LES PAYS DE COCAGNE
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 petite histoire de l'anarchisme

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buenaventura
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buenaventura


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MessageSujet: petite histoire de l'anarchisme   petite histoire de l'anarchisme EmptySam 9 Avr - 14:54

Marainne, notre petite chérie à toutes,tous, du CIRA


Une toute petite histoire de l’anarchisme...

Marianne Enckell






En mai 68, lectrice, lecteur, étiez-vous seulement nés? L’histoire de l’anarchisme ne commence pas dans l’insurrection étudiante et les grèves ouvrières de ce printemps-là, mais un siècle plus tôt, lorsque les ouvriers d’Europe et d’Amérique créaient leurs premières organisations, leurs premiers syndicats. Ou quand Proudhon revendiquait le mot : si c’est votre ordre qui règne, alors oui, je suis anarchiste !

Les anarchistes aiment se raconter des légendes, s’inventer des ancêtres et des héros. Il n’y a pas de mal à ça : sans dieu ni maître, le culte de saint Durruti, des saintes Louise et Emma, voire de saint Ravachol ne fait guère de dégâts, leur geste finit en chansons ou en T-shirts. Mais l’histoire de l’anarchisme est une histoire d’hommes et de femmes en lutte, avides de savoir et de changement social, de culture et d’idéal. C’est aussi une histoire d’erreurs et d’échecs, de confrontations et de succès, et d’une volonté qui n’est jamais abattue. Être exploité ou opprimé ne suffit pas à faire des anarchistes, il faut vouloir en finir avec la domination et porter en son cœur un monde nouveau.

L’histoire des anarchistes est largement absente des manuels et n’a percé dans le monde universitaire que depuis peu. Les lignes qui suivent donnent un aperçu, quelques bribes, des lignes de force, scandées par des chansons.





Ouvrier, prends la machine, prends la terre, paysan ...

Quand les typographes et les ouvriers du bâtiment font grève à Genève, en 1868, des soutiens financiers leur arrivent de plusieurs pays d’Europe : les caisses de secours sont des outils essentiels de la solidarité, «en attendant que le salariat soit remplacé par la fédération des producteurs libres». A cette époque il n’y a pas de permanents syndicaux ni d’institutions ouvrières établies, mais seulement des sections de l’Association internationale des travailleurs, l’AIT ou «Première Internationale», qui existe depuis quelques années. Dès que les exploités et les opprimés s’organisent, ils savent qu’il leur faut des contacts internationaux pour être plus forts, mieux informés : la mondialisation ne date pas d’hier.

L’AIT fédère à ses débuts tous les courants autonomes du mouvement ouvrier, affirmant que «l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes». Mais Karl Marx et les siens veulent en faire un outil de leur politique, subordonner l’organisation ouvrière à la conquête du pouvoir politique et, de manière cohérente, contrôler les activités des sections depuis le Conseil général établi à Londres.

Contre ce centralisme autoritaire, Michel Bakounine et ses amis de la Fédération jurassienne pratiquent le fédéralisme, valorisent l’expérience de la Commune de Paris de 1871, donnent petit à petit forme à ce qui sera le mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste. Pas étonnant qu’ils se fassent expulser ! C’est presque toutes les forces vives de l’Internationale qui se solidarisent avec eux et qui soutiennent le congrès «fédéraliste» convoqué à Saint-Imier, dans le Jura suisse, en septembre 1872.

«L’autonomie et l’indépendance des fédérations et sections ouvrières sont la première condition de l’émancipation des travailleurs» déclare le congrès, qui propose la conclusion d’un «pacte d’amitié, de solidarité et de défense mutuelle entre les fédérations libres» établissant entre elles une correspondance directe et une défense solidaire, pour «le salut de cette grande unité de l’Internationale».

Sa déclaration la plus connue et la plus citée par la tradition anarchiste porte sur la «nature de l’action politique du prolétariat»: c’est là qu’il est dit que «la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat», que «toute organisation d’un pouvoir politique soi-disant provisoire et révolutionnaire pour amener cette destruction ne peut être qu’une tromperie de plus et serait aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements existant aujourd’hui» et que «les prolétaires de tous les pays doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l’action révolutionnaire». Difficile de faire plus simple, plus clair !

La branche fédéraliste ou antiautoritaire de l’AIT a eu des sections importantes en Italie, en Espagne et en Suisse, et des groupes moins nombreux en France, en Belgique, aux États-Unis, en Uruguay et en Argentine ainsi que des adhésions d’Allemagne et des pays nordiques. Elle a été le véritable creuset du mouvement anarchiste qui s’est développé dans ces régions. C’est au cours de ces premières années d’existence que la Fédération régionale espagnole, notamment, fait progresser la discussion sur anarcho-communisme et anarcho-collectivisme, et que Ricardo Mella et Fernando Tárrida del Marmol proposent le concept d’anarchisme sans adjectif, qui sera repris avec bonheur aux États-Unis par Voltairine de Cleyre.

L’histoire du mouvement anarchiste commence avec la fin de cette organisation générale de tout le mouvement ouvrier qu’était l’AIT en ses débuts. Les idées anarchistes, elles, ont pris vie littéralement avec Proudhon. Mais elles ont eu des précurseurs, et de taille.

William Godwin est le premier philosophe des Lumières à élaborer, en 1792, une conception opposant la «justice politique» à l’existence d’une sphère politique séparée, à proposer donc l’abolition des gouvernements et des États au profit du bien commun. Sa compagne Mary Wollstonecraft affirme haut et fort les droits des femmes, égalité et autonomie. Bien longtemps avant eux, Etienne de La Boétie avait créé le concept de «servitude volontaire», révélant une autre facette de la domination. D’autres auteurs critiques ou utopistes ont inspiré la pensée et les pratiques des anarchistes.

Aux États-Unis se développe au XIX° siècle un courant libertaire, hostile à toute ingérence de l’État et défenseur de l’autonomie personnelle. Des auteurs comme Josiah Warren, Stephen Pearl Andrews, Lysander Spooner et surtout Henry David Thoreau (La désobéissance civile, écrit en 1849) sont aussi à leur manière des précurseurs de l’anarchisme.





Si tu veux être heureux, nom de dieu, pends ton propriétaire...

L’histoire de l’anarchisme ne commence ni ne finit avec les personnages de noir vêtus, une bombe sous le bras. Certes, la dynamite a été une des formes prisées pour en finir avec le vieux monde. En 1892, les bombes de Ravachol ont détruit les maisons de deux juges qui avaient condamné lourdement des camarades ouvriers pour avoir mené une prétendue émeute le 1er mai de l’année précédente. Le couteau de Caserio a tué un président de la République française en 1894, l’arme de Czolgosz quelques années plus tard un président des États-Unis. Quelques hauts personnages morts ou blessés, pour combien de militants assassinés froidement ou envoyés à vie au bagne ? Et la modernisation de la police internationale, avec la création du prédécesseur d’Interpol en 1898, pour surveiller et brider les subversifs

L’anarchisme propose une idée simple et claire : sans tyran, nous saurons vivre libres et solidaires. Qu’il s’agisse du tsar Alexandre II dans la Russie de 1880, du président Carnot dans la France des «lois scélérates» de la fin du XIX° siècle, plus récemment du général Franco qui a écrasé la révolution anarchiste en Espagne ou de Salazar le satrape du Portugal, les souverains ne sont pas à l’abri d’attentats anarchistes. Rares sont pourtant ceux qui en sont morts, les moyens mis en œuvre étant souvent dérisoires par rapport aux services secrets et aux forces de sécurité des dictateurs. Et d’autres que les anarchistes ont essayé de liquider papes et despotes, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

La «propagande par le fait» ne se résume pas au poignard et à la dynamite. Lorsque cette expression a été créée, elle signalait simplement le passage à l’action directe – affirmation, résistance ou contestation – en complément à la propagande par la parole et par l’écrit, ces outils traditionnels d’un anarchisme éclairé. Les anarchistes les plus légendaires, Ravachol ou Bonnot, sont des héros de pacotille ; mais qu’on lise les défenses d’un Clément Duval en 1887, d’un Emile Henry en 1894 ou d’un Marius Jacob en 1905 devant les tribunaux français, revendiquant l’expropriation des expropriateurs et le droit à l’autodéfense, ils défendent les mêmes valeurs qu’une Emma Goldman prônant et pratiquant le droit à l’avortement et à l’amour libre, qu’un Buenaventura Durruti pratiquant la «reprise individuelle» pour financer projets éditoriaux et soutien aux compagnons emprisonnés. Lorsque Michele Angiolillo tire en 1897 sur le premier ministre espagnol, lorsque Gaetano Bresci tue le roi d’Italie Vittorio Emmanuele en 1900, lorsque Simon Radowitzky abat en 1909 le chef de la police argentine, responsable d’un massacre d'ouvriers lors de la manifestation du 1er mai organisée par la FORA, lorsque Kurt Wilckens liquide le lieutenant colonel Varela en 1923, révolté par l'assassinat sous sa responsabilité de 1500 ouvriers agricoles grévistes en Patagonie, il n’y a pas que les anarchistes pour saluer leur geste et se féliciter de la disparition des tyrans. Organisations ouvrières, journalistes, avocats, et jusqu’à l’opinion publique se mobilisent pour les soutenir ou honorer leur mémoire.

Dans d’autres cas, pour honorable que soit le mobile, le geste de révolte individuel peut avoir des conséquences terribles : qu’il suffise de citer l’anarchiste serbe Gavrilo Princip abattant l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche en 1914 ou le conseilliste hollandais Marinus van der Lubbe boutant le feu au Reichstag de Berlin en 1933.

Mais les anarchistes sont les premiers à être victimes de la répression. Huit à dix ans de bagne pour avoir crié «vive l’anarchie» sur une terrasse de bistrot, pour avoir placardé un tract antimilitariste, pour avoir volé des lapins, tel était le tarif si on était un anarchiste connu de la police dans la France des années 1890. Vingt-deux années de prison pour Alexander Berkman pour avoir tenté d’abattre le directeur d’une entreprise qui avait violemment réprimé une grève à Chicago. La chaise électrique pour Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, arrêtés en 1920 aux États-Unis et exécutés sept ans plus tard pour un hold-up qu’ils n’avaient pas commis ; leur ami Andrea Salsedo avait été retrouvé mort sous la fenêtre d’un commissariat de police new-yorkais, tout comme le sera Giuseppe Pinelli à Milan en 1969. Les anarchistes américains d’origine russe ont été déportés à Saint-Pétersbourg dès après la révolution de 1917 ; les militants antifascistes allemands et italiens ont été contraints à l’exil ou envoyés en camp de concentration. Et l’histoire hélas ne s’arrête pas là.

Pas étonnant que l’étendard des anarchistes soit noir, couleur du deuil et de la révolte.
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buenaventura
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptySam 9 Avr - 14:55

Don’t mourn, organize...

L’histoire de l’anarchisme traverse le mouvement ouvrier organisé.

C’est d’abord aux États-Unis, après la fin de la Première Internationale, que les travailleurs relèvent la tête et passent à l’action directe. Dans les années 1880, le ralliement se fait autour de la journée de huit heures, des centaines de milliers d’ouvriers font grève pour la revendiquer. Le 3 mai 1886 à Chicago, un meeting convoqué pour s’opposer aux briseurs de grève se fait brutalement disperser par la police, il y a des morts et des blessés. La manifestation de protestation organisée sur le champ finit en cacophonie : une bombe a tué et blessé flics et manifestants. La condamnation à mort de cinq anarchistes accusés à tort d’avoir inspiré cet attentat suscite une vague de solidarité sans précédent et un mouvement planétaire qui n’est pas prêt de s’arrêter : la journée du Premier Mai, journée du souvenir et de la lutte pour la dignité ouvrière, devient la référence de tout le courant syndical, du plus révolutionnaire au plus compromis. Mais la mémoire dominante évacue vite le rôle qu’y ont eu les anarchistes, comme les partis socialistes vont évincer les anarchistes de leurs réunions. De la Première Internationale, ils n’ont en effet retenu que le primat du parti politique sur l’organisation autonome des prolétaires.

