LES PAYS DE COCAGNE
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LES PAYS DE COCAGNE

les pays de dedans toi
 
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 Berkman / Goldman ...

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buenaventura
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buenaventura


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MessageSujet: Berkman / Goldman ...   Berkman / Goldman ... EmptyMer 7 Mai - 14:38

Alexander Berkman, Emma Goldman et Reginald Reynolds : débat sur la
Palestine,
l’antisémitisme et le sionisme
Les 4 textes qui suivent comprennent une lettre d’Alexander Berkman à
Emma Goldman
écrite en 1906 et 3 textes de 1938 qui illustrent un débat entre
Reginald Reynolds,
partisan de l’indépendance de la Palestine, et Emma Goldman, hostile au
sionisme
tout en étant favorable à l’ouverture des frontières, y compris celles
de la
Palestine, aux Juifs d’Europe qui veulent fuir les persécutions. Les
lecteurs
découvriront que les débats sur le sionisme, la Palestine et les Juifs
étaient tout
aussi passionnés et violents en 1938 qu’ils le sont aujourd’hui en
2008. Ces 4
textes ainsi que "Atavisme national" paru dans Mother Earth en 1906
(http://www.mondialisme.org/spip.php?article1146) font partie d'une
nouvelle
anthologie de textes anarchistes et marxistes publiée par Ni patrie ni
frontières
sous le titre: "Question juive et antisémitisme, sionisme et
antisémitisme". Compil
n°1, 344 pages, 10 euros

(Ni patrie ni frontières)

***************************************

1) Lettre d’Alexander Berkman à Emma Goldman


(Cette lettre de Berkman, à propos d’anarchistes qui étaient devenus «
nationalistes » (partisans du sionisme) après les pogromes de 1905 en
Russie a été
écrite au pénitencier d’Allegheny, le 11 février 1906. On la trouve
dans la
sélection d’écrits d’Emma Goldman, A Documentary history of the
American years,
Making Speech free, 1902-1909. Ces quelques lignes expriment bien une
position
finalement commune aux anarchistes et aux marxistes, que l’on pourrait
résumer
ainsi : l’antisémitisme est inévitable (l’auteur fait référence à un «
instinct »
antisémite séculaire chez les masses russes, mais n’en tire aucune
conclusion
politique), les Juifs doivent prendre leur mal en patience, lutter pour
la Liberté,
et attendre quelques générations jusqu’à ce que les exploités soient
plus «
éclairés » par les « lumières »... Ni patrie ni frontières)

(...) Bien qu’ils soient sincères et aient les idées claires sur de
nombreuses
questions, ils [les anarchistes devenus partisans du sionisme, NPNF]
seront
forcément amenés à comprendre que, même si leur action est
constructive, elle
repose sur une mauvaise architecture et qu’à long terme, elle sera
essentiellement
destructrice et contraire au progrès de l’humanité.

À l’époque actuelle, nous n’avons pas besoin de la ségrégation et du
nationalisme ;
bien au contraire, car la fraternité des hommes ne pourra se réaliser
tant que l’on
n’oubliera pas les frontières géographiques, nationales et raciales, et
que l’on ne
se débarrassera pas des préjugés qui vont de pair. Le nationalisme est
une
barrière, une barricade contre la fraternité internationale, un fossé
que le
progrès remplira et couvrira, sans compter l’impracticabilité du
nationalisme qui
représente une fausse solution aux problèmes des Juifs.

Le seul salut pour les Juifs russes repose sur la liberté de la Russie.
C’est très
bien de dénoncer les émeutes antijuives fomentées par le gouvernement,
etc. Mais
toi et moi qui avons vécu en Russie nous savons que la haine des Juifs
est un
instinct profondément ancré chez les Russes ; étant donné l’existence
de cet
instinct, il est facile d’inciter à des pogromes. Il faudra plus qu’une
simple
Constitution, il faudra une véritable éducation, de véritablelumières,
pendant au
moins deux générations ou plus, pour éradiquer les préjugés que le
moujik russe
partage depuis si longtemps. Seule la liberté peut accomplir une telle
¦uvre. Tant
qu’elle ne sera pas instaurée, il y aura des pogromes sous les tsars,
comme sous un
régime constitutionnel en Russie. La liberté, les lumières sont après
tout le seul
remède aux maux sociaux et raciaux. (...)

Alexander Berkman

**************************

2) Reginald Reynolds : Les révolutionnaires et la Palestine

Le 19 juin 1936, un débat a eu lieu à la Chambre des Communes. Il
portait sur la
Palestine, et M. Lloyd George a expliqué l’origine du mandat [sur ce
territoire]
dans les termes suivants. Il a fait référence à la Déclaration Balfour
: « D’après
les informations que nous avons reçues, nous sommes arrivés à la
conclusion (...)
qu’il était vital pour nous de gagner la sympathie de la communauté
juive (...).
Elle nous a aidés en Amérique et en Russie, à un moment où ces deux
pays se
désengageaient et nous laissaient tout seuls. »

En clair, un pacte fut scellé durant la Première Guerre mondiale entre
l’impérialisme britannique et le nationalisme juif dont les Arabes
allaient être
les victimes. M. Lloyd George l’a nié dans son discours en faisant de
vagues
références au fait que nos troupes, à l’époque, « combattaient pour
l’émancipation
arabe et contre les Turcs ». On appréciera la sincérité de cette
déclaration en
lisant l’observation du colonel Lawrence dans Les Sept Piliers de la
Sagesse : «
Bien sûr, nous combattons pour la victoire des Alliés (...). En dernier
ressort,
nous serons obligés de leur sacrifier les Arabes. »

