LES PAYS DE COCAGNE
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 dieu est mort

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buenaventura
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buenaventura


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MessageSujet: dieu est mort   dieu est mort EmptySam 9 Avr - 12:58

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Michel Onfray: «Mort à Dieu!»


RACHAD ARMANIOS

Le Paradis selon le philosophe français Michel Onfray? L'éternelle félicité de l'imbécile heureux. Eve et Satan? De bienvenus contestataires qui rendent aux hommes leur puissance sur eux-mêmes et le monde. Les religions? Des fables pour enfants dont se convainquent les fidèles –victimes de la caste des prêtres, car Onfray conchie les institutions, pas les croyants– par peur d'accepter la finitude de leur existence. Les textes sacrés? De la propagande et un fatras de contradictions d'origine «humaine, très humaine, trop humaine»...
En conclusion de son Traité d'athéologie, best-seller qui défraye la chronique française, Michel Onfray, l'anarchiste, le libertaire, l'hédoniste et l'épicurien de toujours, affirme qu'il «n'existe qu'un monde et que toute promotion d'arrière-monde nous fait perdre l'usage et le bénéfice du seul qui soit». Le pamphlétaire –agacé que sa pensée soit réduite à un pamphlet– signe là une véritable arme de destruction massive contre les religions. Un brûlot qui brille par la puissance du verbe, bien que les arguments avancés semblent parfois un peu légers. Cible privilégiée de la kalachnikov verbale d'Onfray, les monothéismes –chrétien, juif et musulman– sont réduits à l'éloge de la pulsion de mort: «La religion du Dieu unique travaille à la haine de soi, au mépris de son corps, au discrédit de l'intelligence, à la déconsidération de la chair, à la valorisation de tout ce qui nie la subjectivité épanouie; projetée contre autrui, elle fomente le mépris, la méchanceté, l'intolérance qui produisent les racismes, la xénophobie, le colonialisme, les guerres, l'injustice sociale.» Selon Onfray, l'affirmation d'un Dieu unique, intolérant et belliqueux a généré plus de haine, de sang, de morts, de brutalité que de paix. Vive Dieu, mais mort à la science, à l'intelligence, à la liberté, à tous les livres au nom d'un seul, au plaisir, aux pulsions, à la femme (niée par l'épouse et la mère), déplore le philosophe athée. «Autant dire la vie crucifiée et le néant célébré.»


DIEU N'EST PAS MORT

Or, loin d'être mort, comme l'a proclamé Nietzsche, Dieu –ou plutôt les valeurs judéo-chrétiennes héritées de plus de deux mille ans de «formatage biblique»– imprègne la chair des sociétés occidentales (on rit des propos du pape sur le préservatif, mais on se marie encore beaucoup à l'église...). La fin du monopole des professionnels de la religion sur le religieux a même libéré l'irrationnel et généré une plus grande profusion de sacré, prévient le philosophe. Nous serions dans une ère de «laïcité et d'athéisme chrétiens»: «Travail, Famille, Patrie, sainte trinité laïque et chrétienne» que ne renierait pas le curé de village, proclame Onfray.
Le philosophe invite donc à une laïcité postchrétienne, à savoir athée. Militante, radicalement opposée à tout choix de société entre la Bible ou le Coran, cette laïcité défendrait la primauté de la raison et des Lumières sur la «pensée magique» des religions.
Noyée dans un verbe qui coule à flots, l'argumentation d'Onfray semble parfois manquer de poids. Ainsi de la thèse de «l'inexistence du Christ», personnage «mythique», que l'on voudrait plus argumentée. Au-delà du pamphlet, le lecteur s'étonnera peut-être du peu de place donné au besoin de sacré comme phénomène anthropologique universel. La laïcité postchrétienne a-t-elle ainsi une chance de séduire? RAs
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MessageSujet: ...   dieu est mort EmptySam 16 Avr - 13:03

Les 12 preuves de l’inexistence de Dieu.