Les anarchistes ripostent en développant leur présence sur le terrain des luttes ouvrières, en pratiquant l’action directe, en ouvrant des lieux comme les Bourses du travail. Au début du XXe siècle, la CGT française entend organiser l’ensemble des ouvriers en dehors de toute ligne politique ; selon la Charte d’Amiens, son texte fondateur, le syndicalisme se suffit à lui-même. En revanche la FORA argentine et la CNT espagnole, qui naissent à la même époque, sont des organisations révolutionnaires de type syndical qui, prônant l’abolition du salariat et le refus de la politique politicienne, visent le communisme libertaire comme but final. A une différence près, toutefois : la CNT est étroitement liée à «l’organisation spécifique», la FAI anarchiste, tandis que la FORA entend éduquer ses membres en son sein même pour les conduire à adopter le communisme anarchiste. Les Industrial Workers of the World, aux États-Unis, développent à la même époque des techniques originales d’organisation, d’action directe, de sabotage et de propagande : c’est dans ce cadre-là, par exemple, qu’apparaît le chat noir des anarcho-syndicalistes et que Joe Hill met des paroles révolutionnaires sur des airs de cantiques connus de tous : «Ne portez pas le deuil, organisez-vous !» Le modèle des IWW, avec son refus radical des négociations collectives, se répandra au Chili, en Afrique du Sud, en Australie, où ses militants seront notamment en tête du mouvement antimilitariste en 1914. La SAC suédoise, quant à elle lutte contre le monopole de la centrale syndicale LO, développe le système du «tarif syndical» comme alternative aux négociations collectives. CGT et IWW ont de leur côté institué le label : on voit encore parfois, notamment sur des imprimés, l’indication «ce travail a été effectué par des ouvriers syndiqués».

La discussion, entamée au congrès anarchiste d’Amsterdam en 1907 par Pierre Monatte et Errico Malatesta, dure aujourd’hui encore pour savoir si l’organisation syndicale suffit comme organisation révolutionnaire, si le syndicat est la cellule de base de la société future, ou s’il est intrinsèquement réformiste, ou encore s’il doit être doublé d’une organisation anarchiste «spécifique».

Lorsque le Parti communiste d’Union soviétique cherche à prendre l’hégémonie sur le mouvement syndical international, les anarcho-syndicalistes redonnent vie à l’AIT en 1922, avec treize organisations représentant un million et demi de travailleurs. Elle fédère les luttes développées au cours des années précédentes, avec leurs armes spécifiques : grève générale, solidarité, boycott, sabotage, et développe les armes culturelles avec une série de revues de qualité comme Die Internationale en Allemagne ou le Suplemento de la Protesta en Argentine.

La crise économique des années 1930 puis le fascisme portent un coup dur aux organisations radicales. Les syndicats socialistes et communistes se replient sur des positions défensives ou nationales, les compagnons sont forcés à l’exil, les sections de l’AIT se vident de leurs membres dans plusieurs pays. La révolution espagnole et la guerre civile seront l’occasion d’un fort mouvement de solidarité, mais provoqueront aussi des divisions et des conflits inattendus.

Après des années de latence, on voit réapparaître aujourd’hui de solides mouvements anarcho-syndicalistes et syndicalistes révolutionnaires dans nombre de pays, sous diverses étiquettes.





Nostra patria è il mondo intero...

L’histoire de l’anarchisme traverse les révolutions du XXe siècle et les frontières. La Commune de Paris de 1871 avait attiré la solidarité active de militants de l’AIT d’Italie, de Pologne, de Suisse qui avaient participé aux combats ; et les communards qui durent s’exiler en Suisse, en Belgique, en Angleterre ou en Espagne y furent accueillis comme des frères.

Emiliano Zapata au Mexique a été inspiré par l’anarchiste Ricardo Flores Magón. Pendant les années révolutionnaires, de 1910 à sa mort en 1919, il mène ses troupes sous le drapeau de Tierra y Libertad, un slogan dont l’écho est arrivé jusqu’à nos jours : venu de la Russie du XIXe siècle, il est passé par l’Espagne pour retourner au Chiapas.

Dans la Russie révolutionnaire, de 1917 à 1921, les anarchistes – plusieurs sont arrivés de gré ou de force de leurs pays d’accueil, la France, les États-Unis – défendent l’idée des conseils ouvriers, les soviets, contre le pouvoir du Parti et de ses bureaucrates, avant que ces derniers ne les forcent à l’exil. En Ukraine, Nestor Makhno mène l’insurrection paysanne contre les Blancs contre-révolutionnaires, puis contre les Rouges qui veulent en finir avec les anarchistes ; dans l’île de Cronstadt, marins et soldats instaurent une Commune libre qui tiendra jusqu’à ce que l’armée rouge aux ordres de Trotsky l’écrase. Exilés à Berlin, puis à Paris et à Detroit, les anarchistes russes continuent leurs publications, débattent de leur expérience, participent à la construction des organisations, comme le montrent notamment la Plate-forme élaborée par Piotr Archinov et la «synthèse» développée par Voline sur la base de celle de Sébastien Faure.

En Chine, des jeunes gens ayant étudié en France diffusent les idées anarchistes pour lutter d’abord contre les «seigneurs de la guerre», puis contre l’hégémonie du Parti communiste. Ils sont surtout implantés dans le mouvement ouvrier du sud du pays et actifs dans les grandes grèves de 1927 à Canton et à Hong Kong. Le romancier Ba Jin (Li Pei Kan) traduit les classiques anarchistes et publie plus tard une série de brochures en soutien à la révolution espagnole. En Bulgarie, les anarchistes ont participé au mouvement national révolutionnaire du XIXe siècle, cherchant à lui donner un caractère insurrectionnel. Pendant la dictature fasciste et la Seconde Guerre mondiale, ils survivent dans la clandestinité pour se réorganiser sitôt après : en 1945, leur hebdomadaire tire jusqu’à 30 000 exemplaires. A Cuba, les anarchistes publient leur premier journal en 1886 et sont rapidement actifs dans le mouvement ouvrier syndical et culturel. Ils sont aux premiers rangs des luttes contre la dictature de Machado et celle de Batista. Dans ces trois pays, les anarchistes ont été parmi les critiques les plus lucides des dictatures, les plus radicaux des révolutionnaires, avant que les partis communistes staliniens au pouvoir ne se défassent d’eux par la violence.

Dans les mouvements des conseils en Allemagne, en Italie et en Hongrie, en 1918-1920, les anarchistes ont mis toutes leurs forces et subissent les plus fortes répressions. Gustav Landauer, commissaire à l’éducation de la Commune de Munich, est assassiné en 1919, peu après Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, les leaders socialistes révolutionnaires ; le poète Erich Mühsam, après des années de prison, meurt assassiné en camp de concentration en 1934. La Commune de Budapest est écrasée dans le sang ; les occupations d’usines de 1920 en Italie, témoignant de la croissance du syndicalisme révolutionnaire, sont sabotées par les socialistes qui ouvrent la voie à la «contre-révolution préventive» organisée par les bandes fascistes et l’État.

Émigration et exil sont souvent le seul moyen d’éviter la mort violente ou les années de prison. Elisée Reclus vit en Suisse après la Commune de Paris, Pierre Kropotkine en est expulsé et trouve un refuge précaire en France, puis en Angleterre. Les Italiens Errico Malatesta et Camillo Berneri sont pourchassés d’un pays à l’autre. Les anarchistes juifs de Pologne, d’Ukraine et d’Allemagne essaiment à Londres (où un autre émigré, Rudolf Rocker, devient leur «rabbin goy»), aux États-Unis et à Buenos Aires, où ils publient longtemps journaux et livres en yiddish. Les exils successifs d’Emma Goldman et d’Alexandre Berkman ont donné son titre à un beau recueil de lettres, Nowhere at home, nulle part chez soi. Ou partout chez soi, quand partout on trouve des compagnons, on recrée des groupes, on échange publications et correspondance ?

«Notre patrie est le monde entier, notre loi la liberté», chantent les anars italiens. Déportés en Nouvelle-Calédonie après la Commune de Paris, Louise Michel et Charles Malato y rencontrent les Canaques et leur aspiration à l’autonomie ; fonctionnaire en Indonésie, Multatuli quitte ses fonctions pour dénoncer le colonialisme néerlandais dans son roman Max Havelaar ; étudiants à Londres, Jomo Kenyatta et Julius Nyerere suivent les discussions du groupe Freedom ; plus récemment, insoumis et déserteurs français et américains dénoncent les guerres impérialistes en Algérie et au Vietnam. Soutenir les luttes de libération «nationale» sans soutenir les États en devenir reste un défi aujourd’hui encore. L’apparition récente de groupes anarchistes en Indonésie, aux Philippines, au Nigeria, stimulés évidemment par des jeunes gens formés dans des universités du Premier Monde et nourris de l’internet, changera-t-elle la donne ?
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptySam 9 Avr - 14:56

Quand nous en serons au temps d’anarchie..

En 1901, Francisco Ferrer fonde à Barcelone l’École moderne, qui s’inspire du rationalisme scientifique et fait confiance au progrès. Elle vise la libération de l’individu et la formation d’hommes et de femmes capables de transformer la société. Elle prône la coéducation des sexes et des classes sociales, afin d’attaquer à la racine les préjugés et de préparer des générations futures lucides. Vers la même époque, Paul Robin et Sébastien Faure ont dirigé en France des écoles libres où la pédagogie était basée sur la liberté, la confiance, la mixité, la combinaison entre travail manuel et travail intellectuel. Mais c’est l’expérience de Ferrer qui aura le plus d’écho : après son assassinat en 1909, et portées par la vague de sympathie et de solidarité, des Écoles modernes, des Écoles Ferrer se fondent au Brésil, en Suisse, aux États-Unis, en Italie… La pédagogie active et les écoles alternatives actuelles se sont toutes inspirées, directement ou non, de ces prédécesseurs. En Angleterre (avec l’école de Summerhill entre autres) et aux États-Unis, les écoles libertaires sont encore nombreuses malgré les difficultés que leur fait le système officiel. Plus récemment il s’en est créé en Espagne (Paideia), en Australie (School without walls), en France (Bonaventure).

Il ne s’agit pas d’éduquer les enfants seulement : «La tâche révolutionnaire consiste d’abord à fourrer des idées dans la tête des individus» (Jean Grave). La première activité d’une organisation ou d’un groupe anarchiste est souvent la publication d’un journal, de brochures, de tracts. C’est par dizaines de milliers que se vendaient les textes de Kropotkine, de Grave ou de Malatesta publiés au début du siècle par les Temps Nouveaux. René Bianco a inventorié près de 2000 périodiques anarchistes de langue française de 1880 à 1980, les autres langues ne sont pas de reste. De la presse à main à la quadrichromie et aux photocopieuses performantes, la «propagande par l’écrit» est une arme de prédilection des anarchistes ; nous en témoignons encore ici.

«Devenons plus réels», disait Bakounine aux ouvriers de Saint-Imier en 1871 : que l’organisation révolutionnaire se double d’une «vraie solidarité fraternelle, non seulement en paroles, mais en actions, pas seulement pour les jours de fêtes, de discours et de boisson, mais dans [la] vie quotidienne». Communautés et coopératives en sont un exemple ; par le passé, des individus et des groupes ont établi des «colonies libertaires», de Belgique (Colonie L’Essai) au Brésil (La Cecilia), de France (Aiglemont, Romainville, etc.) au Paraguay (Mosé Bertoni) ; en Uruguay, la Comunidad del Sur fondée il y a cinquante ans s’est reconstituée après un long exil en Suède ; après mai 68, on est allé faire du fromage de chèvre et manger des châtaignes dans des hameaux désertés de France du Sud, peu nombreux ceux et celles qui ont résisté à la dureté des conditions de vie. Dans leurs athénées libertaires et leurs bibliothèques populaires, les anarchistes espagnols ou argentins ont diffusé depuis un siècle culture, connaissances scientifiques et préparation révolutionnaire. Les individualistes, surtout eux, ont prôné et pratiqué les langues internationales, ido ou espéranto, manière d’abaisser frontières et barrières. L’objection aux impôts, aux vaccins, aux institutions du mariage, du vote et de l’armée participe de la même démarche. Aujourd’hui, c’est de par le monde que fleurissent les espaces autogérés, squats ou infokiosques où l’on essaie de vivre sans argent ni maître, où l’on invente de nouvelles formes d’échanges et de manifestations publiques.

Si les anarchistes ont soif d’une culture sans domination, des artistes leur ont offert de quoi l’enrichir. Les impressionnistes Pissarro, Luce et Signac, les peintres et graveurs Steinlen, William Morris, Frans Masereel, Karel Kupka, Man Ray, plus récemment Flavio Costantini, Enrico Baj, Cliff Harper, Soulas et d’autres ont donné des illustrations à la presse anarchiste et des œuvres originales aux caisses de solidarité. Joe Hill, Erich Mühsam, Eugène Bizeau, Stig Dagerman ont écrit poèmes et chansons, Joan Baez, Georges Brassens, Léo Ferré, Paco Ibañez, Fabrizio de André ont chanté dans des meetings avant les Poison Girls, les Black Bird de Hong Kong ou les Binamé bruxellois. Les films de Jean Vigo, d’Armand Guerra, de Jean-Louis Comolli, les représentations du Living Theatre ou d’Armand Gatti sont autant d’hommages à l’anarchisme.