Et sacrifiés, les Arabes l’ont été. Probablement Lawrence désirait-il
sincèrement
que les Arabes soient libérés du joug des Turcs ; mais, en 1919, ceux
qui
connaissaient parfaitement l’objectif de la guerre allaient révéler
quel était pour
eux le véritable objectif de la paix. Au cours du débat susmentionné,
M. Amery,
ancien secrétaire aux Colonies et premier lord de l’Amirauté expliqua
ces objectifs
concernant la Palestine : « En matière de défense, la Palestine occupe
une position
stratégique d’une importance énorme. C’est le carrefour décisif de
toutes les
routes aériennes entre ce pays, l’Afrique et l’Asie. Elle occupe une
position
navale extrêmement importante dans les nouvelles conditions que connaît
la
Méditerranée. »

Il mentionna ensuite l’importance de Haïfa par rapport à tous les
approvisionnements et au développement d’une route alternative vers le
canal de
Suez. D’autres personnes, y compris le commandant Locker Lampson, ont
soutenu cet
argument. Leur langage a sûrement dû choquer ceux qui croient encore
que les
mandats incarnent les « vérités sacrées de la civilisation ».

L’immigration juive en Palestine a commencé peu après la première
guerre
mondiale(1). Elle a été puissamment soutenue par des intérêts
capitalistes
importants, qui ont obtenu des concessions profitables dans la Mer
morte. Les
propriétaires fonciers arabes ont vendu leurs terres aux nouveaux
venus, mais les
Arabes, dans leur ensemble, n’avaient rien à gagner et tout à perdre,
dans cette
opération. Quelques paysans ont trouvé un marché pour leurs produits,
tandis que
certains salariés agricoles ont trouvé du travail dans des entreprises
juives. Mais
cela ne pouvait naturellement pas durer. « Achetez des produits juifs »
et «
Employez des salariés juifs » sont inévitablement devenus les slogans
du sionisme.
Les travailleurs et les « socialistes » juifs dont nous entendons
tellement parler
ont en fait pris la tête de cette campagne de propagande.
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buenaventura
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buenaventura


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MessageSujet: ...   Berkman / Goldman ... EmptyMer 7 Mai - 14:38

Mais quelle que soit la prospérité temporaire que cette situation a pu
apporter à
une section quelconque de la communauté arabe, le résultat pour le
sionisme a été
très gratifiant. Le pays qui avait été une patrie pour les Arabes
pendant des
générations fut livré à une race (sic) étrangère en raison du prétexte
fragile
qu’il avait appartenu aux Juifs 2000 ans auparavant ! (Il serait
intéressant
d’imaginer ce qui se passerait si ce principe était universellement
appliqué. On
viderait l’Amérique actuelle de l’immense majorité de ses habitants et
on rendrait
l’Angleterre aux Gallois.) Les sionistes n’ont jamais cherché à
s’installer parmi
les Arabes en vivant parmi eux comme leurs égaux. Ils ont eu
l’intolérable
arrogance de gens qui considèrent leur propre race comme « supérieure
», et les
Arabes les haïssent pour la même raison que les Noirs haïssent les
Blancs.

Aucun des discours de Hitler n’a autant contribué à créer un mouvement
contre les
Juifs que cette attitude des sionistes. En Palestine, les Juifs ne sont
pas une
minorité persécutée, mais le pilier de la politique impériale
britannique. Ils
savent que leur position n’est tenable que tant que la puissance
étrangère reste
sur place avec son armée d’occupation. Les Arabes exigent leur
indépendance
nationale et une constitution démocratique, mais les organisations
juives
s’opposent à cette revendication. Elles soutiennent la dictature et la
domination
étrangères.

Pour écraser les différentes tentatives des Arabes de se révolter, de
terribles
mesures de répression ont été et sont prises. Grâce à une législation
d’urgence,
promulguée officiellement par le gouvernement britannique, il est
désormais
possible de pendre un homme pour la simple fait de posséder une arme à
feu, après
qu’il a été jugé par un tribunal militaire. Il n’est guère nécessaire
de souligner
qu’il est très facile de fabriquer un tel motif d’inculpation. Et l’on
remarquera
que cette mesure, en pratique, a été rigoureusement appliquée aux
Arabes, tandis
que les infractions des Juifs ont soit été ignorées soit traitées de
façon très
indulgente. La destruction d’un bien peut être punie d’une peine de
prison à vie.
Pourtant, le gouvernement [britannique en Palestine] a le droit de
supprimer
n’importe quel article de loi ou disposition s’il le désire, et de
démolir ­ sans
verser la moindre compensation ­ toute maison où des crimes ou délits
sont censés
avoir été commis ou planifiés, « même si l’on n’en connaît le
responsable réel ».
Rien qu’à Jaffa, 600 maisons arabes ont été dynamitées en vertu de
cette
réglementation. On impose des « amendes collectives » à des villages
entiers, parce
que « l’on a des raisons de croire que leurs habitants ont commis, ou
soutenu, des
crimes ou des actes illégaux ou de violence ». En Palestine,
l’existence de camps
de concentration, les perquisitions sans mandat, la censure des
lettres,
télégrammes et publications, complètent le tableau.