SÉBASTIEN FAURE






Pour combattre « un certain opium du peuple dont les maîtres du monde ont toujours été les dealers », les Editions libertaires ont republié le texte de Sébastien Faure, datant de 1914. Au début du siècle dernier, celui-ci donna des centaines de conférences destinées à défendre l’athéisme contre la foi. Par milliers parfois, les gens se pressaient pour l’entendre argumenter. Dans une très belle langue, le communiste libertaire détruisait alors « l’hypothèse Dieu ». Sa « thèse » lui paraissait tellement irréfutable qu’il ne pouvait imaginer autre chose que la foi – précisément... – pour légitimer encore ce « tyran sanguinaire que les castes sacerdotales se sont donné la sinistre mission de nous faire adorer ». Un siècle plus tard, si, comme le croyait Sébastien Faure, la religion « pousse les consciences à la résignation, source de réaction », il n’est pas établi que « l’athéisme les pousse à la révolte ». Mais, pour les libertaires, peu importe, surtout en ce moment : « Ce n’est pas parce que Dieu n’existe pas qu’il ne faut pas s’en débarrasser. »


Serge Halimi.
Les Editions libertaires, Toulouse, 2004, 93 pages, 10 euros.
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caserio
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caserio


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MessageSujet: ...   dieu est mort EmptySam 16 Avr - 13:03

CONTRE L’OPUS DEI

Joie du blasphème








Peut-on encore être anticlérical ? N’est-ce pas la télévision, désormais, beaucoup plus que la religion, qui apparaît comme le véritable opium du peuple ? Que devient la grande tradition des récits satiriques, blasphématoires, relatant les turpitudes de moines ou de curés paillards, qui s’était épanouie depuis les fabliaux du Moyen Age jusqu’aux romans libertins du XVIIIe siècle, en passant par Rabelais ?

Juan Goytisolo ne trouve pas anachronique de raviver cette veine. Peut-être parce que l’anticléricalisme, à ses yeux, n’est pas si obsolète qu’on voudrait nous en persuader (il suffit de regarder le rôle joué par l’Opus Dei dans le régime franquiste et dans nombre de dictatures d’Amérique latine). Le point de départ de son dernier roman est justement l’un de ces textes sacrilèges anciens, au demeurant soigneusement occulté par la culture espagnole officielle : cette Carajicomedia (ou « foutricomédie ») écrite, au XVIe siècle, par Fray Bugeo, et qui évoque, en parodiant le ton des livres de piété de l’époque, les prouesses accomplies par le membre viril d’un prélat réputé, Diego Fajardo - « que ses majestés catholiques avaient récompensé en lui accordant la concession à vie des rentes de plusieurs lupanars »...

Goytisolo, donc, invente de projeter cela au XXe siècle. Fray Bugeo s’est réincarné, au terme de transmigrations successives, en un sulfureux « Père de Trennes » (nom emprunté à un personnage des Amitiés particulières de Peyrefitte), qui décline ses exploits (à dominante homosexuelle), détaille ses débauches, en détournant à cet effet le bréviaire de l’Opus Dei, Chemin - écrit par celui-là même que l’Eglise catholique a canonisé le 6 octobre 2002. L’« évangélisation », ici, consiste à entraîner le plus possible de partenaires (de préférence arabes ou turcs, musclés, moustachus) dans la dépravation.

Nous voici entraînés dans un périple extravagant, où l’on passe des couvents de l’Espagne médiévale aux vespasiennes de Stalingrad ou de Barbès, des cinémas pornos de la gare du Nord aux bars interlopes de Tanger, du hammam du boulevard Voltaire aux backrooms de Greenwich Village ; où l’on croise des personnages obscurs et des célébrités (Severo Sarduy, Jean Genet) ; où le passé de l’Espagne se télescope avec le présent ; où la réalité historique (les manifestations des « gazolines » à Paris dans la foulée de mai 1968) se mêle à la fiction (la présence de deux travestis explicitement issus d’un roman de Sarduy) ; où l’on trouve un irrésistible pastiche de Roland Barthes... Tout cela pris dans un tourbillon de truculence, de bouffonnerie, d’irrespect, nourri d’une verve iconoclaste moulée dans le langage même de la religion.