A las barricadas, por el triunfo de la Confederación...

Le plus beau chapitre de l’histoire de l’anarchisme est évidemment la révolution espagnole de 1936, malgré ses suites tragiques. Pendant plusieurs mois, ouvriers et paysans ont vécu le communisme libertaire dans les usines et les villages, dans les milices, dans les familles, dans les services publics ; des dizaines de milliers de femmes ont participé à l’organisation des Femmes Libres. Mais ils devaient aussi faire la guerre pour défendre la nouvelle société qu’ils créaient.

La confédération anarcho-syndicaliste CNT, fondée en 1910, avait mis toutes ses forces dans l’éducation du peuple, la pratique de l’organisation et la préparation de l’insurrection. Avec la Fédération anarchiste FAI, des tentatives révolutionnaires sont lancées de 1932 à 1934 dans plusieurs régions du pays: constitution dans les villages de collectivités communistes libertaires, assaut contre les casernes et les mairies, qui renforcent l’enracinement populaire de l’anarchisme mais suscitent une répression démesurée et la polarisation d’avec la gauche politique. En juillet 1936, les anarchistes sont toutefois prêts à riposter au coup d’État du général Franco et montent «aux barricades, pour le triomphe de la Confédération», la CNT : le mouvement des collectivisations démarre aussitôt, en même temps que la constitution de milices.

La solidarité des compagnons étrangers est immédiate ; des centaines d’anarchistes français, italiens, allemands, argentins, suisses quittent leur travail dès le mois d’août 1936 pour aller se battre en Espagne contre le fascisme et pour la révolution sociale. Vingt-cinq anarchistes chinois arriveront jusqu’à Marseille avant de devoir rebrousser chemin. Des camions de vivres et de vêtements, sous lesquels sont souvent dissimulées des armes, cahotent à travers les Pyrénées et passent la frontière sous les vivats.

Bien différente est l’attitude des démocraties européennes et de la gauche socialiste et communiste, qui craignent la généralisation de la guerre et la victoire de la révolution et adoptent une politique de non intervention. Elles ouvrent ainsi la porte à l’appui massif de Mussolini et d’Hitler aux fascistes espagnols : ils leur envoient troupes, avions et armement lourd. Ce n’est qu’en octobre que l’URSS change de tactique et encourage la constitution des Brigades internationales, sévèrement encadrées, dont une des missions sera de briser l’élan révolutionnaire du peuple au profit de la guerre.

Les fronts se sont multipliés ainsi que les victimes, les milices anarchistes manquent d’armes et de munitions, les usines collectivisées improvisent véhicules blindés et obus. Peu à peu, l’industrie tout entière devient industrie de guerre ou d’arrière-garde, et «la guerre dévore la révolution», comme l’écrit alors le libertaire français Pierre Ganivet. Dans son isolement, jugeant prioritaire la défense du front antifasciste, la CNT prend la décision discutable d’entrer en septembre déjà dans le gouvernement de Largo Caballero, puis d’accepter du bout des lèvres la militarisation des milices. Place est ainsi faite aux staliniens pour s’attribuer la direction de cette guerre. En mai 1937, ils s’attaquent de front aux anarchistes et au POUM à Barcelone, assassinant Camillo Berneri qui avait été un des plus fiers critiques de la participation de la CNT au gouvernement. Cette dernière, prise entre deux feux, ne sait qu’appeler au calme.

Les collectivités de Catalogne et d’Aragon seront bientôt reprises en main, celles du Levant tiendront encore plusieurs mois. En février 1939, Barcelone est prise par les troupes franquistes, en mars c’est au tour de Madrid. Des milliers d’anarchistes et de républicains sont massacrés ou emprisonnés, des centaines de milliers prennent la route de l’exil et se trouvent confinés dans des camps établis à la hâte sur les plages française de Méditerranée.

Le mouvement libertaire s’est reconstitué en exil, avec la CNT, la FAI et les organisations de jeunes et de femmes, avec les divisions inéluctables que provoque ce genre de situation. À l’intérieur de l’Espagne, la CNT s’est aussi reconstituée sans cesse dans la clandestinité, au prix de nombreux morts et d’interminables années de prison. C’est le même sort qui a échu aux guérilleros cherchant à remonter un mouvement de résistance et à nombre de militants ayant tenté d’en finir avec Franco, jusqu’à ce que celui-ci en finisse à lui seul en 1975.
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptySam 9 Avr - 14:56

Rue Gay-Lussac, les rebelles n’ont qu’les voitures à brûler...

Mai 68 n’a pas commencé au mois de mai 1968. Les étudiants avaient bien oublié que l’anarchisme avait relevé la tête en France et en Italie, dès la guerre terminée en 1945 ; on avait bien oublié, dans les années d’abondance, le courage de ceux qui publiaient des journaux, reformaient les organisations, renouaient les contacts. Dans leurs exils, les anarchistes espagnols ont contribué à maintenir la flamme du mouvement, même s’ils se sont posés parfois en modèles indépassables ; l’antifranquisme militant a sans doute été, tout autant que le mouvement contre la guerre du Vietnam, un des déclencheurs de Mai 68.

Depuis la prise du pouvoir des partis staliniens dans les «démocraties populaires» d’Europe de l’Est et en Chine, seules de faibles voix y témoignaient encore d’un fier passé anarchiste. Dans les pays occidentaux et dans les Amériques, les partis communistes s’arrogeaient la seule opposition bruyante au capitalisme et aux démocraties libérales. C’est dire si le monde s’est étonné de voir la graminée anarchiste reprendre racine.

Aux États-Unis, les vieux compagnons d’origine russe, italienne, espagnole ont eu eux-mêmes de la peine à se reconnaître dans les hippies et les étudiants en colère ; en Allemagne, il n’y avait qu’une poignée d’anciens, Augustin Souchy, Willy Huppertz, Otto Reimers, qui publiaient de modestes bulletins. En quelques années, les librairies se sont soudain remplies de livres de poche sur l’anarchisme (et sur tous les courants de gauche), rééditions, anthologies, essais; les professeurs ont commencé à accepter des recherches sur la révolution espagnole, sur Makhno et Cronstadt, des études de presse, puis des travaux féministes et de l’histoire orale. En quelques années s’est constituée une culture anarchiste de base, accessible et acceptée.

Dans l’Europe du Sud, l’anarchisme n’avait pas été totalement occulté, mais là aussi la diffusion des idées et des pratiques s’est accélérée, ainsi que celle du A cerclé sur les murs. Lorsque le Brésil a connu une brève période démocratique, des ouvrages étaient envoyés clandestinement au Portugal où la férule de Salazar inerdisait l’étude de l’histoire du XXe siècle. Dans l’Espagne écrasée sous le joug de Franco, la jeune génération cherchait ses racines, interrogeait ses pères, publiait sous le manteau. Dès la mort du dictateur, des centaines de groupes ont adopté le beau nom de CNT.

En 1984, année symbolique s’il en est, quelques milliers d’anarchistes ont convergé vers Venise pour y écouter des conférences, participer à des débats, assister à des concerts, visiter des expositions, se raconter leurs pratiques. En 1993, ils étaient presque aussi nombreux à Barcelone pour l’Exposition internationale. Lieux privilégiés que ces grands forums pour faire se rencontrer non seulement des compagnons de langues et de cultures diverses, mais des générations différentes, tenants de l’anarchisme classique et jeunes squatters, universitaires chenus et punkettes bariolées. Entre ces deux réunions, la géographie de l’anarchisme avait pris de nouvelles dimensions : dans les pays d’Amérique latine et en Europe de l’Est se constituaient ou se reconstituaient des groupes, des publications, des mémoires. Ce développement multicolore et multiforme n’a pas arrêté depuis lors : les anarchistes ont bel et bien un avenir.





Tous les copains de la Commune ne sont pas morts sans rien laisser....

Ces quelques notes demandent bien sûr à être étoffées, si elles ont su piquer votre curiosité.

Max Nettlau est considéré comme « l’Hérodote de l’anarchisme », mais sa réputation oublie qu’il est avant tout historien des idées, et bien moins du mouvement. Pour les lecteurs francophones, ses ouvrages sont difficiles d’accès. Des auteurs récents ont suivi ses traces, Jean Préposiet (Histoire de l’anarchisme, 1993), Nico Berti (Il Pensiero anarchico, 1998). Peter Marshall (Demanding the Impossible, 1992) a tenté une histoire générale du mouvement anarchiste dans le monde, de ses luttes et de ses réalisations. Pour les grandes lignes, on peut bien sûr lire Daniel Guérin (L’Anarchisme, nombreuses rééditions depuis 1965, et l’anthologie Ni Dieu ni maître, rééd. 2000), regarder l’album de Domenico Tarizzo (L’Anarchie, 1978) et se passionner pour le beau roman de Michel Ragon, la Mémoire des vaincus (Livre de Poche). En collection Que Sais-Je, on préférera Gaetano Manfredonia (L’Anarchisme en Europe) à l’ancien Henri Arvon (L’Anarchisme). Les actes d’un colloque sur l’anarcho-syndicalisme dans le monde, tenu à Paris en 2000, ont été publiés sous le titre Histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire. Dans les actes de deux autres colloques, la Culture libertaire et l’Anarchisme a-t-il un avenir (ACL, 1997 et 2001), plusieurs chapitres parlent de l’histoire du mouvement. D’autres travaux portent sur une période ou un pays, et les biographies et autobiographies de militantes et de militants sont trop nombreuses pour être citées ici. En langue française, le catalogue de la librairie Publico à Paris, celui de La Gryffe à Lyon et la Feuille mensuelle d’informations du CIRA-Marseille proposent périodiquement la presque totalité des publications disponibles concernant l’anarchisme.

Des chansons qui rythment la geste anarchiste sont reproduites dans la brochure Un Siècle de chansons (Lausanne, CIRA, rééd. 2001) et figurent sur divers disques. Deux auteurs ont récemment étudié Il Canto anarchico in Italia (Milano, 2001) en près de 400 pages. Et on trouve même du karaoké anarchiste sur l’internet.

Depuis le début des années 1970 surtout, plusieurs films ont raconté des épisodes de l’histoire de l’anarchisme. En ordre chronologique, citons d’abord L’Extradition (Peter von Gunten, Suisse, 1974), sur les relations entre Bakounine et Netchaïev et l’expulsion de ce dernier de Suisse. Sur la Commune de Paris, il existe nombre de documentaires et de fictions, comme par exemple La Barricade du Point-du-Jour (René Pichon, France, 1971). Sur la révolution mexicaine, le pire côtoie le meilleur ; on aimera Marlon Brando dans Viva Zapata (Elia Kazan, USA, 1952) ou le documentaire Zapata mort ou vif de Patrick le Gall (1993). Makhno a été mis à mal par le cinéma soviétique, et sauvé par Hélène Châtelain dans son documentaire Nestor Makhno, paysan d’Ukraine (France, 1996). Sur le syndicalisme révolutionnaire, il faut voir Joe Hill (Bo Widerberg, Suède, 1971) et les documentaires sur l’Allemagne (Anarchosyndikalismus, FAUD, 1996) ou la Suède (En Historia utan slut - Una historia sin final, SAC, 1995). Free Voice of Labour (Pacific Street Films, USA, 1980) relate les luttes des anarchistes juifs aux États-Unis. La Bande à Bonnot (Philippe Fourastié, France, 1968) et certains épisodes des Brigades du Tigre (série télévisée, France, années 1970) sont plutôt dans le registre de la légende, comme plusieurs fictions italiennes de la même époque. Le film de Montaldo, Sacco et Vanzetti (Italie, 1971) vaut bien les documentaires sur le même sujet. La révolution espagnole a été filmée au jour le jour, beaucoup d’extraits documentaires figurent dans Un Autre Futur (Richard Prost, France, 1988) et, avec des témoignages récents de femmes, dans Toutes nos vies - De Toda la Vida (Liza Berger, Carol Mazor, USA 1986) tandis qu’on sait encore le succès de Land and Freedom (Ken Loach, Grande-Bretagne, 1995). En Argentine, en Bolivie et en Uruguay, de nombreux documentaires relatent remarquablement des épisodes historiques. Sur l’histoire récente, outre les reconstitutions sur Mai 68, on cherchera à voir la série filmée par Dany Cohn-Bendit, Nous l’avons tant aimée, la révolution (France, 1986), et le beau reportage sur la rencontre internationale de Venise en 1984 réalisé par des compagnons de Hong Kong, A Living Song. Enfin il existe nombre de biographies filmées, diffusées en français notamment par la librairie Publico à Paris : Rudolf Rocker, Louis Lecoin, May Picqueray, Armand Guerra…

Quant aux sites internet, ils proposent par milliers textes, histoires, biographies et images. On peut commencer par n’importe lequel, on arrivera toujours par des liens à trouver de quoi se cultiver. Les rédactrices et rédacteurs de Réfractions, par exemple, gèrent http://www.plusloin.org (la revue et divers textes), http://www.anarca-bolo.ch/cira/ (catalogue de la bibliothèque du CIRA-Lausanne), http://www.nothingness.org/RA/ et http://raforum.apinc.org/
(recherches sur l’anarchisme), www.atelierdecreationlibertaire.com(Atelier de création libertaire) et participent à quelques autres pages.
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptySam 16 Avr - 12:36

Au temps du terrorisme anarchiste






Par Rick Coolsaet
Professeur à l’université de Gand (Belgique) ; auteur de Le Mythe Al-Qaida. Le terrorisme, symptôme d’une société malade (éditions Mols, Bierges, 2004).