On peut avoir une petite idée de la façon dont fonctionne ce régime ­
qui n’est en
rien meilleur que celui de Hitler ­ en lisant nos journaux. Nous y
lisons que, au
moindre soupçon, de courageux Anglais tirent à vue sur des Arabes. Mais
la presse
ne publie pas les informations les plus graves, même si l’autorité qui
ordonne ces
actes ne vaut pas mieux que les autorités fascistes. Une pétition
rédigée par les
habitants du village d’Al Tirah nous raconte ce qui s’est passé le 4
juin 1936 : «
Les soldats ont pénétré dans les maisons, ils ont rassemblé la
nourriture, les
vêtements et les meubles, et y ont mis le feu (...). Les propriétaires
de ces
maisons ­ qui assistaient, impuissants, à ce spectacle ­ ont été
tabassés à coups
de crosse. »

Les soldats britanniques n’ont trouvé aucune arme, malgré les menaces
qu’ils
avaient proférées, et, après avoir tout détruit, ils ont emporté
l’argent des
villageois. Dans un autre village (Al Taibah), 150 hommes ont été
arrêtés et forcés
de marcher en rond pendant toute la journée. Ceux qui étaient épuisés
étaient
frappés et l’armée a tué deux personnes qui tentaient de s’échapper.
L’une d’elles
a été blessée à coups de crosse, mais toutes deux sont mortes à
l’hôpital. Nous
pourrions citer bien d’autres cas de brutalités et de meurtres.

Tous ceux qui connaissent un tant soit peu l’impérialisme britannique
ne seront pas
surpris d’apprendre de tels faits. L’impérialisme est comme le fascisme
­ un
système qui repose sur l’esclavage, sauvage et brutal quand il ;est aux
abois. Mais
si les Britanniques utilisent de telles méthodes contre les Arabes, ils
n’ont pour
le moment exécuté qu’un seul Juif. À quelques exceptions près, les
Juifs
soutiennent le gouvernement [britannique] ou se montrent encore « plus
royalistes
que le roi ». La principale critique qu’adressent les Juifs au
gouvernement
[britannique] est que les mesures répressives de celui-ci ne sont pas
allées assez
loin !

La sympathie que nous éprouvons pour les Juifs en Allemagne et dans
bien d’autres
pays ne doit donc pas nous cacher un seul instant la nature
réactionnaire du
sionisme. Quel que soit le point de vue d’où l’on se place, l’attitude
des
dirigeants de la classe ouvrière en Grande-Bretagne est éc¦urante : ils
soutiennent
à fond le « mandat » et toutes ses implications.

Faisant preuve d’une hypocrisie caractéristique, le Parti travailliste
a voté à
l’unanimité, à son congrès de 1936, une résolution soutenant le mandat
britannique
en Palestine « dans l’intérêt de la paix mondiale ». Selon eux, « la
situation de
la Palestine fait de cette région un lieu d’une importance stratégique
considérable
et donc l’objet d’ambitions et de rivalités impérialistes » : c’est
pourquoi elle
devrait, selon eux, rester sous le contrôle des Britanniques. Mais
l’existence de
la Caverne des Brigands à Genève a permis à ces « internationalistes »
de travestir
leur position avec une phraséologie adéquate pour dissimuler
l’impérialisme
grossier de leur propre politique.

Cependant, personne n’a agité le drapeau de l’Union Jack avec plus
d’enthousiasme
que M. McGovern, qui en contradiction avec la politique déclarée de son
parti,
l’Independent Labour Party(2), a constamment insulté les Arabes et a
exigé que l’on
emploie des méthodes de répression encore plus dures contre eux. Quand
McGovern
s’est rendu en Palestine, le discours qu’il proposait de prononcer à la
radio était
tellement arrogant que même le gouvernement britannique, qui sait
parfaitement
qu’on ne brandit pas le poing sans nécessité, a refusé de le laisser
parler en
public. Dans ce discours (qui n’a pas été prononcé en public, mais a
été ensuite
publié dans le New Leader avec une note critique de la rédaction),
McGovern a
présenté sa version sioniste du Fardeau de l’Homme Blanc. Le Juif «
allait apporter
la civilisation au pauvre Arabe » et si l’Arabe n’appréciait pas, « la
loi »
(c’est-à-dire l’impérialisme britannique) allait intervenir « de façon
juste mais
sévère ». Que les habitants de la région l’apprécient ou pas, écrit
McGovern, « Je
pense qu’il faut envoyer en Palestine un nombre illimité de Juifs. »
Ces Juifs
montreront aux Arabes « une vie plus civilisée et plus noble ». La plus
grande
partie de son discours ressemble à du Melchett(« ), mais la conclusion
péremptoire
fait penser aux déclamations de Mussolini contre les Abyssiniens «
mécontents ».

Plus récemment, McGovern nous a régalé d’une autre tirade fasciste,
cette fois au
Parlement. Dans le journal Hansard du 14 juin 1938, un article décrit
un débat sur
les colonies durant lequel McGovern, après avoir critiqué avec mépris
la pauvreté
des Arabes et vanté la prospérité des Juifs, nous explique que les
jeunes femmes et
hommes juifs se promènent en shorts [en Palestine] et il ajoute : « et
cela stimule
l’esprit des femmes arabes ». J’ignore à quel bienfait de la
civilisation pensait
notre catholique romain, mais le même jour il a déclaré : « Nous devons
envoyer la
torche du Progrès en Orient pour y enflammer les esprits de la
population arabe et
l’extirper de sa crasse. » Quel que soit l’avantage de voir des Juifs
et des Juives
porter des shorts, j’ai du mal à croire qu’un Arabe qui lirait ce genre
de propos
puisse être « enflammé » par autre chose que le désir de botter les
fesses de M.
McGovern.