Le plus étonnant, peut-être : la façon dont ces deux registres, celui du discours édifiant et celui de l’obscénité, se contaminent réciproquement. Car ce livre, au fond, n’épargne rien : la parodie se retourne contre elle-même, l’ironie est généralisée et affecte le discours de la loi morale (détourné, perverti dans ses contenus) tout autant que celui de la transgression (poussée à un tel point d’exaspération qu’elle anéantit, notamment, toute illusion de sexualité « innocente »). Ce qui risque de scandaliser, en somme, tous les dévots : aussi bien ceux de la religion classique (sans cesse outragée) que les bien-pensants gays - tenants d’une homosexualité convenable, respectable, intégrée.

Il faut souligner, enfin, l’extraordinaire subtilité de la composition d’un tel roman. Le discours attribué au Père de Trennes s’emboîte dans celui d’un second narrateur, qui porte sur lui un regard critique ; ce narrateur a, de son côté, un statut passablement équivoque : est-il l’auteur, Juan Goytisolo lui-même ? En ce cas, comment expliquer que Goytisolo apparaisse aussi comme un personnage ? Et se distingue-t-il vraiment de ce « Saint Jean Barbès Rochechouart » qui s’ajoute à la galerie de portraits ? Les points de vue se multiplient, se brouillent, se contredisent, chacun des deux narrateurs accusant l’autre de plagiat. Et le lecteur finit par être saisi de vertige devant un tel jeu de miroirs, où l’on ne discerne plus très bien, en outre, ce qui relève de l’expérience réelle, biographique, et ce qui naît de la bibliothèque (car c’est toute la culture hispanique, en définitive, qui est ici revisitée, réactivée, dévergondée). Le livre le plus drôle et le plus insolent de cette rentrée.
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MessageSujet: ...   dieu est mort EmptySam 16 Avr - 13:19

On a toutes les raisons, par les temps qui courent, de se méfier d’un Traité d’athéologie: on a trop vu, récemment, de ces peurs de l’autre viscérales travesties en postures philosophiques; on a trop vu de ces auteurs à qui la critique des religions, ou des intégrismes, ne sert que de prétexte pour loucher avec insistance du côté de l’islam, alimentant une suspicion à forts relents racistes envers tous ceux dont il est la tradition religieuse de référence. A l’évidence, ce n’est pas le cas de Michel Onfray, que l’on sent, à le lire, aussi sincèrement remonté contre tous les dogmes religieux – il n’est pas certain, en revanche, que son fulgurant succès de librairie n’ait que des motifs honorables.
On regrette seulement de retrouver sous sa plume quelques affirmations discutables devenues des lieux communs depuis trois ans et demi: il écrit par exemple que l’islam est «fondamentalement incompatible avec les sociétés issues des Lumières», alors qu’il explique lui-même en long et en large, par ailleurs, combien les «sociétés issues des Lumières» restent profondément imprégnées de christianisme. «Le musulman n’est pas fraternel, écrit-il dans un style un brin déplaisant: frère du coreligionnaire, oui, mais pas des autres, tenus pour rien, quantités négligeables ou détestables.» Or, à d’autres endroits du livre, il formule exactement la même critique, d’ailleurs tout à fait pertinente, à l’égard du judaïsme et du christianisme: dans chaque religion, les commandements vertueux («tu ne tueras point») semblent devoir être compris implicitement comme n’ayant de valeur qu’au sein même de la communauté, et ne jamais concerner ceux qui pratiquent un culte différent. C’est ce «deux poids, deux mesures» que les «sociétés issues des Lumières», justement, tout en proclamant l’idéal d’universalité, ont été incapables de dépasser dans les faits, continuant de dominer d’autres peuples sous prétexte de leur prétendue infériorité raciale, puis culturelle – et aujourd’hui, à nouveau, religieuse.
Au passage, Michel Onfray attribue aussi les attentats-suicides palestiniens au désir d’accéder au paradis promis par le Coran, oubliant que ceux qui les commettent, même s’ils habillent leur acte d’un discours religieux, sont sans doute au moins autant expulsés de ce bas monde par les conditions de vie qu’ils y subissent qu’attirés par les charmes d’un au-delà idyllique. Il reproduit ainsi l’effacement de l’histoire et de la politique qui biaise désormais notre lecture du monde, faisant de la religion un sésame d’explication unique et universel, comme flottant dans l’abstraction. Il reprend à son compte la thèse huntingtonienne d’un affrontement des civilisations judéo-chrétienne et musulmane – même si c’est pour les renvoyer dos à dos. On peut le déplorer de la part d’un auteur qui vante les vertus du libre examen philosophique et du refus des vérités imposées, et qui, en général, les met lui-même en pratique avec talent.
En suivant sans lui le fil de sa réflexion, on pourrait même émettre l’hypothèse que si les religions sont sources de problèmes, aujourd’hui, la faute en incombe surtout au monde judéo-chrétien. C’est ce dernier qui, sans doute parce que les conditions historiques le lui autorisent, perpétue ce «deux poids, deux mesures» monothéiste que la laïcisation a été impuissante à abattre: l’occupation de la Palestine s’est faite au départ dans une sorte d’aveuglement quant à la présence de non-juifs sur cette terre («une terre sans peuple pour un peuple sans terre»), et s’est poursuivie dans le déni de leur légitimité; la mondialisation met en place un jeu de dupes généralisé dans lequel les cultures non-occidentales se voient à la fois dévastées économiquement et sommées d’uniformiser leurs modes de vie et de pensée. Dans ce contexte, l’intégrisme musulman, sur lequel on se focalise tant, apparaît comme «second»: de nature essentiellement réactive, il sert à habiller une réplique aux situations d’oppression politique et de violence culturelle créées par un impérialisme occidental que ses protagonistes n’identifient même pas. Cela ne signifie pas qu’il soit inoffensif, ni qu’il inspire la moindre sympathie; mais est-ce qu’on ne se donnerait pas de meilleures chances de venir à bout du fléau religieux en cernant précisément les endroits où il prend sa source?