Aussi vieux que l’humanité, le terrorisme appartient à tous les temps, tous les continents et toutes les confessions. Qu’est-ce qui explique dès lors l’obsession sécuritaire dont nous sommes témoins actuellement, face à un ennemi invisible et tentaculaire que nous soupçonnons derrière tout attentat à travers le monde ? Les oubliettes de l’Histoire renferment des périodes où terrorisme et angoisse se confondirent dans des situations semblables en bien des points à notre époque.

Ainsi, le 24 juin 1894, un immigré italien anarchisant, Caserio, tue le président français Sadi Carnot. Cet attentat marque l’apogée d’une série perpétrée, en France, par des anarchistes. La société internationale tout entière se sent menacée, car la France n’est pas le seul pays victime d’attentats.

En 1881, lors d’un congrès révolutionnaire international tenu à Londres, le prince Pierre Kropotkine (1) avait plaidé en faveur de l’action violente, une « propagande par le fait ». Quelques années auparavant, les premiers attentats à forte valeur symbolique avaient été commis : contre Guillaume Ier d’Allemagne, contre le roi d’Espagne et contre le roi d’Italie.

Mais les années 1890 constituèrent une véritable « décennie de la bombe » : des attentats à la dynamite – une toute nouvelle invention – se succédèrent contre rois, présidents et ministres. D’autres visèrent des bâtiments officiels. En France, ils débutèrent en 1892. Héros de légendes et de chansons populaires, le célèbre terroriste français Ravachol (2) devint le symbole, selon l’historienne Barbara Tuchman, du « souffle de la haine et de la résistance (3) ». Nombre d’intellectuels et de rejetons de bonnes familles flirtèrent avec la violence.

La simultanéité des attentats dans plusieurs pays donna l’impression qu’une puissante « Internationale noire » était à l’œuvre. En Russie, un important foyer d’agitation, l’attentat de 1881 contre le tsar Alexandre II et d’autres actions de la Narodnaya Volya (Volonté du peuple) servirent de source d’inspiration aux anarchistes de l’Europe entière. La violence terroriste n’épargna pas non plus les Etats-Unis : dans une atmosphère sociale tendue, le président William McKinley fut assassiné par l’anarchiste Léon Czolgosz en septembre 1901. Pour les autorités comme pour l’opinion publique, il était évident que l’Amérique était à son tour confrontée à une nouvelle menace internationale.

Il est difficile, un siècle plus tard, de se représenter à quel point le monde vivait alors dans la hantise du terrorisme international. Une ville comme Paris tremblait à l’idée de nouveaux attentats. La bourgeoisie ne comprenait pas les causes de tant de haine et, à chaque nouvelle manifestation de violence, ceux d’en haut craignaient un peu plus la révolte de ceux d’en bas. Chaque travailleur était dépeint comme un criminel potentiel, et chaque anarchiste comme un « chien fou » à neutraliser à tout prix. « Un crime contre l’espèce humaine » : c’est ainsi que le successeur du président McKinley – Theodore Roosevelt – décrivit le terrorisme. Dans certains pays, l’armée fut mise en état d’alerte.

L’assassinat de Sadi Carnot en 1894 contraignit les gouvernements et leurs services de police à entreprendre quelque chose. C’est d’Italie que vint la première proposition de coopération internationale. Considérée comme le vivier du terrorisme international, elle cherchait ainsi à redorer son blason. Il est vrai que des Italiens avaient été impliqués dans plusieurs attentats contre des chefs d’Etat. Et, plus généralement, vu leur nombre, les immigrants italiens jouissaient en Europe d’une mauvaise réputation. Leurs grandes communautés à l’étranger, auxquelles s’ajoutaient de nombreux immigrants saisonniers, suscitaient des ressentiments.

C’est ainsi que s’ouvrit à Rome, le 24 novembre 1898, la conférence internationale pour la défense sociale contre les anarchistes. Toutes les voies d’accès au Palazzo Corsini étaient sévèrement contrôlées. Les vingt et un pays participants décidèrent unanimement que l’anarchisme ne devait pas être considéré comme une doctrine politique et que les attentats perpétrés par ceux qui s’en réclamaient constituaient des actes criminels permettant l’extradition. Toutefois, cette vibrante unité internationale n’eut guère de suites concrètes. On intensifia la coopération des polices, mais, dans la pratique, les gouvernements conservèrent toute liberté d’extrader ou non les anarchistes étrangers.

Pourquoi ces grands discours demeurèrent-ils lettre morte ? Tout simplement parce qu’ils étaient dépassés. A l’aube du XXe siècle, le terrorisme anarchiste déclinait déjà dans la plupart des pays. Aux yeux de ses contemporains, l’Internationale noire représentait une organisation insaisissable, entourée d’une aura de puissante force révolutionnaire. En réalité, elle n’existait que dans l’imagination de la police et de la presse. Bien sûr, certains terroristes voyageaient un peu partout et leurs groupes entretenaient des contacts, l’action des uns inspirant celle des autres. Mais il n’y avait ni réseau international, ni a fortiori conjuration ou complot. Pas plus qu’un commandement central : c’étaient des individus répartis en petites cellules qui agissaient à leur guise. Seule les liait une haine commune du statu quo qui marginalisait une grande partie de la société.

En ces temps-là déjà, tout semblait en mouvement. Grâce à la mondialisation rapide et aux progrès de la technologie, on pouvait parler, pour la première fois dans l’histoire, d’un marché mondial où biens, services, capitaux et personnes se déplaçaient librement sous toutes les latitudes. Mais cette Belle Epoque ne l’était pas pour tout le monde : si une petite élite bourgeoise prospérait, l’immense majorité des êtres humains profitait à peine de la croissance sans précédent des richesses et n’avait pas voix au chapitre.

« Classe laborieuse, classe dangereuse », disaient les puissants. Méprisé et redouté, le travailleur se voyait séparé physiquement du bourgeois et repoussé aux marges de la société. C’est dans cette atmosphère que le terrorisme anarchiste prit des formes mythologiques. Barbara Tuchman l’a décrit comme l’un des symptômes d’une société malade, dans laquelle la classe ouvrière recherchait une place d’acteur à part entière. Les auteurs d’attentats présentaient leurs actes comme des armes légitimes dans la lutte pour la justice – l’autodéfense d’un groupe opprimé et marginalisé dans la société. Des cellules terroristes se présentaient comme l’avant-garde d’un prolétariat sans patrie, même si certains d’entre eux avaient conscience de n’être que des groupuscules. Pierre Kropotkine écrira un jour à Errico Malatesta (4) : « Je crains que nous, toi et moi, soyons les seuls à croire que la révolution est proche. »

De fait, les terroristes ne représentaient qu’eux-mêmes. Comme philosophie politique, l’anarchisme n’a jamais représenté un mouvement politique ou philosophique cohérent. D’ailleurs, la majorité des anarchistes rejetaient la violence. Ceux qui « passaient aux actes » étaient souvent des solitaires, et les cellules qui préparaient des attentats ressemblaient plutôt à des sectes quasi religieuses, de surcroît mal organisées. Mais, à chaque nouvelle action, plus on présentait l’anarchisme comme un mécanisme international, puissant et bien huilé, plus sa force d’attraction augmentait : il se trouvait toujours un fanatique ici ou là pour reprendre le flambeau au nom de la famille internationale des opprimés.

Vers 1900, la violence anarchiste s’éteignit presque totalement. D’une part, des dirigeants comme Pierre Kropotkine se rendirent compte que les actes de terreur ne débouchaient pas sur des changements, et même que la stratégie choisie devenait autodestructrice. Chaque attentat éloignait en effet davantage les anarchistes de la classe laborieuse, au nom de laquelle ils prétendaient agir. Non seulement le terrorisme n’affaiblissait pas l’Etat, mais il renforçait le pouvoir de la police, de l’armée et du gouvernement.

La deuxième raison – et non la moindre – fut qu’une autre voie se dessina, qui permit à la classe ouvrière de s’exprimer. Entre 1895 et 1914, le mouvement ouvrier organisé et les syndicats exercèrent une énorme attraction sur les anarchistes. Le socialisme offrait aux travailleurs une dignité personnelle, une identité propre, et par conséquent une place à part entière dans la société. Il créait un mouvement grâce auquel le travailleur ne se trouvait plus seul face à la société. La voie légale et constitutionnelle se révéla plus efficace pour arracher un certain nombre de droits politiques et sociaux, ainsi que des améliorations économiques.

Dans la périphérie de l’Europe cependant, le terrorisme continua à vivoter. En Russie, en Espagne et dans les Balkans, il y eut des attentats jusqu’à la première guerre mondiale. Car, en raison de la répression persistante, la classe ouvrière n’avait pas d’autre issue face à un système qui alimentait sans cesse un sentiment d’exclusion sociale et politique.

Comme le travailleur du XIXe siècle, le musulman est, de nos jours, souvent considéré avec un mélange de peur et de mépris. Et l’Amérique représente pour le terroriste djihadiste ce que l’Etat bourgeois était à son prédécesseur anarchiste : le symbole de l’arrogance et de la puissance. De ce point de vue, M. Oussama Ben Laden est une sorte de Ravachol du XXIe siècle – pour ses disciples, le symbole du « souffle de la haine et de la résistance » ; pour les services de police et de renseignement, un épouvantail. Les djihadistes ressemblent aux terroristes anarchistes : s’ils ne forment en réalité qu’une myriade de groupuscules, ils se prennent pour l’avant-garde capable de soulever les masses opprimées par des actions spectaculaires (5). Quant à l’Arabie saoudite, elle tient au tournant du XXe siècle le rôle de l’Italie du XIXe – le 11 septembre 2001 s’apparentant, en matière de réveil brutal de la société internationale, au 24 juin 1894.

Mais la ressemblance entre le terrorisme contemporain et son prédécesseur anarchiste tient surtout à la raison commune de leur essor. Dans le monde entier, les musulmans se sentent unis par un même sentiment de malaise et de crise. Comparé aux années 1980, le monde arabe semble plus désabusé, plus amer et moins créatif ; et le sentiment de solidarité avec les autres musulmans tient aussi à la perception d’une menace visant l’islam.

Tel est le terreau qu’exploite une minorité fanatique, décidée, par la force, à « briser les murs de l’oppression et de l’humiliation », selon les termes de la célèbre fatwa de M. Ben Laden en 1996. Là encore, la similitude avec les anarchistes du XIXe siècle est frappante. Tout comme son prédécesseur anarchiste, le terrorisme djihadiste disparaîtra sans doute de sa propre violence. Mais cette disparition sera, cette fois encore, d’autant plus rapide que le monde arabe et musulman se verra offrir une perspective susceptible d’apaiser son sentiment d’exclusion.

Rick Coolsaet.
Etat
Histoire
Terrorisme
Socialisme libertaire
Anarchisme





date - sujet - pays





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(1) Né en 1842 dans une famille de la noblesse russe, Pierre Alexeievich Kropotkine consacrera toute sa vie à l’anarchisme en Russie, mais aussi en Suisse, en France, en Espagne et au Royaume-Uni. Revenu en Russie, il y meurt en 1921.

(2) Né en 1859, François Claudius Kœnigstein dit Ravachol a été condamné d’abord à la perpétuité pour ses attentats, puis à la peine de mort pour meurtres – il sera guillotiné en 1892. Lors de son procès, il s’écriera : « C’est la société qui fait les criminels et vous, jurés, au lieu de les frapper, vous devriez employer votre intelligence et vos forces à transformer la société. Du coup, vous supprimeriez tous les crimes ; et votre œuvre, en s’attaquant aux causes, serait plus grande et plus féconde que ne l’est votre justice qui s’amoindrit à punir les effets. »

(3) Barbara Tuchman, L’Autre Avant-Guerre, 1890-1914, Plon, Paris, 1967.