Le discours de Mc Govern se termine par une déclaration très claire
dans laquelle
il affirme soutenir le mandat [britannique sur la Palestine] et
souhaite le succès
au ministre des Colonies ­ des paroles étranges dans la bouche du
représentant d’un
parti qui prétend lutter contre l’impérialisme. Et il espère que
lorsque le
gouvernement actuel terminera ses fonctions, le ministre des Colonies
pourra
affirmer que « son bon et fidèle serviteur a bien travaillé. » Il
n’explique pas
comment le ministre des Colonies pourrait être autre chose que le
serviteur du
capitalisme, ni pourquoi il souhaiterait le féliciter pour l’avoir
servi. Une telle
explication serait sans doute trop embarrassante, car elle supposerait
que M.
McGovern est lui-même un bon serviteur d’un système que ses flots de
rhétorique
parlementaire prétendent détruire aux yeux de ses innocents électeurs.
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MessageSujet: ..   Berkman / Goldman ... EmptyMer 7 Mai - 14:39

Le problème de la Palestine doit être traité avec un réalisme
courageux. Dans un
article à propos de la Conférence d’Evian sur les réfugiés, le News
Chronicle du 8
juillet 1938 nous apprend que le colonel White, ministre australien du
Commerce et
des Douanes, qui a présidé l’une des commissions, a déclaré que des
gens d’origine
britannique avaient créé le Commonwealth d’Australie ; selon lui, les
personnes
originaires de Grande-Bretagne doivent être prépondérantes parmi les
migrants, tant
qu’il y aura des colons britanniques disponibles. Aucun socialiste, ou
anarchiste,
ne soutiendra ce type de position, du moins je l’espère, mais personne
ne propose
de forcer l’Australie à reconsidérer son attitude en faisant débarquer
une armée
d’occupation et en obligeant les Australiens à accepter, par la force,
une
politique d’immigration à laquelle ils sont opposés.

Le peuple de Palestine a le même droit à décider de ses propres
affaires, y compris
en matière d’immigration, et de décider y compris de soutenir une
politique que
nous considérons mauvaise. Il n’est peut-être pas trop tard pour
rassembler les
Arabes et les Juifs, si ces derniers abandonnent la cause du sionisme.
Dans ce cas,
cela marquerait un premier pas dans un processus qui aboutirait à
chasser d’abord
l’impérialisme britannique, et ensuite les féodaux arabes et les
capitalistes
juifs. Mais si ce tournant n’est pas pris rapidement, il sera trop
tard, et le
problème, en ce qui concerne les Juifs, sera de les réinstaller dans
une autre
partie du monde où ils pourront vivre en paix avec leurs voisins sur la
base d’un
accord mutuel. Cela ne concerne pas Madagascar ou l’Afrique de l’Est,
régions où
les habitants n’ont pas été consultés et où ils auraient les mêmes
raisons de s’y
opposer que les Arabes de Palestine.

Il est très clair que le soutien qu’apportent de prétendus «
socialistes » à
l’impérialisme britannique ne peut que pousser les Arabes dans les bras
des agents
de l’Allemagne et de l’Italie. Ils verront dans le fascisme l’ennemi
des Juifs et
des socialistes ; ils voient déjà en Allemagne et l’Italie des ennemis
de
l’Angleterre. Que faudra-t-il de plus qu’un peu de propagande et
d’argent
supplémentaires pour convaincre les Arabes que les fascistes sont leurs
meilleurs
amis ? Et cependant, si cela se passe ainsi, et que le monde arabe se
tourne vers
Hitler et Mussolini motivé par un faux espoir de salut, toute la faute
en incombera
aux politiciens travaillistes britanniques qui ont montré que la «
démocratie »
n’est pour eux qu’un slogan bon marché, qu’ils emploient quand cela
convient aux
intérêts de l’empire britannique et dont ils se moquent dès que
quelqu’un prend ce
terme au sérieux.

Tous ceux qui critiquent les dirigeants arabes parce qu’ils
sontréactionnaires ou
financés par des puissances étrangères racontent n’importe quoi, parce
que ceux qui
utilisent ce type d’argument savent qu’il n’a pas de valeur et est
hypocrite. Si
une revendication est juste, qu’est-ce qui est le plus important ?
Celui qui
exprime cette revendication ? La raison pour laquelle elle est avancée
? Ou celui
qui paie la note ? Rejeter une revendication légitime, c’est soutenir
la tyrannie
et l’oppression : l’accepter et la défendre est non seulement notre
devoir, mais
aussi la seule politique qui puisse dévoiler les prétentions de nos
ennemis. Si
McGovern et ses amis veulent vraiment démasquer les dirigeants arabes,
la meilleure
façon de le faire, c’est de prendre leurs revendications au
sérieux.

29 juin 1938,
Reginald Reynolds

(Traduit de l’anglais par Ni patrie ni frontières)

1. Cette affirmation est totalement inexacte : comme le reconnaît même
l’ultragauche antisioniste Gatto Mamone dans ce livre, « les Juifs
commencèrent à
revenir en Palestine après leur expulsion d’Espagne à la fin du XVe
siècle », la
première Aliyah (émigration juive) eut lieu en 1882, la deuxième en
1904-1905,
composée surtout de Juifs russes fuyant les pogromes. Mais évidemment
cela ne cadre
pas avec la démonstration de l’auteur qui ignore délibérément les
effets de
l’antisémitisme en Europe avant la Première Guerre mondiale (NPNF).