Vouloir parler de religion sans parler de politique, c’est se condamner à reproduire de fausses symétries ravageuses. Onfray peut ainsi déclarer dans un entretien au Point (10 février 2005): «Quand une religion appelle au meurtre des autres qualifiés d’infidèles – christianisme d’hier et islam d’aujourd'hui, par exemple –, elle est politiquement plus dangereuse que quand elle se donne comme but la construction d'une religion nationale sur la terre dite des ancêtres – judaïsme d’hier et d’aujourd’hui.» Faut-il en conclure que si, en Israël, la «construction d’une religion nationale sur la terre dite des ancêtres» pose problème, la faute en revient à ceux qui s’y opposent sous le prétexte négligeable qu’ils vivaient là depuis des générations? Un athée qui justifie aussi facilement l’utilisation d’un livre saint comme d’un cadastre, c’est quand même un brin surprenant…
Eradiquer la «fonction fabulatrice»?
Mais il est surtout dommage que Michel Onfray consacre l’essentiel de son essai à fustiger les religions (ce en quoi il risque de ne faire que prêcher des convertis, si l’on ose dire), au lieu de développer et de préciser davantage la vision du monde qu’il leur juge préférable. Et celle-ci, telle qu’il la présente, est un peu courte. A la croyance obscurantiste, il se contente d’opposer la «tradition rationaliste occidentale»: la raison, la science, la culture… Il manifeste même un rationalisme exacerbé: il fustige par exemple la pratique religieuse des «exercices de mémoire», de la récitation et de la répétition, parce que, écrit-il, «psalmodier, réciter, répéter n’est pas penser». Evidemment que l’exercice de la pensée critique est une absolue nécessité; mais doit-on pour autant ne faire que penser? N’a-t-il jamais pris plaisir, par exemple, à apprendre par cœur un texte ou un poème qu’il aimait et à se le répéter? La récitation et la répétition sont critiquables lorsqu’elles servent à l’endoctrinement religieux, mais, en elles-mêmes, elles sont loin d’être dénuées de sens: elles permettent de s’approprier un texte admiré, de se l’incorporer, de s’en imprégner, de savourer ses sonorités; elles relèvent autant de l’univers musical que du domaine intellectuel. Elles ne font pas obstacle à la compréhension du sens, mais, au contraire, le soulignent et le renforcent – l’étude des sonorités d’un texte, et de ce qu’elles «disent» de plus à notre inconscient, ne fait-elle pas partie intégrante de l’analyse littéraire?
Les termes dont il se sert de façon récurrente pour qualifier les textes religieux laissent également perplexe: «fictions fabriquées», «fables», «mythes», «arrière-mondes», «histoires pour enfants»…, représentent apparemment à ses yeux les pires des abominations, alors qu’aux oreilles de beaucoup de gens, il est vraisemblable qu’elles ont des résonances plutôt agréables. Il propose aussi d’avoir recours à la psychanalyse afin d’«envisager les mécanismes de la fonction fabulatrice», et affirme la nécessité urgente d’«empêcher l’errance mentale et la coupure avec le seul et vrai monde». Du coup, on s’interroge: quel est le rapport de Michel Onfray avec la fiction? Ne lui arrive-t-il jamais de faire appel à sa propre «fonction fabulatrice», et de s’évader du «seul et vrai monde» pour s’adonner à l'«errance mentale» en lisant un roman ou en regardant un film? Bien sûr, les films et les romans, contrairement aux textes religieux, n’affichent aucune prétention à être reçus comme des vérités littérales. Mais ils nécessitent tout de même, pour être appréciés, que le lecteur ou le spectateur y croie un minimum. Et il est difficile de contrôler, de brider cette capacité à «croire», à se projeter dans d’autres univers: en témoigne