(4) Errico Malatesta (1853-1932), idéologue et dirigeant anarchiste italien.

(5) Cf. Pierre Conesa, « Aux origines des attentats-suicides », Le Monde diplomatique, juin 2004.






LE MONDE DIPLOMATIQUE | septembre 2004 | Page 26
http://www.monde-diplomatique.fr/2004/09/COOLSAET/11443
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptySam 16 Avr - 12:37

Du « terrorisme anarchiste »










Autour du « terrorisme anarchiste »

Novembre 1898
En novembre 1898 est organisée une conférence internationale conte le « terrorisme anarchiste ».

1. Tout Etat surveillera de près les anarchistes ;

2. Tout Etat chargera une autorité centrale de cette surveillance ;

3. Les autorités centrales des différents pays se mettront en contact réciproque direct et s’informeront mutuellement de tout renseignement utile ;

4. Tout étranger qui sera expulsé en tant qu’anarchiste sera conduit à la frontière de son pays d’origine ; si l’expulsé n’est pas originaire d’un pays limitrophe, les pays intermédiaires se chargeront de son transport jusqu’à sa patrie ; les autorités policières se tiendront informées mutuellement à temps de toute expulsion d’anarchiste ;

5. Au cas où un étranger entrant en ligne d’expulsion devrait se justifier devant le juge de son pays ou d’un pays en transit pour des délits précédant son expulsion, les Etats concernés peuvent se concerter en vue de l’expulsion, conformément à leur législation et à leurs traités d’extradition.


(Mesures administratives adoptées à la conférence anti-anarchiste.)

1. Suggestions en matière de législation et de police concernant les moyens les plus appropriés pour réprimer la propagande et les actes anarchistes, sans atteinte de l’autonomie législative et administrative de tout Etat ;

2. Confirmer le double principe que tout Etat a le droit et l’obligation d’expulser des anarchistes d’origine étrangère ; ils seront remis selon des règles uniformes sous l’administration et éventuellement la justice des pays d’accueil ;

3. Etablir, sous obligation réciproque, les mesures contre la diffusion d’écrits anarchistes et de toute publication qui favoriserait volontairement ou involontairement la propagande anarchiste.


(Le ministre italien des affaires étrangères Canavaro spécifiant les objectifs de la conférence anti-anarchiste.)

1898
Aucune vigilance ne sera en mesure d’empêcher les attentats, aucune sévérité ne sera en mesure de faire reculer des fanatiques, et aucun système de police internationale ne saura empêcher l’extension de l’anarchisme par l’acte tant que le symptôme de la maladie, qui se trouve dans le corps social, n’aura disparu.


(Ernst Victor Zenker, journaliste viennois, « Der Anarchismus und seine Bekämpfung », in Zeitschrift für Sozialiswisenchaft, vol I, p. 714, 1898.)

3 décembre 1901
L’anarchie est un crime contre l’espèce humaine, et toute l’humanité devrait s’unir contre l’anarchiste. Ses crimes doivent être stigmatisés comme des crimes contre la loi des nations (…) consignée dans les traités entre toutes les puissances civilisées.


(Theodore Roosevelt, premier message au Congrès américain.)

1911
Les organisations criminelles ont augmenté en nombre et en taille. Elles sont plus hardies que jamais, maintenant que les armes effrayantes offertes par la science moderne sont à leur disposition. Le monde est aujourd’hui menacé par des forces qui, une fois libérées négligemment de leurs chaînes, pourront un jour réaliser la destruction totale.


(Rapport de la police britannique, in Walter Laqueur, le Terrorisme, PUF, 1979.)


L’après 11 septembre 2001

13 septembre 2001
La Troisième Guerre mondiale a commencé mardi 11 septembre. Une guerre mondiale d’un nouveau genre, inédite dans l’Histoire, entre le terrorisme, selon toute vraisemblance islamiste, et l’Occident (…). Née dans les ruines du mur de Berlin, l’arrogance occidentale, dopée par le traditionnel messianisme américain, provoque chez les musulmans une réaction en chaîne : le passage de la simple conscience islamique à la cohésion islamiste. Ce phénomène est si puissant qu’il passe par-dessus les frontières des Etats arabes, dessinées pour la plupart d’ailleurs par les pays occidentaux. Ce que les gouvernements arabes n’ont pas réussi, la religion va le faire : l’apparition d’une identité qui dépasse les Etats et va servir de ferment au terrorisme.


(Denis Jeambar et Alain Louyot, L’Express.)

30 janvier 2002
Il faut éliminer les parasites terroristes (…). Certains gouvernements seront timides face à la terreur. Mais ne vous y trompez pas : s’ils n’agissent pas, l’Amérique agira (…). Des dizaines de milliers de tueurs dangereux, élevés à l’école du meurtre, souvent détenus par des régimes hors la loi, sont maintenant disséminés à travers le monde comme des bombes à retardement.


(M. George W. Bush, discours sur l’état de l’Union.)

12 décembre 2002
Nul ne conteste aujourd’hui que la menace terroriste est l’un des principaux enjeux du XXIe siècle (…). Nous sommes confrontés à une idéologie radicale de nature nihiliste, qui prône exclusivement la destruction totale de l’autre (…). Si elle n’est pas maîtrisée, cette situation peut devenir la guerre de Cent Ans des temps modernes.


(M.Jean-Louis Brugière, patron des juges antiterroristes en France, dans L’Express.)

22 septembre 2003
Vaincre le terrorisme prendra du temps, demandera un effort constant de toute la communauté internationale. Contre les forces de haine déployées à travers le monde, liées par des réseaux occultes qui tirent parti des technologies modernes, abritées par des pays complices ou impuissants, alliées aux trafiquants de drogue et aux mafias, il nous faut serrer les rangs.


(M. Jacques Chirac, à un colloque contre le terrorisme à New York.)

5 mars 2004
La menace qui pèse sur nous est d’une nature tout à fait inédite. Elle est à la sécurité générale ce que la mondialisation est à l’économie. Elle a été définie non pas par l’Irak, mais par le 11-Septembre (…). Ce qui semblait épars ne faisait plus qu’un. Ce n’est pas son mode de préparation, d’exécution, ni même sa localisation qui m’impressionnaient, mais que ce soit la déclaration de guerre de religieux fanatiques disposés à la guerre sans limite (…).


(M. Anthony Blair.)

10 juin 2004
Le terrorisme international constitue une menace directe pour la sécurité et la prospérité mondiales. Nous sommes convenus d’intensifier notre lutte contre le terrorisme en lançant une initiative du G8 pour la facilité et la sécurité des voyages internationaux afin de renforcer la sûreté et l’efficacité des transports terrestres, maritimes et aériens.


(Déclaration finale de la présidence du G8, à Sea Island.)


« Choc des civilisations »

La guerre de mille ans, par Alain Gresh
Du choc des définitions, par Edward W. Said
A l’origine d’un concept, par Alain Gresh
Al-Qaida, label ou organisation ?, par Olivier Roy
De New York à Riyad
Du « terrorisme anarchiste » à Al-Qaida
Sur ordre, par Tom Clancy
La guerre des mondes, par Herbert George Wells
Réalité en quête de fictions, par Jean-Christophe Rufin
L’Ange de l’abîme, par Pierre Bordage
« Choc des civilisations » : compléments documentaires
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptySam 16 Avr - 12:39

DE L’URSS À L’ESPAGNE

La révolution trahie de l’intérieur






Par Jean-Jacques Gandini





Nestor Makhno est de ces personnages emblématiques de l’histoire révolutionnaire dont l’itinéraire appelle la technique narrative de la bande dessinée. Remercions donc François Hombourger (1) pour cette page d’histoire, la formidable épopée du mouvement insurrectionnel anarchiste dans l’Ukraine de 1918-1921, trop méconnue et longtemps falsifiée. Refusant les conditions du traité de Brest-Litovsk (mars 1918), par lequel les jeunes autorités bolcheviques abandonnent l’Ukraine aux Austro-Allemands, les paysans, notamment dans le sud du pays, se regroupent en armée de partisans et élisent à sa tête l’un des leurs.

Nestor Makhno ne va pas seulement se révéler un stratège hors pair mais, fort de ses convictions anarchistes, mettre en application le partage des terres et la constitution de soviets comme de communes libres fédérées. C’est pourquoi, après l’armistice du 11 novembre 1918, il combat également les troupes nationalistes de Simon Petlioura, puis les blancs d’Anton Denikine - ce dernier est soutenu par les alliés franco-britanniques, qui veulent à tout prix empêcher la contagion révolutionnaire de gagner l’Europe de l’Ouest.

Face à cet ennemi commun, l’armée de partisans makhnovistes, tout en préservant son autonomie, va signer un accord avec l’Armée rouge, mais elle sera trahie et décimée par Trotski. Pour celui-ci, elle n’était qu’« une révolte camouflée tentant en réalité d’établir une autorité bourgeoise favorisant les koulaks »... En réalité, les tenants de l’Etat-parti ne pouvaient tolérer de voir réaliser en actes les mots d’ordre d’autogestion et de démocratie directe. Pourchassé, Makhno sera contraint de jeter l’éponge et de se réfugier en Roumanie, en août 1921 ; il se retrouvera finalement à Paris en 1925, et travaillera un temps chez Renault avant de mourir de la tuberculose, oublié de (presque) tous en juillet 1934.

Il lui aura manqué deux ans pour vivre les journées révolutionnaires de juillet 1936, durant lesquelles le peuple espagnol, descendu en masse dans la rue, soutenu par la fougue des militants anarchistes, socialistes et marxistes, va mettre en échec la tentative de coup d’Etat contre la République, le pronunciamento du général Franco, et, dans la foulée, décider de renverser l’ordre établi.

Hans Erich Kaminsky (2) découvre ainsi quel visage a pris la révolution dans les petites villes et les villages de Catalogne, notamment la gestion des comités révolutionnaires initiés principalement par les anarcho-syndicalistes. Félix Carrasquer (3), lui, nous donne un témoignage de première main sur les réalisations des collectivités agraires créées par les paysans d’Aragon, promoteurs d’une société égalitaire. Cédric Dupont (4), de son côté, nous rappelle que cette révolution sociale ne s’est pas faite que dans l’industrie et l’agriculture, mais également dans les transports, les services, les hôpitaux, l’éducation, le cinéma, etc., et pas qu’en Catalogne et en Aragon.

Mais, dès mai-juin 1937, la révolution espagnole sera poignardée dans le dos par les staliniens. Ultraminoritaire en juillet 1936, le Parti communiste espagnol va enfler démesurément en s’appuyant sur l’Union soviétique, les Français et les Britanniques refusant d’intervenir malgré l’aide massive procurée par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste aux franquistes.

Dans une des dernières livraisons des cahiers A contretemps (5), José Fergo analyse remarquablement, à l’occasion de la traduction en espagnol (6) de l’ouvrage de Mary Habert, Ronald Radsoh et Gregory Sevastianov, Spain Betrayed - qui s’appuie sur le dépouillement systématique des dernières archives consacrées à la guerre d’Espagne ouvertes à Moscou -, le double objectif de Staline : empêcher par tous les moyens le développement d’une révolution sociale et jeter les bases d’une démocratie populaire à sa botte. On connaît le résultat...

Jean-Jacques Gandini.
Espagne
Union soviétique (URSS)
Communisme
Histoire
Marxisme
Guerre d’Espagne







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(1) Makhno : l’Ukraine libertaire 1918-1921, Editions libertaires et Editions du Monde libertaire, Paris, 2002, 2 vol., 70 pages, 10 euros chacun.

(2) Ceux de Barcelone, Allia, Paris, 2003, 190 pages, 18 euros.

(3) Les Collectivités d’Aragon : Espagne 36-39, Ed. CNT-RP, Paris, 2003, 292 pages, 12 euros.

(4) Ils ont osé !, Editions du Monde libertaire, Paris, 2002, 408 pages, 15 euros.

(5) A contretemps, n° 11, mars 2003, c/o F. Gomez, 55, rue des Prairies, 75020 Paris (non commercialisé, 2 euros en timbres).

(6) España traicionada : Stalin y la guerra civil, Planeta, 2002, 628 pages, Spain Betrayed, Yale University Press, 2001.
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptySam 16 Avr - 12:52

Le 12 décembre 1969, une bombe éclate devant une banque sur la piazza Fontana, dans le centre de Milan, faisant seize morts et une centaine de blessés. Aussitôt, les anarchistes sont accusés. Le danseur Pietro Valpreda est emprisonné, tandis que le cheminot Guiseppe Pinelli meurt durant son interrogatoire (c’est le thème de la pièce de Dario Fo, Mort accidentelle d’un anarchiste).