2. ILP : scission de gauche du parti travailliste et parti avec lequel
sympathisait
Reynolds à l’époque. (NPNF)

3. Alfred Mond (1868-1930), premier baron Melchett, avocat, député,
libéral, puis
conservateur. Il visite la Palestine en 1921 avec Chaïm Weizman et
soutient dès
lors activement le sionisme. Président de la Fondation sioniste
britannique, il
fonde une ville qui porte encore son nom : Tel Mond, dans l’Isräel
actuel (NPNF)

*********************

3) Lettre d’Emma Goldman à l’éditeur de Spain and the World

Cher camarade,

J’ai été intéressé par l’article « Les révolutionnaires et la Palestine
», écrit
par notre bon ami Reginald Reynolds dans Spain and the World du 29 juin
1938.
J’approuve une partie de son contenu, mais une partie plus importante
encore de son
argumentation me semble contradictoire avec les idées d’un socialiste
aux positions
quasiment anarchistes. Avant que je souligne ces incohérences, je
souhaite dire que
l’article de notre ami peut laisser croire qu’il est un antisémite
enragé.
Plusieurs personnes m’ont d’ailleurs demandé pourquoi Spain and the
World avait
publié un article antisémite. Elles étaient encore plus surprises que
Reginald
Reynolds en ait été l’auteur. Comme je le connais bien, j’ai pu assurer
en toute
tranquillité à mes amis juifs que Reginald Reynolds n’a pas le moindre
atome
d’antisémitisme dans son esprit, même s’il est vrai que son article
donne
malheureusement une telle impression.

Je ne conteste pas les critiques que notre bon ami adresse aux
sionistes. De fait,
je m’oppose depuis de nombreuses années au sionisme, qui n’est que le
rêve des
capitalistes juifs dans le monde entier de créer un Etat juif avec tous
ses
accessoires : gouvernement, lois, police, militarisme, etc. En d’autre
termes, ils
veulent créer une machine étatique juive pour protéger les privilèges
d’une
minorité [de Juifs] contre une majorité [de Juifs].

Cependant, Reginald Reynolds a tort lorsqu’il affirme que les sionistes
sont les
seuls partisans de l’émigration juive en Palestine. Peut-être
ignore-t-il que les
masses juives, dans tous les pays, et particulièrement aux Etats-Unis,
ont
contribué à rassembler des sommes importantes dans le même but. Ils se
sont
généreusement défait de leurs maigres économies dans l’espoir que la
Palestine
devienne un asile pour leurs frères, cruellement persécutés dans
presque tous les
pays européens. Le fait qu’il existe beaucoup de communes non sionistes
en
Palestine prouve que les ouvriers juifs qui ont aidé les juifs
persécutés et
pourchassés l’ont fait non pas parce qu’ils sont sionistes, mais pour
la raison que
je viens d’exposer, parce qu’ils pensent qu’en Palestine on les
laissera
tranquilles, qu’ils pourront s’y installer et vivre leur propre vie.

Le camarade Reynolds s’oppose aux Juifs qui prétendent que la Palestine
était leur
patrie il y a deux mille ans. Il insiste sur le fait que cela n’a
aucune importance
puisque les Arabes vivent en Palestine depuis des générations. Pour
moi, aucun des
deux arguments n’a de grande valeur, à moins de croire aux vertus du
monopole de la
terre et aux droits des gouvernements de chaque pays de refuser
l’entrée à de
nouveaux arrivants.

Reginald Reynolds sait bien que les peuples arabes ont tout autant le
droit de
décider qui a le droit (ou pas) d’entrer dans leurs pays que les
exploités de
n’importe quelle autre région du monde. En fait, notre ami l’admet
lorsqu’il écrit
que les féodaux arabes ont vendu la terre aux Juifs sans en informer le
peuple
arabe. Cela n’est pas un phénomène nouveau dans ce monde. La classe
capitaliste
possède, contrôle ses richesses et en dispose partout pour satisfaire
ses intérêts.
Qu’elles soient arabes, anglaises ou autres, les masses ont très peu de
choses à
dire à ce sujet.

En défendant le droit des Arabes d’empêcher les Juifs d’immigrer en
Palestine,
notre bon ami porte autant atteinte aux principes socialistes que son
camarade John
McGovern. Certes, ce dernier se fait le défenseur [des intérêts] de
l’impérialisme
britannique, tandis que Reginald Reynolds soutient les droits des
capitalistes
arabes. Mais c’est une aussi mauvaise position pour un révolutionnaire
socialiste.
Il est encore plus incohérent de plaider au nom du monopole de la
terre, et de
réserver ce droit uniquement aux Arabes.

Peut-être mon éducation révolutionnaire comporte-t-elle quelques graves
lacunes,
mais on m’a toujours appris que la terre devait appartenir à ceux qui
la
cultivaient. Ses sympathies profondes pour les Arabes ne devraient pas
empêcher
Reginald Reynolds de reconnaître que les Juifs ont cultivé la terre en
Palestine.
Des dizaines de milliers d’entre eux, des idéalistes jeunes et dévoués,
sont partis
en Palestine pour cultiver la terre dans les conditions très difficiles
que sont
celles des pionniers. Ils ont défriché des terres abandonnées et les
ont
transformées en terres fertiles et en jardins fleurissants. Attention :
je ne dis
pas que les Juifs ont davantage de droits que les Arabes, mais le fait
qu’un
socialiste affirme que les Juifs n’ont rien à faire en Palestine me
semble exprimer
une étrange conception du socialisme.