une longue méfiance (en particulier des autorités religieuses…) vis-à-vis des effets néfastes supposés de la lecture, ou encore, de plus fraîche date, vis-à-vis des jeux de rôles. C’est pourquoi on reste sceptique quand, interrogé dans un entretien (Télérama, 9 mars 2005) sur cette faille de son livre, il lance: «Je ne suis pas contre les mythes, je suis contre le fait qu’on y croie.» Mais si on n’y croyait pas du tout, on ne les inventerait sans doute pas… Il ajoute: «Créons des mythes parce qu’ils sont fédérateurs, fabriquons des fables, mais surtout n’y croyons pas!» Outre que le programme semble difficilement tenable, n’est-il pas un peu réducteur et condescendant de considérer que la seule utilité des mythes est leur rôle «fédérateur»? On peut aussi penser, avec l’écrivain et critique littéraire italien Pietro Citati, que «nous avons besoin des mythes pour rester des hommes», tant individuellement que collectivement; que c’est «en transformant les instincts, les pulsions de notre moi en personnages d’une comédie symbolique que nous pouvons atteindre l’entière vérité sur nous-mêmes» (entretien de Citati à Télérama, 10 février 1999).
Pourfendant le mythe d’Adam et Eve, Onfray, dans son livre, raille avec une sorte de naïveté: «Tous les serpents parlent, c’est bien connu…», comme si toute incursion hors du domaine de la froide logique lui était inconcevable. Pourtant, personne, aujourd’hui, pas même l’immense majorité des croyants, ne prend au pied de la lettre cette histoire de serpent qui parle: on la reçoit comme un mythe, doté d’une certaine fonction, riche de sens, susceptible de recevoir une foule d’interprétations différentes, détenteur de certains renseignements sur la formation de notre mentalité et de notre vision du monde – une mentalité et une vision du monde que certains revendiquent, tandis que d’autres les critiquent. Peut-on imaginer une humanité sans mythes? Si Michel Onfray prétend venir à bout de la «fonction fabulatrice» chez l’être humain, on lui souhaite bonne chance…
C’est cette impression qui domine tout au long de la lecture: dans sa critique des religions, il se comporte comme un médecin qui amputerait le bras de son malade pour lui soigner une blessure à la main. La vision qu’il esquisse d’un monde entièrement peuplé de philosophes raisonneurs n’est ni très convaincante, ni très enviable. On ne peut qu’acquiescer à son idéal de connaissance, mais la vision idyllique qu’il donne de la science moderne, la foi candide dans un «progrès» vertueux et sans tache dont elle témoigne, laissent pantois. Comment nier qu’en laissant libre cours à son fantasme de toute-puissance et de maîtrise absolue de la nature, l’homme moderne joue à l’apprenti sorcier, et cause d’incalculables dégâts? Comment nier les ravages de la réification du monde, de sa réduction à une série d’utilitaires inertes considérés le plus souvent comme autant de sources de profit?
Renforcer le nihilisme en prétendant lui faire échec
Onfray prend acte, pour le déplorer, du «nihilisme» qui caractérise notre époque, de sa «passion pour le néant», de son «culte du rien» – bref, de la «négativité contemporaine». Il l’attribue à l’influence encore trop faible d’un athéisme assumé: «L’athéisme seul rend possible la sortie du nihilisme.» Or, il est peu probable que la vision du monde alternative qu’il esquisse – le rationalisme comme unique mode d’appréhension des choses, l’acceptation de la «cruauté du réel qui contraint à supporter l’évidence tragique du monde» – soit à même de contrer le nihilisme. On ne peut s’empêcher d’y entendre un écho du «n’est que» systématique, réducteur et désabusé, par lequel Nancy Huston, dans Professeurs de désespoir, définit la posture existentielle des nihilistes, justement. Il a raison de s’inquiéter de la «montée de l’irrationnel» que l’on constate aujourd’hui, mais on peut se demander si celle-ci ne relève pas largement d’une réponse confuse et maladroite à ce que les gens pressentent d’insuffisance dans le «n’est que» ultrarationaliste et nihiliste – et si, du coup, les remèdes de cheval qu’il lui propose ne seraient pas plutôt de nature à aggraver le mal.