Rapidement, les organisations libertaires, rejointes par l’extrême gauche, démontrent les lacunes de l’accusation, parlant d’un massacre d’Etat. En fait, les exécutants sont des néofascistes qui veulent faire accuser les forces de gauche. Derrière leurs agissements, c’est la « stratégie de la tension » : toute une partie de l’appareil d’Etat, en lien avec la CIA, entretient un climat de peur afin de faciliter l’arrivée au pouvoir d’un régime dictatorial, comme en Grèce en 1967. A la suite de ces événements, certains militants de gauche, tel l’éditeur Giangiacomo Feltrinelli, opteront pour la clandestinité et croiront la lutte armée inéluctable.

Depuis l’extradition de Paolo Persichetti et celle qui menace Cesare Battisti, il a été largement fait place aux « dérives » terroristes de l’extrême gauche italienne des années 1970. Mais on n’évoque pas les événements qui permettent d’en saisir l’origine, ignorant l’épilogue judiciaire de cette affaire qui, le 12 mars 2004, vit la cour d’appel de Milan annuler les peines prononcées contre les trois néofascistes responsables de l’attentat de Milan...


Charles Jacquier
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptySam 16 Avr - 12:54

travail sur l'autonomie européenne....

http://sebastien.schifres.free.fr/sommaire.htm
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptyDim 17 Avr - 15:24

Emma Goldman
Le patriotisme, une menace contre la liberté (1911)
lundi 25 octobre 2004.


Qu’est-ce que le patriotisme ? Est-ce le fait d’aimer le lieu où l’on est né, l’endroit où se sont déployés les rêves et les espoirs de notre enfance, nos aspirations les plus profondes ? Est-ce l’endroit où, dans notre naïveté enfantine, nous regardions les nuages défiler dans le ciel à vive allure en nous demandant pourquoi nous ne pouvions nous déplacer aussi rapidement ? Le lieu où nous comptions des milliers d’étoiles scintillantes, effrayés à l’idée que chacune d’entre elles puisse être l’un des yeux du Seigneur et fût capable de percer les grands secrets de notre petite âme ? L’endroit où nous écoutions le chant des oiseaux, et désirions ardemment avoir des ailes pour voler, tout comme eux, vers de lointaines contrées ? Ou celui où nous nous asseyions sur les genoux de notre mère, fascinés par des contes merveilleux relatant des exploits inouïs et d’incroyables conquêtes ? En résumé, le patriotisme se définit-il par l’amour pour un morceau de cette terre où chaque centimètre carré représente des souvenirs précieux, chers à notre cœur, et qui nous rappelle une enfance heureuse, joyeuse, espiègle ?

Si c’était cela le patriotisme, il serait difficile de faire appel à ces sentiments aujourd’hui en Amérique : en effet, nos terrains de jeux ont été transformés en usines, en fabriques et en mines, et le vacarme assourdissant des machines a remplacé la musique des oiseaux. Il ne nous est plus possible d’écouter de belles histoires, de rêver à de nobles exploits, car aujourd’hui nos mères ne nous parlent plus que de leurs peines, leurs larmes et leur douleur.

Alors, qu’est-ce que le patriotisme ? « Le patriotisme, monsieur, est l’ultime ressource des vauriens », a déclaré le Dr Johnson. Léon Tolstoï, le plus célèbre des antipatriotes de notre époque, le définit ainsi : le patriotisme est un principe qui justifie l’instruction d’individus qui commettront des massacres de masse ; un commerce qui exige un bien meilleur outillage pour tuer d’autres hommes que la fabrication de produits de première nécessité - chaussures, vêtements ou logements ; une activité économique qui garantit de bien meilleurs profits et une gloire bien plus éclatante que celle dont jouira jamais l’ouvrier moyen.

Gustave Hervé, un autre grand antipatriote [1], considère le patriotisme comme une superstition, bien plus dangereuse, brutale et inhumaine que la religion. La superstition de la religion provient de l’incapacité de l’homme à expliquer les phénomènes naturels. En effet, lorsque les hommes primitifs entendaient le roulement du tonnerre ou voyaient des éclairs, ils ne pouvaient leur trouver d’explication. Ils en concluaient donc que, derrière ces phénomènes, se cachait une force plus puissante qu’eux-mêmes. De même, les hommes ont vu une entité surnaturelle dans la pluie et dans les différentes manifestations de la nature. Le patriotisme, quant à lui, est une superstition créée artificiellement et entretenue par tout un réseau de mensonges et de faussetés ; une superstition qui enlève à l’homme tout respect pour lui-même et toute dignité, et accroît son arrogance et son mépris.

En effet, mépris, arrogance et égoïsme sont les trois éléments fondamentaux du patriotisme. Permettez-moi de vous donner un exemple. Suivant la théorie du patriotisme, notre globe serait divisé en petits territoires, chacun entouré d’une clôture métallique. Ceux qui ont la chance d’être nés sur un territoire particulier se considèrent plus vertueux, plus nobles, plus grands, plus intelligents que ceux peuplent tous les autres pays. Et c’est donc le devoir de tout habitant de ce territoire de se battre, de tuer et de mourir pour tenter d’imposer sa supériorité à tous les autres.

Les occupants des autres territoires raisonnent de la même façon, bien sûr. Résultat : dès ses premières années, l’esprit de l’enfant est empoisonné par de véritables récits d’épouvante concernant les Allemands, les Français, les Italiens, les Russes, etc. Lorsque l’enfant atteint l’âge adulte, son cerveau est complètement intoxiqué : il croit avoir été choisi par le Seigneur en personne pour défendre sa patrie contre l’attaque ou l’invasion de n’importe quel étranger. C’est pourquoi tant de citoyens exigent bruyamment que l’on accroisse les forces armées, terrestres ou navales, que l’on construise davantage de bateaux de guerre et de munitions. C’est pourquoi l’Amérique a, en une très courte période, dépensé quatre cents millions de dollars. Réfléchissez à ce chiffre : on a prélevé quatre cents millions de dollars sur les richesses produites par le peuple. Car ce ne sont pas, bien sûr, les riches qui contribuent financièrement à la cause patriotique. Eux, ils ont un esprit cosmopolite et sont à l’aise dans tous les pays. Nous, en Amérique, nous connaissons parfaitement ce phénomène. Les riches Américains sont Français en France, Allemands en Allemagne et Anglais en Angleterre. Et ils gaspillent, avec une grâce toute cosmopolite, des fortunes qu’ils ont accumulées en faisant travailler des enfants américains dans leurs usines et des esclaves dans leurs champs de coton. Leur patriotisme leur permet d’envoyer des messages de condoléances à un despote comme le tsar de Russie, quand il lui arrive malheur, comme par exemple lorsque le président Roosevelt, au nom du peuple américain, a présenté ses condoléances après que l’archiduc Serge eut été abattu par les révolutionnaires russes.

C’est le patriotisme qui aidera le super meurtrier Porfirio Diaz [2] à supprimer des milliers de vies à Mexico, ou fera même arrêter des révolutionnaires mexicains sur notre sol et les enfermera dans des geôles américaines, sans la moindre raison.

Le patriotisme ne concerne pas ceux qui détiennent la richesse et le pouvoir. C’est un sentiment valable uniquement pour le peuple. Cela me rappelle la phrase historique de Frédéric le Grand, l’ami intime de Voltaire : « La religion est une escroquerie mais il faut l’entretenir pour les masses. »

Le patriotisme est une institution plutôt coûteuse et personne n’en doutera après avoir lu les statistiques suivantes. La progression des dépenses pour les principales armées du monde durant le dernier quart de siècle est tellement fulgurante que ce seul fait devrait faire réagir toute personne s’intéressant tant soit peu aux problèmes économiques. En l’espace de 24 ans, de 1881 à 1905, les dépenses ont évolué de la façon suivante :

Grande-Bretagne : de 2 101 848 936 de dollars à 4 143 226 885 de dollars.
France : de 3 324 500 000 à 3 455 109 900 de dollars.
Allemagne : de 725 000 200 à 2 700 375 600 de dollars.
États-Unis : de 1 275 500 750 à 2 650 900 450 de dollars.
Russie : de 1 900 975 500 à 5 250 445 100 de dollars.
Italie : de 1 600 975 750 à 1 755 500 100 de dollars.
Japon : de 182 900 500 à 700 925 475 de dollars.

De 1881 à 1905, les dépenses militaires de la Grande-Bretagne ont quadruplé, celles des États-Unis ont triplé, celles de la Russie ont doublé ; quant à celles de l’Allemagne, de la France et du Japon elles ont augmenté respectivement de 35, 15 et 500 %. Si nous comparons les dépenses militaires de ces nations avec leurs dépenses totales pendant cette période de 24 années, l’augmentation est la suivante :

La part des dépenses militaires est passée de 20 à 37 % du budget global en Grande-Bretagne, de 15 à 23 % aux États-Unis, de 16 à 18 % en France, de 12 à 15 % en Italie, de 12 à 14 % au Japon.

D’un autre côté, il est intéressant de noter que la proportion en Allemagne a diminué de 58 à 25 %, baisse due à l’énorme augmentation des dépenses impériales dans d’autres domaines, et au fait que les dépenses militaires pour la période 1901-1905 étaient proportionnellement plus élevées que dans toutes les tranches de 5 ans antérieures.

Les statistiques montrent que les pays où les dépenses militaires représentaient la part la plus importante dans le revenu national total étaient, dans l’ordre, la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Japon, la France et l’Italie.

En ce qui concerne les différentes marines nationales, la progression est également impressionnante. De 1881 à 1905, les dépenses navales ont augmenté de la façon suivante : Grande-Bretagne, 300 % ; France, 60 % ; Allemagne, 600 % ; États-Unis, 525% ; Russie, 300 % ; Italie, 250 % et Japon, 700 %. A l’exception de la Grande-Bretagne, les États-Unis gaspillent plus pour leur marine que n’importe quelle autre nation ; cette dépense représente également une fraction plus importante du budget national que chez toutes les autres puissances. De 1881 à 1905, les dépenses navales des États-Unis sont passées de 6,2 dollars sur 100 consacrés au budget de l’Etat, à 6,6, puis 8,1, 11,7 et enfin 16,4 dollars pour la dernière période (1901-1905). Les chiffres des dépenses pour la période 1905-1910 indiqueront certainement une croissance encore supérieure.

Le coût de plus en plus élevé du militarisme peut être encore illustré si on le calcule comme un impôt affectant chaque contribuable. De 1889 à 1905, en Grande-Bretagne, les dépenses sont passées de 18,47 dollars par habitant à 52,5 dollars ; en France de 19,66 dollars à 23,62 dollars ; en Allemagne, de 10,17 dollars à 15,51 dollars ; aux États-Unis, de 5,62 dollars à 13,64 dollars ; en Russie, de 6,14 dollars à 8,37 dollars ; en Italie, de 9,59 dollars à 11,24 dollars, et au Japon de 86 cents à 3,11 dollars.

Ces calculs montrent à quel point le coût économique du militarisme pèse sur la population. Quelle conclusion tirer de ces données ? L’augmentation du budget militaire dépasse la croissance de la population dans chacun des pays cités ci-dessus. En d’autres termes, les exigences croissantes du militarisme menacent d’épuiser les ressources humaines et matérielles de chacune de ces nations.

L’horrible gâchis qu’entraîne le patriotisme devrait être suffisant pour guérir les hommes, même moyennement intelligents, de cette maladie. Cependant les exigences du patriotisme ne s’arrêtent pas là. On demande au peuple d’être patriote et, pour ce luxe, il paie non pas en soutenant ses « défenseurs », mais en sacrifiant ses propres enfants. Le patriotisme réclame une allégeance totale au drapeau, ce qui implique d’obéir et d’être prêt à tuer son père, sa mère, son frère ou sa sœur.

« Nous avons besoin d’une armée permanente pour protéger le pays contre une invasion étrangère », affirment nos gouvernants. Tout homme et toute femme intelligents sait pourtant qu’il s’agit d’un mythe destiné à effrayer les gens crédules et les obliger à obéir. Les gouvernements de cette planète connaissent parfaitement leurs intérêts respectifs et ne s’envahissent pas les uns les autres. Ils ont appris qu’ils peuvent gagner bien davantage en recourant à l’arbitrage international pour régler leurs conflits qu’en se faisant la guerre et en essayant de conquérir d’autres territoires. En vérité, comme l’a dit Carlyle, « la guerre est une querelle entre deux voleurs trop lâches pour mener leur propre combat ; c’est pourquoi ils choisissent deux jeunes gens issus de villages différents, leur mettent un uniforme sur le dos, leur donnent un fusil et les lâchent comme des bêtes sauvages pour qu’ils s’entre-tuent ».
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptyDim 17 Avr - 15:24

Nul besoin d’être très savant pour trouver une cause identique à toutes les guerres. Prenons la guerre hispano-américaine, censée être un grand événement patriotique dans l’histoire des États-Unis. Comme nos cœurs ont brûlé d’indignation en apprenant les atrocités espagnoles ! Reconnaissons que notre indignation n’a pas éclaté spontanément. Elle a été nourrie par la presse, durant des mois et des mois, et longtemps après que le boucher Weyler [3] eut tué de nombreux nobles Cubains et violé de nombreuses Cubaines.