Certes, Reginald Reynolds ne nie pas aux Juifs le droit d’asile en
Palestine, mais
il insiste aussi sur le fait que l’Australie, Madagascar, et l’Afrique
de l’Est ont
parfaitement le droit de fermer leurs ports aux Juifs. Si tous ces pays
ont le
droit de les refouler, pourquoi ne serait-ce pas le cas des nazis en
Allemagne ou
en Autriche ? Ou de tous les pays ? Malheureusement, notre camarade ne
mentionne
pas un seul endroit où les Juifs pourraient trouver la paix et la
sécurité.
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MessageSujet: ..   Berkman / Goldman ... EmptyMer 7 Mai - 14:39

Je suis persuadé que Reginald Reynolds soutient le droit d’asile aux
réfugiés
politiques. Je suis certain qu’il regrette que ce grand principe,
autrefois
l’honneur et la gloire de l’Angleterre, ne soit plus appliqué. Et moi
aussi je le
regrette. Je ne comprends donc pas comment Reynolds peut concilier ses
sentiments
positifs vis-à-vis des réfugiés politiques avec son refus d’accorder le
droit
d’asile aux Juifs.

Notre ami soutient ardemment le droit à l’indépendance nationale des
Arabes et des
autres peuples qui subissent le joug britannique. Je ne suis pas opposé
à la lutte
pour l’indépendance nationale, mais je n’y vois pas les mêmes avantages
que lui
sous un régime capitaliste. Le progrès qu’est censée apporter cette
indépendance se
résume à l’avènement de la démocratie, qui est une tromperie et un
piège. Il suffit
de se pencher sur le cas des pays qui ont récemment acquis
l’indépendance
nationale. La Pologne, par exemple, les Etats baltes ou certains pays
des Balkans.
Loin d’être progressistes (dans le vrai sens du terme), ils sont
devenus fascistes.
Les persécutions politiques y sont tout aussi graves que sous le tsar,
alors que
l’antisémitisme, auparavant encouragé du sommet de l’Etat, infecte
désormais toutes
les couches de la vie sociale dans ces pays.

Cependant, puisque notre ami défend le droit à l’indépendance
nationale, pourquoi
n’est-il pas cohérent jusqu’au bout et ne reconnaît-il pas ce droit aux
sionistes,
ou, plus largement, à tous les Juifs ? Parmi tous les arguments en
faveur de ce
droit, la condition précaire des Juifs, le fait qu’ils soient partout
indésirables
devraient leur donner le droit au moins à la même considération que
notre camarade
accorde si sérieusement aux Arabes.

Je sais, bien sûr, que beaucoup de Juifs ne peuvent prétendre au statut
de réfugiés
politiques. Bien au contraire, la plupart d’entre eux se sont montrés
indifférents
face aux persécutions contre les travailleurs, les socialistes, les
communistes,
les syndicalistes et les anarchistes, tant qu’eux-mêmes étaient en
sécurité. Comme
la bourgeoisie en Allemagne et en Autriche, ils ont exploité les
travailleurs et se
sont opposés à toute tentative des masses d’améliorer leur condition.
Certains
Juifs allemands ont eu la témérité d’affirmer qu’ils ne s’opposeraient
pas à
l’expulsion des OstJuden (les Juifs provenant de la Pologne et d’autres
pays). Tout
cela est vrai, mais le fait demeure que, depuis l’arrivée de Hitler au
pouvoir,
tous les Juifs sans exception ont été soumis aux persécutions les plus
cruelles et
aux traitements les plus indignes et les plus horribles, en dehors du
fait qu’ils
ont été dépouillés de tous leurs biens. Il me semble donc plutôt
bizarre qu’un
socialiste nie à ce malheureux peuple le droit de s’installer dans
d’autres pays et
d’y commencer une nouvelle vie.

Le dernier paragraphe de l’article de Reginald Reynolds « Les
révolutionnaires et
la Palestine », atteint des sommets. L’auteur écrit : « Qu’est-ce qui
est le plus
important ? Celui qui exprime une revendication ? La raison pour
laquelle elle est
avancée ? Ou qui paie la note si cette demande est justifiée ? Rejeter
une
revendication légitime, c’est soutenir la tyrannie et l’oppression :
l’accepter et
la défendre est non seulement notre devoir, mais aussi la seule
politique qui
puisse dévoiler les prétentions de nos ennemis. »

Cher Reginald Reynolds, la question est de savoir qui décide de la «
légitimité »
d’une revendication. À moins que l’on ne soit affecté de la même tare
que l’auteur
attribue aux Juifs, c’est-à-dire de « l’intolérable arrogance de ceux
qui se
considèrent comme membres d’une race supérieure », on ne peut décider
si la
revendication des habitants d’un pays de vouloir conserver le monopole
de leurs
terres est plus légitime que le besoin désespéré de millions de gens
qui sont en
train d’être lentement exterminés.

En conclusion, je souhaite préciser que mon attitude face à cette
question tragique
n’est pas dictée par mes origines juives. Elle est motivée par ma haine
de
l’injustice et de l’inhumanité des hommes contre d’autres. J’ai
combattu toute ma
vie pour l’anarchisme, seul capable de mettre fin aux horreurs du
régime
capitaliste et de garantir l’égalité et la liberté à toutes les races
et tous les
peuples, y compris les Juifs. Jusqu’à ce que ce moment arrive, je
considère qu’il
est incohérent, pour les socialistes et les anarchistes, de soutenir la
moindre
forme de discrimination contre les Juifs.