Pourtant, il mentionne lui-même des penseurs ayant esquissé des théories qui semblent plus justes et plus intéressantes que son cartésianisme caricatural: c’est le cas de Giordano Bruno, dominicain brûlé par l’Inquisition en 1600 pour avoir affirmé «la coextensivité de Dieu et du monde». Pour Giordano Bruno, «la divinité existe, mais elle compose avec la matière, elle en est le mystère résolu». Cette hypothèse de l’«immanence» – sur laquelle, aujourd’hui, les militants altermondialistes américains emmenés par Starhawk font reposer leur lutte – permet d’affirmer avec Onfray que «le réel, la matière et le monde épuisent la totalité»; elle permet de partager sa «conjuration de toute transcendance» et son idéal de connaissance, mais en gardant à l’esprit le fond de mystère qui imprègne la matière, dont on ne viendra probablement jamais à bout (ce ne sont pas des religieux qui le disent, mais des physiciens), et qui commande un minimum de précaution et d’humilité dans les manipulations qu’on en fait. Lui-même, dans l’entretien à Télérama cité précédemment, affirme que l’athéisme est «simplement une vision immanente du monde». Mais il ne le précise nulle part dans son livre (si on a bien lu, du moins), ce qui est quand même dommage; d’autant que les présupposés implicites qu’on y trouve semblent plutôt incompatibles avec cette adhésion déclarée à l’immanence.
Les limites de l’interprétation psychanalytique
Le principal instrument dont se sert Michel Onfray pour dézinguer les religions, c’est la psychanalyse: «pulsion de mort», «névrose obsessionnelle», «psychose hallucinatoire»… Souvent, l’explication est peu satisfaisante: que le rigorisme puritain de Saint-Paul de Tarse s’explique par le fait qu’il était petit, moche et impuissant, peut-être; mais cela ne nous dit pas comment ce petit bonhomme sans pouvoir a pu convertir au christianisme une bonne partie du monde méditerranéen («deux millénaires de punitions infligées aux femmes uniquement pour expier la névrose d’un avorton!» se lamente Michel Onfray): il fallait pour le moins que sa «névrose» rencontre un certain écho chez ses contemporains, sans quoi ces derniers n’auraient eu aucun mal à se débarrasser de l’emmerdeur en lui administrant soit un solide cocktail d’aphrodisiaques, soit un bon coup de pied au cul.
Il n’est pas question de le contester: la théorie psychanalytique, en aidant le sujet à comprendre ce qui l’empêche de vivre, représente une délivrance et une émancipation providentielles (diffusé sur Arte en 2004, le téléfilm de Benoît Jacquot Princesse Marie, avec Catherine Deneuve dans le rôle de Marie Bonaparte, disciple et amie de Freud, en faisait encore la superbe démonstration). Mais elle n’en est pas moins tributaire elle aussi d’une certaine vision du monde, qui peut parfois lui imposer des limites et nécessiter une certaine vigilance dans son maniement. Parmi les «formatages devenus invisibles mais prégnants» que nous subissons, et que pointe Michel Onfray, il n’y a pas que ceux hérités directement du christianisme! Il existe peut-être aussi un seuil au-delà duquel la psychanalyse peut se révéler réductrice, et se rapprocher grandement du «n’est que» nihiliste.
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