Néanmoins, rendons justice à la nation américaine : non seulement elle s’est indignée et a montré sa volonté de se battre mais elle a combattu courageusement. Cependant, lorsque la fumée s’est dissipée, que les morts ont été enterrés et que le coût de la guerre est retombé sur le peuple sous la forme d’une augmentation du prix des marchandises et des loyers, lorsque nous avons émergé de notre cuite patriotique, nous avons soudain compris que la véritable cause de la guerre hispano-américaine était le prix du sucre : ou, pour être encore plus explicite, que les vies, le sang et l’argent du peuple américain avaient été utilisés pour protéger les intérêts des capitalistes américains, menacés par le gouvernement espagnol.

Je n’exagère absolument pas. Mon affirmation se fonde sur des faits et des statistiques incontestables, comme le prouve également l’attitude du gouvernement américain face aux travailleurs cubains. Lorsque Cuba s’est trouvée coincée entre les griffes des États-Unis, les soldats envoyés pour libérer Cuba ont reçu l’ordre de fusiller les travailleurs cubains pendant la grande grève des fabriques de cigares, grève qui s’est déroulée peu après la guerre hispano-américaine.

Et nous ne sommes pas les seuls à faire la guerre pour de telles raisons. On commence seulement à dévoiler les véritables motifs de la terrible guerre russo-japonaise qui a coûté tant de sang et de larmes.

Et nous voyons de nouveau que, derrière le cruel Moloch de la Guerre, se tient le dieu encore plus cruel du Commerce. Kouropatkine, le ministre russe de la Guerre durant ce conflit, a révélé le véritable secret qui se cache derrière les apparences. Le tsar et ses grands ducs avaient investi de l’argent dans des concessions coréennes ; ils ont imposé la guerre uniquement dans l’intérêt des fortunes qui étaient en train de s’édifier à toute allure.

La constitution d’une armée permanente est-elle la meilleure façon d’assurer la paix ? Cet argument est absolument illogique : c’est comme si l’on prétendait que le citoyen le plus pacifique est celui qui est le mieux armé. L’expérience montre que des individus armés désirent toujours tester leur force. Il en est de même pour les gouvernements. Les pays véritablement pacifiques ne mobilisent pas leurs ressources et leur énergie dans des préparatifs de guerre, évitant ainsi tout conflit avec leurs voisins.

Ceux qui réclament l’augmentation des moyens de l’armée et de la marine ne pensent à aucun danger extérieur. Ils observent la croissance du mécontentement des masses et de l’esprit internationaliste parmi les travailleurs. Voilà ce qui les inquiète véritablement. C’est pour affronter leur ennemi intérieur que les gouvernants de différents pays se préparent en ce moment ; un ennemi, qui, une fois réveillé, s’avérera plus dangereux que n’importe quel envahisseur étranger.

Les puissants qui ont réduit les masses en esclavage pendant des siècles ont soigneusement étudié leur psychologie. Ils savent que les peuples en général sont comme des enfants dont le désespoir, la peine et les pleurs peuvent se transformer en joie à la vue d’un petit jouet. Et plus le jouet est joliment présenté, plus les couleurs sont vives, plus il plaira à des millions d’enfants.

L’armée et la marine sont les jouets du peuple. Afin de les rendre encore plus attrayants et acceptables, on dépense des centaines et des milliers de dollars pour les exhiber un peu partout. C’est l’objectif que recherchait le gouvernement américain lorsqu’il a équipé une flotte et l’a envoyée croiser le long des côtes du Pacifique, afin que chaque citoyen américain puisse être fier des exploits techniques des Etats-Unis. La ville de San Francisco a dépensé cent mille dollars pour l’amusement de la flotte, Los Angeles soixante mille, Seattle et Tacoma environ cent mille dollars. Pour amuser la flotte, ai-je dit ? Pour offrir de la bonne chère et des vins fins à quelques officiers supérieurs pendant que les « braves trouffions » devaient se mutiner pour obtenir une nourriture décente. Oui, deux cent soixante mille dollars ont été dépensés pour financer des feux d’artifice, des spectacles et des festivités, à un moment où des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, dans tout le pays, crevaient de faim dans les rues, à un moment où des centaines de milliers de chômeurs étaient prêts à vendre leur travail à n’importe quel prix.

Deux cent soixante mille dollars ! Que de choses on aurait pu accomplir avec une somme aussi énorme ! Mais, plutôt que de leur donner un toit et de les nourrir correctement, on a préféré emmener les enfants de ces villes assister aux manœuvres de la flotte, car ce spectacle, comme l’a dit un journaliste, laissera « un souvenir ineffable dans leur mémoire ».

Quel merveilleux souvenir, n’est-ce pas ! Tous les ingrédients nécessaires à un massacre civilisé. Si l’esprit des enfants est intoxiqué par de tels souvenirs, quel espoir y a-t-il pour l’avènement d’une véritable fraternité humaine ?

Nous, les Américains, prétendons aimer la paix. Il paraît que nous détestons verser le sang, que nous sommes opposés à la violence. Et pourtant nous sautons de joie lorsque nous apprenons que des machines volantes pourront balancer des bombes bourrées de dynamite sur des citoyens sans défense. Nous sommes prêts à pendre, électrocuter ou lyncher toute personne qui, poussée par la nécessité économique, risquera sa propre vie en attentant à celle d’un magnat industriel. Cependant nos cœurs se gonflent d’orgueil à la pensée que l’Amérique deviendra la nation la plus puissante de la terre, et qu’elle écrasera de son talon de fer les autres nations.

Telle est la logique du patriotisme.

Si le patriotisme nuit au commun des mortels, ce n’est rien en comparaison des dommages et blessures qu’il inflige au soldat lui-même, cet homme trompé, victime de la superstition et de l’ignorance. Qu’offre le patriotisme au sauveur de son pays, au protecteur de sa nation ? Une vie d’esclave soumis, de dépravation durant la paix ; une vie de danger, de risques mortels et de mort durant la guerre.

Au cours d’une récente tournée de lectures à San Francisco, j’ai visité le Presidio, un endroit merveilleux qui surplombe la baie et le parc du Golden Gate. On aurait pu y installer des terrains de jeux pour les enfants, des jardins et des orchestres pour divertir la population. Au lieu de cela, on y a bâti une caserne constituée de bâtiments horribles, gris et ternes, bâtiments dans lesquels les riches ne laisseraient même pas leurs chiens dormir.

Dans ces misérables baraquements on entasse des soldats comme du bétail ; ils perdent leur temps et leur jeunesse à cirer les bottes et les boutons de leurs officiers supérieurs. Là, aussi, j’ai pu observer les différences de classes : les robustes fils d’une République libre, disposés en rang comme des prisonniers, sont obligés de saluer chaque fois qu’un avorton galonné passe devant eux. Ah ! comme l’égalité américaine dégrade l’humanité et exalte l’uniforme !

La vie de caserne tend à développer la perversion sexuelle [4]. Elle produit graduellement des résultats semblables dans les armées européennes. Havelock Ellis, spécialiste renommé en matière de psychologie sexuelle, a mené une étude détaillée à ce sujet.

« Certains baraquements sont de véritables bordels pour les prostitués mâles... Le nombre de soldats qui veulent se prostituer est bien plus grand que nous sommes prêts à l’admettre. Dans certains régiments, la majorité des conscrits sont disposés à se vendre... En été, on voit des soldats de la Garde royale et d’autres régiments exercer leur commerce dès la fin de l’après-midi, à Hyde Park et aux alentours d’Albert Gate, ils ne se cachent pas, certains se baladent même en uniforme. (...) Le bénéfice de ces activités rapporte une somme confortable qui vient renflouer leur maigre solde. »

Cette perversion a progressé dans l’armée, au point que des maisons spécialisées ont été créées pour cette forme de prostitution. La pratique ne se limite pas à l’Angleterre, elle est universelle. « Les soldats sont aussi recherchés en France qu’en Angleterre ou en Allemagne, et des bordels spécialisés dans la prostitution militaire existent à la fois à Paris et dans les villes de garnison. »

Si M. Havelock Ellis avait enquêté sur la perversion sexuelle en Amérique, il aurait découvert que la même situation existe dans notre armée. La croissance d’une armée permanente ne peut qu’accroître l’étendue de la perversion sexuelle ; les casernes en sont les incubateurs.

En dehors des conséquences sexuelles déplorables de la vie commune dans les casernes, l’armée tend à rendre le soldat inapte à travailler lorsqu’il quitte ses rangs. Il est rare que des hommes qualifiés s’engagent mais quand il arrive qu’ils le fassent, au bout de quelques années d’expérience militaire, ils ont du mal à reprendre leurs occupations antérieures. Ayant pris goût à l’oisiveté, à certaines formes d’excitation et d’aventure, aucune occupation pacifique ne peut plus les satisfaire. Dégagés de leurs obligations militaires, ils deviennent incapables d’effectuer le moindre travail utile. Mais habituellement le recrutement se fait surtout parmi la racaille ou est proposé à des prisonniers que l’on libère dans ce but. Ceux-ci acceptent soit pour survivre, soit parce qu’ils sont poussés par leurs inclinations criminelles. Il est bien connu que nos prisons regorgent d’ex-soldats, tandis que, d’un autre côté, l’armée et la marine accueillent beaucoup d’ex-condamnés. Ces individus-là, lorsqu’ils ont fini leur temps, retournent à leur vie criminelle antérieure, encore plus violents et dépravés qu’avant.
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptyDim 17 Avr - 15:25

De tous les phénomènes négatifs que je viens de décrire, aucun ne me semble plus nuisible à l’intégrité humaine que les conséquences du patriotisme pour le deuxième classe Willam Buwalda. Parce qu’il a commis la folie de croire que l’on peut être un soldat et exercer ses droits d’être humain, les autorités militaires l’ont sévèrement puni. Certes, il avait servi son pays pendant quinze ans, pendant lesquels son dossier avait été impeccable.

Selon le général Funston, qui a réduit la condamnation de Buwalda à trois ans de prison, « le premier devoir d’un officier ou d’un engagé est d’obéir aveuglément et loyalement au gouvernement. Le fait qu’il approuve ou non le gouvernement n’entre pas en ligne de compte ». Cette déclaration éclaire le véritable caractère de l’allégeance patriotique. Selon le général Funston, le fait d’entrer dans l’armée annule les principes de la Déclaration d’indépendance.

A quel étrange résultat aboutit ce patriotisme qui transforme un être pensant en une machine loyale !

Pour justifier la scandaleuse condamnation de Buwalda, le général Funston explique aux Américains que ce soldat a commis « un crime grave qui équivaut à la trahison ». De quoi s’agit-il exactement ? William Buwalda a assisté à un meeting de 1 500 personnes qui s’est déroulé à San Francisco. Après quoi - ô horreur ! - il a serré la main de l’oratrice : Emma Goldman. Un terrible crime, effectivement, que le général Funston qualifie de « grave crime militaire, infiniment plus grave que la désertion » !

Quel argument plus accablant peut-on invoquer contre le patriotisme que le fait de stigmatiser cet homme comme un criminel, de le jeter en prison et de lui dérober le fruit de quinze années de bons et loyaux services ?

Buwalda a donné à son pays les meilleures années de sa vie adulte. Mais tout cela ne compte pas. Comme tous les monstres insatiables, le patriotisme inflexible exige un dévouement absolu. Il n’admet pas qu’un soldat est aussi un être humain, qu’il a le droit d’avoir ses opinions et sentiments personnels, ses penchants et ses idées propres. Non, le patriotisme ne l’admet pas. Buwalda a dû apprendre cette leçon, à un prix élevé, mais pas inutile. Lorsqu’il est sorti de prison, il avait perdu sa position dans l’armée, mais il avait reconquis le respect de lui-même. Après tout, cela vaut bien trois ans de prison.

