SEL : la goutte d'eau qui met le feu aux poudres
Depuis déjà quelque temps, les S.E.L (Systèmes d'Echange Locaux) ont le vent en poupe.
Chaque jour qui passe (ou presque) en voit naître un ici et là.
La télé, les journaux... en parlent d'abondance.
Et si ce n'est pu encore tout à fait à la mode, c'est parti pour en prendre le chemin.
De quoi s'agit-il exactement ?
Le principe des SEL est simple. Pour l'essentiel, il s'agit d'un bulletin mensuel, trimestriel ou épisodique qui sur deux colonnes, rassemble des offres et des demandes de biens et de service et qui se propose d'être le vecteur d'échanges sans argent.
C'est ainsi que M. X va proposer de donner des cours de micro-informatique et demander du bois pour sa cheminée. Que M. Y va proposer ses bras pour faire du ménage et demander des cours de micro-informatique. Et que Mme Z va proposer du bois de chauffage et demander des cours de danse classique...
Grâce au bulletin que reçoit chaque adhèrent du SEL, M. X va donc pouvoir donner des cours de microinformatique à M. Y, et voir son compte crédité de tant de grains de SEL (l'unité non "monétaire" de comptabilisation des échanges) tandis que, dans le même temps, M. Y verra son compte débité du même nombre de grains de SEL.
De même, Mme Z qui va "donner" du bois de chauffage à M. X verra son compte crédité d'un certain nombre de grains de SEL dans le même temps où M. X verra le sien débité du même nombre de grains de SEL.
Comme on le voit le système des SEL permet de dépasser le stade des relations duelles et donc du troc qui prévalait antérieurement dans le réseaux d'échanges et de savoirs.
Il met en oeuvre des relations triangulaires (M. X engrangeant un certain nombre de grains de SEL en don nant des cours de micro-Informatique à M. Y et les utilisant en tout ou partie en récupérant du bol chez Mme Z). Et, en clair, il se place sur le terrain de l'économie.
Mieux, en offrant la possibilité de réaliser des échanges économiques sans monnaie reconnue (les grains de SEL, les gouttes d'eau ... ne sont pas convertibles en francs, en dollar, ni même en roubles), il se situe sur le terrain d'une économie alter. native. Alternative à quoi, nous y reviendrons !
Quoi qu'il en soit, sur ces seules bases, il est aisé de comprendre l'intérêt "ethnologique" des mange-merde médiatic-toc pour ce qui relève pour eux de l'impensable, c'est-à-dire une économie sans "argent". Et il est tout aussi aisé de comprendre que l'État hésite, ne sachant s'il convient de réprimer les SEL au motif de ce qui pourrait s'appeler du travail au noir ou de les taxer au motif que dans le système capitaliste tout échange de biens ou de services est taxable.
Mettre en place des alternatives
Disons-le tout net, même si un certain nombre de SEL mettent en avant des préoccupations clairement caritatives qui ne seront jamais celles des révolutionnaires (permettre aux pauvres et aux exclus de garder le contact avec le tortillard de plus en plus poussif de la consommation), le principe des S.E.L. a un coté éminemment sympathique.
Celui qu'aura toujours ceux et celles qui essayent de faire quelque chose.
Qui ne craignent pas de sortir du champ clos du discours pour se confronter au réel. Et qui osent mettre en place des alternatives.
Reste que, même quand ils échappent au goupillon caritatif, les SEL ne sont pu pour autant à prendre pour "argent comptant".
A quoi bon, en effet, mettre en place une alternative économique au système capitaliste qui recopie ce système ?
A quoi bon singer une monnaie (un grain de SEL étant généralement égal à un franc) dont on prétend se débarrasser ?
A quoi bon s'aligner sur les valeurs et le système de valeurs du capitalisme (une heure de micro-informatique valant 300 F-grains de SEL et une heure de ménage valant 50 F-grains de SEL) ?
A quoi bon cautionner de prétendus échanges entre des propriétaires de biens (acquis comment ?) et des gueux ne disposant que de leur force de travail ou de temps ?
A quoi bon...?,
A l'évidence on ne voit pas vraiment en quoi ça change quelque chose au schmilblick Pour tout cela, et pour bien d'autres choses encore, le SEL Charente Maritime qui porte le joli (et non équivoque) nom de "La goutte d'eau qui met le feu aux poudres" a choisi la vole de la clarté et celle du possible dans la clarté. Tout en refusant clairement le caritatif (pas question de gérer la misère qu'engendre le capitalisme), notre SEL entend, en effet, démontrer que les alternatives n'ont de sens que si elles oeuvrent à détruire le capitalisme et anticipent un monde nouveau de liberté, d'égalité, d'autogestion et d'entraide.
Dans notre SEL les échanges de service se feront donc sur la base de une heure de travail égale une heure de travail, avec impossibilité pour quiconque de dépasser un seuil de dettes ou de créances de vingt-cinq heures. Cela pour limiter au maximum un processus de thésaurisation ou d'endettement
Affirmer des valeurs égalitaires
Pour ce qui est des échanges de biens ou des échanges biens-services, nous avons fait je constat de notre Incapacité à trouver au jour d'aujourd'hui une mesure de la valeur un brin universelle (comment en effet convertir un kilo de carottes en heures de travail étant entendu que certains producteurs de carottes vont avoir des tracteurs, d'autres des chevaux, d'autres..., que certains vont travailler à plusieurs, tout seul..., surfer sur des héritages, démarrer à poil dans la vie ... ?).
Et donc, si les échanges de biens et les échanges de biens-services vont figurer dans notre bulletin, ils vont y figurer dans la rubrique troc sans possibilité aucune d'être comptabilisés en grains de SEL-gouttes d'eau. Charge aux deux parties prenantes de l'échange-troc de définir une valeur qui les satisfassent. Est-il besoin de le préciser, le troc entre échanges de biens et échanges de biens-services ne constitue pas pour nous la panacée.
Mais en attendant que la propriété des moyens de production et l'héritage de biens autres que ceux relevant du nécessaire aient été rayés de la carte, nous n'avons pas trouvé d'autre réponse susceptible de fonder entre nous des relations les moins inégalitaires possible.
Comme on le voit, notre SEL, essaie de conjuguer l'affirmation de valeurs égalitaires au temps lourd de ce pauvre et insatisfaisant possible. Cela étant, s'il se résumait à cela ce ne serait jamais qu'un système d'échanges économiques un peu moins pire que ce qui existe sur le marché officiel ou alternatif.
Aussi, parce que nous pensons que dans un système d'échange se voulant véritablement alternatif, il convient de dépasser le cadre de l'économie, nous avons instauré dans notre bulletin une rubrique "dons" que nous avons appelé "coups d'mains". Dans cette rubrique figurera donc des offres de biens et de services qui ne seront pu comptabilisés.
Car offrir un sourire, un coup d'main quelque chose, n'importe quoi comme ça, sans demander de contrepartie ... ça restera toujours le meilleur antidote à la peste échangiste (égalitaire ou inégalitaire) et au choléra économique.
Comme aurait pu le dire Bakounine si la vie en société ne peut se passer d'échanges et de relations économiques, il serait vraiment dramatique et inhumain qu'elle se résume à cela.
Comprenne qui voudra !
Jean-Marc RAYNAUD