Regroupée, étanche, mobilisée, cette ethnie qui peut paraître désuète - avec ses clubs, ses cercles, ses rallyes... - est en fait d'une formidable modernité : depuis toujours cosmopolite, « internationale avant l'Internationale ouvrière », la grande bourgeoisie a une longueur d'avance dans la mondialisation. Une longueur d'avance, aussi, dans les nouveaux combats de protection du patrimoine : « Parce qu'elle contrôle les espaces les plus précieux, parce qu'elle possède les demeures, les oeuvres et les ancêtres qui ont fait la richesse de la France », elle se paye même le luxe d'incarner l'intérêt général : faire recouvrir la RN 13 à Neuilly aux frais de l'Etat, ou obtenir que l'autoroute ne passe pas près du château, n'est-ce pas pour le bien de tous ? Véritable plongée au cœur de la dernière classe sociale à avoir une telle conscience d'elle-même et à militer aussi activement à son maintien, l'enquête des Pinçon-Charlot est d'autant plus salutaire que la priorité accordée par leurs confrères sociologues aux problèmes sociaux, et donc aux catégories vivant le chômage, la précarité, la discrimination, sied parfaitement à une caste qui cultive le bon goût de vivre sa domination dans la discrétion : « Parce qu'elle sait très bien qu'il ne faut pas agacer le peuple ! » rappellent les Pinçon-Charlot. « Le pro­blème de la grande bourgeoisie, aujourd'hui, c'est que Nicolas Sarkozy a fait beaucoup trop de publicité sur les mesures en sa faveur. Car, pour fonctionner, le pouvoir a besoin être méconnu. » Aux sociologues de le dévoiler. En rappelant, par exemple, qu'un ghetto peut en cacher un autre...