Emma Goldman
26 août 1938

(Traduit de l’anglais par Ni patrie ni frontières)

***************************************

4) Réponse de Reginald Reynolds à l’éditeur de Spain and the World

Cher camarade,

Puisque ma chère amie Emma Goldman se préoccupe du fait que je sois mal
compris,
elle appréciera certainement ma tentative de corriger ses propres
incompréhensions
concernant mes conceptions sur la Palestine.

Je dois remercier Emma d’avoir assuré ses amis que je ne suis pas
antisémite ; mais
je suis en désaccord complet avec l’affirmation que mon article du 29
juillet « en
donne malheureusement l’impression ». Je défie quiconque de me montrer
la moindre
phrase qui, prise dans son contexte, puisse donner une telle impression
à un esprit
sans préjugés. Le Dr Johnson a déclaré un jour : « Je peux vous donner
des
arguments, mais je ne peux pas vous donner de l’intelligence. » Je me
trouve dans
la même position et ne suis pas responsable des préjugés de ceux qui
interprètent
mes écrits. On a aussi dit que Bakounine était antisémite...

Mon article ne s’est à aucun moment intéressé aux Juifs ou aux Arabes
en tant que
race. Il concernait le droit à l’autodétermination que revendiquent les
Arabes et
auquel s’opposent les sionistes. Tout comme les anarchistes, je crois
que, dans une
société idéale, il ne devrait y avoir aucun gouvernement. Mais je pense
que, dans
les pays où les gens n’ont pas encore compris cela, un gouvernement
démocratique ­
qui bénéficie du consentement explicite d’au moins la majorité du
peuple ­ vaut
mieux qu’un gouvernement autocratique ou bureaucratique. Les
anarchistes espagnols
semblent avoir la même position que moi, sinon on ne comprend pourquoi
ils auraient
coopéré avec le gouvernement [républicain] contre Franco, même si cette
coopération
était limitée.

Mais de même que les anarchistes se sont rendu compte que le fascisme
est pire que
le capitalisme « démocratique », de même la plupart d’entre eux seront
d’accord
avec moi pour affirmer que l’impérialisme est pire, et pour les mêmes
raisons.
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MessageSujet: ..   Berkman / Goldman ... EmptyMer 7 Mai - 14:40

Ceux qui ne voient pas qu’il s’agit d’une affirmation découlant du bon
sens
devraient étudier et comparer la situation, par exemple, en Inde et
dans les
colonies britanniques, d’un côté, avec celle des ouvriers du Royaume
uni, de
l’autre. Je n’ai pas besoin qu’Emma Goldman me rappelle les limites de
la
«démocratie » ou celles de l’indépendance nationale ; mais si l’on
considère ces
objectifs seulement comme « une tromperie et un piège », on nie la base
même sur
laquelle les quelques libertés que nous possédons a été construite, et
le fondement
actuel de la collaboration entre les anarchistes et les autres forces
antifascistes
en Espagne. Et quand ma chère amie écrit qu’elle n’est « pas opposée »
à la lutte
pour l’indépendance nationale, son propos ne peut être perçu que comme
un geste de
solidarité très tiède envers ceux qui prennent tous les coups en
combattant
l’impérialisme britannique. Comme je l’ai souligné dans mon article,
seul un
soutien actif impressionnera les peuples coloniaux ; et s’ils reçoivent
un tel
soutien des puissances fascistes, et que les anarchistes se contentent
« de ne pas
être opposés » à leur lutte, je crains que les masses qui souffrent
aujourd’hui de
l’oppression sous l’Union Jack [le drapeau britannique] en tirent des
conclusions
inquiétantes à propos de qui sont leurs vrais amis. Et qui en portera
la
responsabilité ?

Personnellement, je ne suis pas prêt à me tenir à l’écart du combat
entre les
oppresseurs et les opprimés, sous prétexte que les opprimés n’auraient
pas compris
100 % de la vérité telle que je la vois. J’aiderai l’opprimé parce
qu’il est
l’opprimé, et parce que mon aide est le seul moyen de lui prouver ma
sincérité si
je veux lui apprendre quoi que ce soit en matière politique ou
économique. Et je ne
crains pas d’être mal compris, que ce soit délibérément ou
involontairement. Je
sais que s’opposer à l’impérialisme britannique en Palestine (et au
sionisme, son
allié), c’est courir le risque d’être accusé d’antisémitisme. Je sais
que critiquer
le gouvernement espagnol ou le Front populaire en France, c’est risquer
d’être
traité de « trotsko-fasciste ». Aucune de ces deux accusations ne
m’inquiète le
moins du monde.

Je ne suis pas impressionné par le fait que des ouvriers juifs ont
soutenu
financièrement l’émigration juive en Palestine. Les ouvriers
britanniques
contribuent à de nombreuses choses absurdes, y compris à assurer le
salaire de Sir
Walter Citrine(1). Quant à l’affirmation selon laquelle « la terre
devrait
appartenir à ceux qui la cultivent », je ne l’accepte pas, et je ne
vois pas ce
qu’elle fait dans la démonstration d’Emma Goldman. Dans une situation
idéale, la
terre devrait, selon moi, « appartenir » à toute la communauté, puisque
toutes les
richesses proviennent du travail de celle-ci. Mais si j’accepte
l’affirmation
d’Emma, alors la terre de Palestine devrait appartenir aux paysans
arabes, et les
seigneurs arabes n’avaient aucun droit de la vendre aux migrants juifs
qui ont
dépossédé les métayers arabes. C’est le seul sens que je puisse
attribuer à cette
proposition d’Emma, à moins qu’elle veuille dire que la terre
appartient à celui
qui s’en empare ­ donc qu’elle appartenait aux fellahs arabes mais que
désormais
elle appartient à ceux qui ont poussé les Arabes dehors. « La terre
appartient au
premier qui la met la main dessus » est un bon slogan pour les
conquistadors et les
impérialistes, mais j’ignorais qu’il s’agissait d’un mot d’ordre
anarchiste.