Un journaliste a récemment publié un article sur le pouvoir qu’exercent les militaires allemands sur les civils. Ce monsieur pense, notamment, que si notre République n’avait pas d’autre fonction que de garantir à tous les citoyens des droits égaux, son existence serait déjà pleinement justifiée. Je suis convaincue que ce journaliste ne se trouvait pas dans le Colorado, pendant le régime patriotique du général Ball. Il aurait probablement changé d’avis s’il avait vu la façon dont, au nom du patriotisme et de la République, on jetait des hommes dans des cellules communes, puis on les en faisait sortir pour leur faire traverser la frontière et les soumettre à toutes sortes de traitements indignes. Et l’incident survenu au Colorado n’est pas un incident isolé dans le développement du pouvoir militaire aux États-Unis. Il est rarement qu’une grève survienne sans que l’armée ou les milices ne viennent au secours des possédants, et alors ces hommes agissent de façon aussi arrogante et brutale que ceux qui portent l’uniforme du Kaiser. De plus nous avons la loi militaire Dick. Ce journaliste l’a-t-il oublié ?

Le grand problème avec les journalistes est que, généralement, ils ignorent les événements courants ou que, manquant d’honnêteté, ils ne les évoquent jamais. Et c’est ainsi que la loi militaire Dick a été introduite précipitamment devant le Congrès, sans être vraiment discutée et sans qu’on en parle dans la presse. Cette loi donne au Président le droit de transformer un paisible citoyen en un tueur assoiffé de sang, en théorie pour défendre son pays, en réalité pour protéger les intérêts du parti dont le Président est le porte-parole.

Notre journaliste prétend que le militarisme ne pourra jamais acquérir autant de pouvoir en Amérique que dans d’autres pays, puisque que nous ne connaissons pas la conscription obligatoire comme dans l’Ancien Monde. Ce monsieur oublie deux faits très importants. Tout d’abord cet enrôlement a créé en Europe une profonde haine contre le militarisme, haine enracinée dans toutes les classes de la société. Des milliers de jeunes recrues protestent au moment de leur incorporation et, une fois dans l’armée, ils essaient souvent, par tous les moyens, de déserter. Deuxièmement, notre journaliste ne tient pas compte du fait que la conscription obligatoire a créé un mouvement antimilitariste très important, que les puissances européennes craignent plus que tout. En effet, le militarisme est le rempart le plus solide du capitalisme. Dès qu’il sera ébranlé, le capitalisme vacillera sur ses bases. Certes, en Amérique, nous n’avons pas de service militaire obligatoire, les hommes ne sont pas obligés de s’enrôler dans l’armée, mais nous avons développé une force bien plus exigeante et rigide : la nécessité. Durant les crises économiques, le nombre d’engagés ne monte-t-il pas en flèche ? Le métier de militaire est peut-être moins lucratif ou honorable que d’autres, mais il vaut mieux être soldat que d’errer dans tout le pays à la recherche d’un travail, de faire la queue dans une soupe populaire, ou de dormir dans des asiles de nuit. Après tout, un soldat touche actuellement 13 dollars par mois, mange trois repas par jour et bénéficie d’un endroit où dormir. Cependant la nécessité n’est pas un facteur assez puissant pour humaniser l’armée. Pas étonnant que nos autorités militaires se plaignent de la « mauvaise qualité » des éléments qui s’engagent. Cet aveu est très encourageant. Il prouve que l’esprit d’indépendance et l’amour de la liberté sont encore suffisamment répandus chez les Américains pour les inciter à préférer crever de faim plutôt que d’endosser l’uniforme.

Les hommes et les femmes qui réfléchissent dans ce monde commencent à comprendre que le patriotisme est une conception trop étroite et limitée pour répondre aux besoins de notre époque. La centralisation du pouvoir a créé un sentiment international de solidarité parmi les nations opprimées du monde, solidarité qui révèle une plus grande communauté d’intérêts entre les ouvriers américains et leurs frères de classe à l’étranger, qu’entre un mineur américain et son compatriote qui l’exploite, une solidarité qui ne craint aucune invasion étrangère, parce qu’elle amènera tous les ouvriers à dire un jour à leurs patrons : « Allez vous faire tuer, si vous en avez envie. Nous, cela fait trop longtemps que nous nous battons à votre place. »

Cette solidarité éveille également la conscience des soldats, qui font aussi partie de la grande famille humaine. Cette solidarité s’est avérée infaillible plus d’une fois durant les luttes passées, et elle a poussé les soldats parisiens, durant la Commune de 1871, à refuser d’obéir quand on leur a ordonné de tirer sur leurs frères. Elle a donné du courage aux marins qui se sont récemment mutinés sur les bateaux de guerre russes. Et elle provoquera un jour le soulèvement de tous les opprimés et la révolte contre leurs exploiteurs internationaux.

Le prolétariat européen a compris la grande force de cette solidarité et a donc commencé une guerre contre le patriotisme et son spectre, le nihilisme. Des milliers d’hommes remplissent les prisons de France, d’Allemagne, de Russie et des pays scandinaves parce qu’ils ont osé défier une très ancienne superstition. Et ce mouvement ne se limite pas à la classe ouvrière, il concerne toutes les catégories sociales, ses principaux porte-parole sont des hommes et des femmes éminents dans le domaine des arts, des sciences et des lettres.

L’Amérique empruntera un jour le même chemin. L’esprit du militarisme envahit déjà tous les domaines de la vie sociale. Je suis convaincue que le militarisme deviendra un danger plus important en Amérique que n’importe où dans le monde, parce que le capitalisme sait corrompre ceux qu’il souhaite détruire.

Le processus est déjà enclenché dans les écoles. Évidemment, le gouvernement défend la vieille conception jésuitique : « Donnez-moi l’esprit d’un enfant et je le façonnerai. » On apprend aux enfants l’intérêt des tactiques militaires, on leur vante les grandes victoires, et les esprits jeunes sont pervertis dans l’intérêt du gouvernement. De plus, on édite de superbes affiches pour inciter les jeunes du pays à s’engager. « Une occasion de parcourir le monde ! » crient les larbins du gouvernement. Et c’est ainsi que l’on force moralement des jeunes innocents à se fourvoyer dans le patriotisme et que le Moloch militaire continue à conquérir la nation.

Lors des grèves, l’ouvrier américain a terriblement souffert des interventions des soldats, qu’ils soient envoyés contre lui par l’État local ou par le gouvernement fédéral. Il est donc tout à fait normal que l’ouvrier méprise les parasites en uniforme et manifeste son opposition contre eux. Cependant, il ne suffira pas d’une simple diatribe pour résoudre ce grave problème. Nous avons besoin d’une propagande qui fasse l’éducation du soldat : une littérature antipatriotique qui l’éclaire sur les véritables horreurs de son métier, et lui fasse prendre conscience de sa relation avec ceux dont le travail lui permet d’exister. C’est précisément ce dont les autorités ont le plus peur. Un soldat qui assiste à une réunion révolutionnaire commet déjà un crime de haute trahison. Il est certain qu’ils condamneront également à la même peine un soldat qui lira une brochure révolutionnaire. L’autorité n’a-t-elle pas, depuis des temps immémoriaux, dénoncé comme une trahisontout pas vers le progrès ? Ceux qui luttent sérieusement pour la reconstruction sociale sont parfaitement capables de mener à bien cette tâche, car il est probablement plus important de porter le message de la vérité dans les casernes que dans les usines.

Une fois que nous aurons dévoilé le mensonge patriotique, nous aurons ouvert la voie à l’avènement de la grande structure où toutes les nationalités s’uniront dans une fraternité universelle : une société véritablement libre.


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Emma Goldman

Traduit et annoté par Yves Coleman pour la revue Ni patrie ni frontières

[1] Gustave Hervé (1871-1944). Radié de l’université pour ses positions antimilitaristes en 1901, il fonde l’hebdomadaire La Guerre socialeen 1906, publication qui tire jusqu’à 60 000 exemplaires avant-guerre. En 1914 il devient ultrapatriote, puis glisse de plus en plus à droite jusqu’à fonder un petit parti fasciste favorable à Mussolini !

[2] Porfirio Diaz (1830-1915). Colonel qui se couvre de gloire en luttant contre l’invasion française et l’Empire de Maximilien entre 1862 et 1867. Dictateur-président élu plusieurs fois entre 1884 et 1910. Démissionne face à la révolution en mai 1911.

[3] Valeriano Weyler y Nicolau (1838-1930). Général espagnol qui écrasa à deux reprises des mouvements dirigés contre la domination espagnole, à Cuba (1868-1872 et 1896-1897) mais aussi aux Philippines en 1888. Ses méthodes sanguinaires servirent de prétexte à la guerre hispano-américaine. Commandant en chef de l’armée espagnole en 1921-1923.

[4] Se réfugiant derrière l’autorité d’Havelock Ellis, qui appartient à une longue lignée de psychologues ou de psychanalystes hostiles aux gays, Emma Goldman juge ici que l’homosexualité masculine est une « perversion », un « vice », etc. !!! Celle-ci n’est plus considérée comme une « maladie » par les psy américains depuis les années 1970. On se demande quelle découverte « scientifique » a pu motiver leur décision ! Notons d’autre part que tout ce passage sur les bordels militaires composés de prostitués mâles semble assez invraisemblable quand on sait que la sodomie était considérée comme un crime à l’époque, et à plus forte raison dans l’armée.
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MessageSujet: ...   petite histoire de l'anarchisme EmptyDim 17 Avr - 15:26

Sébastien Faure
Anarchie
Encyclopédie anarchiste
jeudi 2 décembre 2004.

ANARCHIE n. f.

Constitue l’essence même de l’Anarchie et de l’Anarchisme. Pour les détails - et il sied d’observer que d’aucuns ont une grande importance - le lecteur voudra bien consulter les mots divers auxquels ce texte les priera de se reporter.

Etymologiquement, le mot « Anarchie » (qui devrait s’orthographier An-Archie) signifie : état d’un peuple et, plus exactement encore, d’un milieu social sans gouvernement.

Comme idéal social et comme réalisation effective, l’Anarchie répond à un modus vivendi dans lequel, débarrassé de toute contrainte légale et collective ayant à son service la force publique, l’Individu n’aura d’obligations que celles que lui imposera sa propre conscience. Il possédera la faculté de se livrer aux inspirations réfléchies de son initiative personnelle ; il jouira du droit de tenter toutes les expériences que lui apparaîtront désirables ou fécondes ; il s’engagera librement dans les contrats de tous genres qui, toujours temporaires et révocables ou révisibles, le lieront à ses semblables et, ne voulant faire subir à personne son autorité, il se refusera à subir l’autorité de qui que ce soit. Ainsi, souverain maître de lui-même, de la direction qu’il lui plaira de donner à sa vie, de l’utilisation qu’il fera de ses facultés, de ses connaissances, de son activité productrice, de ses relations de sympathie, d’amitié et d’amour, l’Individu organisera son existence comme bon lui semblera : rayonnant en tous sens, s’épanouissant à sa guise, jouissant, en toutes choses, de sa pleine et entière liberté, sans autre limite que celles qui lui seront assignées par la liberté - pleine et entière aussi - des autres Individus.

Ce modus vivendi implique un régime social d’où sera bannie, en droit et en fait, toute idée de salariant et de salarié, de capitaliste et de prolétaire, de maître et de serviteur, de gouvernant et de gouverné.

On conçoit que, ainsi défini, le mot « Anarchie » ait été insidieusement et à la longue détourné de sa signification exacte, qu’il ait été pris, peu à peu, dans le sens de « désordre » et que, dans la plupart des dictionnaires et encyclopédies, il ne soit fait mention que de cette acceptation : chaos, bouleversement, confusion, gâchis, désarroi, désordre.

Hormis les Anarchistes, tous les philosophes, tous les moralistes, tous les sociologues - y compris les théoriciens démocrates et les doctrinaires socialistes - affirment que, en l’absence d’un Gouvernement, d’une législation et d’une répression qui assure ?e respect de la loi et sévit contre toute infraction à celle-ci, il n’y a et ne peut y avoir que désordre et criminalité.

Et pourtant !... Moralistes et philosophes, hommes d’Etat et sociologues n’aperçoivent-ils pas l’effroyable désordre qui, en dépit de l’Autorité qui gouverne, et de la Loi qui réprime, règne dans tous les domaines ? Sont-ils à ce point dénués de sens critique et d’esprit d’observation, qu’ils méconnaissent que : plus augmente la réglementation, plus se resserre le réseau de la législation, plus s’étend le champ de la répression, et plus se multiplient l’immoralité, l’abjection, les délits et les crimes ?

Il est impossible que ces théoriciens de « l’Ordre » et ces professeurs de « Morale » songent, sérieusement et honnêtement, à confondre avec ce qu’ils appellent « l’Ordre », les atrocités, les horreurs, les monstruosités dont l’observation place sous nos yeux le révoltant spectacle.

Et - s’il y a des degrés dans l’impossibilité - il est plus impossible encore que, pour atténuer et a fortiori faire disparaître ces infamies, ces savants docteurs escomptent la vertu de l’Autorité et la force de la Loi. Cette prétention serait pure démence.
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