mondialisation.

Voilà un bel exemple du fonctionnement de la propagande idéologique
dans les
sociétés démocratiques. A ce point efficace que même des participants
au Forum
social mondial acceptent parfois le qualificatif malintentionné d’«
antimondialistes ». A Porto Alegre, je suis intervenu dans le cadre du
Forum, et
j’ai participé à la Conférence mondiale des paysans. Ils représentent à
eux seuls
la majorité de la population de la planète...


On vous range dans la catégorie des anarchistes ou des socialistes
libertaires.
Dans la démocratie telle que vous la concevez, quelle serait la place
de l’Etat ?

On vit dans ce monde, pas dans un univers imaginaire. Dans ce monde, il
existe des
institutions tyranniques, ce sont les grandes entreprises. C’est ce
qu’il y a de
plus proche des institutions totalitaires. Elles n’ont, pour ainsi
dire, aucun
compte à rendre au public, à la société ; elles agissent à la manière
de prédateurs
dont d’autres entreprises seraient les proies. Pour s’en défendre, les
populations
ne disposent que d’un seul instrument : l’Etat. Or ce n’est pas un
bouclier très
efficace, car il est, en général, étroitement lié aux prédateurs. A une
différence,
non négligeable, près : alors que, par exemple, General Electric n’a
aucun compte à
rendre, l’Etat doit parfois s’expliquer auprès de la population.

Quand la démocratie se sera élargie au point que les citoyens
contrôleront les
moyens de production et d’échange, qu’ils participeront au
fonctionnement et à la
direction du cadre général dans lequel ils vivent, alors l’Etat pourra
disparaître
petit à petit. Il sera remplacé par des associations volontaires
situées sur les
lieux de travail et là où les gens vivent.


Est-ce les soviets ?

C’étaient les soviets. Mais la première chose que Lénine et Trotski ont
détruit,
sitôt après la révolution d’Octobre, ce sont les soviets, les conseils
ouvriers et
toutes les institutions démocratiques. Lénine et Trotski ont été à cet
égard les
pires ennemis du socialisme au XXe siècle. En tant que marxistes
orthodoxes, ils
ont estimé qu’une société retardataire comme la Russie de leur époque
ne pouvait
pas passer directement au socialisme avant d’être précipitée de force
dans
l’industrialisation.

En 1989, au moment de l’effondrement du système communiste, j’ai pensé
que cet
effondrement représentait, paradoxalement, une victoire pour le
socialisme. Car le
socialisme tel que je le conçois implique, au minimum, je le répète, le
contrôle
démocratique de la production, des échanges et des autres dimensions de
l’existence
humaine.

Toutefois, les deux principaux systèmes de propagande se sont accordés
pour dire
que le système tyrannique institué par Lénine et Trotski, puis
transformé en
monstruosité politique par Staline, était le « socialisme ». Les
dirigeants
occidentaux ne pouvaient qu’être enchantés par cet usage absurde et
scandaleux du
terme, qui leur a permis pendant des décennies de diffamer le
socialisme
authentique.

Avec un enthousiasme identique, mais de sens contraire, le système de
propagande
soviétique a tenté d’exploiter à son profit la sympathie et
l’engagement que
suscitaient pour beaucoup de travailleurs les idéaux socialistes
authentiques.


N’est-il pas vrai que toutes les formes d’auto-organisation selon les
principes
anarchistes se sont finalement effondrées ?

Il n’y a pas de « principes anarchistes » fixes, une sorte de
catéchisme libertaire
auquel il faudrait prêter allégeance. L’anarchisme, du moins tel que je
le
comprends, est un mouvement de la pensée et de l’action humaines qui
cherche à
identifier les structures d’autorité et de domination, à leur demander
de se
justifier et, dès qu’elles en sont incapables, ce qui arrive
fréquemment, à tenter
de les dépasser.

Loin de s’être « effondré », l’anarchisme, la pensée libertaire, se
porte très
bien. Il est à la source de nombreux progrès réels. Des formes
d’oppression et
d’injustice qui étaient à peine reconnues, et encore moins combattues,
ne sont plus
admises. C’est une réussite, une avancée pour l’ensemble du genre
humain, pas un
échec.


Propos recueillis par Daniel Mermet, revus et corrigés par l’auteur.
Noam Chomsky


Notes

(1) Edward Herman et Noam Chomsky, Manufacturing Consent, Pantheon, New
York, 2002.
La « fabrique du consentement » est une expression de l’essayiste
américain Walter
Lippmann, qui, à partir des années 1920,
mettant en doute la capacité de l’homme ordinaire à se déterminer avec
sagesse, a
proposé que les élites savantes « assainissent » l’information avant
qu’elle
n’atteigne la masse.

(2) Tina, initiales de « There is no alternative » (« il n’y a pas de
solution de
rechange »), propos de Mme Margaret Thatcher posant le caractère
inéluctable du
capitalisme néolibéral, qui n’est qu’une forme possible de «
mondialisation ».


[ texte paru dans Le Monde diplomatique d'août 2007 et repris du site
http://www.monde-diplomatique.fr ]
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