Je voudrais maintenant revenir sur trois déclarations qu’Emma
m’attribue sans la
moindre preuve. Je n’ai jamais « soutenu les droits des capitalistes
arabes » et je
n’ai nulle part écrit que « les Juifs n’ont rien à faire en Palestine
». Et je n’ai
pas non plus « justifié » le refus des ports australiens d’accueillir
les Juifs.
Bien au contraire. En discutant les opinions du représentant australien
à la
conférence d’Evian, j’ai écrit : « Aucun socialiste ou anarchiste,
j’espère, ne
soutiendra une telle position. » Est-ce une façon de « justifier »
l’attitude des
Australiens ? Mais j’ai ajouté que si l’Australie refusait l’entrée aux
Juifs,
personne ne tenterait d’imposer l’arrivée d’immigrants juifs en
envoyant une force
armée d’occupation. C’était une simple constatation. Mais je suis prêt
à en faire
aussi une opinion, et à demander à Emma Goldman et à toute personne qui
sympathise
avec son point de vue, si elle est préparée à soutenir une telle
mesure. Si je dis
que je ne suis pas prêt à intervenir par la force dans la maison de mon
voisin,
cela ne signifie pas que j’approuve tout ce qu’il fait à l’intérieur de
son foyer.
Et je regrette qu’Emma ne puisse pas voir la différence.

Mon attitude vis-à-vis de la Palestine est fondée sur les mêmes
principes. La
question fondamentale n’est pas de savoir si j’approuve ou pas
l’immigration des
Juifs, mais qui va décider de son importance. Pour le moment, c’est un
gouvernement
étranger ­ le mien ­ qui décide et impose ses décisions à un peuple
récalcitrant en
se servant de ses baïonnettes. La solution de Madagascar poserait le
même problème
(même si Emma la confond avec le problème de l’Australie, comme si tous
deux
étaient des pays indépendants et autonomes). C’est pourquoi j’ai
suggéré qu’il
faudrait prendre le temps de réfléchir de façon constructive à « une
région du
monde où [les Juifs] pourraient vivre en paix avec leurs voisins d’un
accord mutuel
». C’est ce que ma chère amie appelle « nier à ces malheureux la
possibilité de
s’installer dans de nouveaux pays ».

Emma commet la pire des confusions quand elle m’accuse d’incohérence
parce que je
soutiens l’indépendance des Arabes et m’oppose au nationalisme des
Juifs. Je
soutiens l’indépendance des Maures ; mais cela ne signifie pas ce que
je soutienne
pour autant les Maures en Espagne [qui se battent dans les troupes de
Franco] où
ils sont les ennemis de l’indépendance espagnole. Contrairement à ce
qu’Emma semble
imaginer, je ne m’intéresse pas au nationalisme en lui-même, mais
seulement aux cas
où il exprime une révolte contre l’impérialisme. Et de même que je suis
opposé aux
Maures quand ils apparaissent comme des conquérants dans une armée
fasciste, de
même je suis opposé aux Juifs quand ils apparaissent comme des colons
dans un
schéma britannique qui souhaite créer une sorte d’Ulster en Palestine.
Pour
continuer l’analogie avec l’Irlande, je suis anticatholique, mais, dans
la lutte
irlandaise pour l’émancipation des catholiques, j’aurais été pour leur
émancipation. Non pas parce que j’aime le pape, mais parce que je ne
crois
pas qu’il faille priver une nation de sa religion. De même, en
Palestine, je suis
favorable (indépendamment de toute autre considération) aux droits du
peuple contre
une minorité qui veut les piétiner.

Emma m’accuse enfin d’être coupable de la même « intolérable arrogance
» dont
j’accablerai (selon elle) les Juifs. (Je parlais en fait des sionistes,
mais
passons...) Et cela parce que j’ose parler d’une « juste revendication
» ­ le droit
des Arabes à un gouvernement autonome démocratique. Certes, il est
possible que je
me trompe, que le socialisme ne soit pas la bonne solution, pas plus
que
l’anarchisme, que Franco soit un homme bon, qu’il soit le sauveur de
l’Espagne et
que je le condamne avec « arrogance ». Mais je suis prêt à prendre le
risque de me
tromper. Et je remarque que Emma fait preuve de suffisamment
d’arrogance pour
prendre parti dans un conflit quand cela l’arrange. En ce qui me
concerne, je
considère que si la cause de l’autodétermination n’est pas une cause
juste, alors
le mot justice n’a plus de sens pour moi et peut être éliminé de la
discussion. Je
sais seulement que l’autodétermination est un principe de base à la
fois pour le
socialisme et l’anarchisme tels que je les comprends. Et je combattrai
tout système
social qui ne respecte pas ce principe fondamental.

Reginald Reynolds
16 septembre 1938

(Traduit de l’anglais par Ni patrie ni frontières)

1. Dirigeant des syndicats britanniques et secrétaire général du TUC de
1926 à
1946, NPNF.
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